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29/08/2018 | LUXEMBOURG | N°41240

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 août 2018, 41240


Tribunal administratif Numéro 41240 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2018 2e chambre Audience publique de vacation du 29 août 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41240 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 juin 2018 par Maître Ibtihal El Bouyous

fi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif Numéro 41240 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2018 2e chambre Audience publique de vacation du 29 août 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41240 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 juin 2018 par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Algérie), de nationalité algérienne, alias Monsieur…, né le … à …, et demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 mai 2018 ayant déclaré sa nouvelle demande en obtention d’une protection internationale irrecevable aux termes de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 juin 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge rapporteur, entendu en son rapport, ainsi que Maître Assignon Kokouda Akakpo, en remplacement de Maître Ibtihal El Bouyousfi, et Madame le délégué du gouvernement Stéphanie Linster en leurs plaidoiries à l’audience publique du 2 juillet 2018.

Le 17 septembre 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Le 2 mai 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », considéra la demande de Monsieur … comme implicitement retirée.

Après avoir été interpellé par la police à Esch-sur-Alzette le 25 août 2016, ce dernier réclama la réouverture de sa demande de protection internationale le 29 août 2016 et il disparut à nouveau.

Monsieur … déposa par la suite une demande de protection internationale auprès des autorités néerlandaises le 9 octobre 2016, demande suite à laquelle celles-ci réclamèrent de leurs homologues luxembourgeois sa reprise en charge en vertu du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ». Malgré l’acceptation des autorités luxembourgeoises en ce sens, le transfert ne put être réalisé, Monsieur … ayant disparu dans l’intervalle.

Il se rendit en Autriche où il déposa une autre demande de protection internationale le 22 février 2017, demande suite à laquelle les autorités autrichiennes réclamèrent également de leurs homologues luxembourgeois sa reprise en charge en vertu du règlement Dublin III.

Malgré l’acceptation des autorités luxembourgeoises, le transfert ne put encore être réalisé, le principal intéressé ayant à nouveau disparu.

Puis, il se rendit en Allemagne où il introduisit de nouveau une demande de protection internationale le 24 mai 2017. Les autorités allemandes réclamèrent de leurs homologues luxembourgeois sa reprise en charge en vertu du règlement Dublin III, ce qu’ils acceptèrent. Le transfert put être réalisé à cette occasion et Monsieur … fut remis aux autorités luxembourgeoises le 30 janvier 2018.

Le 31 janvier 2018, Monsieur … introduisit finalement une nouvelle demande de protection internationale auprès du ministère et ses déclarations sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Le 20 avril 2018, il fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 7 mai 2018, notifiée à l’intéressé en mains propres le 23 mai 2018, le ministre rejeta cette nouvelle demande pour être irrecevable en application de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015, pour les motifs suivants :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre deuxième demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 31 janvier 2018.

Il ressort de votre dossier que vous avez déposé une première demande de protection internationale au Luxembourg le 17 septembre 2015. En date du 2 mai 2016, votre demande a été considérée comme implicitement retirée alors que vous n'êtes plus venu prolonger votre attestation de demandeur de protection internationale depuis le 23 février 2016, et accessoirement entre le 16 novembre 2015 et le 23 février 2016. A cela s'ajoute que vous ne vous êtes pas présenté à l'entretien personnel prévu en date du 21 mars 2016, sans fournir d'excuse ou de pièce justificative à votre absence.

Il ressort du rapport de police du 25 août 2016, que vous avez été interpellé le même jour à Esch-sur-Alzette et que vous avez alors prétendu être habitant de Villerupt/France et avoir rendu visite à un ami au Luxembourg.

Le 29 août 2016, vous vous êtes présenté auprès du Ministère des Affaires étrangères et européennes pour solliciter la réouverture de votre demande de protection internationale.

Le 1er novembre 2016, les autorités néerlandaises ont demandé auprès des autorités luxembourgeoises votre reprise en charge sur base du règlement Dublin III. Cette demande a été acceptée, mais votre transfert au Luxembourg, prévu le 20 février 2017, a dû être annulé parce que vous aviez disparu.

Suite à la deuxième demande de reprise en charge de la part du Ministère de l'immigration des Pays-Bas, votre transfert au Luxembourg était prévu pour le 27 février 2017, mais il a de nouveau dû être annulé parce que votre localisation était inconnue des autorités néerlandaises.

Le 15 mars 2017, les autorités autrichiennes ont demandé au Luxembourg votre reprise en charge sur base du règlement Dublin III. Il ressort par ailleurs de cette demande qu'après un séjour d'un an aux Pays-Bas, vous auriez voyagé entre ce pays, l'Allemagne et l'Autriche.

Suite à l'accord des autorités luxembourgeoises, votre transfert a encore dû être annulé puisque que vous avez aussi disparu en Autriche.

Le 13 juillet 2017, les autorités allemandes ont demandé aux autorités luxembourgeoises votre reprise en charge sur base du règlement Dublin III. Cette demande a été acceptée mais votre transfert a encore une fois été annulé à cause de votre disparition du territoire allemand.

Finalement, en date du 30 janvier 2018, vous avez pu être transféré au Luxembourg.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 31 janvier 2018 et le rapport d'entretien du 20 avril 2018 sur les motifs sous-tendant votre deuxième demande de protection internationale.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous avez introduit des demandes de protection internationale aux Pays-Bas le 9 octobre 2016, en Autriche le 22 février 2017 et en Allemagne le 24 mai 2017.

En outre, vous êtes signalé au Luxembourg pour coups et blessures ainsi qu'importation et vente de produits stupéfiants.

En Allemagne, vous êtes connu pour vol et des infractions liées à la loi sur les stupéfiants.

En France, un dénommé…, avec la même date de naissance que vous et les mêmes noms de parents, mais né à Tunis/Tunisie, est déclaré comme SDF à Lyon et y est connu pour recel de vol.

3Vous expliquez qu'après l'introduction de votre première demande de protection internationale au Luxembourg, vous auriez décidé de quitter le pays « sans raison particulière » vers les Pays-Bas. Or, vous vous y seriez « ennuyé » et seriez alors parti vivre en Autriche puis en Allemagne pour finalement revenir au Luxembourg.

Monsieur, il ressort de votre rapport d'entretien que vous auriez quitté l'Algérie à cause de votre prétendue homosexualité ou de vos « problèmes sexuels » et à cause de vos soucis financiers.

Vous signalez d'abord être homosexuel et avoir eu « un problème sexuel » pendant votre enfance avec un de vos cousins plus âgés. Vous mentionnez des relations sexuelles avec ce cousin, respectivement des abus sexuels de ce dernier, qui se serait une première fois « imposé » quand vous auriez été âgé de cinq ou six ans en vous offrant des friandises. Ces abus auraient duré une dizaine d'années et en grandissant, votre cousin aurait commencé à parler à « tout le monde » de ce qu'il « faisait avec moi ». En même temps, il vous aurait menacé de divulguer à tout le monde ce qu'il vous ferait afin de pouvoir continuer à « abuser » de vous. En 2009, vous auriez une fois voulu porter plainte contre votre cousin mais auriez alors été frappé par vos autres cousins. « A la fin », votre famille aurait appris ces histoires avec votre cousin et vous vous seriez alors enfui de la maison vers 2010 ou 2011. A cela s'ajoute que « d'autres personnes » au courant de votre histoire seraient passées pour vous proposer des relations sexuelles. Vous seriez par la suite parti travailler « normalement » pendant deux ans au Sahara.

Votre mère vous aurait par la suite contacté et invité à vous installer chez elle dans un appartement qu'elle aurait loué. Elle se serait ensuite chargée de vous établir un dossier d'ouverture de commerce et en 2012, vous aurait obtenu une autorisation pour lancer un commerce de vêtements pour femmes sur un marché tout en bénéficiant d'un prêt étatique ou de loyers payés par l'Etat. Or, les affaires auraient mal tourné et après une année, l'Etat aurait commencé à demander le remboursement desdites avances. A partir de 2015, il aurait commencé à vous envoyer des rappels de paiement. Vous mentionnez également une lettre « comme quoi un jugement a été rendu » et précisez qu'il s'agirait d'une sommation vous ordonnant de rembourser l'argent en question sous peine de prison. Or, vu votre impossibilité de le rembourser et que « je ne veux surtout pas aller en prison. (…) j'ai décidé de partir ».

Monsieur, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau relatifs à l'examen visant à déterminer si vous remplissez les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d'une protection internationale.

En effet, conformément à l'article 32 (4), « Si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre une protection internationale, l'examen de la demande est poursuivi, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l'incapacité de les faire valoir, au court de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse ».

Or, il faut soulever que vous n'étiez évidemment pas dans l'incapacité de mentionner les faits à l'appui de votre deuxième demande de protection internationale au cours de votre précédente demande, ni lors de la réouverture de celle-ci.

Rappelons que vos « problèmes sexuels » auraient commencé dès votre enfance, tandis que vos soucis financiers seraient liés au commerce que vous auriez géré vers 2013, de sorte que vous auriez donc manifestement pu en faire état au cours de votre précédente demande de protection internationale, introduite en septembre 2015. Il s'ensuit que les éléments mentionnés dans le cadre de votre deuxième demande ne sauraient donc manifestement pas être perçus comme des faits nouveaux au sens de l'article 32 précité.

Le seul fait que vous ne vous êtes tout simplement pas présenté à votre entretien pour étayer vos motifs de fuite ne saurait évidemment pas valoir comme excuse ou justification de votre mutisme total au cours de votre précédente demande de protection internationale; surtout que selon vos propres dires, entre février et août 2016, vous vous seriez trouvé à Grevenmacher « chez une amie ».

Ce constat vaut d'autant plus qu'en date du 29 août 2016, vous avez encore explicitement sollicité la réouverture de votre demande de protection internationale, pour par la suite quand même disparaître de nouveau et ne pas vous présenter au nouvel entretien auquel vous avez été convoqué en mains propres, le 19 septembre 2016 et qui était prévu pour le 14 octobre 2016. Force est dans ce contexte de rappeler, qu'en octobre 2016, vous auriez donc préféré partir « sans raison apparente » aux Pays-Bas et y introduire une nouvelle demande de protection internationale plutôt que de vous présenter à votre entretien concernant votre demande introduite au Luxembourg.

Votre comportement doit en effet être défini comme étant totalement incompatible avec celui d'une personne vraiment persécutée dans son pays d'origine et qui serait réellement à la recherche d'une protection internationale dans un pays sûr. Ainsi, hormis votre attitude totalement indifférente dont vous avez fait preuve par rapport à votre demande de protection internationale introduite au Luxembourg, vous vous êtes fait remarquer par un comportement identique aux Pays-Bas, pays dans lequel vous avez d'abord introduit une demande de protection internationale mais que vous auriez fini par quitter « par ennui » pour vous installer, selon vous, à tour de rôle en Autriche, en Allemagne et aux Pays-Bas, tout en introduisant dans ce deux autres pays, deux nouvelles demandes de protection internationale.

Rappelons également dans ce contexte que vous auriez donc aussi à plusieurs reprises dû être transféré au Luxembourg à partir des Pays-Bas, de l'Autriche et de l'Allemagne mais que vous avez à chaque fois disparu lorsque les préparatifs en vue de votre transfert étaient finalisés et votre place dans l'avion réservée. Vous êtes par ailleurs fiché au Luxembourg et en Allemagne pour coups et blessures, vol et des infractions liées à la loi sur les stupéfiants.

Au vu de tout ce qui précède, il est clair que votre comportement n'est non seulement incompatible avec celui d'une personne vraiment persécutée dans son pays d'origine, mais qu'il doit surtout être défini comme manifestement abusif par rapport aux procédures prévues dans des pays sûrs en matière de protection internationale.

Pour compléter, et en n'abordant même pas les doutes évidents qui seraient à formuler par rapport à la sincérité de vos dires, il faut encore noter qu'après vos prétendus « problèmes sexuels », vous auriez d'abord travaillé « normalement » vers 2011 et 2012 au « Sahara », pour ensuite vous réinstaller chez votre mère à … et y ouvrir un commerce que vous auriez géré jusqu'à votre départ en 2015. Hormis les affaires qui auraient mal tourné, vous ne faites de nouveau état d'aucun problème dans cette ville, ni d'un quelconque autre élément qui serait lié à votre prétendue homosexualité ou vos prétendus « problèmes sexuels » vécus pendant votre enfance ou jeunesse.

Ainsi, vos prétendus problèmes liés aux abus de votre cousin appartiendraient de toute façon au passé et ne seraient plus pertinents à l'heure actuelle. Vous confirmez d'ailleurs vous-

même n'avoir décidé de quitter l'Algérie que lorsque « l'Etat » vous aurait envoyé ladite sommation vous urgeant à rembourser vos dettes pour éviter une peine de prison.

Il paraît donc établi que vos soucis financiers vous auraient poussé à quitter l'Algérie pour ensuite voyager à travers une multitude de pays de l'Union européenne et en introduisant des demandes de protection internationale dans quelques-uns des pays visités. Or, des motifs économiques tout comme le désir d'éviter une peine de prison qu'on risquerait de subir dans son pays d'origine pour une infraction commise, ne sauraient évidemment pas non plus fonder une demande de protection internationale ou constituer ces éléments nouveaux susmentionnés.

Les éléments sous-jacents à votre deuxième demande de protection internationale ne sauraient de toute manière pas être perçus comme des faits nouveaux augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions prévues pour bénéficier du statut de réfugié conformément à l’article 32 de la loi du 18 décembre 2015.

Par conséquent, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, votre demande de protection internationale est irrecevable. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2018, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du ministre du 7 mai 2018, par laquelle sa nouvelle demande en obtention de la protection internationale a été déclarée irrecevable.

Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre de déclarer irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur … sur le fondement de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal retient que dans mesure où l’article 35 (3) de ladite loi prévoit un recours en annulation en matière de demandes de protection internationale déclarées irrecevables sur base de l’article 28 (2) de la même loi, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … fait valoir que suite à sa première demande de protection internationale déposée au Luxembourg le 17 septembre 2015, il aurait indiqué succinctement qu’il requérait une protection « A cause du terrorisme qui a tué ma famille parce que mon père était dans l’armée et la pauvreté ». Il n’aurait été entendu que dans le cadre de la détermination du pays responsable du traitement de ladite demande, et non pas sur les motifs de sa demande de protection internationale. Il souligne à cet égard qu’aucune décision n’aurait été prise par le ministre quant à un rejet de celle-ci. Lorsqu’il aurait demandé la réouverture de son dossier, il n’aurait pas non plus été entendu sur les motifs de sa demande de protection internationale. Il donne à considérer que lors du dépôt de sa deuxième demande, le 31 janvier 2018 au Luxembourg, il aurait fait état de nouveaux éléments, notamment les abus sexuels dont il aurait été victime, ainsi que les poursuites engagées à son encontre par l’Etat algérien en raison de la faillite de son commerce et des dettes qu’il a engendrées. Il conclut ainsi que ces faits sont nouveaux et n’ont pas été présentés lors de sa première demande de protection internationale.

En droit, Monsieur … requiert l’annulation de la décision attaquée pour violation de la loi en soutenant que le ministre aurait considéré à tort que les faits invoqués lors de sa deuxième demande de protection internationale ne seraient pas nouveaux, alors qu’ils le seraient en comparaison avec les motifs inscrits lors du dépôt de sa première demande. Il insiste sur le fait qu’il n’aurait jamais été entendu dans le cadre de sa première demande pour pouvoir exposer tous les motifs qui ont conduit à la fuite de son pays d’origine. Il réclame en outre l’annulation de la décision ministérielle du 7 mai 2018 pour excès de pouvoir, dans la mesure où la prise de décision sur base de l’article 28 (2) d) serait discrétionnaire et non pas obligatoire.

Il estime ainsi, qu’en ne l’entendant pas sur les motifs de sa première demande, le ministre n’aurait pas pris en compte sa situation personnelle, de sorte que la décision litigieuse serait disproportionnée par rapport à celle qui aurait dû être prise sur base des articles 39, 40, 41 et 42 de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

L’article 28 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit que « (…) le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: (…) d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale (…) ».

Aux termes de l’article 32 de la même loi, « (1) Constitue une demande ultérieure une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel le ministre a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 23, paragraphes (2) et (3).

(2) Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure, ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure sont examinés dans le cadre de l’examen de la demande antérieure par le ministre ou, si la décision du ministre fait l’objet d’un recours juridictionnel en réformation, par la juridiction saisie.

(3) Le ministre procède à un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en vertu de l’article 28, paragraphe (2), point d). Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien.

(4) Si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, l’examen de la demande est poursuivi, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. (…) ».

Il ressort de ces dispositions que le ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure – c’est-à-dire une demande intervenant suite à une décision finale prise sur une demande antérieure émanant de la même personne, y compris lorsque celle-ci a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel le ministre a rejeté sa demande à la suite de son retrait implicite - sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies -, dans le cas où le demandeur n’invoque aucun élément ou fait nouveau par rapport à sa précédente demande. Saisi d’une demande ultérieure, le ministre effectue un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur.

L’examen de la demande n’est poursuivi que si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et à condition que le demandeur concerné ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Dans le cas contraire, la demande est déclarée irrecevable.

Il s’ensuit que la recevabilité d’une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir, (i) que le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux par rapport à sa demande précédente, (ii) que les éléments ou les faits nouveaux présentés augmentent de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et, (iii) qu’il ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.

Le tribunal procède dès lors à l’analyse des éléments nouveaux soumis en cause par le demandeur afin de vérifier le caractère nouveau de ces éléments ainsi que leur susceptibilité d’augmenter de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre de la précédente procédure laquelle doit, aux termes de l’article 32 (1) de la loi du 18 décembre 2015, avoir fait l’objet d’une décision finale.

En l’espèce, il ressort du dossier administratif que Monsieur … a présenté sa première demande de protection internationale le 17 septembre 2015 et qu’à partir du 23 février 2016, il ne s’est plus présenté au ministère afin de faire prolonger son attestation de demandeur de protection internationale. Au vu des absences répétées de ce dernier, par décision du 2 mai 2016, le ministre a constaté que sa demande de protection internationale était considérée comme implicitement retirée. Etant donné que l’article 32 (1), précité, prévoit expressément le cas où la demande de protection internationale est implicitement retirée et que la décision ministérielle constatant le retrait implicite y est considérée comme décision finale, il échet de constater que la première demande de protection internationale du demandeur a fait l’objet d’une décision finale au sens du prédit article 32 (1).

Par la suite, Monsieur … ne s’est plus manifesté jusqu’au 25 août 2016, date à laquelle il a été appréhendé par les policiers d’Esch-sur-Alzette auxquels il a affirmé vivre à Villerupt en France. Il a demandé, suite à cette interpellation, la réouverture de son dossier de demande de protection internationale en date du 29 août 2016. Il n’a cependant pas fait l’objet d’un entretien au ministère sur les motifs à la base de sa première demande de protection internationale.

A partir du 1er novembre 2016, le demandeur a fait l’objet d’une demande de transfert sur base du règlement Dublin III, successivement par les autorités néerlandaises, autrichiennes et allemandes. Un seul de ces transferts a été réalisé avec succès lorsqu’il a été remis par les autorités allemandes à leurs homologues luxembourgeois le 30 janvier 2018.

Monsieur … a alors déposé une deuxième demande de protection internationale le 31 janvier 2018, de sorte que la demande introduite ledit jour doit être considérée comme constituant chronologiquement une demande ultérieure au sens de l’article 32 (1) précité.

Par convocation du 2 février 2018, un entretien a été fixé au 20 février 2018 auquel Monsieur … ne s’est pas présenté. Par convocation du 26 février 2018, une audition a été fixée pour le 6 mars 2018, date à laquelle il s’est présenté avec une heure de retard. L’agent du ministère responsable de son audition a inscrit à cet effet sur sa fiche que le demandeur aurait été « averti au préalable de venir à l’heure et que c’était sa dernière chance ». Celui-ci a été ensuite convoqué le 13 mars 2018 pour un entretien fixé au 20 avril 2018, auquel il s’est finalement présenté.

Lors de cet entretien, Monsieur … a fait valoir qu’il serait menacé en Algérie en raison de son homosexualité. Il a ajouté qu’il serait redevable envers l’Etat algérien qui lui aurait accordé un prêt pour le financement de son commerce et qu’il n’aurait pas été capable de rembourser.

Lors du dépôt de sa première demande de protection internationale, il a écrit les motifs l’ayant poussé à quitter son pays d’origine dans les termes suivants : « A cause du terrorisme qui a tué ma famille parce que mon père était dans l’armée et la pauvreté ».

Si les motifs à la base des deux demandes de protection internationale sont effectivement différents, de sorte que les faits invoqués à l’appui de la deuxième demande sont à considérer comme nouveaux par rapport à ceux de la première, force est de constater que Monsieur … n’a pas démontré avoir été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure.

En effet, dans la mesure où les faits dont le demandeur se prévaut ont eu lieu avant qu’il ne quitte l’Algérie, ce dernier avait la possibilité de les faire valoir lors du dépôt de sa première demande de protection internationale, et également lors des entretiens fixés au 12 janvier 2016 et du 21 mars 2016, auxquels il ne s’est pas présenté. Il a, par ailleurs, eu de nouveau l’occasion de compléter les motifs de sa demande de protection internationale suite à la réouverture de son dossier en août 2016 mais ne s’est pas non plus présenté à l’entretien fixé au 14 octobre 2016, alors qu’il se trouvait aux Pays-Bas où il a déposé une nouvelle demande de protection internationale le 9 octobre 2016.

Le tribunal est ainsi amené à constater que dans la mesure où le demandeur a fait valoir des faits nouveaux dans le cadre de sa demande ultérieure alors qu’il avait parfaitement été en mesure de les faire valoir dans le cadre de sa première demande de protection internationale, les conditions de l’article 32 (4) de la loi du 18 décembre 2015 ne sont pas remplies, de sorte que le ministre a valablement pu déclarer irrecevable la demande de Monsieur … en application de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015.

Au vu des considérations qui précèdent, le recours formé par Monsieur … est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Hélène Steichen, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique de vacation du 29 août 2018 par le vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 août 2018 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 41240
Date de la décision : 29/08/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-08-29;41240 ?

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