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08/08/2018 | LUXEMBOURG | N°41412

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 août 2018, 41412


Tribunal administratif N° 41412 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juillet 2018 Chambre de vacation Audience publique du 8 août 2018 Recours formé par Madame …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41412 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 juillet 2018 par Maître Pascale Peto

ud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d...

Tribunal administratif N° 41412 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juillet 2018 Chambre de vacation Audience publique du 8 août 2018 Recours formé par Madame …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41412 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 juillet 2018 par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Rwanda), demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l'Immigration et de l'Asile du 27 juin 2018 ordonnant son transfert vers l’Italie, qui serait l’Etat membre responsable pour traiter sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 juillet 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pascale Petoud et Madame le délégué du gouvernement Christiane en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 août 2018.

Le 13 mars 2018, Madame … introduisit une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Elle fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion que Madame … fut en possession d’un visa « court séjour » pour l’Italie valable du 4 septembre 2017 au 8 octobre 2017.

A la même date, Madame … fut entendue par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes en date du 23 mars 2018 en vue de la reprise en charge de Madame ….

1Par décision du 27 juin 2018, notifiée par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre, sur base de la considération que Madame … était en possession d’un visa italien valable du 4 septembre 2017 jusqu’au 8 octobre 2017, et que les autorités italiennes ont tacitement accepté de prendre, respectivement de reprendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale, informa cette dernière de sa décision de la transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« J’accuse réception de votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée le 13 mars 2016.

Il résulte des informations dont nous avons connaissance que vous êtes titulaire d’un visa italien valable du 4 septembre 2017 jusqu’au 8 octobre 2017.

L’Italie a accepté tacitement en date du 24 mai 2018 de prendre/reprendre en charge l’examen de votre demande de protection internationale.

Au vu de ce qui précède, je tiens à vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 22§7 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de vous transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie, qui est l’Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juillet 2018, Madame … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 27 juin 2018.

Par requête séparée déposée en date du 13 juillet 2018, inscrite sous le numéro 41423 du rôle, elle a encore introduit un recours tendant à voir ordonner par le président du tribunal administratif un sursis à exécution, sinon à voir instaurer une mesure de sauvegarde par rapport à la décision en question jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond, lequel recours fut rayé à l’audience publique de vacation du 18 juillet 2018 en raison de l’accord marqué par le délégué du gouvernement avec l’institution de la mesure provisoire.

Aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la matière, l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant, par ailleurs, expressément un recours en annulation, de sorte qu’un recours en annulation a pu être introduit contre la décision du 27 juin 2018, qui est encore recevable pour avoir été introduit selon les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir que ce serait à tort que le ministre aurait retenu que l’Italie serait responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale en se basant sur la circonstance qu’elle aurait été titulaire d’un visa italien valable du 4 septembre au 8 octobre 2017, alors qu’elle aurait quitté le territoire de l’Union européenne en date du 25 septembre 2017 pour retourner à Dubaï, où aurait été son lieu de travail. Elle explique, à cet égard, qu’elle se serait rendue en Italie en date du 25 septembre 2017 pour des raisons professionnelles et qu’elle serait ensuite retournée à Dubaï. En date du 29 septembre 2017, elle serait partie au Rwanda, son pays d’origine, afin d’entreprendre les démarches en vue de son mariage. Elle verse à l’appui de cette affirmation une réservation de billets d’avion aller-retour de Dubaï vers Milan en date du 6 septembre, respectivement 25 septembre 2017, un « Itinerary Receipt » d’un voyage aller-retour de Dubaï à Kigali du 29 septembre 2017, respectivement 30 2octobre 2017, un certificat de célibat daté au 2 octobre 2017 ainsi qu’une facture d’un établissement dénommé « Age fighting Beauty Cosmetics Ltd » du 30 septembre 2017. « A cause des faits dont elle a[urait] été victime au Rwanda en octobre 2017 » elle aurait dû se cacher avant de fuir son pays d’origine, de sorte qu’elle n’aurait pu rejoindre Dubaï en date du 30 octobre 2017 comme initialement prévu. Elle en conclut qu’en raison du fait qu’elle aurait quitté le territoire de l’Union européenne à la suite de sa présence en vertu du visa italien, ce ne serait plus l’Etat qui lui a délivré le visa qui serait compétent pour traiter sa demande de protection internationale, mais, en vertu de l’article 3 du règlement Dublin III, l’Etat dans lequel elle a introduit sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours et insiste plus particulièrement sur le fait qu’en cas de contestation de l’applicabilité du critère de détermination de l’Etat membre responsable, la charge de la preuve incomberait au demandeur. Ainsi, la demanderesse devrait prouver qu’elle aurait quitté le territoire de l’Union européenne, ce qu’elle resterait en défaut de faire. Les deux réservations de billets d’avion ne seraient pas suffisantes à cet égard, alors qu’une réservation de billets d’avion ne permettrait pas de conclure que la demanderesse aurait effectivement quitté le territoire, d’autant plus qu’elle admettrait ne pas s’être présentée au vol vers Dubaï en date du 30 octobre 2017 et ce malgré une réservation de billet d’avion. Le délégué du gouvernement donne encore à considérer que même si la demanderesse aurait effectivement quitté le territoire de l’Union européenne, elle aurait potentiellement pu regagner ledit territoire par la suite. Il affirme « trouve[r] assez curieu[x] » le fait que la demanderesse se limiterait à verser des documents comportant une date antérieure à l’expiration de son visa italien, documents qui auraient pu lui être envoyés par courrier, respectivement être établis par n’importe qui, n’importe où. La partie gouvernementale « se pose [par ailleurs] la question comment [la demanderesse] aurait pu rejoindre Amsterdam en possédant un passeport ougandais falsifié sans pourtant être en possession d’un visa Schengen, pourtant nécessaire pour pouvoir entrer légalement dans l’espace Schengen ».

L’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit ce qui suit : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III dispose que « L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d’un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. ».

Il ressort du régime organisé par le règlement Dublin III que, si un Etat membre de l’Union européenne est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et qu’il accepte, même tacitement, la prise, respectivement la reprise en charge de l’examen de la demande de protection internationale, le ministre décide, d’une part, de transférer l’intéressé vers ledit Etat 3membre et, d’autre part, de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Etant donné qu’il est constant en cause que l’Italie est réputée avoir tacitement accepté la prise, respectivement la reprise en charge de l’examen de la demande de protection internationale de la demanderesse à la date du 24 mai 2018, soit deux mois après la date de la demande de prise en charge lui adressée par les autorités luxembourgeoises, le tout en vertu de l’article 22, paragraphe (7) précité, la décision ministérielle de transférer la demanderesse vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 n’encourt dès lors a priori aucune critique.

L’article 12 du règlement Dublin III, intitulé « Délivrance de titres de séjour ou de visas » dispose que : « (1) Si le demandeur est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d’un autre État membre en vertu d’un accord de représentation prévu à l’article 8 du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas. Dans ce cas, l’État membre représenté est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. (…) (4) Si le demandeur est seulement titulaire d’un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d’un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n’a pas quitté le territoire des États membres. (…) ».

Il est constant en cause que la demanderesse était titulaire d’un visa « court séjour » valable du 4 septembre 2017 au 8 octobre 2017 délivré par les autorités italiennes et qu’elle a déposé sa demande de protection internationale au Luxembourg en date du 13 mars 2018, voire moins de six mois après la péremption de son visa italien.

Les parties sont en désaccord sur la question de savoir si la demanderesse a quitté le territoire de l’Union européenne depuis la péremption de son visa.

Or, force est au tribunal de constater que s’il est vrai qu’une réservation d’un billet d’avion n’équivaut pas à un billet d’embarquement, il n’en reste pas moins que les éléments que la demanderesse verse à l’appui de sa requête introductive d’instance s’analysent en un faisceau d’indices établissant qu’elle a quitté le territoire de l’espace Schengen à la suite de son entrée en Italie avec le visa prémentionné. En effet, il ressort des explications concordantes de la demanderesse, corroborées par les documents versés en cause, qu’elle a dû se rendre depuis son lieu de travail à Dubaï en Italie en raison d’un déplacement professionnel. Il ressort, par ailleurs, du dossier administratif que la demanderesse avait bénéficié dans le passé de plusieurs visas établis dans les Emirats arabes unis issus par la Belgique, respectivement l’Italie, de sorte qu’il n’y a aucune raison d’admettre que la demanderesse ne se serait pas présentée au vol de Milan vers Dubaï en date du 25 septembre 2017, d’autant plus qu’elle avait réservé un autre vol de Dubaï à Kigali pour le 29 septembre 2017 payé « cash » en date du 28 septembre 2017. La circonstance que la demanderesse admet ne pas avoir pris le vol de retour de Kigali vers Dubaï en date du 30 octobre 2017 n’est pas de nature à infirmer ce constat. Le certificat de célibat de Madame … établi au Rwanda en date du 2 octobre 2017 ainsi que la facture établie à son nom en date du 30 septembre 2017 viennent encore conforter la version des faits de la demanderesse, dans la mesure où ces derniers ont été établis postérieurement au vol de Dubaï à Kigali. Contrairement à l’affirmation du délégué du gouvernement, le tribunal n’entrevoit rien de « curieux » dans la 4circonstance que lesdits documents ont été établis en cours de validité du visa, dans la mesure où la demanderesse a établi de manière plausible avoir quitté l’espace Schengen en date du 25 septembre 2017 pour Dubaï pour se rendre dans la suite à Kigali en date du 29 septembre 2017. Le fait que la demanderesse admet avoir regagné le territoire de l’Union européenne depuis l’Ouganda avec un passeport falsifié n’est pas non plus de nature à invalider ce constat. Il suit de tout ce qui précède que la demanderesse a établi de manière plausible avoir quitté le territoire de l’espace Schengen à la suite de son séjour en Italie en vertu du visa valable du 4 septembre au 8 octobre 2017.

Il suit de ces considérations que c’est à tort que le ministre s’est basé sur la circonstance que la demanderesse était titulaire d’un visa italien pour déclarer l’Italie responsable pour examiner sa demande de protection internationale, de sorte que le recours est à déclarer fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision ministérielle du 27 juin 2018 et renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre de l’Immigration et de l’Asile ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Michèle Stoffel, juge, Alexandra Bochet, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 8 août 2018 par le premier vice-président, en présence du greffier Monique Thill.

s. Monique Thill s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 08.08.2018 Le greffier du tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 41412
Date de la décision : 08/08/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-08-08;41412 ?

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