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18/10/2018 | LUXEMBOURG | N°40513

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 octobre 2018, 40513


Tribunal administratif Numéro 40513 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2017 2e chambre Audience publique du 18 octobre 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40513 du rôle et déposée le 22 décembre 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kenya), de n...

Tribunal administratif Numéro 40513 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2017 2e chambre Audience publique du 18 octobre 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40513 du rôle et déposée le 22 décembre 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kenya), de nationalité kényane, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 octobre 2017 portant refus d’un report de l’éloignement ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2018 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mars 2018 par Maître Ardavan Fatholahzadeh pour le compte de son mandant, préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 juin 2018.

Le 3 novembre 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection internationale, dont il fut définitivement débouté par arrêt de la Cour administrative du 27 juin 2017, inscrit au numéro 39484C du rôle.

Par courrier du 14 août 2017, Monsieur … sollicita un report de l’éloignement sur base de l’article 125bis de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 ».

Par décision du 5 octobre 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », refusa d’y faire droit, aux motifs suivants :

« J’ai l’honneur de me référer à votre courrier du 14 août 2017 par lequel vous sollicitez pour le compte de votre mandant une demande en obtention d’un report à l’éloignement conformément à l’article 125 bis et 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration.

Par la même occasion, vous exposez la situation de votre mandant ainsi que la situation politique dans son pays d’origine.

En réponse permettez-moi de vous informer que je ne suis malheureusement pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande étant donné que Monsieur … ne remplit pas les conditions de à l’article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration. En revanche, j’invite votre mandant à prendre contact avec Mme …de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) qui l’assistera lors de ses démarches auprès de son ambassade en vue d’un retour volontaire. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2017, inscrite sous le numéro 40513 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision du 5 octobre 2017, précitée, lui refusant un report de l’éloignement dans son chef.

Etant donné qu’en la présente matière aucun recours au fond n’est prévu ni par la loi du 29 août 2008 précitée ni par une autre disposition légale, le demandeur a valablement pu introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle déférée.

A titre liminaire, le délégué du gouvernement conteste, dans son mémoire en réponse, la recevabilité du recours, en affirmant que le demandeur n’aurait pas fourni sa nouvelle adresse et qu’en raison de sa disparition, un doute planerait sur son intérêt à agir et sur l’existence du mandat de son litismandataire, argument à l’appui duquel il cite plusieurs jurisprudences du tribunal administratif concluant à l’absence d’intérêt à agir, et de la Cour administrative concluant, quant à elles, à l’irrecevabilité de l’acte d’appel, faute d’indication de la résidence effective du demandeur de protection internationale dans la requête introductive d’instance, ainsi que pour dissimulation de l’adresse du demandeur en vue d’éviter l’exécution de l’arrêt de la Cour administrative par le ministre.

Le litismandataire de Monsieur … réplique qu’il ne serait obligé de justifier l’existence de son mandat qu’à l’égard du bâtonnier, et non devant le délégué du gouvernement, et conclut de ce fait au rejet de l’argumentation de ce dernier en ce sens.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement insiste sur l’irrecevabilité du recours du demandeur pour absence d’indication d’une adresse effective. Il donne également à considérer que dans le mémoire en réplique, la réelle adresse de Monsieur … ne serait toujours pas indiquée. Ainsi, se poserait la question de la loyauté de ce dernier envers les autorités administratives et dans la procédure juridictionnelle, dans la mesure où l’absence de l’indication de son adresse exacte les empêcherait de procéder à l’exécution, sinon à la préparation de l’éloignement de celui-ci.

En premier lieu, quant au moyen d’irrecevabilité soulevé par la partie étatique ayant trait à l’absence d’indication d’une adresse exacte, il y a lieu de rappeler qu’en vertu de 1’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, une requête introductive d’instance déposée auprès du tribunal administratif doit notamment contenir l’indication des noms, prénoms et domicile du requérant, étant entendu que cette disposition a pour finalité de permettre à la partie défenderesse de pouvoir utilement identifier le demandeur, afin d’être en mesure d’assurer sa défense de façon valable et complète. Par ailleurs, l’article 5 (3) de la même loi dispose que « La signature de l’avocat inscrit à la liste I des tableaux des avocats au bas de la requête ou des mémoires vaut constitution et élection de domicile chez lui. ». Enfin, l’article 29 de la même loi précise que « L’inobservation des règles de procédure n’entraîne l'irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense. ».

En l’espèce, dans la mesure où Monsieur … a fait une élection de domicile en l’étude de son litismandataire pour les besoins de la présente instance, le moyen d’irrecevabilité en ce sens laisse d’être fondé, d’autant plus que la partie étatique reste en défaut de démontrer que l’absence de l’indication de l’adresse du domicile actuel et effectif du demandeur dans sa requête introductive d’instance lui aurait causé un grief.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argumentation du délégué du gouvernement suivant laquelle la non indication du domicile réel mettrait à néant toute possibilité d’exécuter sinon préparer l’éloignement de Monsieur …. En effet, la jurisprudence du tribunal administratif précise à cet égard que « Le fait par un demandeur de ne pas indiquer l'adresse de son domicile dans la requête introductive d'instance, afin d'éviter « son expulsion », n'est de nature à entraîner l'irrecevabilité du recours que dans la mesure où cette omission a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense d'une autre partie à l'instance. Tel n'est pas le cas lorsque l'Etat ne s'est pas trouvé dans l'impossibilité de se défendre et de prendre position quant au fond de l'affaire »1, défense et prise de position que la partie étatique a effectivement fait dans ses mémoires en réponse et en duplique.

En second lieu, en ce qui concerne ensuite l’irrecevabilité du recours en raison de l’absence de mandat du litismandataire de Monsieur …, il est de principe que l’avocat est cru sur parole en ce qui concerne l’existence de son mandat. Etant donné que Monsieur … a, de plus, élu domicile en l’étude de Maître Fatholahzadeh et que ce dernier s’est, en outre, présenté à l’audience des plaidoiries pour défendre Monsieur …, il y a lieu de constater qu’il a toujours mandat pour le représenter.

Ce moyen d’irrecevabilité est également à écarter pour être non fondé.

En dernier lieu, quant à la question de la subsistance de l’intérêt à agir du demandeur, respectivement de l’objet de son recours, il échet de rappeler que l’objet du recours est constitué par le résultat que la partie demanderesse entend obtenir2.

1 Trib. adm. 5 avril 2006, n° 20797 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 390.

2 Trib. adm. 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 315 et autres références y citées.

En l’espèce, Monsieur … a entendu obtenir de la part du ministre un sursis de son éloignement du territoire luxembourgeois.

Dans la mesure où, dans son mémoire en réponse, le demandeur insiste sur l’annulation de la décision ministérielle litigieuse en invoquant la situation sécuritaire au Kenya, et que son litismandataire a réitéré les arguments à la base de la requête introductive d’instance et dudit mémoire en réponse à l’audience des plaidoiries, il échet de constater que Monsieur … a démontré qu’il gardait un intérêt à obtenir une décision relative à la légalité de ladite décision.

Le moyen de la partie étatique y relatif est également à écarter pour être non fondé.

Le recours en annulation contre la décision déférée est donc recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A titre liminaire en ce qui concerne la question de la communication du dossier administratif, dans la mesure où la partie étatique a versé le dossier administratif en cours d’instance et que le demandeur est resté en défaut de faire état d’une éventuelle communication incomplète du dossier administratif, le tribunal est amené à rejeter ladite demande pour manque de pertinence.

Quant au fond, Monsieur … fait valoir que si la possibilité matérielle de le renvoyer dans son pays d’origine existe, il n’aurait cependant aucune garantie par rapport à une installation paisible au Kenya. Il n’aurait ainsi aucune indication sur le sort qui lui serait réservé, en tant que chrétien, en cas de retour sur le territoire de son pays d’origine et de ce fait, ajouté à la longue période passée hors du Kenya, il se trouverait dans une situation d’opposition face aux différents groupes armés, tel que Al-Shabab. Il serait en conséquence une cible directe de ses persécuteurs et établirait son impossibilité à quitter le Luxembourg pour des raisons indépendantes de sa volonté. Il affirme à cet égard, un rapport de « Human Rights Watch » intitulé « Country summary Kenya » de janvier 2017 à l’appui, que la situation politique au Kenya se dégraderait de manière régulière, entrainant un manque de liberté d’expression et la disparition des opposants politiques. Il cite également un article du même organisme du 1er août 2017, intitulé « Kenya : Enquêter sur le meurtre de Christopher Msando », concernant la mort d’un responsable de la commission électorale pendant les élections présidentielles kenyanes, ainsi qu’un article du journal « The Guardian » du 12 août 2017, ayant pour titre « Flying rocks, teargas ans a dead child : the grisly aftermath of the Kenya election », relatant de la mort de 24 personnes lors de manifestations suite auxdites élections et enfin, un article du journal « Le Monde » du 9 juin 2017, intitulé « Au Kenya, une série d’attentats pourrait compromettre la réélection du président Kenyatta », relatant des attaques de l’organisation terroriste Al-Shabab ayant fait trente morts dans le Nord-Est du Kenya. Il estime, en conséquence, qu’au vu de son dossier administratif, il serait établi et avéré qu’il ne pourrait quitter le Luxembourg légalement pour des raisons indépendantes de sa volonté, notamment le risque qu’il encourrait pour sa vie.

Monsieur … invoque encore l’article 129 de la loi du 29 août 2008, ainsi que l’article 3 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par « la CEDH », pour expliquer qu’il risquerait de se retrouver dans une situation de danger permanente, sans avoir la possibilité d’être protégé par les autorités kenyanes, en indiquant que des attentats seraient perpétrés régulièrement, même contre des politiciens. Ainsi, en cas de retour au Kenya, il serait persuadé d’être exposé à des traitements contraires au prédit article 3 de la CEDH. Il ajoute que la situation sécuritaire dans son pays serait telle qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil, respectivement dans son cas d’espèce, un homme ayant vécu en Europe et ayant des idées religieuses et politiques différentes de celles du régime actuel, courrait du simple fait de sa présence sur le territoire kenyan un risque réel de subir des menaces graves et individuelles. A cet égard, il invoque encore l’article 9 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la Directive 2008/115/CE ». Il conclut qu’il lui serait impossible de retourner dans son pays d’origine ou de se rendre dans un quelconque autre pays, et estime que la décision attaquée devrait être annulée pour excès de pouvoir, erreur d’appréciation des faits et violation de la loi.

Le délégué du gouvernement, de son côté, estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur. Le demandeur se serait maintenu volontairement sur le territoire luxembourgeois malgré l’ordre de quitter le territoire qui a été délivré à son égard, de sorte qu’il ne saurait être considéré comme ayant demeuré sur le territoire indépendamment de sa volonté. Il précise à cet égard qu’un séjour prolongé sur le territoire luxembourgeois ne pourrait pas motiver un risque individualisé d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.

En relevant que Monsieur … aurait présenté les mêmes arguments à la base de sa demande de sursis à l'éloignement que ceux à la base de sa demande de protection internationale, et en précisant que la Cour administrative, dans son arrêt du 27 juin 2017, aurait définitivement rejeté celle-ci en concluant à l’absence de crédibilité du récit du demandeur, la partie étatique conclut que la première demande devrait subir le même sort que cette dernière. Il requiert encore le rejet de l’argumentation du demandeur ayant trait à l’article 9 de la Directive 2008/115/CE pour libellé obscur. Enfin, il affirme que le dossier administratif aurait été entièrement versé et que la demande en ce sens dans le dispositif de la requête introductive d’instance serait à rejeter.

Le demandeur réplique qu’il appartiendrait à l’autorité ministérielle de prouver qu’il n’aurait rien à craindre en cas de renvoi dans son pays d’origine. Il insiste sur le fait que le groupe Al-

Shabab continuerait à commettre des atrocités à l’encontre des chrétiens et cite à cet effet différents articles : un article du journal « Le Figaro » intitulé « Kenya : une survivante retrouvée 50 heures après le massacre de Garissa » du 4 avril 2015, un autre du site « www.infochretienne.com » intitulé « Kenya : un enseignant chrétien abattu par balle devant ses élèves » du 19 juin 2017, un autre du site « www.ekklesia.pro » intitulé « Kenya : des chrétiens poignardés pour avoir refusé de se convertir à l’islam » du 30 janvier 2018, et enfin, un article du site « www.chretiens.info » intitulé « Trois chrétiens tués au Kenya » du 20 février 2018, pour conclure qu’il existerait au Kenya un conflit armé interne et que les chrétiens seraient victimes d’actes de terrorisme sans que les autorités kenyanes n’interviennent. Il craindrait ainsi de subir des persécutions de la part de la population musulmane et de celle d’Al-Shabab en raison de son appartenance à la minorité religieuse chrétienne et de sa présence pendant de nombreuses années sur un territoire européen.

De son côté, la partie étatique rétorque que la charge de la preuve incomberait au demandeur. Elle insiste sur le fait que les moyens invoqués à la base de sa demande de report de l'éloignement seraient les mêmes que ceux de sa demande de protection internationale, et ajoute que dans le cas d’espèce, il aurait appartenu à Monsieur … de déposer une nouvelle demande de protection internationale. Ainsi, la Cour administrative ayant déjà toisé sa demande de protection internationale, il n’y aurait pas lieu de se départir de ses conclusions. En outre, les articles de presse ayant trait à la situation générale du Kenya ne suffiraient pas, à eux-seuls, à démontrer qu’il aurait personnellement des raisons de craindre un retour dans son pays d’origine.

En ce qui concerne, tout d’abord, la demande de rejet de l’argumentation du demandeur relative à l’article 9 de la Directive 2008/115/CE pour libellé obscur, le tribunal constate, malgré une rédaction certes hasardeuse de ce moyen, qu’il en ressort toutefois à suffisance que le demandeur a voulu l’invoquer au motif que l’article 9 de la Directive 2008/115/CE avait été transposé dans la législation luxembourgeoise par l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 afin d’assurer une sécurité juridique aux demandeurs de protection internationale déboutés, ainsi que de leur permettre d’être traités dignement lorsqu’ils se trouvaient dans une situation ne relevant pas de leur propre volonté.

Partant, le moyen du délégué du gouvernement y afférent est à rejeter pour être non fondé.

En ce qui concerne le bien-fondé du moyen ainsi soulevé par le demandeur, force est de constater que, si l’article 9 de la Directive 2008/115/CE institue effectivement un mécanisme permettant aux demandeurs de protection internationale déboutés d’assurer leur protection dans des situations étrangères à leur volonté, il ne permet cependant pas de détourner la procédure ayant trait à la protection internationale et d’invoquer, dans le cadre d’une procédure en vue de l’obtention d’un report de l’éloignement, les mêmes faits que ceux à la base d’une protection internationale définitivement rejetée, sans aucun ajout d’éléments probants qui pourraient éventuellement amener le tribunal à conclure qu’au jour de l’introduction de la demande de report à l'éloignement la situation avait réellement changé par rapport à celle ayant conduit au refus de lui accorder la protection internationale.

Le moyen du demandeur en ce sens est donc à rejeter pour être non fondé.

En ce qui concerne, ensuite, l’argumentation générale du demandeur suivant laquelle la décision déférée serait entachée d’un excès de pouvoir, sans pour autant fournir la moindre précision quant au principe de droit qui aurait ainsi été violé par le ministre, le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport à un moyen simplement suggéré sans être soutenu effectivement.

Pour ce qui est encore de l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait commis une erreur dans l’appréciation des faits et qu’il aurait violé la loi, l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 dispose que : « (1) Si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays conformément à l’article 129, le ministre peut reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances propres à chaque cas et jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation.

L’étranger peut se maintenir provisoirement sur le territoire, sans y être autorisé à séjourner.

(…) », tandis qu’aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

La combinaison des articles 125bis et 129 de la loi du 29 août 2008 précités ouvre dès lors la possibilité d’un report de l’éloignement dans deux cas de figure distincts, à savoir, d’une part, si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté et, d’autre part, s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays parce que sa vie ou sa liberté y seraient gravement menacées ou qu’il y serait exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH.

En ce qui concerne le fait qu’il serait exposé à un risque pour sa vie et/ou sa liberté ainsi qu’à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, en cas de retour au Kenya, il y a lieu de rappeler que le demandeur a déposé le 3 novembre 2015 une demande de protection internationale au Luxembourg, qu’il a été débouté de sa demande et que la décision de refus a été confirmée par les juridictions administratives, à savoir par un jugement du tribunal administratif du 28 mars 2017, inscrit au rôle sous le numéro 38532, confirmé à son tour par un arrêt de la Cour administrative du 27 juin 2017, inscrit au rôle sous le numéro 39484C.

Pour ce qui est des motifs invoqués à la base de ladite demande de protection internationale, il ressort du prédit jugement du tribunal administratif que Monsieur … affirma, d’une part, dans ses déclarations auprès de la police judiciaire et sur la fiche manuscrite relative au résumé des motifs de sa demande de protection internationale, avoir quitté son pays d’origine pour se mettre à l’abri de la vengeance du père d’un ami, qui aurait été électrocuté dans sa piscine à cause d’un câble électrique qui y serait tombé, et d’autre part, lors de son audition devant un agent du ministère, que son seul frère aurait été tué dans une attaque du groupe terroriste Al-Shabab contre son village natal en novembre 2014, attaque qui aurait de plus fait fuir sa mère vers le Ghana, son père étant mort depuis longtemps. Il fit également plaider devant le tribunal administratif avoir quitté son pays d’origine pour y avoir été confronté au fléau du terrorisme et pour y avoir été victime des attaques d’Al-Shabab envers sa communauté chrétienne à … au Kenya, attaques lors desquelles son frère serait mort. Il a ajouté avoir été contraint de quitter son pays face à cette situation permanente de menaces et du fait que le combat des autorités kényanes contre les terroristes aurait été insuffisant pour contribuer à une meilleure sécurisation du pays.

Dans ledit jugement, le tribunal a été amené à constater que le récit du demandeur était incohérent et peu crédible, jetant ainsi un doute sur son identité et sa provenance, de sorte qu’il n’établissait pas l’existence d’une persécution ou d’une crainte de persécution susceptible de justifier la reconnaissance d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire. Le tribunal avait également remarqué la contradiction entre les affirmations du demandeur selon lesquelles le gouvernement kenyan essayerait de convaincre les chrétiens de devenir musulmans, dans la mesure où le Kenya comptait en effet une majorité écrasante de chrétiens parmi sa population.

Lors de la procédure en appel, le mandataire de Monsieur … avait soutenu que les deux versions de son récit pourraient être véridiques, argument qui a été rejeté par la Cour administrative, celle-ci ayant suivi le raisonnement des premiers juges en déclarant le récit de Monsieur … non crédible et en remettant également en cause son identité et sa provenance.

Si l’arrêt précité de la Cour administrative ne bénéficie pas de l’autorité de chose jugée par rapport à l’objet du présent litige conformément à l’article 1351 du Code civil qui dispose que :

« L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. », le tribunal ne saurait toutefois se départir des conclusions tirées par celle-ci alors que le demandeur sollicite un report de l’éloignement en se fondant sur un récit identique, à savoir le fait d’être chrétien, de craindre des persécutions de la part d’Al-Shabab et la situation générale au Kenya, à celui qui a d’ores et déjà été jugé par la Cour administrative, et ce, sans pour autant fournir un quelconque nouvel élément probant, les articles de presse cités par ce dernier n’étant pas suffisants pour anéantir les soupçons sur son identité et sa provenance et pour permettre de retenir qu’il risquerait personnellement d’y être victime de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH. Partant, étant donné que le demandeur ne saurait à présent s’appuyer sur les mêmes faits que ceux relatés lors de sa demande de protection internationale pour tenter d’établir son impossibilité de regagner son pays d’origine parce que sa vie et/ou sa liberté y seraient gravement menacés, sinon qu’il risquerait d’y être exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, le moyen y afférent est à rejeter pour être non fondé.

Finalement, en ce qui concerne le fait qu’il ait vécu pendant plusieurs années en Europe, le demandeur reste en défaut d’établir pour quelle raison ce seul fait serait de nature à l’exposer à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH en cas de retour dans son pays d’origine.

Partant, au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder le report à l’éloignement à Monsieur ….

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Hélène Steichen, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 18 octobre 2018 par le vice-président, en présence du greffier assumé Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 octobre 2018 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 40513
Date de la décision : 18/10/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-10-18;40513 ?

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