Tribunal administratif N° 41466 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 juillet 2018 Chambre de vacation Audience publique de vacation du 29 août 2018 Recours formé par par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 41466 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2018 par Maître Alexandre CHATEAUX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 juillet 2018 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu l’ordonnance du 26 juillet 2018, n° 41468 du rôle, ayant rejeté la demande en obtention d’une mesure provisoire introduite par Monsieur … ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juillet 2018 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Stéphanie COLLMANN en remplacement de Maître Alexandre CHATEAUX, et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth PESCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation de ce jour.
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Le 4 juin 2018, Monsieur … introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Le 4 juin 2018, Monsieur … passa encore un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et 1mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ». Une recherche dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait franchi illégalement la frontière italienne en date du 28 mai 2017 et qu’il avait déposé une demande de protection internationale en Italie le 26 juin 2017.
Par décision du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », notifia à Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.
Les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes le 8 juin 2018 en vue de la reprise en charge de Monsieur ….
Le 19 juin 2018, les autorités italiennes acceptèrent la reprise en charge de Monsieur … sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), b), du règlement Dublin III.
Par décision du 9 juillet 2018, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie, sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18, paragraphe (1), b), du règlement Dublin III.
Ladite décision est libellée comme suit :
« […] J’accuse réception de votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée le 4 juin 2018.
Il résulte des informations dont nous avons connaissance que vous avez précédemment franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 29 mai 2017 et que vous avez introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 26 juin 2017.
L’Italie a accepté en date du 19 juin 2018 de prendre/reprendre en charge l’examen de votre demande de protection internationale.
Au vu de ce qui précède, je tiens à vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18§1b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de vous transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie, qui est l’Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2018, inscrite sous le numéro 41466 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 9 juillet 2018.
Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 41468 du rôle, il fit encore introduire une demande en institution d’un sursis à exécution, sinon d’une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 juillet 2018, requête dont il fut débouté par ordonnance du 26 juillet 2018.
2Aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la présente matière, de sorte que seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle du 9 juillet 2018.
Le recours en annulation introduit en l’espèce est recevable pour avoir été encore introduit dans les formes et délai de la loi.
Le demandeur considère d’abord que la décision entreprise serait insuffisamment motivée dans la mesure où elle se baserait sur le fait que l’Italie aurait accepté de prendre/reprendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale, sans que cette acceptation par l’Italie ne soit annexée à la décision entreprise, de sorte qu’il ne serait plus admissible de considérer à l’heure actuelle que la décision entreprise soit motivée.
Il reproche ensuite au ministre que malgré le fait que son litismandataire l’aurait informé de son mandat par courrier du 14 juin 2018 et sollicité une copie du dossier administratif, il n’aurait pas reçu une copie de la décision italienne de prise, respectivement de reprise en charge.
Il prétend encore qu’il ne résulterait d’aucun élément de la cause, d’une part, que le ministre aurait procédé aux vérifications prescrites par l’article 9, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 ni, d’autre part, que la décision de transfert vers l’Italie n’entrainerait pas les conséquences décrites par cette disposition.
Finalement, le demandeur prétend que la responsabilité de l’Italie aurait pris fin au motif qu’il y aurait séjourné de façon continue depuis au moins douze mois, Monsieur … précise qu’il serait entré en Italie le 28 mai 2017 et le 4 juin 2018 au Luxembourg.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours dans l’ensemble des moyens.
Il échet tout d’abord de rappeler que le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégagent.
En ce qui concerne la légalité externe de la décision déférée et plus particulièrement le défaut de communication de la décision italienne de prise, respectivement de reprise en charge, au mandataire de Monsieur …, l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », dispose que : « tout administré a droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-
ci est atteinte, ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être. […] ». L’article 11 précité consacre le droit pour tout administré d’obtenir communication de son dossier administratif dans les hypothèses y prévues, à savoir à chaque fois que sa situation administrative est atteinte ou susceptible de l’être par une décision administrative.
Il échet néanmoins de relever que la non-communication intégrale des éléments du dossier administratif, fût-elle vérifiée, ne constitue pas nécessairement et automatiquement une cause d’annulation de la décision déférée, laquelle repose sur les motifs qui lui sont propres, sans être conditionnée directement par des questions de communication de dossiers administratifs qui constituent, dans le cadre du processus administratif de prise de décision, un incident qu’il convient de toiser au cas par cas suivant son implication directe sur la décision 3administrative effectivement critiquée, au sujet de laquelle l’incident est soulevé1. Un défaut de communication d’une pièce du dossier administratif peut être régularisé par sa production au cours de la procédure contentieuse, à condition que la partie intéressée ait la possibilité de prendre position y relativement et que de la sorte ses droits de la défense sont garantis2.
En l’espèce, il ressort des pièces versées en cause que le litismandataire de Monsieur … a demandé au ministre une copie du dossier administratif par téléfax envoyé en date du 14 juin 2018 et que le demandeur a reçu une copie de l’intégralité du dossier administratif le lendemain de sa demande, à savoir le 15 juin 2018. Etant donné que la décision de reprise en charge des autorités italiennes date du 19 juin 2018, et a donc été prise postérieurement à la demande du mandataire du demandeur de se voir communiquer le dossier administratif et postérieurement à la communication du dossier administratif par le ministre, aucune violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne saurait être reproché au ministre, étant souligné qu’aucune disposition légale ne prévoit une obligation de communication spontanée dans le chef du ministre de tout élément nouveau au dossier administratif.
Le moyen ayant trait à une violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Concernant ensuite le moyen tiré d’un défaut de motivation, il convient d’abord de retenir que le demandeur reste en défaut d’indiquer la base légale ou règlementaire qui imposerait au ministre une motivation particulière.
Il convient par ailleurs de relever qu’il n’existe aucun texte légal ou réglementaire exigeant la production de l’acceptation de l’Etat membre en annexe d’une décision prise en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, sans demande expresse de l’intéressé.
Le tribunal retient enfin qu’une décision prise en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, ne tombe pas dans les hypothèses limitativement énumérées à l’alinéa 2 de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Dans le même ordre d’idées, l’invocation de l’article 9, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015, relatif à la possibilité d’extrader un demandeur vers un pays tiers, tombe à faux, ladite disposition n’étant pas d’application au cas d’espèce, le demandeur ne faisant pas l’objet d’une décision d’extradition vers un pays tiers en vertu des obligations découlant d’un mandat d’arrêt étranger, mais d’une décision de transfert en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 vers un Etat membre.
Force est en effet de constater que la décision déférée du 9 juillet 2018, prise en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, a un double objet, conformément à la même disposition, à savoir celle, d’une part, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre compétent - en l’espèce l’Italie -, et, d’autre part, de ne pas examiner sa demande de protection internationale, ce dernier volet étant la conséquence du 1 Trib. adm., 29 octobre 2009, n° 24429 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 131 et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 16 septembre 2015, n° 34229 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 136, et l’autre référence y citée.
4premier volet de la décision, la décision ministérielle déférée étant plus particulièrement motivée par le fait, d’une part, que le demandeur a précédemment franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 28 mai 2017 et introduit une demande de protection internationale en Italie le 26 juin 2017, et, d’autre part, que l’Italie a accepté le 19 juin 2018 la prise, respectivement la reprise en charge de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur.
En effet, encore qu’il résulte des données EURODAC, que le demandeur a bien introduit le 26 juin 2017 une demande de protection internationale en Italie et que sa demande est en cours d’examen par les autorités italiennes, de sorte à se situer dans l’hypothèse de l’article 18, paragraphe (1), b) du règlement Dublin III : « 1. L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».
La décision ministérielle de transférer le demandeur vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), b) du règlement Dublin III n’encourt dès lors a priori aucune critique.
En effet, en ce qui concerne la procédure de détermination de l’Etat membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale, il y lieu de relever qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de l’examen de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si, en vertu du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge, le ministre décide, d’un côté, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et, de l’autre côté, de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
Aux termes de l’article 18, paragraphe (1), b) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a été prise, l’Italie ayant, en effet, accepté la reprise en charge du demandeur sur ce fondement, « 1. L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».
Il suit de ces dispositions que l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale est obligé de reprendre en charge le suivi de cette demande dans l’hypothèse où la demande de protection internationale déposée dans cet Etat membre est en cours d’examen et que le ressortissant de pays tiers ou l’apatride concerné a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre.
5 En l’espèce, force est de relever que le demandeur conteste la compétence de principe de l’Etat italien et invoque l’application erronée des critères de détermination de l’Etat membre responsable de sa demande de protection internationale par les autorités luxembourgeoises, sans toutefois indiquer la disposition légale violée, et ceci au motif que la responsabilité de l’Italie aurait pris fin, étant donné qu’il y aurait séjourné de façon continue depuis au moins douze mois.
Or, et à supposer que le demandeur a entendu se prévaloir des dispositions de l’article 13 du règlement Dublin III, suivant lesquelles « Lorsqu’il est établi […] que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. », force est au tribunal de retenir, tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, que si le demandeur a certes franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 28 mai 2017, il a cependant introduit une demande de protection internationale en Italie le 26 juin 2017 et que cette demande est toujours en cours d’examen par les autorités italiennes, de sorte que les dispositions de l’article de l’article 18, paragraphe (1), b), précitées, du règlement Dublin III, trouvent application en l’espèce.
Le moyen afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
La décision ministérielle de transférer le demandeur en Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe 1, b), du règlement Dublin III n’encourt dès lors aucune critique.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 29 août 2018 par :
Hélène Steichen, juge, Géraldine Anelli, juge, Stéphanie Lommel, attaché de justice, en présence du greffier Marc Warken.
6 s.Marc Warken s.Hélène Steichen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 aout 2018 Le greffier du tribunal administratif 7