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27/07/2018 | LUXEMBOURG | N°41376

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juillet 2018, 41376


Tribunal administratif Numéro 41376 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2018 chambre de vacation Audience publique extraordinaire de vacation du 27 juillet 2018 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41376 du rôle et déposée le 4 juillet 2018 au greffe du tribunal administra

tif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre d...

Tribunal administratif Numéro 41376 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2018 chambre de vacation Audience publique extraordinaire de vacation du 27 juillet 2018 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41376 du rôle et déposée le 4 juillet 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Irak), de nationalité irakienne, agissant en son nom personnel et au nom et pour compte de son enfant mineur …, né le…, de nationalité irakienne, tous deux demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 juin 2018 ayant déclaré irrecevable sa demande de protection internationale sur le fondement de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 25 juillet 2018.

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Le 28 septembre 2015, Monsieur …, accompagné de son fils mineur …, déposa une première demande d’asile au Luxembourg qui se solda par une décision négative du 11 octobre 2016 du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », confirmée définitivement en appel par un arrêt de la Cour administrative du 7 décembre 2017, inscrit au numéro 39992C du rôle.

Le 8 janvier 2018, Monsieur … fit introduire, en son nom personnel et au nom et pour compte de son fils, une demande de report à l’éloignement, ce qu’il obtint par décision du ministre du 9 janvier 2018 par laquelle ce dernier leur accorda un report à l’éloignement jusqu’au 9 juillet 2018.

Le 23 avril 2018, Monsieur … déposa auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une deuxième demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », en son nom personnel et au nom et pour compte de son enfant mineur.

1Le 23 mai 2018, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa nouvelle demande de protection internationale.

Par décision du 20 juin 2018, notifiée aux intéressés par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre informa Monsieur … et son fils que leur nouvelle demande de protection internationale a été déclarée irrecevable sur base de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015.

Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 23 avril 2018.

Il ressort de votre dossier que vous avez introduit une première demande de protection internationale le 28 septembre 2015 qui a été refusée par décision ministérielle du 11 octobre 2016. Vous avez invoqué à la base de cette demande qu'en 2006, vous auriez quitté l'Irak en direction de la Syrie parce que vous auriez eu des problèmes avec la milice « Jaish al Mahdi ».

En 2012, lorsque le conflit aurait éclaté en Syrie, vous seriez retourné en Irak. En 2015, vous auriez demandé un certificat de résidence auprès d'une administration. Or, vous y auriez été humilié par des membres de la milice « Hashd al Shaabi », qui dirigerait selon vous l'administration et qui aurait insulté tant votre clan qu'…, votre région d'honneur. Quelques jours plus tard, des membres de cette milice et un membre du conseil municipal seraient passés chez vous et vous auraient questionné sur votre famille et vos connaissances. Quatre jours plus tard, deux soldats vous auraient interpellé alors que vous conduisiez une moto et auraient demandé à en voir les papiers et vos pièces d'identité. En se rendant compte que vous seriez originaire d'…, ils auraient commencé à vous insulter et à vous menacer. Vous auriez alors décidé de quitter l'Irak par peur d'être visé par ladite milice à cause de vos origines.

Vous avez été définitivement débouté de votre demande de protection internationale par arrêt de la Cour administrative (Numéro 39992C du rôle) du 7 décembre 2017 au motif qu'« Au regard de l'ensemble des éléments d'appréciation lui soumis, la Cour est amenée à reconnaître que la situation de sécurité était et reste dangereuse et précaire dans différentes parties de l'Irak, dont en particulier la ville de Bagdad, étant donné que les incidents violents continuent d'être nombreux et largement répandus. Si les derniers chiffres dont la Cour dispose témoignent indubitablement de nombreuses victimes dans la ville de Bagdad où Monsieur … a vécu avant son départ, à savoir 86 civils tués dans des attentats au mois de mai 2017, 22 au courant du mois de juin 2017 et 38 au courant du mois de juillet 2017, il n'en reste pas moins que ces chiffres doivent être mis en relation avec le nombre total de la population vivant à Bagdad, à savoir environ 8 millions d'habitants.

Or, sur base de la mise en relation du nombre des victimes d'incidents violents avec la population totale, il n'appert pas que la simple présence d'un individu à Bagdad, l'expose ipso facto, avec un certain degré de probabilité, à des menaces individuelles graves. Ainsi, le seul fait d'être originaire d'Irak et, plus particulièrement, de Bagdad n'est pas un élément justifiant à lui seul et automatiquement l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire. (…) Concernant finalement la situation individuelle de Monsieur …, il convient de noter que malgré sa confession sunnite et ses origines de la région…, ce dernier ne se trouve pour autant pas dans une situation individuelle particulièrement exposée à devenir une victime d'un incident violent, la majorité des membres de sa famille continuant à vivre apparemment sans problèmes 2majeurs à Bagdad. Pour le surplus, au vu des éléments du dossier, il y a lieu de conclure qu'il n'existe pas non plus d'éléments susceptibles d'établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que Monsieur … courrait, en cas de retour dans son pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 sub a) et sub b) de la loi du 18 décembre 2015, l'intéressé omettant encore d'établir qu'il risquerait d'encourir la peine de mort ou l'exécution, respectivement de devoir subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.

Enfin, la Cour ne saurait entériner le reproche de l'intimé que la décision litigieuse impliquerait une violation du principe de la confiance légitime et un volte-face dans l'attitude affichée par le gouvernement, telle qu'elle se cristalliserait à travers des propos du ministre des Affaires étrangères dans un entretien qu'il a accordé à l'hebdomadaire «…» en date du 9 décembre 2016. En effet, au-delà de toutes autres considérations, notamment quant à la légalité d'un prétendu engagement inconditionnel ainsi pointé, la Cour estime que l'on ne saurait dégager des propos dudit ministre que le gouvernement se serait engagé à ce qu'invariablement tous les ressortissants irakiens sollicitant une mesure de protection internationale au Luxembourg ne seraient en aucun cas rapatriés ou éloignés du pays, alors qu'il appert plutôt qu’il ait voulu dire qu'en tout état de cause, un examen individuel de chaque dossier serait garanti à chaque demandeur de protection internationale avant qu'il ne soit question d'un éloignement du pays. » Le 8 janvier 2018, vous avez sollicité un report à l'éloignement et le 9 janvier 2018, il a été fait droit à celle-ci; votre report à l'éloignement étant valable jusqu'au 9 juillet 2018.

Il ressort de votre nouvelle demande de protection internationale que depuis votre départ d'Irak, votre épouse et vos fils restés en Irak se feraient régulièrement « harceler » par des membres de la milice « Asaib Ahl-al-Haqq » qui fouilleraient votre maison pour vous retrouver, ainsi que votre fils. Ils feraient également comprendre à votre épouse qu'elle devrait se séparer de vous parce qu'elle serait de confession chiite tandis que vous seriez sunnite et considéré comme « terroriste ». En avril 2018, ils lui auraient expliqué qu'ils cesseraient leurs recherches une fois qu'elle leur montrerait votre acte de décès.

Vous ajoutez que vous auriez signalé au cours de votre première demande de protection internationale que vous seriez menacé par des milices « communautaristes », mais « en fait », vous précisez cette fois-ci que vous auriez été « poursuivi » par des milices parce que vous auriez fait partie de la « garde républicaine spéciale de la Présidence de la République ». Vous auriez d'abord été affecté à la « Défense Aérienne du Palais Présidentiel » et en 1991, suite à une blessure, vous auriez été transféré à « l'unité de l'Artillerie Moyenne ». Ainsi, lesdits membres de milice seraient en fait à la recherche d'informations sur les noms des officiers de cette unité. Vous leur auriez toutefois répondu que vous ne connaitriez pas ces informations et que vous auriez oublié les noms des officiers. A partir de ce moment, vos problèmes auraient commencé alors que vous auriez été « étiqueté » comme « ennemi des chiites » et un « adepte de Saddam Hussein et comme je suis sunnite, je devrais me séparer de ma femme chiite », d'autant plus que votre clan serait originaire de … et donc considéré comme « Saddamiste ».

Vous n'auriez à l'époque pas pu vous réfugier auprès de votre clan à … parce qu'à partir de 2015, la ville aurait été sous le contrôle de Daesh. Actuellement la ville aurait été libérée et serait contrôlée par des milices « partisans chiites et sunnites ». Suite à l'arrivée de Daesh dans la ville, votre clan se serait « éparpillé » dans différentes villes et régions du pays; ainsi votre frère se trouverait actuellement à Bagdad tandis qu'une sœur se serait installée dans le gouvernorat d'Al-….

3 En août 2015, vous vous seriez rendu à la commune pour faire établir un certificat de résidence, mais les membres de la milice « Asaib Ahl-al-Haqq » qui contrôleraient le conseil municipal auraient commencé à vous interroger de façon humiliante sur vos origines. Vous vous seriez vu remettre le certificat en question, mais trois jours plus tard deux miliciens et deux membres du conseil municipal vous auraient rendu visite pour « prendre des renseignements » sur vos supérieurs dans la garde présidentielle du début des années 1990.

Quelques jours plus tard trois miliciens d'« Asaib Ahl-al-Haqq » vous auraient interpellé pendant que vous rouliez en moto. Ils vous auraient expliqué qu'ils feraient partie de « Hashed al Shabi » et auraient demandé à voir vos papiers d'identité et les documents de votre moto. Ils auraient ensuite voulu que vous les accompagniez dans leur voiture « Comme j'ai refusé de les suivre, ils ont dit que leur ai désobéi. Cela c'est quelque chose que les miliciens ne supportent pas ». Après que d'autres miliciens auraient été appelés en renfort, ceux-ci vous auraient remis vos papiers et expliqué que « Nous te connaissons, nous nous reverrons. Nous savons où te trouver ». Après cet incident, vous auriez décidé de quitter le pays.

Vous n'auriez pas parlé des vrais raisons des prétendues menaces auxquelles vous seriez exposé en Irak dans le cadre de votre première demande de protection internationale parce que vous n'auriez pas été en possession des documents et que vous n'auriez donc pas pu étayer vos dires.

Vous versez plusieurs documents pour étayer vos dires:

- Trois documents datant de 1992 attestant de votre appartenance à la « garde républicaine spéciale ».

- Votre livret militaire indiquant que vous auriez été libéré de votre service militaire le 4 février 1993.

- Deux certificats médicaux établis en Irak et au Luxembourg, décrivant vos blessures subies lors d'une prétendue attaque aérienne en 1991.

Je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau relatifs à l'examen visant à déterminer si vous remplissez les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d'une protection internationale.

En effet, conformément à l'article 32 (4), « Si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, l'examen de la demande est poursuivi, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l'incapacité de les faire valoir, au court de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse », qui n'a donc pris fin qu'en date du 7 décembre 2017.

Or, il faut soulever que vous n'étiez évidemment pas dans l'incapacité de mentionner lors de votre première demande de protection internationale les éléments, respectivement les informations supplémentaires fournies.

Force est de constater que vous faites uniquement état d'éléments qui se seraient produits avant votre départ d'Irak en 2015 et donc avant l'introduction de votre première demande de protection internationale au Luxembourg. Le seul fait que vous n'auriez à l'époque pas voulu en parler alors que vous n'auriez pas eu de documents pour étayer vos dires, ne saurait pas suffire pour justifier votre total mutisme et inaction à ce sujet. En effet, hormis le fait que vous auriez évidemment pu mentionner votre passé au sein des gardes présidentielles 4lors de votre première demande, il ressort en plus de vos dires que vous auriez reçu les documents versés à l'appui de votre deuxième demande sur simple demande auprès de votre épouse. Il faut donc en plus se demander pourquoi vous n'auriez pas jugé utile ou opportun de demander lesdits documents entre septembre 2015 et décembre 2017.

A cela s'ajoute que vous faites de toute façon état des mêmes craintes envers les mêmes miliciens et des mêmes problèmes (menaces et traitement « humiliant » auprès d'une administration) que ceux exprimées lors de votre première demande de protection internationale. Vos prétendues craintes de persécution liées à la milice « Asaib Ahl-al-Haqq », laquelle serait liée au mouvement « Hasheb al Shabi », ont dont déjà été traitées et toisées dans le cadre de votre première demande de protection internationale et ne sauraient par conséquent pas être perçues comme nouvelles au sens de l'article 32 susmentionné.

A titre d'information, il faut ajouter que vous vous contredites de manière flagrante dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale alors que vous confirmez d'abord de manière claire et non équivoque que votre frère se serait installé à Bagdad après que Daesh aurait pris le contrôle d'…: « Mon frère était d'abord se réfugier (sic) à Arbil et actuellement il est à Bagdad ». Or, interrogé par la suite si d'autres membres de famille ont été confrontés à des problèmes similaires en Irak, vous répondez que « Non. Mes frères et sœurs, s'ils se sont éparpillés en Syrie ou Turquie, cela concernait tous les sunnites en général. Ce n'était pas quelque chose de personnel ». Au vu de cette contradiction manifeste, la sincérité de vos dires et par conséquent la gravité de votre situation en Irak doivent être remises en doute.

Il n'est en effet nullement établi qu'il ne vous serait plus possible de continuer à vivre en Irak, comme votre frère installé à Bagdad et qui serait donc également sunnite, respectivement comme votre fils marié qui serait également installé en Irak (p. 8 du rapport d'entretien). De plus, rappelons que l'occupation de la région d'… par Daesh, la raison fondamentale de votre déplacement et de votre départ d'Irak, fait partie du passé.

Votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable au sens de l'article 28 (2) d). (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2018, Monsieur …, agissant en son nom personnel et au nom et pour compte de son fils mineur, a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 20 juin 2018.

Etant donné que la décision déférée déclare irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur … et de son fils sur base de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 et que l’article 35 (3) de ladite loi prévoit un recours en annulation en matière de demandes de protection internationale déclarées irrecevables sur base de l’article 28 (2) de la même loi, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs donnent à considérer qu’ils auraient déposé une deuxième demande de protection internationale par crainte de devoir retourner dans leur pays d’origine et suite à l’obtention de documents envoyés par l’épouse de Monsieur ….

Ce dernier aurait ainsi invoqué dans le cadre de sa deuxième demande des faits personnels de persécution qu’il craindrait de subir en raison de sa position au sein de l’ancienne armée du régime irakien, à savoir la garde présidentielle de Saddam Hussein, ainsi que de son 5appartenance à un groupe social vulnérable, de sa religion, et du fait qu’il serait perçu pour ces raisons par les autorités irakiennes comme opposant politique au régime actuel.

En droit, les demandeurs estiment que la décision ministérielle attaquée devrait être annulée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d'appréciation des faits, alors que ce serait à tort que l'autorité ministérielle aurait déclaré irrecevable leur demande en application de l'article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015, estimant que Monsieur … aurait exposé des faits nouveaux, notamment le fait qu’il aurait fait partie de la garde présidentielle de Saddam Hussein. Ainsi, ce fait additionné à sa religion sunnite, le rendrait traître aux yeux de ses persécuteurs et des miliciens chiites, ce qui augmenterait de manière significative la probabilité de remplir les conditions pour bénéficier du statut de réfugié.

Si Monsieur … concède qu’il aurait suivi à tort la recommandation de son passeur de ne pas évoquer l’entièreté de son récit, il avance le fait qu’il aurait été tout de même poursuivi par les miliciens en raison de ses liens avec la garde spéciale de Saddam Hussein et en raison de ses origines religieuses sunnites.

Les demandeurs font ainsi plaider la violation de l'article 10 de la loi du 18 décembre 2015 par le ministre, en insistant sur le fait que ce dernier n’aurait pas suffisamment instruit leur dossier au vu de ces nouveaux éléments, notamment en ne prenant pas en considération les liens professionnels de Monsieur … avec la garde spéciale de Saddam Hussein dans l’évaluation de leurs craintes. Ils versent, par ailleurs, plusieurs articles, dont ils citent des extraits, à savoir un article du site « www.lemonde.fr » intitulé « Le réveil des sunnites, « parias » de l’Irak » du 9 avril 2013, un autre d’Amnesty International du 5 janvier 2017 intitulé « le terrible sort des Sunnites en Irak », encore un de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) intitulé « Irak : les milices chiites » du 15 avril 2016, pour démontrer qu’en tant que sunnites, ils seraient persécutés en cas de retour en Irak. Ils citent également un extrait du rapport du Service d’Immigration finlandais, titré « Security Situation in Baghdad – The Shia Militias », publié le 29 avril 2015, pour retenir que la justice irakienne serait loin d’être efficace pour les sunnites et ne servirait qu’à protéger les intérêts des miliciens chiites, ce qui serait confirmé par une nouvelle loi de légalisation des milices qui aurait été adoptée en novembre 2016 par le régime irakien. Ils renvoient à cet effet à un article du site « www.jforum.fr » intitulé « l’Irak se suicide et légalise les escadrons de la mort chiites » du 29 novembre 2016, ainsi qu’à un article du site « www.middleeasteye.net » ayant pour titre « l’Irak vote une loi pour légaliser les milices chiites : le monstre indomptable est lâché » du 4 décembre 2016. Ils en concluent qu’en tant que sunnites, et dans le cas de Monsieur …, du fait des liens étroits qu’il aurait eus avec l’ancienne garde spéciale de Saddam Hussein, ils feraient nécessairement l’objet de persécutions d’une gravité particulière et suffisante, contre lesquelles ils ne pourraient obtenir aucune protection.

Ils ajoutent que la situation générale dans leur pays d’origine serait telle que de nombreux droits fondamentaux y seraient bafoués et que l’insécurité et le conflit armé seraient toujours d’actualité. La ville de Bagdad ferait ainsi l’objet d’attentats meurtriers commis par des organisations terroristes. Ils versent encore des articles de presse qui attesteraient que ladite ville et divers autres endroits de leur pays feraient l’objet d’attentats à la bombe à un rythme qui serait hebdomadaire, notamment un article du site « www.lemonde.fr », intitulé « Irak : un double attentat-suicide fait plus de trente morts à Bagdad » du 15 janvier 2018, deux autres du site « www. fr.sputniknews.com », titrés « Irak : trois morts dans une explosion au sud de Kirkouk le jour des législatives » mis en ligne le 12 mai 2018, respectivement « Au moins 10 morts et 14 blessés dans des explosions à des funérailles en Irak » et publié le 12 avril 2018, un autre du site « www.nouvelordremondial.cc » intitulé « Le ciel devient rouge après 6l’explosion d’une bombe IEM en Syrie et en Irak » du 12 mai 2018, et enfin un article du site « www.presstv.com » ayant pour titre « Irak : 6 civils blessés dans une série d’explosions à Kirkouk » du 25 mars 2018. Ils en déduisent que dans les conditions actuelles, il leur serait impossible de retourner en Irak, dans la mesure où leur vie serait en danger, ainsi que celle de ceux qui souhaiteraient les aider.

Par la suite, les demandeurs reprochent, toujours en invoquant la violation de l’article 10 précité, et plus précisément de son troisième paragraphe, au ministre de ne pas avoir examiné leur situation personnelle en tant que sunnites et, dans le cas de Monsieur …, en tant qu’ancien membre de la garde spéciale de Saddam Hussein, pour l’évaluation de leur crainte en cas de retour dans leur pays d’origine, compte tenu de l’existence d’une persécution sévère et continuelle des sunnites en Irak, ainsi que d’une atmosphère générale d’insécurité pour les sunnites. Ils estiment qu’il y aurait lieu de prendre en compte l’effet cumulatif et négatif des éléments de leurs vies et qu’en conséquence, ils auraient de bonnes raisons de penser qu’ils risqueraient d’être persécutés en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance ethnique, et de leur appartenance à un groupe social ou à une mouvance politique.

Ils risqueraient de ce fait des sanctions disproportionnées, des condamnations à des peines de prison, voire la pendaison pour avoir vécu en Europe, pour être sunnites, pour avoir eu, dans le cas de Monsieur …, des liens avec la garde spéciale de Saddam Hussein, et de l’ensemble de tous ces éléments, qu’ils soient considérés comme opposants politiques au régime chiite en Irak, sans pouvoir bénéficier d’une protection, ni d’une procédure équitable au sens de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par « la CEDH ».

Enfin, les demandeurs estiment qu’au vu de la légalisation des milices et du traitement réservé aux sunnites dissidents, de surcroît, dans le cas de Monsieur …, ancien membre de la garde spéciale, il y aurait lieu de constater qu’il existerait un risque réel dans leur chef de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans leur pays d’origine, de sorte que les articles 2 et 3 de la CEDH seraient violés. Ils précisent à cet égard que la Cour européenne des droits de l'Homme aurait retenu que l'article 3 précité ne ménagerait aucune exception et que l'article 15 de la CEDH ne permettrait pas d'y déroger en temps de guerre ou autre danger national, de sorte que la prohibition de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants consacrerait l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l'Europe.

Ils concluent, en conséquence, à l'annulation de la décision attaquée et au renvoi du dossier à l'autorité décisionnelle en prosécution de cause dans le but de permettre de leur reconnaître l'octroi du statut de réfugié au sens de la convention de Genève, sinon la protection subsidiaire, dans la mesure où le tribunal n’aurait pas toisé les éléments invoqués dans le cadre de leur deuxième demande de protection internationale.

Le délégué de gouvernement conclut au rejet du recours sous examen.

Concernant tout d’abord les moyens de légalité externe invoqués par les demandeurs ayant trait aux articles 10 et 37 (3) a) de la loi du 18 décembre 2015 tenant à un examen individuel, objectif et impartial, respectivement à la prise en compte des faits pertinents concernant le pays d’origine, ceux-ci ne concernent a priori que l’analyse des demandes de protection internationale dès qu’elles sont recevables, de sorte qu’il appartient au tribunal de vérifier au préalable la recevabilité de la deuxième demande de protection internationale des demandeurs.

7En l’espèce, il est constant en cause que le ministre a adopté la décision de déclarer irrecevable la nouvelle demande de protection internationale de Monsieur … et de son fils mineur en application des articles 28 (2) d) et 32 de la loi du 18 décembre 2015, au motif que Monsieur … n’aurait pas présenté de faits nouveaux augmentant de manière significative la probabilité qu’ils remplissent les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

L’article 28 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit que « (…) le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: (…) d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale (…) ».

Aux termes de l’article 32 de la même loi, « (1) Constitue une demande ultérieure une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel le ministre a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 23, paragraphes (2) et (3).

(2) Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure, ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure sont examinés dans le cadre de l’examen de la demande antérieure par le ministre ou, si la décision du ministre fait l’objet d’un recours juridictionnel en réformation, par la juridiction saisie.

(3) Le ministre procède à un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en vertu de l’article 28, paragraphe (2), point d). Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien.

(4) Si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, l’examen de la demande est poursuivi, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. (…) ».

Il ressort de ces dispositions que le ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure – c’est-à-dire une demande de protection internationale introduite après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure émanant de la même personne – sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans le cas où le demandeur n’invoque aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale. Saisi d’une telle demande ultérieure, le ministre effectue un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en question. L’examen de la demande n’est poursuivi que si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et à condition que le demandeur concerné ait été, sans faute de sa part, dans 8l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Dans le cas contraire, la demande est déclarée irrecevable.

Il s’ensuit que la recevabilité d’une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir, (i) que le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux, (ii) que les éléments ou les faits nouveaux présentés augmentent de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et, (iii) qu’il ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.

Il appartient dès lors au tribunal d’analyser les motifs soumis en cause par les demandeurs afin de vérifier le caractère nouveau de ces éléments, ainsi que, le cas échéant, leur susceptibilité d’augmenter de manière significative la probabilité que les demandeurs remplissent les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre de la précédente procédure, laquelle doit, aux termes de l’article 32 (1) de la loi du 18 décembre 2015, avoir fait l’objet d’une décision finale.

Il est constant en cause que la première demande de protection internationale des demandeurs a été rejetée par décision ministérielle du 11 octobre 2016, confirmée par arrêt de la Cour administrative du 7 décembre 2017, inscrit au numéro 39992C du rôle, de sorte que la précédente procédure a effectivement fait l’objet d’une décision finale au sens du prédit article 32 (1). La demande de protection internationale introduite le 23 avril 2018 doit ainsi s’analyser comme demande ultérieure, dans le cadre de laquelle il appartient aux demandeurs d’invoquer, à la base de leur nouvelle demande, des éléments ou faits nouveaux par rapport à leur précédente demande de protection internationale.

En l’espèce, il apparaît, à la lecture du rapport de l’audition effectuée dans le cadre de la première demande de protection internationale, que Monsieur … a invoqué avoir quitté l’Irak pour se rendre en Syrie en 2006 en raison de problèmes avec la milice « Jaish al-mahdi ».

Lorsque le conflit aurait éclaté en Syrie, il aurait décidé de retourner en 2012 en Irak. Il y serait resté jusqu’en 2015 et aurait quitté son pays d’origine après avoir été agressé verbalement à trois reprises par des membres de la milice « Hashd al Shaabi » en raison de ses origines, qui auraient insulté son clan ainsi que les habitants de la région d’….

Lors de la deuxième demande, Monsieur … soutient que, depuis son départ d’Irak, des miliciens se rendraient chez sa femme environ tous les deux-trois mois pour lui demander de se séparer de lui, sunnite, alors que cette dernière serait chiite. Il ajoute, en outre, qu’il serait, en réalité, persécuté en raison de son affiliation à la garde républicaine spéciale sous la présidence de Saddam Hussein, dont il apporte des preuves. En ce qui concerne la situation générale dans leur pays d’origine, les demandeurs versent divers articles de presse pour soutenir que l’Irak serait le théâtre de violences aveugles dans le cadre d’un conflit armé.

En ce qui concerne tout d’abord le fait que l’épouse du demandeur serait harcelée par des miliciens pour qu’elle se sépare de lui du fait qu’il est sunnite, le tribunal est amené à constater que l’une des conditions cumulatives prévues à l’article 32 de la loi du 18 décembre 2015 n’est pas remplie, dans la mesure où Monsieur … n’a pas été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. En effet, il ressort du dossier administratif que Monsieur … a déposé sa première demande de protection internationale le 28 septembre 92015 et qu’il a été entendu par un agent du ministère les 2 et 22 septembre 2016, soit près d’une année après avoir déposé sa demande. Néanmoins, étant donné que lors de ces prédites auditions Monsieur … a informé l’agent qu’il avait reçu des documents par le biais de son épouse qui les lui aurait envoyés par le service de messagerie « Viber »1, il reste en défaut d’expliquer (i) les raisons pour lesquelles il n’a pas mentionné le fait que son épouse était harcelée depuis plus d’une année, alors qu’il était en contact avec elle, mais a cependant certifié à la fin de ses entretiens qu’il n’avait plus de faits à mentionner autres que ceux qu’il avait relatés et qu’il a signé une déclaration finale en ce sens en assurant qu’il ne retenait pas d’informations essentielles portant un changement significatif au contexte de sa première demande, et (ii) les raisons pour lesquelles il ne l’a pas non plus mentionné dans la requête introductive d’instance déposée le 11 novembre 2016 au greffe du tribunal administratif, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a décidé que Monsieur … n’était pas dans l’incapacité de mentionner cet élément lors de sa première demande.

La même analyse s’applique en ce qui concerne l’affiliation à la garde républicaine spéciale sous la présidence de Saddam Hussein, Monsieur … n’ayant pas non plus été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse, étant donné qu’il ressort des propres déclarations de ce dernier, sur question spéciale de l’agent en charge de l’entretien dans le cadre de la deuxième demande visant à savoir les raisons pour lesquelles il n’a pas mentionné le fait qu’il faisait partie de la garde républicaine, que « Je n’en ai pas parlé parce que je n’avais pas ces documents sur moi la dernière fois. Ce n’était pas nécessaire d’en parler parce que je n’avais aucun document pour étayer mes dires (… ) »2, et qu’il confirme, dans la requête introductive d’instance, avoir volontairement omis de déclarer ces faits sur recommandation du passeur. Les explications de Monsieur … sur les raisons pour lesquelles il a omis ce fait restent dès lors insuffisantes pour justifier sa réticence à le dévoiler.

En ce qui concerne ensuite le fait qu’en tant que sunnites, les demandeurs courraient un risque important d’être persécutés en cas de retour dans leur pays d’origine, le tribunal est amené à constater que l’aspect communautariste a déjà été mis en avant dans le cadre de leur première demande de protection internationale et qu’il a été définitivement tranché par la Cour administrative qui a retenu que « (…) Dans ce contexte, c’est à bon escient que le tribunal a relevé que les faits qui ont amené Monsieur … à quitter son pays d’origine, s’ils s’inscrivent sur une toile de fond religieuse, à savoir des agissements en raison de la confession sunnite de l’appelant et son origine de la ville d’…, sont, d’une part, trop éloignés dans le temps pour remonter à 2006, et, d’autre part, ne sont pas d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015. Ainsi, les menaces et insultes dont l’appelant affirme avoir été victime de la part de membres de la milice « Hachd al Chaadi » n’ont jamais été suivies d’actes d’agressions physiques concrets et personnels et le contrôle de papiers d’identité et l’interrogatoire auxquels le demandeur a dû se soumettre constituent de simples chicaneries de la part d’agents de la municipalité de … et de deux soldats et ne sont pas non plus d’une gravité suffisante, même pris ensemble, pour pouvoir être qualifiés d’acte de persécution. Partant, le dossier soumis en cause ne permet pas de conclure à l’existence d’une crainte fondée de persécution justifiée dans le chef de Monsieur … pour l’un des motifs énumérés à l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015.

C’est partant à bon droit que le tribunal, par confirmation de la décision ministérielle, a retenu que Monsieur … ne peut pas bénéficier du statut de réfugié politique, de sorte que 1 Page 5 du rapport d’audition de Monsieur … des 2 et 22 septembre 2016.

2 Page 3 du rapport d’audition de Monsieur … du 23 mai 2018.

10l’appel incident laisse d’être fondé. (…) »3, de sorte que c’est également à bon droit que le ministre a constaté que ces faits n’étaient pas à considérer comme nouveaux pour justifier l’introduction d’une deuxième demande de protection internationale.

Concernant finalement les éléments sur la situation générale en Irak, il échet de rappeler que la Cour administrative a décidé dans l’arrêt rejetant définitivement la première demande de protection internationale des demandeurs, que « (…) Au regard de l’ensemble des éléments d’appréciation lui soumis, la Cour est amenée à reconnaître que la situation de sécurité était et reste dangereuse et précaire dans différentes parties de l'Irak, dont en particulier la ville de Bagdad, étant donné que les incidents violents continuent d’être nombreux et largement répandus. Si les derniers chiffres dont la Cour dispose témoignent indubitablement de nombreuses victimes dans la ville de Bagdad où Monsieur … a vécu avant son départ, à savoir 86 civils tués dans des attentats au mois de mai 2017, 22 au courant du mois de juin 2017 et 38 au courant du mois de juillet 2017, il n’en reste pas moins que ces chiffres doivent être mis en relation avec le nombre total de la population vivant à Bagdad, à savoir environ 8 millions d’habitants. Or, sur base de la mise en relation du nombre des victimes d’incidents violents avec la population totale, il n’appert pas que la simple présence d’un individu à Bagdad, l’expose ipso facto, avec un certain degré de probabilité, à des menaces individuelles graves.

Ainsi, le seul fait d'être originaire d'Irak et, plus particulièrement, de Bagdad n’est pas un élément justifiant à lui seul et automatiquement l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire. (…) »4.

Or, si les articles de presse versés par les demandeurs pourraient éventuellement être considérés comme éléments nouveaux du fait qu’ils aient été rédigés postérieurement à l’arrêt de la Cour, le tribunal constate que, sur les cinq articles invoqués par les demandeurs, un seul concerne la ville d’origine des demandeurs, Bagdad, à savoir celui rédigé par le journal « Le Monde » du 15 janvier 2018 faisant état d’un double attentat suicide ayant causé la mort de plus de trente personnes - trois des articles concernant en effet Kirkouk et Shirqat, dans le nord de l’Irak, où il y aurait eu, en cumulé, 13 morts et 20 blessés, et un autre concernant le gouvernorat de Muthanna, au sud de l’Irak où il n’y aurait pas eu de victimes.

Le tribunal est ainsi amené à retenir que l’invocation d’un seul article datant de janvier 2018 sur la situation à Bagdad, ville d’origine des demandeurs, ne permet pas de remettre en cause l’analyse faite par la Cour administrative en décembre 2017, ni de conclure que ce nouvel élément permettrait d’augmenter de manière significative la probabilité que les demandeurs remplissent les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale du 23 avril 2018 irrecevable, en application de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015.

Il s’ensuit encore que les moyens de légalité externe concernant les articles 10 et 37 (3) a) de la loi du 18 décembre 2015 sont à leur tour à rejeter, la demande ultérieure de protection internationale des demandeurs ayant été retenue ci-avant comme étant irrecevable.

En ce qui concerne les développements des demandeurs relatifs à une violation des articles 2 et 3 de la CEDH du fait qu’ils craignent des représailles sévères en cas de retour en 3 Cour adm., 7 décembre 2017, n° 39992C.

4 Ibid.

11Irak en relation avec leur religion et l’affiliation de Monsieur … à la garde républicaine de Saddam Hussein, force est au tribunal de relever que la décision dont il est saisi se limite à déclarer irrecevable la demande ultérieure de protection internationale présentée par les demandeurs, sans qu’il n’y soit adjoint d’ordre de quitter le territoire, de sorte que les conséquences d’un retour en Irak mises en avant par les demandeurs ne découlent pas directement de la décision attaquée, d’autant plus qu’il ressort des éléments du dossier administratif que ces derniers ont bénéficié d’un report à l’éloignement en date du 9 janvier 2018 mettant ainsi en échec leur renvoi en Irak jusqu’au 9 juillet 2018.

Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation des articles 2 et 3 de la CEDH n’est pas pertinent dans le cadre du recours contre la décision d’irrecevabilité d’une demande de protection internationale ultérieure ne comportant pas de décision de retour, de sorte que ledit moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.

Partant, au vu des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation dirigé contre la décision du 20 juin 2018 ayant déclaré irrecevable la demande de protection internationale introduite par les demandeurs en date du 23 avril 2018 ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique extraordinaire de vacation du 27 juillet 2018 :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Daniel Weber, juge.

en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27.7.2018 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 41376
Date de la décision : 27/07/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-07-27;41376 ?

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