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12/09/2018 | LUXEMBOURG | N°41609

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 septembre 2018, 41609


Tribunal administratif Numéro 41609 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 août 2018 chambre de vacation Audience publique de vacation du 12 septembre 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41609 du rôle et déposée le 22 août 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan

Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a...

Tribunal administratif Numéro 41609 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 août 2018 chambre de vacation Audience publique de vacation du 12 septembre 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41609 du rôle et déposée le 22 août 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Afghanistan) et être de nationalité afghane, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l'annulation d'une décision du ministre de l'Immigration et de l'Asile du 16 août 2018 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Autriche, l'État membre responsable pour connaître de l'examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 septembre 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Arlène AYBEK, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Madame le délégué du gouvernement Christiane MARTIN, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 12 septembre 2018.

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Le 13 juillet 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion que Monsieur … avait préalablement déposé des demandes de protection internationale en Hongrie, en Autriche, en Suisse et en France.

Par décision du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », notifia à Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois.

Toujours le 13 juillet 2018, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».

Les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités autrichiennes en date du 19 juillet 2018 en vue de la reprise en charge de Monsieur … et, par courrier du 23 juillet 2018, les autorités autrichiennes acceptèrent cette reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III.

Par décision du 16 août 2018, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre, sur base de la considération que Monsieur … avait déposé deux demandes de protection internationale en Autriche en date des 23 mai 2015 et 31 janvier 2018, et que les autorités autrichiennes avaient accepté en date du 23 juillet 2018, de prendre, respectivement de reprendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale, informa ce dernier de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Autriche sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« (…) J’accuse réception de votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée en date du 13 juillet 2018.

En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18§1d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Autriche, qui est l’Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 août 2018, inscrite sous le numéro 41609 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 16 août 2018.

Aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la matière, l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant, par ailleurs, expressément un recours en annulation, de sorte qu’un recours en annulation a pu être introduit contre la décision du 16 août 2018.

Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique que, suite au rejet définitif de sa demande de protection internationale par les autorités autrichiennes, celles-ci l’auraient informé qu’il serait rapatrié dans son pays d’origine, à savoir l’Afghanistan, et ce même par la force. Or, il insiste sur le fait qu’un tel retour dans son pays d’origine serait néfaste pour lui et ce, pour des raisons tenant à sa sécurité et à l’existence d’une guerre généralisée y régnant. Il explique plus particulièrement que sa sécurité se trouverait d’autant plus menacée dans son pays d’origine du fait qu’il appartiendrait « à des groupes des personnes vulnérable en Afghanistan ». Il serait, par ailleurs, faux de prétendre, tel que le ferait le ministre à travers la décision attaquée, que les autorités autrichiennes examineraient sa demande de protection internationale, alors qu’au contraire, elles le renverraient en Afghanistan.

Le demandeur renvoie, à cet égard, à un rapport d’Amnesty International sur la situation en Afghanistan en 2017/2018 duquel il se dégagerait que, dans tout le pays, la population risquerait de subir des actes de torture et d’autres mauvais traitements, le Comité contre la torture des Nations Unies ayant, quant à lui constaté « une acceptation généralisée et une légitimation de la torture dans la société afghane. ». Il ajoute que dans un rapport publié par Amnesty International le 5 octobre 2017, ladite organisation dénoncerait le renvoi forcé d’Afghans déboutés de leur demande de protection internationale opéré entre autres par la Norvège, les Pays-bas, la Suède et l’Allemagne, et ce, alors même que le nombre des victimes civiles n’aurait jamais été aussi important en Afghanistan.

Pour ce qui est de la situation générale prévalant actuellement dans son pays d’origine, le demandeur renvoie à un arrêt de la Cour administrative du 4 janvier 2018, n°40256C du rôle, dans lequel la Cour a retenu que l’Afghanistan était actuellement en proie à un conflit armé interne au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, au motif que des forces régulières d’un Etat, ainsi que des forces alliées internationales, affronteraient un ou plusieurs groupes armés, dont notamment les Talibans et des groupes appartenant à la mouvance de l’Etat islamique.

En droit, le demandeur invoque tout d’abord une violation par la décision attaquée de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », et de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, dénommé ci-après par « la CEDH ».

En se référant à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », du 16 février 2017, dans une affaire C-578/16 PPU, le demandeur fait valoir que la CJUE aurait retenu dans cette affaire que les Etats membres, et, corrélativement, les juridictions nationales ne pourraient initier un transfert au titre du règlement Dublin III s’ils avaient des motifs sérieux de penser que ledit transfert se heurte aux dispositions de l’article 4 de la Charte.

Il s’ensuivrait qu’à partir du moment où le Luxembourg aurait eu connaissance du fait que, après l’avoir définitivement débouté de sa demande de protection internationale, l’Autriche envisagerait de le rapatrier vers son pays d’origine, il incomberait aux autorités luxembourgeoises de s’assurer que la mise en œuvre de cette mesure de rapatriement ne se heurterait pas aux dispositions de l’article 4 de la Charte, respectivement à celles de l’article 3 de la CEDH.

Le demandeur estime dès lors qu’en cas de renvoi en Autriche, il pourrait y être exposé à un risque d’expulsion en cascade, en violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, et ce en raison du conflit interne et de la guerre généralisée qui séviraient actuellement dans son pays d’origine.

Comme il existerait un risque sérieux dans son chef de subir dans son pays d’origine un traitement inhumain ou dégradant au regard de sa situation particulière, un transfert en Autriche, où il risquerait d’être renvoyé dans son pays d’origine, mettrait sa vie en danger et ce, en violation de l’article 4 de la Charte.

Le demandeur critique ensuite la décision ministérielle attaquée en ce que ce serait à tort que le ministre n’aurait pas fait application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

En se référant à l’arrêt précité de la CJUE du 16 février 2017, le demandeur donne à considérer que, dès lors que la Cour administrative aurait retenu dans son arrêt du 4 janvier 2018, précité, que la situation régnant actuellement en Afghanistan devait s’analyser en un conflit armé interne au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, chaque Etat membre serait tenu de faire application de la clause discrétionnaire. Il estime plus particulièrement qu’en raison de l’existence d’une violence aveugle régnant actuellement en Afghanistan, telle que constatée par la Cour administrative, la décision ministérielle de le transférer dans un pays qui entendrait procéder à son tour à son rapatriement en Afghanistan interviendrait en violation des articles 17 du règlement Dublin III et 4 de la Charte, alors qu’il aurait appartenu au ministre d’examiner sa demande de protection internationale même si cet examen ne lui incombait pas.

Finalement, le demandeur fait valoir que s’il devait être retenu que l’application de la clause discrétionnaire relèverait du seul pouvoir souverain du ministre, il ne faudrait pas perdre de vue que l’exercice de ce pouvoir n’échapperait pas au contrôle de légalité du juge administratif qui devrait notamment veiller au respect des principes de droit tels que celui de la proportionnalité. Or, au regard des pièces versées en cause, il apparaîtrait disproportionné pour les autorités luxembourgeoises de l’obliger à retourner en Autriche où il serait exposé à un retour forcé en Afghanistan et a fortiori à une violence aveugle.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

L’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit ce qui suit : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

L’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités autrichiennes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que l’ « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers l’Autriche et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale serait l’Autriche, en ce qu’il y aurait introduit auparavant des demandes de protection internationale en date des 23 mai 2015 et 31 janvier 2018 et que les autorités autrichiennes auraient accepté sa reprise en charge le 23 juillet 2018, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Autriche et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Pour ce qui est de la motivation telle que contenue dans la décision attaquée, le tribunal est encore amené à relever que le demandeur a mis en avant que ladite décision indiquait que l’Autriche aurait accepté en date du 23 juillet 2018 « la reprise en charge de l’examen de [sa] demande de protection internationale », ce qui serait toutefois impossible au vu du fait qu’il aurait été définitivement débouté de sa demande de protection internationale en Autriche, de sorte qu’il n’y aurait plus de demande à examiner. S’il est vrai que la formulation employée par le ministre porte certes à confusion, il n’en reste pas moins que, dans la mesure où la décision est expressément fondée sur l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, qui impose à l’Etat membre ayant définitivement débouté un demandeur de protection internationale, non pas de reprendre l’examen de sa demande de protection internationale, mais de reprendre en charge le demandeur lui-même, il y a lieu d’admettre que le ministre a nécessairement visé l’Autriche comme étant l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à apporter à celle-ci une fois que son examen a abouti à la prise d’une décision de rejet définitive.

Force est ensuite de relever que le bien-fondé de la motivation invoquée à la base de la décision ministérielle attaquée ressort non seulement du résultat des recherches effectuées dans la base de données EURODAC versé au dossier et du courrier des autorités autrichiennes compétentes du 23 juillet 2018, qui ont, tel que relevé ci-avant, accepté la reprise en charge du demandeur, telle qu’elle a été sollicitée par les autorités luxembourgeoises sur le fondement du prédit article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, mais également des déclarations du demandeur lui-même lors de son audition par la direction de l’Immigration, où il a confirmé que les autorités autrichiennes ont refusé de faire droit à ses demandes de protection internationale.

Le tribunal constate ensuite que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Autriche, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais il met en avant sa crainte d’être expulsé par les autorités autrichiennes vers l’Afghanistan où il risquerait d’être exposé à une violence aveugle, de sorte à soutenir qu’au vu de ce risque, la décision de transfert actuellement litigieuse serait contraire aux dispositions des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH tout en reprochant, par ailleurs, au ministre de ne pas avoir fait application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III.

Le tribunal est tout d’abord amené à rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par la « Convention de Genève », ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1.

C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants.

En ce qui concerne plus particulièrement le risque allégué d’une expulsion en cascade, le tribunal constate tout d’abord que la décision attaquée n’implique pas un retour vers le pays d’origine du demandeur, mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites, étant relevé que ledit Etat-membre, en l’occurrence l’Autriche, a reconnu être compétent pour reprendre le demandeur en charge.

Il n’en demeure pas moins qu’en vertu notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse être de nature à entraîner un risque sérieux qu’un demandeur de protection internationale soit, en cas de transfert vers un Etat membre, traité d’une manière incompatible avec les droits fondamentaux, étant relevé que la présomption selon laquelle les Etats membres respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH et la Charte est réfragable2.

Force est toutefois de constater qu’en l’espèce, outre le fait que le demandeur n’affirme pas que, personnellement et concrètement, ses droits n’auraient pas été respectés en Autriche lors du traitement de ses demandes de protection internationale, il n’apporte pas non plus la preuve que, personnellement, ses droits ne seraient pas garantis en Autriche, que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale déboutés en Autriche ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’auraient en Autriche aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore relevé que l’Autriche est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève -

comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, en applique les dispositions.

Pour ce qui est plus particulièrement de la crainte mise en avant par le demandeur d’être expulsé par les autorités autrichiennes vers l’Afghanistan, force est au tribunal de relever qu’il reste en défaut d’étayer concrètement l’existence d’un tel risque dans son chef, le demandeur ne fournissant pas d’éléments susceptibles de démontrer que l’Autriche ne respecterait pas le principe du non-refoulement et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

2 CourEDH, Grande Chambre, F.G. c. Suède, n°43611/11.

seraient sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays.

En effet, outre le fait que son affirmation suivant laquelle les autorités autrichiennes l’auraient informé avant son départ pour le Luxembourg qu’il serait renvoyé dans son pays d’origine, même par la force, n’est soutenue par aucun élément, il échet encore et surtout de constater que si les rapports d’Amnesty International cités en cause font effectivement état, chiffres à l’appui, du fait que certains pays européens ont renvoyé un certain nombre de ressortissants afghans déboutés de leur demande de protection internationale dans leur pays d’origine entre 2015 et 2016, il ne se dégage toutefois pas des éléments soumis au tribunal qu’au moment de la prise de la décision actuellement litigieuse, tout demandeur de protection internationale afghan définitivement débouté de sa demande de protection internationale en Autriche risque d’être automatiquement et sans possibilité de recours éloigné de force vers son pays d’origine.

Le tribunal relève encore que le demandeur ne fournit pas de précisions quant à la situation des personnes transférées vers l’Autriche dans le cadre du règlement Dublin III, ni n’invoque-t-il une jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Autriche, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis de l’UNHCR interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Autriche dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile autrichienne ou du renvoi des demandeurs d’asile déboutés afghans qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments soumis au tribunal que si les autorités autrichiennes devaient quand même décider de rapatrier le demandeur dans son pays d’origine en violation des articles 3 de la CEDH et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’il y serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités autrichiennes en usant des voies de droit adéquates3. A cela s’ajoute que même si toutes les voies de recours devaient être épuisées, il serait possible au demandeur de saisir la CourEDH pour lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de demander aux autorités autrichiennes de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.

Il ne se dégage dès lors pas des éléments soumis au tribunal que le transfert du demandeur en Autriche l’exposerait à un refoulement en cascade qui serait contraire au principe de non-refoulement ancré dans l’article 33 de la Convention de Genève ou découlant des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Le moyen du demandeur fondé sur une violation par la décision ministérielle attaquée des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte est, par conséquent, à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite le moyen fondé sur une non-application, par le ministre, de la clause discrétionnaire instaurée par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, s’il est vrai que, lorsqu’en application des critères dudit règlement, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut malgré 3 Voir article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de ladite clause discrétionnaire, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres4. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge5, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée6, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.

Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte que le demandeur est resté en défaut d’établir que tout demandeur de protection internationale afghan débouté soit automatiquement et sans possibilité de recours éloigné par les autorités autrichiennes vers l’Afghanistan et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur estime que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale de Monsieur … alors même que cet examen incombe aux autorités autrichiennes.

En effet, comme le demandeur reste en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités autrichiennes n’ont pas analysé correctement sa demande de protection internationale avant de l’en débouter ou qu’en tant que demandeur de protection internationale débouté, il n’aurait pas accès à la justice autrichienne pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, que ce soit en relation avec la décision de rejet de sa demande de protection internationale ou avec une éventuelle mesure d’éloignement vers son pays d’origine, c’est à juste titre que la partie étatique soutient que dans la mesure où les autorités autrichiennes sont présumées respecter leurs obligations découlant du droit international et européen, il n’appartient pas au ministre de mettre en doute leur décision de rejet en se fondant sur un arrêt de la Cour administrative ayant retenu l’existence d’un conflit armé interne généralisé en Afghanistan, le contraire aboutissant, en effet, à ce que le ministre procède à une nouvelle analyse d’une demande d’ores et déjà rejetée dans un Etat membre, façon de procéder qui relèverait toutefois du « forum shopping » que le règlement Dublin III vise justement à éviter.

Il s’ensuit que c’est à bon droit et sans commettre d’erreur d’appréciation, ni excéder ses pouvoirs, que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers l’Autriche, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites.

4 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

5 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.

6 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

Au vu de cette conclusion et des motifs la sous-tendant, il y a, par conséquent, également lieu de rejeter non seulement la demande subsidiaire, telle que formulée par le demandeur, de suspendre son transfert vers l’Autriche jusqu’à la production par l’autorité ministérielle luxembourgeoise d’un document confirmant que les autorités autrichiennes n’entendent pas procéder à son rapatriement vers son pays d’origine, mais également sa demande de voir ordonner une mesure d’instruction complémentaire afin de déterminer s’il y a « de sérieuses raisons de croire qu’il existe un risque de renvoie forcé par les autorités suédoises à destination de son pays d’origine, c’est-à-dire l’Afghanistan ».

Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Paul Nourissier, premier juge, Daniel Weber, juge, Géraldine Anelli, juge, et lu à l’audience publique de vacation du 12 septembre 2018 à 12.00 heures, par le premier juge, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 septembre 2018 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 41609
Date de la décision : 12/09/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-09-12;41609 ?

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