La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/08/2018 | LUXEMBOURG | N°41507

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 août 2018, 41507


Tribunal administratif N° 41507 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juillet 2018 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 2 août 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 22, L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41507 du rôle et déposée le 26 juillet 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fathola

hzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Tribunal administratif N° 41507 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juillet 2018 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 2 août 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 22, L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41507 du rôle et déposée le 26 juillet 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Afghanistan) et être de nationalité afghane, alias …, déclarant être né le … et être de nationalité afghane, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 juillet 2018 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juillet 2018 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 31 juillet 2018 par Maître Ardavan Fatholahzadeh au nom de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 juillet 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er août 2018 ;

Vu l’avis du tribunal du 1er août 2018 ayant prononcé la rupture du délibéré ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch en leurs plaidoiries complémentaires respectives à l’audience publique du 1er août 2018 à 16:00 heures à laquelle l’affaire a été fixée pour continuation des débats.

Le 3 avril 2018, Monsieur …, alias …, désigné ci-après par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut également entendu le 3 avril 2018 par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », du 3 avril 2018, Monsieur … fut, par ailleurs, assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg.

Le 9 avril 2018, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes en vue de la prise, respectivement de la reprise en charge de Monsieur … sur base du résultat d’une recherche effectuée dans la base de données EURODAC.

Le 18 avril 2018, les autorités allemandes acceptèrent la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Par décision du 20 avril 2018, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé le 24 avril 2018, le ministre, sur base de la considération qu’en date du 19 janvier 2016, Monsieur … avait introduit une demande de protection internationale en Allemagne et que les autorités allemandes ont accepté de prendre, respectivement de reprendre en charge l’examen de celle-ci, l’informa de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Le même jour, le service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, fut chargé de l’organisation du transfert de Monsieur … vers l’Allemagne.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2018, Monsieur … fit introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 20 avril 2018, précitée, recours duquel il fut débouté par jugement du tribunal administratif du 27 juin 2018, portant le numéro 41103 du rôle.

Par rapport du 24 mai 2018, portant le numéro de référence …, le service de police judiciaire informa le ministère que le transfert de Monsieur … était prévu pour le 1er juin 2018, transfert qui fut annulé par les autorités allemandes par téléfax du 25 mai 2018 au motif que la prise en charge de Monsieur … devait se faire à l’aéroport de Munich et non pas à la frontière à Wasserbillig tel qu’initialement prévu.

Par arrêté du 3 juillet 2018, le ministre prorogea l’assignation à résidence de Monsieur … à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une nouvelle durée de trois mois.

Par arrêté du 24 juillet 2018, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna le placement en rétention de Monsieur … pour une durée de trois mois à partir de la notification de la décision en question, arrêté qui est basé sur les considérations suivantes :

« (…) Vu l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport N°… du 3 avril 2018 établi par le Service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux ;

Vu le compte-rendu d’incident du 11 juin 2018 établi par la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg ;

Vu ma décision de transfert du 20 avril 2018 ;

Vu la disparition de la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg en date du 20 juillet 2018 ;

Attendu que le transfert vers l’Allemagne est prévu pour le 2 août 2018 ;

Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l’article 22, (3), point a) ne peut être efficacement appliquée, alors que le demandeur ne dispose d’aucun document d'identité et de voyage valable ;

Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l’article 22, (3), point b) ne peut être efficacement appliquée, alors que le demandeur ne présente pas des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite ;

Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l’article 22, (3), point c) ne peut être efficacement appliquée, alors que le demandeur n’est pas en mesure de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros ;

Attendu que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 22, paragraphe (3), points a), b) et c) susmentionnées de la loi du 18 décembre 2013 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de l’intéressé comme défini à l’article 22, (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 précitée ;

Par conséquent la décision de placement s’avère nécessaire ;

Considérant que l’intéressé a introduit une demande de protection internationale au Luxembourg ;

Considérant qu’il est signalé au système EURODAC comme ayant introduit une demande de protection internationale en Allemagne;

Considérant qu’une demande de prise/reprise en charge en vertu de l’article 18§1d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 a été adressée aux autorités allemandes ;

Considérant que les autorités allemandes ont marqué leur accord de prise/ reprise en charge ;

Considérant qu’il est établi que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement vers l’Allemagne ;

(…) ».

En date du 25 juillet 2018, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités allemandes que le transfert de Monsieur … était prévu pour le 2 août 2018 à l’aéroport de Munich.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 juillet 2018, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté du ministre du 24 juillet 2018, précité, ayant ordonné son placement en rétention pour une durée maximale de trois mois.

Etant donné que l’article 22, paragraphe (6), de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement en rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, et en fait, le demandeur expose que suite à l’acceptation d’une demande de reprise en charge par les autorités allemandes, leur adressée par le ministère sur base du règlement Dublin III, le ministre aurait, par arrêté du 24 juillet 2018, ordonné son placement en rétention pour une durée de trois mois, tout en précisant qu’avant son placement en rétention il aurait été hospitalisé, en raison de son état suicidaire, du 20 juillet 2018 jusqu’au 24 juillet 2018 à l’hôpital du Kirchberg dans l’unité du Dr. A. B..

En droit, et en se basant sur la jurisprudence du tribunal administratif1, le demandeur expose, en premier lieu, que les conditions pour pouvoir prononcer une mesure de placement en rétention administrative à son encontre ne seraient pas remplies en l’espèce, étant donné que les autorités allemandes auraient accepté de le reprendre en charge sur base du règlement Dublin III, de sorte qu’il n’existerait aucune circonstance de fait de nature à empêcher les autorités luxembourgeoises à l’éloigner vers l’Allemagne. Une impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement prise à son encontre ne saurait partant être retenue en l’espèce.

En deuxième lieu, le demandeur invoque une violation du principe de proportionnalité.

Après avoir cité le considérant 16 et l’article 15, paragraphe (1), de la directive 2008/115 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures 1 trib. adm. 22 octobre 1998, n°10956 du rôle,; trib. adm. 24 janvier 1997, n°9774 du rôle ; trib. adm. 20 février 1998, n°10576 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, transposée en droit luxembourgeois par l’article 120, paragraphe (1), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », ainsi que l’article 125, paragraphe (1), de la même loi, le demandeur fait valoir que la mesure de placement devrait s’inscrire dans un contexte d’un risque de fuite non négligeable qui serait à apprécier au regard de la situation individuelle de l’intéressé, et qu’elle devrait être proportionnée, sans qu’il n’existe d’autres mesures moins coercitives. En l’espèce, la mesure serait disproportionnée au regard du fait qu’il aurait toujours été à la disposition des autorités luxembourgeoises en vue de son transfert, ce fait se dégagerait de la circonstance qu’il se serait rendu au ministère afin de connaître l’état d’avancement de son dossier. Le demandeur précise encore dans ce contexte que son état de santé serait extrêmement fragile.

Finalement, le demandeur se rapporte à la sagesse du tribunal quant à la question de savoir si le ministre a accompli toutes les diligences nécessaires et suffisantes afin d’écourter au maximum la mesure privative de liberté prise à son égard, et ce, alors qu’il lui serait impossible de connaître l’étendue exacte desdites diligences entreprises par le ministre quant à l’organisation de son éloignement vers l’Allemagne.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait encore valoir qu’il aurait été appréhendé par la police « sur le pont de la Gare », alors qu’il aurait tenté de se suicider et il reproche à la partie étatique d’avoir omis de verser le rapport de police y afférent, ainsi que ses certificats médicaux qui démontreraient la fragilité extrême de son état psychique, tout en précisant qu’il aurait directement été transféré de son lit d’hôpital du Kirchberg au Centre de rétention. A l’appui de ses déclarations, le demandeur verse une copie d’une ordonnance médicale établie par le Dr. … en date du 24 juillet 2018.

Le demandeur réfute ensuite la conclusion de la partie étatique selon laquelle la jurisprudence du tribunal administratif, à laquelle il a fait référence, serait désuète, en faisant valoir que, dans la mesure où sa rétention n’aurait pas d’autre finalité que de l’éloigner du territoire luxembourgeois, ladite jurisprudence garderait toute sa cohérence.

En insistant sur son état de santé fragile, le demandeur rappelle que les démarches nécessaires en vue d’assurer son éloignement vers l’Allemagne n’auraient pas été accomplies et il conclut à une violation de la loi.

Finalement, le demandeur fait valoir que la décision ministérielle du 24 juillet 2018 serait erronément motivée « par le fait que le requérant doit regagner l’Autriche ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A l’audience des plaidoiries à laquelle l’affaire avait été initialement fixée, le mandataire du demandeur a informé le tribunal que le transfert du demandeur prévu pour le 2 août 2018 avait été annulé, information qui a été confirmée par le délégué du gouvernement.

A l’audience publique à laquelle l’affaire a été refixée à la suite de la rupture du délibéré et sur question afférente du tribunal, le délégué du gouvernement a précisé à cet égard que la date d’exécution du transfert du demandeur vers l’Allemagne avait été reportée par le ministre afin de vérifier l’état de santé de ce dernier, mais que la décision de transfert serait maintenue.

L’article 22, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 dispose qu’« Un demandeur ne peut être placé en rétention que :

(…) d) conformément à l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride et lorsqu’il existe un risque de fuite basé sur un faisceau de circonstances établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement ; (…) ».

En vertu de l’article 22, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 « La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. (…) ».

L’article 22, paragraphe (3), de la même loi ajoute que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues à ses points a), b) et c) - à savoir, (i) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à des intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, (ii) l’assignation à résidence, assortie, le cas échéant, d’une mesure de surveillance électronique, et, (iii) le dépôt d’une garantie financière d’un montant de cinq mille euros - ne peut être efficacement appliquée.

L’article 22, paragraphe (2), point d), de la loi du 18 décembre 2015, qui renvoie à l’article 28 du règlement Dublin III, permet dès lors de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative pour une durée maximale de trois mois en vue de garantir les procédures de transfert prévues par ledit règlement, sous condition, (i) qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de cette personne, basé sur un faisceau de circonstances établissant que l’intéressé a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement, (ii) que le placement en rétention soit proportionnel et, (iii) que d’autres mesures moins coercitives ne puissent être effectivement appliquées.

L’article 22, paragraphe (4), de la même loi précise, par renvoi au règlement Dublin III, que la mesure de placement en rétention est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois et que les procédures liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue, sans que les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne puissent justifier une prolongation de la durée de rétention, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter le transfert dans les meilleurs délais et que le placement ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises.

Le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégagent.

En ce qui concerne, de prime abord, le moyen tiré d’une motivation erronée de la décision ministérielle déférée du 24 juillet 2018 « par le fait que le requérant doit regagner l’Autriche », il convient de relever que le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport à un tel moyen simplement suggéré sans être soutenu effectivement, étant rappelé qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses affirmations. Ce reproche est partant à rejeter.

En ce qui concerne, ensuite, la critique du demandeur selon laquelle aucune circonstance de fait n’aurait, en l’espèce, empêché les autorités luxembourgeoises de l’éloigner vers l’Allemagne suite à l’accord de reprise en charge des autorités allemandes en date du 18 avril 2018, il convient de relever que, contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, l’article 22, paragraphe (2), point d), de la loi du 18 décembre 2015 ne soumet pas le placement en rétention à la condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement soit impossible en raison de circonstances de fait, la mesure de placement prévue à l’article 22, paragraphe (2), point d), précité, pouvant, en effet, être ordonnée en vue de garantir les procédures de transfert prévues par le règlement Dublin III lorsqu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de cette personne, basé sur un faisceau de circonstances établissant que l’intéressé a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement, et uniquement si le placement en rétention est proportionnel et que d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées.

Il s’ensuit que l’argumentation du demandeur fondée sur un défaut de preuve d’une impossibilité d’exécuter l’éloignement en raison de la circonstance que les autorités allemandes auraient déjà accepté de le reprendre en charge, tirée, par ailleurs, d’une jurisprudence désuète et ne visant, qui plus est, pas l’hypothèse d’un placement en rétention pris dans le contexte d’une procédure de transfert vers l’Etat membre compétent pour connaître d’une demande de protection internationale, est à rejeter.

A travers le recours sous analyse, le demandeur critique, ensuite, la décision litigieuse pour être disproportionnée au motif qu’il se serait toujours trouvé à la disposition des autorités luxembourgeoises, tout en sachant qu’il serait transféré vers l’Allemagne et qu’il se serait rendu au ministère pour connaître l’état d’avancement de son dossier. De ce fait, il conclut à la réformation de la décision ministérielle du 24 juillet 2018.

A supposer que le moyen du demandeur doive être entendu en ce sens qu’il conteste l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite au sens de l’article 22, paragraphe (2), point d), de la loi du 18 décembre 2015, il y a lieu de relever que tel qu’il résulte du dossier administratif le demandeur a déposé une demande de protection internationale en Allemagne en date du 19 janvier 2016, demande qui fut rejetée par les autorités allemandes, qu’il a quitté le territoire allemand suite à ce refus et qu’il a usé d’identités différentes, de sorte que le tribunal estime qu’il existe un faisceau de circonstances établissant que l’intéressé avait l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement, sous l’angle de vue de l’article 22, paragraphe 2), point d), de la loi du 18 décembre 2015. Cette conclusion est confortée par le fait que le demandeur déclare lui-même refuser d’être transféré en Allemagne, de sorte à établir lui-même par cette seule déclaration qu’il n’entend pas être à la disposition des autorités chargées de son transfert.

En ce qui concerne ensuite l’application de mesures moins coercitives, dans la mesure où, tel que relevé précédemment, le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues aux points a), b) et c) de l’article 22, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 ne peut être efficacement appliquée, il appartient au tribunal de procéder à cette vérification. Le tribunal constate que le demandeur reste en défaut de fournir le moindre élément lui permettant de remettre en cause le constat du ministre selon lequel les mesures moins coercitives prévues par l’article 22, paragraphe (3), points a), b) et c), de la loi du 18 décembre 2015 ne pouvaient être appliquées efficacement en l’espèce.

En effet, aux termes de l’article 22, paragraphe (3), point a), de la loi, précitée, du 18 décembre 2015, la mesure moins coercitive y prévue, à savoir, l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à des intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou auprès d’une autre autorité désignée par lui, est conditionnée par la remise préalable, par l’intéressé, de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité. Or, il est constant en cause que le demandeur ne dispose pas de documents d’identité valables, de sorte qu’il n’aurait pas su bénéficier de la mesure prévue par l’article 22, paragraphe (3), point a), tel que relevé à juste titre par le ministre.

Par ailleurs, l’assignation à résidence prévue par l’article 22, paragraphe (3), point b) de la même loi ne peut être ordonnée que si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite. Or, le demandeur, ne disposant d’aucun domicile fixe ni d’attaches quelconques au Luxembourg, n’a présenté aucun élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes pour qu’une assignation à résidence aurait pu être efficacement appliquée.

Le tribunal relève encore, dans ce même contexte, que le seul fait que dans une première phase, le ministre a assigné le demandeur à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, ne constitue pas un obstacle au placement en rétention postérieur décidé le 24 juillet 2018, cela au regard de l’attitude affichée par le demandeur, attitude qui permet de justifier la décision du ministre d’ordonner un placement au centre de rétention.

S’agissant ensuite de la mesure moins coercitive prévue par l’article 22, paragraphe (3), point c), de la loi du 18 décembre 2015, force est au tribunal de constater que le constat ministériel selon lequel il ne serait pas en mesure de fournir une garantie financière à hauteur de 5.000 euros n’a pas non plus été contesté par le demandeur.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a pu ordonner le placement en rétention du demandeur.

Partant, les moyens du demandeur ayant trait au respect des conditions légales d’un placement en rétention, ainsi qu’à la proportionnalité de la mesure adoptée sont à rejeter pour ne pas être fondés.

Quant au moyen soulevé par le demandeur, et ayant trait à une éventuelle absence de diligences suffisantes de nature à écourter au maximum sa privation de liberté, il échet de relever qu’il se dégage du dossier administratif qu’à la suite de la prise de la mesure sous examen, en date du 24 juillet 2018, le ministre a informé, le lendemain, les autorités allemandes du transfert du demandeur prévu pour le 2 août 2018 à 12:00 heures à l’aéroport de Munich.

Au vu de ces éléments de fait, aucun reproche ne saurait être adressé au ministre de ne pas avoir accompli des diligences nécessaires afin de transférer le demandeur le plus rapidement possible vers l’Allemagne, étant relevé à cet égard qu’en considération du fait que le demandeur n’est pas en possession de papiers d’identité, un laissez-passer a dû être délivré en sa faveur, un vol vers Munich a dû être organisé conformément à la demande des autorités allemandes et celles-ci ont dû être prévenues à l’avance pour leur permettre de s’organiser en vue de le prendre en charge à l’aéroport. S’il résulte certes des explications orales fournies à l’audience des plaidoiries par les parties que ledit transfert du 2 août 2018 a été annulé et reporté, ce constat à lui seul ne permet pas de conclure à une absence de diligences nécessaires de la part du ministre.

Il suit partant de ce qui précède que ce moyen est également à rejeter pour ne pas être fondé.

Finalement, le demandeur fait valoir qu’il se trouverait dans un état suicidaire et qu’il aurait été appréhendé par des agents de police lors d’une tentative de suicide. Force est, néanmoins, au tribunal de constater qu’indépendamment des contestations émises à cet égard par la partie étatique, les affirmations du demandeur quant à un état suicidaire ne sont pas corroborées par un élément concret tel qu’un certificat médical étayant de manière explicite l’état psychique potentiellement suicidaire du demandeur, de sorte que le moyen y afférent est à rejeter.

Ce constat n’est ni énervé par les développements oraux du mandataire du demandeur à l’audience des plaidoiries, ni par les documents versés au dossier et soumis à l’appréciation du tribunal. En effet, et en ce qui concerne, tout d’abord, l’ordonnance médicale établie en date du 24 juillet 2018 par le Dr. … prescrivant la prise de certains médicaments, force est de constater qu’elle ne contient aucune explication quant à la raison de la prise des médicaments prescrits. Quant au certificat médical d’hospitalisation établi par le Dr. … le même jour, il convient de relever qu’il ne renseigne pas une maladie, un état de santé ou encore un danger de mort s’opposant à la mesure de placement litigieuse, le certificat du Dr. … se limitant à faire état d’une hospitalisation du 20 juillet 2018 au 24 juillet 2018 pour « observation - stabilisation d’une crise d’agitation ».

Il en va de même du rapport de l’examen médical d’entrée établi par le Centre pénitentiaire de Luxembourg. En effet, et compte tenu du fait qu’il en résulte, d’une part, que le demandeur se trouve dans un « bon état général » et que, d’autre part, l’extrait selon lequel le demandeur « aurait fait une TS (tentative de suicide) par tentative de précipitation volontaire d’un pont haut » est rédigé au conditionnel, le tribunal est amené à constater que ce document est également insuffisant afin de corroborer les déclarations du demandeur relatives à son état de santé. Cette même conclusion s’impose quant aux résultats des analyses effectuées en date du 24 avril 2018 par le Centre Hospitalier de Luxembourg, ainsi qu’en date du 25 avril 2018 par le Laboratoire National de Santé.

Par ailleurs, et afin d’être complet, le tribunal tient à relever que l’article 9 de la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention prévoit que dans les vingt-quatre heures suivant leur admission au Centre, les retenus sont examinés par un médecin et que tout au long de leur séjour au Centre, les retenus ont droit aux soins médicaux gratuits requis dans l’intérêt de leur santé et au traitement indispensable de leurs maladies.

Il se dégage partant de l’ensemble de ces éléments que le Centre de rétention doit être considéré comme approprié dans le cadre de la mesure de rétention administrative litigieuse.

Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Michèle Stoffel, juge, Stéphanie Lommel, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 2 août 2018 par le premier vice-président, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 août 2018 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 41507
Date de la décision : 02/08/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-08-02;41507 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award