La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/08/2018 | LUXEMBOURG | N°41369

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 août 2018, 41369


Tribunal administratif N° 41369 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juillet 2018 chambre de vacation Audience publique du 8 août 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41369 du rôle et déposée le 3 juillet 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Radia Doukhi, avocat à la C

our, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le ...

Tribunal administratif N° 41369 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juillet 2018 chambre de vacation Audience publique du 8 août 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41369 du rôle et déposée le 3 juillet 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Radia Doukhi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Libye), de nationalité marocaine, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement au Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 25 juin 2018 par laquelle ledit ministre a décidé de le transférer vers l’Allemagne, Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 5 juillet 2018, inscrite sous le numéro 41370 du rôle, ayant débouté Monsieur … de sa demande tendant à voir ordonner un sursis à l’exécution, respectivement une mesure de sauvegarde ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en sa plaidoirie à l’audience publique du 8 août 2018.

___________________________________________________________________________

Le 15 mai 2018, Monsieur …, de nationalité marocaine, introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC, qu’il avait précédemment franchi illégalement la frontière italienne en date du 18 avril 2017 et qu’il avait introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 9 octobre 2017.

Le même jour, Monsieur … passa encore un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».

Par décision du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », notifia à Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.

Par décision datée du 25 juin 2018, notifiée par courrier recommandé envoyé le 26 juin 2018, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 25, paragraphe (2), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« (…) J’accuse réception de votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée le 15 mai 2018.

Il résulte des informations dont nous avons connaissance que vous avez précédemment introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 9 octobre 2017.

L’Allemagne a accepté tacitement en date du 6 juin 2018 de prendre/reprendre en charge l’examen de votre demande de protection internationale.

Au vu de ce qui précède, je tiens à vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 25§2 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de vous transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne, qui est l’Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale.

(…).».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 juillet 2018, inscrite sous le numéro 41369 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 25 juin 2018.

Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 41370 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers l’Allemagne et à se voir autoriser à séjourner provisoirement au Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond, qui a été rejetée par ordonnance du président du tribunal administratif du 5 juillet 2018.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle déférée.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir du demandeur en raison de la circonstance que ce dernier aurait disparu le jour même du dépôt de son recours au greffe du tribunal administratif, malgré son assignation à résidence et qu’il aurait déposé une demande de protection internationale aux Pays Bas en date du 7 juillet 2018. Il émet par ailleurs des doutes quant au mandat de Maître Doukhi.

Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée « la loi du 21 juin 1999 », « Tout recours, en matière contentieuse, introduit devant le tribunal administratif, dénommé ci-après « tribunal », est formé par requête signée d’un avocat inscrit à la liste I des tableaux dressés par les conseils des Ordres des avocats. (…) ».

Force est au tribunal de relever qu’en vertu de cette disposition légale, l’existence d’un mandat est présumée dans le chef d’un avocat qui intervient pour compte d’une partie1. Outre le fait que la requête introductive d’instance a été signée par un avocat à la Cour, de sorte à avoir été valablement introduite au regard de l’exigence afférente se dégageant de l’article 1er précité de la loi du 21 juin 1999, la présomption susvisée n’est pas renversée par le fait que le demandeur a disparu postérieurement au dépôt du recours.

Ainsi, les développements du délégué du gouvernement quant à l’absence d’un mandat ad litem dans le chef du litismandataire du demandeur sont à écarter.

Quant à l’argumentation du délégué du gouvernement ayant trait à la perte, dans le chef du demandeur, d’un intérêt à agir en cours d’instance, le tribunal relève que, si stricto sensu l’intérêt à agir est à apprécier au moment de l’introduction du recours, il n’en reste pas moins que le maintien d’un intérêt à agir, ou plus précisément d’un intérêt à poursuivre une action doit être vérifié au jour du jugement2 sous peine de vider ce dernier de tout effet utile, les juridictions administratives n’ayant pas été instituées pour procurer aux plaideurs des satisfactions purement platoniques ou leur fournir des consultations3, ainsi que sous peine, le cas échéant, outre d’encombrer le rôle des juridictions administratives, d’entraver la bonne marche des services publics en imposant à l’autorité compétente de se justifier inutilement devant les juridictions administratives et en exposant, le cas échéant, ses décisions à la sanction de l’annulation ou de la réformation sans que l’administré ayant initialement introduit le recours ne soit encore intéressé par l’issue de ce dernier.

Or, la première personne à déterminer s’il existe effectivement dans son chef un intérêt concret et personnel suffisant pour intenter un procès et pour le poursuivre ensuite, est le justiciable lui-même qui a saisi le tribunal administratif d’une demande : non seulement, il estime qu’il a été porté atteinte à ses droits ou que ses intérêts ont été lésés, mais il considère que le redressement obtenu au moyen d’une décision juridictionnelle apportera à sa situation une amélioration qui compense les frais qu’entraîne et les désagréments que comporte un procès. La volonté du justiciable, manifestée par l’introduction d’une demande en justice, de défendre ce qu’il considère comme un intérêt le concernant est donc le premier élément qui est nécessaire pour rendre possible la constatation que ce justiciable justifie effectivement de l’intérêt concret et personnel requis en droit pour être recevable à intenter un procès.

1 trib. adm., 5 février 2018, n° 40475 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

2 Michel Leroy, Contentieux administratif, 3e édition, p. 494.

3 trib. adm., 14 janvier 2009, n° 22029 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 51 et les autres références y citées.

Si cette volonté vient à disparaître en cours de procès, il n’est potentiellement plus satisfait à la condition qui doit être remplie en tout premier lieu pour que l’on puisse admettre que la partie litigante conserve effectivement un intérêt concret et personnel à faire statuer sur la demande qu’elle a introduite. Cette première condition n’étant plus remplie, il y a lieu d’en conclure que le recours n’est plus recevable en raison de la disparition de l’intérêt requis en droit.

Or, le défaut de volonté de maintenir une demande peut résulter de la persistance avec laquelle le justiciable s’abstient de toute marque d’intérêt pour le déroulement du procès qu’il a engagé4. Cette absence de toute marque d’intérêt constitue dès lors un motif suffisant pour décider que l’intérêt requis en droit pour obtenir une décision sur la demande n’existe plus et qu’à défaut de cet intérêt, le recours doit être rejeté comme n’étant plus recevable.

En l’espèce, force est tout d’abord de relever que Monsieur … a disparu de la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg depuis le 3 juillet 2018. Il découle des éléments figurant au dossier administratif soumis à l’appréciation du tribunal que par demande de reprise en charge des autorités néerlandaises, les autorités luxembourgeoises ont été sollicitées de reprendre en charge Monsieur … ayant introduit en date du 7 juillet 2018 une demande de protection internationale aux Pays-Bas. Il résulte encore des éléments du dossier administratif qu’en date du 18 juillet 2018, les autorités luxembourgeoises ont refusé cette demande en exposant que les autorités allemandes seraient responsables pour la prise en charge de Monsieur …. A la même date, le ministre ordonna à la police grand-ducale de procéder au signalement national de Monsieur … en vue de son placement en rétention et les autorités luxembourgeoises ont informé les autorités allemandes de la disparition de Monsieur ….

Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à conclure que le comportement du demandeur consistant à ne pas s’adresser ou à ne pas indiquer son adresse exacte au tribunal, à quitter le territoire luxembourgeois en déposant une demande de protection internationale aux Pays-Bas et à ne pas se présenter ou se faire représenter à l’audience publique du 8 août 2018, est à interpréter en ce sens que le demandeur n’a pas témoigné le moindre intérêt pour le déroulement et le maintien de l’instance qu’il a mue par sa requête du 3 juillet 2018.

Il convient dès lors de déclarer son recours irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

donne acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Michèle Stoffel, juge, Alexandra Bochet, attaché de justice, 4 Voir notamment Conseil d’Etat belge, 6 avril 1982, n° 22183.

et lu à l’audience publique du 8 août 2018 par le premier vice-président, en présence du greffier Monique Thill.

s. Monique Thill s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 août 2018 Le greffier du tribunal administratif.


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 41369
Date de la décision : 08/08/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-08-08;41369 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award