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03/08/2018 | LUXEMBOURG | N°41401

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 août 2018, 41401


Tribunal administratif Numéro 41401 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juillet 2018 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 3 août 2018 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41401 du rôle et déposée le 10 juillet 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître

Françoise Nsan Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Lu...

Tribunal administratif Numéro 41401 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juillet 2018 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 3 août 2018 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41401 du rôle et déposée le 10 juillet 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise Nsan Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Guinée), de nationalité guinéenne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l'annulation d'une décision du ministre de l'Immigration et de l'Asile du 14 mai 2018 de le transférer vers l’Italie, adoptée sur base de l'article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et de l'article 22, paragraphe (7) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

Vu l’ordonnance présidentielle du 16 juillet 2018 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en sa plaidoirie.

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Le 23 février 2018, Monsieur …, de nationalité guinéenne, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-

après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion que Monsieur … était entré irrégulièrement sur le territoire italien le 29 juin 2017.

Monsieur … passa le jour même, ainsi que le 2 mars 2018, un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».

Par décision du 14 mai 2018, notifiée à l’intéressé par voie d’affichage public à partir du 14 mai 2018 et par téléfax envoyé à son litismandataire le 28 juin 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 22, paragraphe (7), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« J’accuse réception de votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée le 23 février 2018.

Il résulte des informations dont nous avons connaissance que vous avez précédemment franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 29 juin 2017.

L'Italie a accepté tacitement en date du 28 avril 2018 de prendre/reprendre en charge l'examen de votre demande de protection internationale.

Au vu de ce qui précède, je tiens à vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 22§7 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de vous transférer dans les meilleurs délais vers l'Italie, qui est l'Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2018, inscrite sous le numéro 41401 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 14 mai 2018.

Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 41402 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers l’Italie et à se voir autoriser à séjourner provisoirement au Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond, demande dont il fut débouté par ordonnance présidentielle du 16 juillet 2018.

En vertu de l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, un recours en annulation peut être introduit contre une décision de transfert, telle que visée à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, de sorte que seul un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision ministérielle sous examen du 14 mai 2018.

Le recours en annulation ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur fait valoir qu’il aurait quitté son pays d’origine, la Guinée, dans un contexte de violences politiques et de corruption, en relevant que sa famille aurait refusé de lui offrir la protection dont il aurait eu besoin.

En droit, le demandeur fait état de dysfonctionnements de la procédure d’asile en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ainsi que du non-respect des droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale, en vertu de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », et de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », dans le cadre de leurs conditions d’accueil dans ledit pays, de sorte qu’en cas de transfert vers l’Italie, il courrait un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. Il reproche au ministre de s’être déclaré incompétent en faveur de l’Italie, alors qu’au regard du nombre significatif de demandeurs d’asile dans ce pays, il n’y existerait ni suffisamment de structures d’accueil, ni de dispositifs de prise en charge nécessaires, de sorte à ce qu’au cas où il y serait transféré, il risquerait d’y être « livré à lui-même », comme cela aurait déjà été le cas dans le passé, raison pour laquelle il n’aurait eu d’autre alternative que de quitter l’Italie.

Il se réfère dans ce contexte à un article publié par l’organisation internationale « Médecins sans Frontières » en date du 8 février 2018, intitulé « Italy - Migrants and refugees on the margins of society »1, présentant leur rapport « Out of Sight » publié le même jour et dénonçant les conditions d’accueil de milliers de demandeurs d’asile se trouvant à la rue sans accès à de la nourriture, de l’eau et aux soins de santé les plus élémentaires. Le demandeur s’appuie encore sur un extrait d’une publication de mars 20182 de l’organisation internationale « European Council on Refugees and Exiles », suivant laquelle en Italie les procédures seraient accélérées au détriment du respect des droits fondamentaux des demandeurs d’asile, de sorte que ceux-ci seraient susceptibles de se retrouver à la rue.

La situation politique actuelle en Italie accentuerait, d’ailleurs, ces défaillances, alors que l’Italie serait dans une période de crise profitant aux partis politiques d’extrême-droite, ayant une approche des questions migratoires contraire aux droits fondamentaux des demandeurs d’asile. A cet égard, Monsieur … exprime sa crainte de se voir éloigner vers son pays d’origine, en violation de son droit au non-refoulement protégé par l’article 33, paragraphe (1) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », voire de se retrouver en rétention sur une durée indéfinie. Le demandeur conclut ainsi à l’impossibilité du maintien de la présomption de respect par l’Italie des droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale faisant l’objet d’un transfert en vertu du règlement Dublin III.

Le demandeur fait valoir que les circonstances particulières de l’espèce et sa situation personnelle justifieraient que le ministre aurait dû se déclarer compétent pour examiner sa demande de protection internationale, en se prévalant de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III qui permettrait au ministre d’examiner une demande, nonobstant son incompétence de principe, au vu des graves défaillances affectant la procédure d’asile italienne.

1 Pièce n° 3 versée par Monsieur … 2 Pièce n° 4 versée par Monsieur … Le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir recherché si la grande instabilité politique en Italie, associée à un risque de dégradation rapide et significatif des conditions d’accueil des demandeurs d’asile, justifieraient sa compétence au titre de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le ministre aurait dû faire usage de la clause discrétionnaire y inscrite. La décision devrait partant être annulée pour erreur manifeste d’appréciation.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens. Le représentant gouvernemental note tout d’abord que le demandeur aurait fait l’objet d’un prélèvement de ses empreintes digitales suite à un franchissement irrégulier de la frontière italienne et que l’Italie aurait tacitement accepté la prise en charge du demandeur, de sorte que ce serait à bon droit que le ministre aurait décidé de transférer le demandeur vers l’Italie et de ne pas examiner la demande de protection internationale.

Quant aux défaillances systémiques invoquées par le demandeur concernant les conditions d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile en Italie, le délégué du gouvernement invoque la présomption de confiance mutuelle entre l’ensemble des Etats participants au système européen commun d’asile pour soutenir que celle-ci ne serait pas renversée par les allégations du demandeur qu’il qualifie de « tout à fait générales ». Il fait encore valoir que les rapports cités par le demandeur seraient à rejeter pour ne pas être pertinents, pour ne pas avoir été mis en relation avec son cas concret, pour être imprécis quant aux périodes couvertes et pour mélanger les concepts de migrants et réfugiés. Il estime par ailleurs que le demandeur ne saurait actuellement invoquer des défaillances systémiques en Italie alors qu’il aurait initialement refusé d’y déposer une demande de protection internationale. Le délégué du gouvernement admet toutefois qu’il serait « notoire » que l’Italie connaisse des problèmes en matière d’hébergement des demandeurs de protection internationale.

Concernant le risque d’être refoulé dans son pays d’origine, le délégué du gouvernement estime que ce risque serait à ce stade purement hypothétique étant donné que la décision sous analyse porterait sur l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale.

En ce qui concerne encore l’erreur manifeste d’appréciation dans l’application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, le délégué du gouvernement rappelle que l’application de la clause discrétionnaire reposerait sur un pouvoir discrétionnaire du ministre, de sorte qu’il y aurait lieu de rejeter ce moyen pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte formellement ou tacitement, comme en l’espèce, la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités italiennes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que « L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d’un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée ».

Il est constant en l’espèce que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application des prédits articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait responsable de l’examen de la demande de protection internationale présentée par Monsieur …, mais bien l’Italie, compte tenu de l’acceptation implicite, de la part des autorités italiennes, conformément à l’article 25, paragraphe (2) du règlement Dublin III qui dispose que « L’État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n’excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. 2. L’absence de réponse à l’expiration du délai d’un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée ». Ainsi, c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner la demande de protection internationale déposée au Luxembourg par le demandeur et de le transférer vers l’Italie.

Force est encore au tribunal de constater que le demandeur ne conteste pas cette compétence de principe des autorités italiennes, et, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais soutient en substance que son transfert serait contraire à l’article 3 de la CEDH, à l’article 4 de la Charte, aux articles 3, paragraphe (2), alinéa 2, et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, et au principe de non-refoulement.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

S’agissant d’abord du moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal relève que celui-ci prévoit que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. » Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé3.

A cet égard, le tribunal relève que l’Italie est tenue, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de la CEDH, au respect des dispositions de celle-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques et de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard4. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants5. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées6. Dans son arrêt du 16 février 2017, invoqué par le demandeur, la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « CJUE », a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile7, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres, lesquelles seront abordées ci-après.

Or, en l’espèce, le tribunal s’est vu soumettre des éléments susceptibles de conclure à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs en Italie. Il ressort en effet des documents versés aux débats par le demandeur que 3 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

4 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S, c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

5 Ibidem, point. 79 ; Voir également : trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib.adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

6 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

7 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

les autorités italiennes connaissent actuellement des problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, impliquant que ceux-ci risquent de se voir confrontés à des difficultés quant à l’hébergement, aux conditions de vie et à l’accès aux soins, suivant les situations.

Force est dès lors au tribunal de constater que le ministre aurait dû rechercher, si le transfert de Monsieur … vers l’Italie présentait les garanties fondamentales prévues par la Convention de Genève au bénéfice des demandeurs de protection internationale, et ce en demandant aux autorités italiennes de lui apporter des garanties individuelles concernant notamment l’accès à un logement décent, afin d’écarter tout risque dans le chef de Monsieur … d’être exposé à une situation de précarité et à des traitements inhumains et dégradants.

Il suit des considérations qui précèdent qu’à défaut pour le ministre d’avoir vérifié que les conditions matérielles d’accueil de Monsieur …, en qualité de demandeur de protection internationale en Italie, sont de nature à respecter les obligations garanties par la Convention de Genève et la CEDH, la décision ministérielle du 14 mai 2018 doit être annulée, sans qu’il n’y ait lieu de statuer sur les autres moyens du demandeur, cet examen étant devenu surabondant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 mai 2018 ;

renvoi le dossier en prosécution de cause audit ministre ;

donne acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Michèle Stoffel, juge, Stéphanie Lommel, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 3 août 2018 par le premier vice-président, en présence du greffier Monique Thill.

s. Monique Thill s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 août 2018 Le greffier du tribunal administratif 7


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 41401
Date de la décision : 03/08/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-08-03;41401 ?

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