Tribunal administratif N° 33558 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 octobre 2013 1re chambre Audience publique du 17 décembre 2014 Recours formé par la société anonyme … S.a.
contre des décisions du ministre délégué au Développement durable et aux Infrastructures en matière de quotas d’émission de gaz à effet de serre
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33558 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 octobre 2013 par Maître Guy LOESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.a., établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le n° B10643, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de 1) l’arrêté rendu en date du 6 juin 2013 par le ministre délégué au Développement durable et aux Infrastructures modifiant le paragraphe 1er de l’article 6 de l’arrêté d’allocation de quotas d’émission de gaz à effet de serre n° EQE-2008-11 du 7 février 2008 et imposant à la société anonyme … S.a. la restitution de 80.922 quotas d’émission de gaz à effet de serre pour le 31 juillet 2013, décision ayant fait l’objet d’un recours gracieux en date du 8 juillet 2013, 2) de la décision préalable de proposition de restitution de quotas du 18 décembre 2012 du même ministre, ainsi qualifiée, et 3) de la décision de refus du 24 septembre 2013 du même ministre déclarant le recours gracieux introduit en date du 8 juillet 2013 contre la décision précitée du 6 juin 2013 non fondé ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé en date du 28 janvier 2014 au greffe du tribunal administratif ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 28 février 2014 par Maître Guy LOESCH au greffe du tribunal administratif pour le compte de la société demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé en date du 26 mars 2014 au greffe du tribunal administratif ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Guy LOESCH et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 décembre 2014.
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Par arrêté du 7 février 2008, référencé sous le n° EQE-2008-11, le ministre de l’Environnement, agissant dans le cadre de la loi du 23 décembre 2004 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre et en exécution du plan national d’allocation de quotas d’émission de gaz à effet de serre, alloua à la société anonyme … S.a., ci-après « … », une quantité totale de 405.365 tonnes de CO2 pour la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012.
En date du 22 février 2012, l’administration de l’Environnement délivra à … 81.073 quotas pour l’année 2012 relatifs au site de Schifflange par inscription au crédit du registre du système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (EU ETS).
En date du 23 avril 2012, … adressa à l’administration de l’Environnement un courrier de la teneur suivante :
« (…) Comme vous le savez, depuis l’année 2008 la mauvaise conjoncture a eu pour effet un ralentissement de la production sur nos sites sidérurgiques luxembourgeois. Depuis la fin de l’année dernière, l’aciérie ainsi que le … du site de Schifflange se trouvent en suspension d’activités et ceci pour une durée indéterminée. Le … tourne en marche réduite en raison d’une semaine par mois.
Dans ce contexte, nous vous saurions gré de bien revoir les conditions des arrêtés n°1/07/0266 et n°1/92/0868 concernant les contrôles réglementaires.
Il va de soi que les contrôles réglementaires périodiques (émissions atmosphériques, contrôle cuves, etc.) ne pourront pas être réalisés à l’aciérie de Schifflange ainsi qu’au …, tant que ceux-ci se trouvent à l’arrêt. Le même argument vaudra pour la rédaction des rapports annuels pour l’année 2012 en l’absence d’une reprise. Les contrôles pourraient être réalisés au …, mais au vue de la marche irrégulière du train, nous vous saurions gré de bien vouloir les mettre en suspens jusqu’à une reprise plus régulière. La rédaction des rapports restera évidemment maintenue, étant donné que le train aura produit encore cette année.
Dans ce cadre, nous souhaitons aborder plus spécifiquement le contrôle des rejets aqueux du site. A ce jour, nous sommes en train d’assainir l’étang de Schifflange. Selon nos prévisions, ce chantier durera encore plusieurs mois. Dans le cadre de l’arrêté n°1/08/0250, nous sommes tenus de réaliser des contrôles hebdomadaires des rejets aqueux vers l’Alzette.
Vu la faible activité du site de Schifflange, nous vous saurions gré de bien vouloir mettre les contrôles des rejets aqueux demandés dans l’arrêté n°1/92/0868 en suspens et de prendre en compte les rapports d’analyses fournis dans le cadre de l’arrêté n° 1/0B/0250, du moins pour le temps de la durée du chantier. (…) » Le 21 décembre 2012, le ministre délégué au Développement durable et aux Infrastructures adressa à … un courrier libellé comme suit :
« Vu la directive modifiée 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil ;
Vu la loi modifiée du 23 décembre 2004 1) établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre ; 2) créant un fonds de financement des mécanismes de Kyoto ; 3) modifiant l’article 13bis de la loi du 10 juin 1999 relative aux établissements classés ; et notamment ses articles 8, paragraphe 3, 12, paragraphe 4 et 13, paragraphe 6 ;
Vu l’arrêté N° EQE-2008-11 du 7 février 2008 délivré à … S.A. représenté par son conseil d’administration actuellement en fonction pour son installation … - site de Schifflange, et notamment ses articles 2, paragraphe 4 et 6 paragraphes 1 et 4 ;
Vu le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et notamment son article 9 ;
Vu le courrier du 23 avril 2012 adressé à l’Administration de l’environnement relatif à la cessation de l’exploitation de l’aciérie et du … du site de Schifflange à durée indéterminée et ce depuis la fin de l’année 2011 sans préjudice quant à la date exacte ;
Considérant que sur base de l’arrêté N° EQE-2008-11 du 7 février 2008 précité, … S.A. s’est vu allouer 405 365 quotas d’émission de gaz à effet de serre à titre gratuit pour la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012 ;
Considérant que 81 073 quotas ont été alloués en date du 22 février 2012 pour l’année 2012 ;
se propose :
1) de modifier le paragraphe 1er de l’article 6 de l’arrêté N° EQE-2008-11 du 7 février 2008 précité comme suit :
« 1) Une quantité totale de 324 292 t de CO2 est allouée à l’exploitant pour la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2011 pour les activités et installations visées à l’article 1er. » 2) de solliciter au courant de l’année 2013, sans préjudice quant à une date exacte, la restitution de 81 073 quotas d’émission de gaz à effet de serre.
décide :
d’accorder à … S.A. précitée un délai d’un mois à compter de la réception de la présente, pour présenter ses observations. (…) » … ayant pris position y relativement par courrier du 14 février 2013 et ayant pu encore faire valoir ses observations lors d’une entrevue en date du 20 mars 2013, le ministre délégué au Développement durable et aux Infrastructures prit en date du 6 juin 2013 un arrêté libellé comme suit :
« Vu la proposition de décision du 21 décembre 2012 annexée à la présente ;
Vu le courrier d’… SA (ci-après « … ») du 14 février 2013 ;
Considérant l’entrevue avec … du 20 mars 2013 ;
Vu le courrier d’… du 3 avril 2013 ;
Considérant la cessation de l’exploitation de l’installation …- site de Schifflange à durée indéterminée fin 2011 et la non reprise des activités au cours de 2012 ;
Considérant la restitution par … de 151 quotas d’émission de gaz à effet de serre en date du 29 avril 2013 ;
Considérant que les moyens invoqués par … lors de l’entrevue précitée et dans les courriers précités ne sont pas de nature à désavouer la modification de l’arrêté n° EQE-
2008-11 du 7 février 2008 et la restitution des quotas d’émission de gaz à effet de serre ;
Arrête Art. 1er. Le paragraphe 1er de l’article 6 de l’arrêté n° EQE-2008-11 du 7 février 2008 est modifié comme suit :
« 1) Une quantité totale de 324 292 t de CO2 est allouée à l’exploitant pour la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2011 pour les activités et installations visées à l’article 1er » Art. 2. … doit transférer 80 922 quotas d’émission de gaz à effet de serre pour le 31 juillet 2013 au plus tard sur le compte EU-100-5020220-0-9 (AEV IN11 de I’Administration de l’environnement). (…) » Le 8 juillet 2013, … introduisit un recours gracieux à l’encontre de cet arrêté, recours gracieux qui fut toutefois rejeté par décision du ministre délégué au Développement durable et aux Infrastructures du 24 septembre 2013.
Par requête inscrite sous le numéro 33558 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 octobre 2013, … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté du 6 juin 2013 du ministre délégué au Développement durable et aux Infrastructures modifiant le paragraphe 1er de l’article 6 de l’arrêté d’allocation de quotas d’émission de gaz à effet de serre n° EQE-2008-11 du 7 février 2008 et lui imposant la restitution de 80.922 quotas d’émission de gaz à effet de serre pour le 31 juillet 2013, « pour autant que de besoin », de la décision préalable, ainsi qualifiée, de proposition de restitution de quotas du 18 décembre 2012 du même ministre, et finalement de la décision de refus du 24 septembre 2013 du même ministre déclarant le recours gracieux introduit en date du 8 juillet 2013 contre la décision précitée du 6 juin 2013 non fondé.
1.
Quant à la recevabilité Aux termes de l’article 20.8 de la loi modifiée du 23 décembre 2004 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, telle que modifié par la loi du 3 août 2010 « Les décisions prises en application de la présente loi sont susceptibles d’un recours devant le Tribunal administratif qui statue comme juge du fond. Ce recours doit être introduit sous peine de déchéance dans les quarante jours de la notification de la décision intervenue ».
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le tribunal est toutefois amené à toiser la question de la recevabilité du recours en réformation tel que dirigé contre « la décision préalable de proposition de restitution de quotas du 18 décembre 2012 » du ministre au Développement durable et aux Infrastructures, question ayant été librement débattue par les parties à l’audience fixée pour les plaidoiries après avoir été soulevée d’office par le tribunal conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
En effet, il résulte du libellé même de cet acte que celui-ci s’inscrit dans le cadre de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, aux termes duquel « Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.
Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.
Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne. (…) ».
Il résulte de cette disposition que lorsque l’administration entend prendre une décision administrative intervenue en dehors de l’initiative de la personne, elle est tenue d’adresser en temps utile une information spécifique à la personne concernée afin de lui permettre de faire valoir, au préalable, son point de vue et ses moyens qui sont de nature à influer sur cette décision et, le cas échéant, à modifier la décision envisagée initialement, cette formalité prévoyant ainsi la participation de l’administré à l’élaboration de la décision administrative.
Or, échappent au recours contentieux les actes préparatoires qui ne font que préparer la décision finale et qui constituent des étapes dans la procédure d’élaboration de celle-ci1 .
Plus précisément, un courrier émis en conformité avec l’article 9 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 précité, par lequel le ministre invite un administré à lui faire part de ses observations éventuelles, avant de révoquer dans son chef une autorisation délivrée, ne peut être considéré comme constitutif d’une décision de refus, mais comme un acte préparatoire d’une décision administrative finale, constitutif d’une étape dans la procédure d’élaboration de celle-ci et échappant en tant que tel au recours contentieux2.
Il s’ensuit que le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours tel que dirigé contre le courrier du 18 décembre 2012 du ministre délégué au Développement durable et aux Infrastructures, tel que cité ci-avant in extenso.
Sous cette réserve et pour le surplus, le recours principal en réformation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
1 Cour adm. 22 janvier 1998, n° 9647C, 9759C, 10080C, 10276C, Pas. adm. 2012, V° Actes administratifs, n° 43, ainsi qu’autres références citées sub n° 44.
2 Trib. adm. 22 février 2005, n° 18301, Pas. adm. 2012, V° Actes administratifs, n° 48.
Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser le recours en annulation, introduit en ordre subsidiaire.
2.
Quant au fond … expose de prime abord à l’appui de son recours les antécédents du présent litige, en se référant à l’adoption en date du 9 mai 1992 de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, suivie, en date du 11 décembre 1997, de l’adoption du Protocole de Kyoto, lequel assigne à chaque partie contractante un objectif individuel de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre menant à une réduction globale d’au moins 5 par rapport aux niveaux de 1990 durant la période d’engagement 2008 à 2012, l’Union européenne, en tant que signataire du Protocole, s’étant vue assigner un objectif de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 8.
Par une décision du 25 avril 2002, le Conseil de l’Union européenne aurait ensuite décidé d’approuver le Protocole et de remplir ses objectifs de réduction d’émissions conjointement, et aurait convenu à cette fin d’une nouvelle répartition des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre au sein de l’Union européenne, le Luxembourg s’étant engagé dans ce cadre à diminuer ses émissions à concurrence de 28.
… explique que sur cette toile de fond la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté européenne et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil aurait été adoptée le 13 octobre 2003, ladite directive établissant un système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre à partir du 1er janvier 2005, ledit système exigeant que chaque installation émettant des gaz à effet de serre spécifiés, dont les installations de production et de transformation de métaux ferreux, doit à partir du 1er janvier 2005, être titulaire d’une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre se limitant à permettre l’émission sans pour autant contenir de limitation quantitative. Parallèlement, chaque exploitant d’une installation titulaire d’une autorisation se verrait attribuer un certain nombre de quotas, chaque quota autorisant ainsi le titulaire de l’autorisation à émettre une tonne de gaz à effet de serres. A la fin de chaque année civile, le titulaire de l’autorisation devrait justifier auprès de l’autorité compétente chacune de ses émissions de gaz à effet de serre au cours de l’année écoulée, par un nombre équivalent de quotas consommés, des sanctions étant encore prévues aux fins d’assurer le respect de cette obligation.
… précise ensuite que les quotas seraient librement transférables : toute personne pourrait ainsi acquérir et transférer des quotas, qu’il s’agisse d’un titulaire d’une autorisation ou non. Aussi, pour respecter son obligation de restitution de quotas, l’exploitant aurait le choix entre, soit limiter ses émissions de gaz à effet de serre aux quotas qui lui ont été alloués, soit acquérir de tels quotas sur le marché européen, qui déterminera librement leur valeur. La société demanderesse explique encore que chaque Etat membre devrait élaborer, pour chaque période de référence, un plan national d’allocation de quotas, couvrant d’abord les années 2005 à 2007 et ensuite des périodes quinquennales, destiné à arrêter la quantité totale de quotas à attribuer, et leur répartition entre les installations couvertes par la directive, plan national d’allocation devant être approuvé par la Commission européenne.
Ce serait dans le cadre du plan national d’allocation du 18 juillet 2006 pour la période 2008 à 2012, qu’… se serait vu allouer à titre gratuit par arrêté n° EQE-2008-11 du 7 février 2008 405.365 quotas d’émission de gaz à effet de serre à titre gratuit, y compris pour son site de Schifflange, une quantité totale de 405.365 tonnes de CO2 pour la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012, dont 81.073 quotas pour l’année 2012 lui auraient été délivrés en date du 22 février 2012, plus spécifiquement pour son site de Schifflange, 81.073 quotas dont le ministre au Développement durable et aux Infrastructures, ci-après « le ministre », exige actuellement la restitution.
Suite à ce rappel des faits, …, à l’appui de son recours, critique les décisions déférées pour divers motifs relevant tant des formes à respecter en aval des décisions que de leur fondement propre, motifs qui en substance peuvent être énumérés comme suit :
-
défaut de motivation des décisions litigieuses, … considérant que le ministre se serait limité à invoquer un certain nombre de dispositions légales et de correspondances, sans pour autant expliquer en quoi ces éléments justifiaient concrètement à l’égard d’… la demande de restitution de quotas, et en particulier sans justifier en quoi les quotas litigieux devaient être restitués pour le principe et pour le quantum ;
-
fausse application de l’article 13 (6) de la loi modifiée du 23 décembre 2004 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, … contestant toute cessation d’activité sur le site de Schifflange ;
-
mauvaise application ou interprétation de l’article 13 (6) de la loi modifiée du 23 décembre 2004, … estimant que ladite disposition ne pourrait s’appliquer qu’aux seuls quotas attribués, mais pas encore délivrés, alors que les exploitants exerceraient un droit de propriété sur les quotas qu’ils détiennent, de sorte que la demande de restitution porterait atteinte au droit de propriété d’… ;
-
violation de la confiance légitime qu’… pouvait avoir dans ses droits acquis ainsi que du principe de non rétroactivité des actes administratifs.
Il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de sa légalité intrinsèque et de son bien-fondé en fait, afin le cas échéant, lorsqu’il statue comme en l’espèce en tant que juge du fond, de substituer son appréciation à celle de l’administration et de prendre la décision qu’il considère en tant que juge du fond comme appropriée.
En ce qui concerne le défaut de motivation allégué, … soutient plus précisément que la mise en œuvre de l’article 13 (6) de la loi modifiée du 23 décembre 2004 ne saurait être discrétionnaire, le ministre devant au contraire doublement motiver et justifier sa décision, à savoir à la fois quant à la décision de demande de restitution, mais aussi quant au quantum de la restitution, … estimant que le texte de l’article 13 (6) ne vaudrait pas autorisation discrétionnaire de demande de restitution au seul motif de la cessation totale ou partielle d’activité. Bien au contraire, la cessation d’activité ne serait qu’une condition légale qui, une fois remplie, permettrait à l’administration de mettre en jeu le mécanisme de demande de restitution, qui devrait se faire dans le respect des autres obligations légales qui lui incombent, au titre desquelles l’obligation de motivation, … soulignant tout particulièrement à ce sujet que le seul excès de quotas inutilisés ne constituerait en soi pas la motivation requise, s’agissant non pas d’un motif, mais d’une condition de la mise en œuvre de l’article 13 (6) en question. En effet, tout écart entre le volume de quotas délivrés et le volume réellement restitué par l’exploitant en fonction des volumes de production serait de l’essence même du système qui repose sur un mécanisme permettant d’alimenter le marché des quotas par un éventuel excès non consommé et d’assurer son fonctionnement par des achats et des ventes.
Dès lors, le seul fait qu’… soit, de manière provisoire, en excès de quotas par rapport aux volumes délivrés ne serait donc pas en soi une anomalie justifiant le recours par le ministre à un mécanisme de correction, d’ailleurs non prévu par la directive 2003/87/CE précitée.
La partie étatique, de son côté, relève que l’arrêté ministériel litigieux du 6 juin 2013 se réfèrerait à la proposition de décision du 21 décembre 2012 laquelle ferait à son tour référence à la loi modifiée du 23 décembre 2004 et notamment à ses articles 8 (3), 12 (4) et 13 (6). Or, suite à la cessation totale de l’activité sur le site de Schifflange en 2011 et sa non reprise en 2012, et en vertu de l’article 13 (6) de la loi modifiée du 23 décembre 2004 précitée, la restitution des quotas d’émission de gaz à effet de serre se serait imposée, de sorte que l’arrêté ministériel critiqué serait conforme aux exigences du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations de l’Etat, pris notamment en son article 6.
Il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé.
Il convient toutefois de rappeler que l’obligation de motivation formelle inscrite à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne constitue pas une fin en soi, mais consacre des garanties visant à ménager à l’administré concerné la possibilité d’apprécier la réalité et la pertinence de la motivation à la base d’une décision administrative, de sorte que dans l’hypothèse où il est établi que cette finalité est atteinte, la question du respect de cette obligation par la décision devient sans objet3.
Or, en l’espèce, force est de constater que non seulement … a pu exhaustivement prendre position par rapport au motif ayant présidé à la demande de restitution des quotas litigieuse, mais encore que ledit motif, justifiant aux yeux de la partie étatique ladite demande, lui a été explicitement précisé au cours de la procédure contentieuse.
Enfin et à titre superfétatoire, il y a lieu de relever, en ce qui concerne les conclusions d’… tendant à l’annulation pure et simple des décisions a quo du fait du défaut allégué de motivation, que la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours et que celle-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois au cours de la phase contentieuse. Le but principal de l’obligation de l’administration de motiver ses décisions, à savoir de permettre à l’administré de connaître cette motivation sans devoir engager des frais pour l’obtenir, par exemple moyennant recours contentieux peut également être obtenu par d’autres moyens plus adéquats. Dans ce contexte, il convient de rappeler encore que tant le silence de l’administration suite à une requête légitime que l’absence de motivation d’une décision peuvent constituer l’administration en faute si elle n’a pas agi en tant qu’administration normalement prudente, diligente et avisée, un tel comportement doit 3 Voir en ce sens. trib. adm. 11 janvier 2010, n° 25445, Pas. adm. 2012, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 54.
cependant trouver sa sanction dans les règles de la responsabilité civile et non pas conduire à l’annulation automatique de l’acte si la décision administrative est, par ailleurs, basée sur des motifs légaux quoique non formellement énoncés dans l’acte. Pour le surplus, pour l’hypothèse spécifique d’une absence de motivation d’une décision par l’administration avant la phase contentieuse, une sanction plus adéquate se dégage d’une législation postérieure à la législation sur la procédure administrative non contentieuse, à savoir la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, prise en ses articles 32 et 33 permettant aux juridictions administratives de condamner par décision motivée une partie ayant gagné son procès à une fraction ou la totalité des dépens ou de mettre à charge de cette partie la totalité ou une partie des sommes exposées par l’autre partie et non comprises dans les dépens, dont plus particulièrement les frais d’avocat, pour l’hypothèse où il paraît inéquitable de laisser ces frais à charge de cette autre partie. Dès lors, lorsque le défaut de motivation allégué oblige l’administré à introduire d’abord un recours contentieux pour provoquer la motivation à la base d’une décision le concernant, respectivement une motivation pertinente complémentaire, justifie par principe respectivement l’allocation d’une indemnité de procédure et la condamnation de l’administration fautive à une partie ou la totalité des dépens4.
Par conséquent, le tribunal, conformément aux enseignements de la juridiction suprême, doit en tout état de cause rejeter le moyen d’… basé sur l’absence formelle de motivation, à supposer l’existence d’un tel défaut avérée, et tendant à l’annulation des décisions déférées, sans préjudice toutefois du contrôle subséquent du bien-fondé de la motivation avancée.
En ce qui concerne précisément le bien-fondé des motifs ayant présidé à la demande de restitution des quotas non-utilisés, le tribunal constate que le ministre s’est basé sur l’article 13 (6) de la loi modifiée du 23 décembre 2004 précitée, aux termes duquel « Toute cessation totale ou partielle de l’exploitation d’une installation doit immédiatement être notifiée au ministre. Le ministre statue sur la restitution totale ou partielle des quotas non utilisés. ».
Il en résulte que la cessation de l’exploitation d’une installation constitue un pré-
requis pour l’application de cette disposition, permettant au ministre d’exiger la restitution totale ou partielle des quotas non utilisés.
A cet égard, …, outre de souligner que le cas de figure de la restitution de quotas envisagée par cet article ne figure pas dans la directive 2003/87/CE précitée, relève que cette disposition présuppose en tout état de cause la cessation préalable de l’exploitation de l’installation à laquelle des quotas avaient été attribués, ce qui toutefois ne serait pas le cas en l’espèce, puisque, même si les activités du site de Schifflange ont été suspendues en octobre 2011, l’on ne pourrait pas parler d’une cessation d’activité, dans la mesure où la production sur le site n’aurait été arrêtée que temporairement et pourrait redémarrer dès que la situation économique le permettrait.
En tout état de cause, elle estime que rien ne permettait, à l’époque de la délivrance des quotas litigieux en février 2012, de confirmer que le site resterait inactif en 2012.
4 Cour adm. 20 octobre 2009, n° 25738C, Pas. adm. 2012, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 76.
… s’empare ensuite de l’article 11bis de la loi du 23 décembre 2004 telle que modifiée en 2012, aux termes duquel « Les installations dont l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre a expiré ou a été retirée et les installations dont l’activité ou la reprise d’activité est techniquement impossible sont considérées comme ayant cessé leurs activités », pour soutenir que le site litigieux de Schifflange ne se trouverait dans aucune de ces situations, … estimant que même si cet article n’était pas encore en vigueur en 2012, il pourrait néanmoins être pris en considération du fait de son incidence sur l’interprétation de l’article litigieux 13 (6), plus particulièrement sur la signification du terme « cessation » au sens de la loi du 23 décembre 2004.
… donne encore à considérer que tout autre interprétation de ce terme aurait pour effet de retirer au chef d’entreprise une bonne partie de sa liberté d’exploiter et serait contraire à sa liberté fondamentale du commerce et de l’industrie, puisqu’il serait de l’essence même de la gestion d’une entreprise de pouvoir s’adapter à l’activité commerciale du marché en décidant des produits à manufacturer, des volumes, des plannings de production, les cas échéant en décidant, dans l’intérêt de la pérennité de l’entreprise sur le moyen et long terme, de réduire provisoirement, partiellement, la production, ce qui permettrait de réduire les coûts fixes et supprimer les coûts variables associés à des produits qui seraient manufacturés sans pouvoir trouver de clients et resteraient invendus. Or, une telle période de mise en sommeil temporaire devrait être distinguée de la décision de fermeture de l’entreprise faute de perspectives définitives de survie.
En l’espèce, … explique avoir prévu lors de son assemblée générale du 19 octobre 2011 d’arrêter temporairement la production de l’aciérie sur le site et de reprendre l’activité dès que la situation économique le permettrait, l’arrêt temporaire de la production pour les mois de novembre et décembre 2011 ayant été voté par le conseil d’administration en date du 19 octobre 2011, tout en prévoyant la reprise d’activité en janvier 2012. Ce ne serait que lors de l’assemblée générale du 19 mars 2012 qu’il aurait été décidé de prolonger pour une durée indéterminée la suspension d’activité du four électrique de Schifflange ainsi que de son aciérie, ce qui aurait justifié son courrier d’avril 2012 notifiant au ministre l’arrêt temporaire du site de Schifflange. Actuellement, … ne serait d’ailleurs toujours pas en mesure de signifier un arrêt définitif des activités compte tenu du fait que les outils seraient temporairement sous cocon, qu’à ce stade une reprise ne pourrait pas être exclue et une date de reprise potentielle ne pourrait pas encore être précisée, … affirmant que le redémarrage de la production serait toujours légalement et techniquement possible et resterait l’intention de l’exploitant.
L’Etat, de son côté, estime que la cessation des activités serait une question de fait.
Or, à cet égard, il ressortirait « clairement » des déclarations d’… que depuis novembre 2011 aucune activité tombant sous la loi modifiée du 23 décembre 2004 précitée, notamment la production de fonte ou d’acier, n’aurait eu lieu sur le site de Schifflange, l’Etat affirmant que la société admettrait d’ailleurs la cessation de son activité dans son courrier du 28 janvier 2013.
La partie étatique dénie ensuite toute pertinence à l’article 11bis, paragraphe 12 de la loi modifiée du 23 décembre 2004 précitée qui n’était pas encore en vigueur en 2012, de sorte à ne pouvoir s’appliquer au cas d’espèce.
Le tribunal ne saurait toutefois suivre l’Etat en son argumentation.
En effet, à l’instar de ce que fait plaider …, le seul courrier du 23 avril 2012 adressé par … à l’administration de l’Environnement, cité intégralement ci-dessus, et aux termes duquel … informe l’Etat d’une « suspension d’activités » sur le site de Schifflange pour une durée indéterminée, ne saurait établir une cessation d’activité au sens de l’article 13 (6), la notion même de « cessation » impliquant une qualité de durée, voire une qualité définitive, qui ne résulte pas, à elle seule, de ce courrier, ni d’ailleurs du courrier du 28 janvier 2013 adressé par la société demanderesse à la même administration.
En effet, il résulte de ce second courrier que tant l’aciérie de Schifflange que le train à fil de Schifflange sont en arrêt temporaire à durée indéterminée pour des raisons conjoncturelles, tandis que la reprise future des activités et ses modalités demeurent incertaines, … soulignant explicitement qu’il n’y aurait pas de cessation d’activités « notamment au regard des dispositions de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés », mais que la situation à Schifflange relèverait de l’article 22, 1) e) « de la Décision de la Commission du 27 avril 20115 », à savoir lorsque « l’installation n’est pas en activité, mais l’a été précédemment, et l’exploitant n’est pas en mesure d’établir que l’exploitation reprendra dans les six mois suivant la cessation des activités », situation habilitant l’autorité à « suspendre la délivrance de quotas d’émission aux installations visées au paragraphe 1, point e), tant qu’il n’est pas établi qu’elles vont reprendre leurs activités6 ».
Il convient encore de rappeler, d’une part, que le ministre était censé tenir compte de la situation légale applicable au jour où il a statué, c’est-à-dire au 6 juin 2013, date à laquelle l’article 11bis, paragraphe 12 de la loi du 23 décembre 2004, telle que modifié par la loi du 26 décembre 2012, était en vigueur, et, d’autre part, que le tribunal administratif statue en l’espèce en tant que juge de la réformation.
Or, le recours en réformation est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire -
indépendamment de la légalité - l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés7.
En d’autres termes, si le seul courrier du 23 avril 2012 peut sembler insuffisant pour établir une cessation d’activité au sens de la loi modifiée du 23 décembre 2004 précitée à la date des décisions querellées, en tout cas à la date de l’arrêté ministériel du 6 juin 2013, le tribunal est appelé à apprécier la situation à la date où il statue. Or, à ce jour le législateur est 5 Décision de la Commission du 27 avril 2011 définissant des règles transitoires pour l’ensemble de l’Union concernant l’allocation harmonisée de quotas d’émission à titre gratuit conformément à l’article 10 bis de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil 6 Article 22, 4) de la Décision de la Commission du 27 avril 2011 précitée.
7 Cour adm. 6 mai 2008, n° 23341C, Pas. adm. 2012, V° Recours en réformation, n° 11.
venu préciser la notion de « cessation d’activité » à travers l’article 11bis, paragraphe 12 de la loi du 23 décembre 2004, telle que modifié par la loi du 26 décembre 2012, en retenant que « les installations dont l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre a expiré ou a été retirée et les installations dont l’activité ou la reprise d’activité est techniquement impossible sont considérées comme ayant cessé leurs activités.» S’il s’agit-là certes de l’inscription dans le texte légal d’une énumération non exhaustive d’hypothèses de cessation d’activités et non pas d’une définition générale, il ne reste pas moins que cette précision permet de retenir qu’une cessation d’activité implique nécessairement un élément définitif ou inéluctable ; or en l’espèce, il ne résulte pas d’un quelconque élément factuel fourni en l’espèce par l’Etat que l’arrêt des activités sur le site de Schifflange serait définitif, respectivement que les explications d’… quant au caractère éminemment provisoire de la suspension des activités seraient erronées, l’Etat n’étant d’ailleurs pas intervenu pour exiger d’… le respect des dispositions impératives de l’article 13 (8) de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés, imposant le respect de formalités en cas d’une cessation d’activités définitive, et ce notamment lorsqu’une telle cessation est constatée par l’administration compétente, le tribunal soulignant à cet égard la nécessaire interconnexion entre la loi du 23 décembre 2004 et la loi modifiée du 10 juin 1999, la cessation d’activité étant, comme relevé par l’Etat lui-même, une notion de fait, de sorte que lorsqu’une telle situation factuelle est dûment constatée, elle doit nécessairement avoir des implications au niveau des deux législations citées ci-dessus.
En ce qui concerne ensuite les moyens d’… relatifs au caractère légal de la demande de restitution, et aux conséquences de la restitution exigée par rapport notamment au droit de propriété et à la légitime confiance d’…, le tribunal note que la société demanderesse, en substance, opère une distinction entre l’allocation de quotas, entendue comme la promesse à venir de délivrance des quotas, et la délivrance elle-même des quotas, pour soutenir qu’une fois l’allocation transformée en délivrance par une inscription en compte, les quotas ainsi enregistrés deviendraient la propriété exclusive de l’exploitant et ne pourraient plus être assujettis à une obligation de restitution, sous peine de porter atteinte à la propriété d’… en violation de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme et de l’article 16 de la Constitution, … considérant encore que la demande de restitution de quotas délivrés, partant passés dans son patrimoine, porterait directement atteinte au mécanisme fondamental du marché des quotas basé sur des écarts entre les volumes délivrés et ceux réellement utilisés et partant au principe dégagé par la directive européenne 2003/87/CE et concrétisé par les décisions de la Commission des 29 novembre 2006 et 27 avril 2011 selon lesquelles l’exploitant disposerait librement des quotas qui lui ont été délivrés par l’inscription dans le registre national sur son compte.
L’Etat, pour sa part, se borne à contester toute atteinte au droit de propriété, sans prendre position par rapport à la distinction opérée par la société demanderesse, tout en soulignant que l’obligation de restitution de quotas indûment alloués résulterait de la loi. Or, en l’espèce, les quotas litigieux n’auraient pas été régulièrement attribués, puisque … n’aurait pas respecté les dispositions de la loi modifiée du 23 décembre 2004 précitée, notamment les articles 9 et 13 (6), puisqu’il n’aurait pas communiqué la cessation de ses activités dans les délais prescrits, de sorte que l’acquisition des quotas aurait été viciée, la partie étatique entendant encore nier toute atteinte au droit de propriété par le fait que l’arrêté incriminé serait l’application pure et simple des articles 8 (3), 12 (4) et 13 (6) de la loi modifiée du 23 décembre 2004 précitée.
Le tribunal retient, tant au vu des dispositions afférentes de la directive 2003/87/CE précitée que de celles de la loi modifiée du 23 décembre 2004 précitée8, que le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre s’articule autour de deux concepts essentiels : les autorisations accordées aux installations, d’une part, et les quotas autorisant les exploitants à émettre une certaine quantité de ces gaz, d’autre part.
Tout d’abord, les installations tombant dans le champ d’application de la directive, déterminées en droit luxembourgeois à l’annexe 1 de la loi modifiée du 23 décembre 2004, sont soumises à une autorisation administrative d’émettre des gaz à effet de serre.
Dans la mesure où l’exploitant peut émettre plus de gaz que ce que ne lui permet son quota alloué par les autorités, l’autorisation en question ne fixe pas, conformément à l’article 13bis (6) de la loi modifiée du 10 juin 1999, de valeurs limites d’émission, sauf si cela s’avère nécessaire pour éviter une trop forte pollution locale.
Toutefois, l’Etat a adopté un Plan National d’Allocation de Quotas dans lesquels il a fixé la quantité globale de quotas qui seront affectés aux installations établies sur son territoire (détermination du « plafond d’émissions »). En exécution de ce Plan National d’Allocation de Quotas, le ministre a déterminé pour la période quinquennale en question la quantité totale de quotas à allouer pour cette période et a fixé la quantité de quotas à attribuer à l’exploitant de chaque installation9. Ensuite, l’exploitant de l’installation concernée a reçu en exécution de ce Plan National d’Allocation de Quotas en début d’année une quantité déterminée de quotas d’émissions de CO2 - un quota représentant l’émission d’une tonne de dioxyde de carbone -, l’article 12 (1) précisant à cet égard que « au plus tard le 28 février de chaque année, le ministre délivre la quantité de quotas allouée pour l’année concernée » ; il échet de relever que cette délivrance s’effectue par inscription dans un registre dans lequel toute personne qui détient un quota doit faire ouvrir un compte10 . En l’espèce, il résulte plus particulièrement des explications fournies que les quotas en cause ont ainsi été délivrés par transfert vers le compte de dépôt de l'exploitant, opération matérialisée par l’arrêté ministériel du 22 février 2012 en exécution de la décision d’allocation du 7 février 2008, référencée sous le n° EQE-2008-11. En fin d’année, l’exploitant devra restituer autant de quotas qu’il aura rejeté de tonnes de CO2 au cours de l’année civile écoulée. L’autorisation en question prévoit en effet l’obligation de restituer, dans les quatre mois qui suivent la fin de chaque année civile11, des quotas correspondant aux émissions totales de l’installation au cours de l’année civile écoulée. Les émissions comptabilisées sont donc restituées à l’autorité qui les annulera.
Par ailleurs, en vue de vérifier que le nombre de tonnes de CO2 émises corresponde au budget de quotas initialement alloués, l’exploitant doit produire, à la fin de chaque année civile, une déclaration d’émission12 qui fait l’objet d’une vérification13.
Il résulte encore de ces dispositions qu’a priori rien n’empêche une installation d’émettre moins de CO2 que ce qui est prévu par le plan national d’allocation , tandis qu’il lui est aussi possible d’émettre davantage de gaz à effet de serre que ce qui a été autorisé tant que 8 Le tribunal se base sauf mentions contraires pour la description du système en place à l’époque des décisions déférées sur les dispositions légales alors applicables, en l’occurrence sur le texte coordonné au 31 décembre 2012, applicable à partir du 1er janvier 2013.
9 Article 12 (1) de la loi modifiée du 23 décembre 2004.
10 Article 18 de la loi modifiée du 23 décembre 2004.
11 Article 8 (2) e) de la loi modifiée du 23 décembre 2004.
12 Article 15 de la loi modifiée du 23 décembre 2004.
13 Article 16 de la loi modifiée du 23 décembre 2004.
l’installation dispose à la fin de chaque période des quotas nécessaires couvrant ces émissions.
Aussi, à la fin de chaque année, lorsqu’il fait ses comptes14, l’exploitant peut être confronté à trois cas de figure15 : Dans l’hypothèse où il restitue à l’autorité nationale un nombre de quotas égal au total de ses émissions de CO2, l’opération est neutre. En produisant moins ou en recourant à des meilleures technologies, il parvient à diminuer ses émissions de CO2 ; n’étant plus tenu de restituer les quotas non utilisés, il peut les vendre à des tiers16.
Enfin, dans l’hypothèse où ses émissions seraient supérieures aux quotas initialement attribués, l’exploitant devra couvrir l’ensemble de ses émissions en obtenant des quotas supplémentaires qu’il pourra acquérir sur le marché, à défaut de quoi il sera sanctionné.
Le système ainsi conçu doit, de l’avis de la doctrine17, déboucher sur la création d’un véritable marché de pollution en fonction d’un plafonnement (« cap and trade ») déterminé dans un premier temps par les Plans Nationaux d’Allocation des États membres, ensuite par la Commission, la demande de quotas tributaire des émissions de gaz ne pouvant excéder le plafond. L’élément original du système est dès lors que les quotas pourront, sous certaines conditions, être échangés entre installations, puisque, pour remplir leurs obligations, les exploitants auront le choix entre diminuer leurs propres émissions ou acheter des quotas sur le marché communautaire, rendus disponibles par un excès de quotas en fin de période permettant d’alimenter le marché des quotas et d’assurer son fonctionnement par des achats et des ventes.
Le tribunal constate ensuite que ce principe de libre marché a encore amené la doctrine à se pencher sur la question de la nature juridique de quotas, ceux-ci devant en effet être librement transférables et cessibles afin d’assurer le fonctionnement du marché.
A cet égard, défini par la directive comme « autorisant à émettre une tonne d’équivalent-dioxyde de carbone au cours d’une période spécifiée18 » il a été retenu que le quota peut être qualifié de « moyen de paiement d’une dette créée par une législation de police »19, tout en étant bien susceptible d’être commercialisé et, partant, bénéficiant soit de la libre circulation des marchandises, soit de la libre circulation des capitaux. En d’autres termes, sa négociabilité20 est inhérente à sa qualité de bien : le détenteur du quota est en droit de le négocier, voire de procéder à son annulation21, ce qui correspond d’après la doctrine à l’abusus, pouvoir d’action ultime sur un bien, offert par le droit de propriété22.
Cette qualité, toutefois, exige que le quota ait été préalablement non seulement alloué à l’exploitant, mais également effectivement délivré par inscription au registre. En effet, préalablement à la délivrance du quota, l’Etat peut réduire ou augmenter la masse en émettant 14 Article 15 de la loi modifiée du 23 décembre 2004.
15 N. De Sadeleer, Le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre : entre ambition et prudence, Revue du droit de l’Union Européenne, Nº 4, 2009 p.716.
16 N. De Sadeleer, ibidem.
17 N. De Sadeleer, ibidem.
18 Article 3, a) de la directive 2003/87/CE.
19 M. Pâques, Le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté européenne, Aménagement-Environnement, 2003, numéro spécial, p.42 20 Projet de loi n° 5327 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, Session ordinaire 2003-2004, Exposé des motifs, p.14.
21 Article 13 (4) de la loi modifiée du 23 décembre 2004 22 M. Pâques, op .cit., p.43.
relativement plus ou moins de quotas au cours de la période suivante la période en cours, et par conséquent en décidant d’allouer moins de quotas, puisque l’exploitant n’est pas encore propriétaire des quotas qui lui avaient été alloués initialement mais qui ne lui ont pas encore été délivrés : aussi la non-délivrance, pour une nouvelle période d’un an, de quotas qui lui avaient certes été alloués initialement mais qui ne lui ont pas encore été effectivement délivrés, ne constitue pas une atteinte à son droit de propriété23. En revanche, une fois effectivement délivré, le quota devient un bien négociable, puisqu’aux termes de la loi, prise en son article 13 et de la directive (article 12), toute personne (physique ou morale) peut détenir des quotas et que ceux-ci peuvent être transférés selon les règles prescrites par les deux dispositions précitées.
Dès lors, « une action directe de l’Etat sur les quotas émis, par retrait ou annulation autoritaires de ceux-ci, en dehors de « la demande de la personne qui les détient » (art. 12, § 4), est contraire à l’économie du système. Il est vraisemblable que le quota soit considéré comme un bien au sens du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et protégé par ces dispositions24 », cette conclusion étant encore partagée par la Commission européenne, selon laquelle un ajustement a posteriori, révisant à la baisse (ou à la hausse) la quantité déterminée pour chaque exploitant sur la base d’une décision du gouvernement, serait contraire « au système de plafonnement et d’échange des droits d’émission (« cap and trade») tel qu’il a été conçu par la directive », puisque conformément au système communautaire, chaque installation se voit attribuer une certaine quantité de quotas dont elle peut disposer librement de manière à prendre des décisions économiques optimales, s’agissant là « d’une caractéristique inhérente aux systèmes de plafonnement et d’échange, qui ne justifie en aucun cas une modification rétroactive de l’allocation initiale25» Le tribunal décèle dès lors, à partir de ces conclusions, un double problème affectant la décision incriminée du ministre et exigeant la restitution par … de quotas dûment délivrés -
pour rappel, le tribunal a ci-avant constaté que les quotas litigieux ont effectivement été délivrés par inscription sur le compte de l’exploitant - mais non utilisés par l’exploitant :
d’une part, une contrariété avec le droit communautaire, l’arrêté ministériel déféré, reposant sur l’article 13 (6) de la loi modifiée du 23 décembre 2004 - disposition non ancrée dans la directive modifiée 2003/87/CE - et l’interprétation en faite par le ministre, ayant pour résultat de retirer du marché des quotas non utilisés, portant ainsi atteinte au système conçu notamment de telle façon à permettre « aux entreprises de produire un taux d’émissions supérieur à leurs quotas à condition qu’elles trouvent des entreprises qui produisent moins d’émission et leur revendent leurs quotas26 » et, d’autre part et a priori, une atteinte au droit de propriété, les quotas dûment délivrés étant entrés dans le patrimoine de l’exploitant, la partie étatique ayant d’ailleurs suggéré à cet égard de soumettre la question à la Cour constitutionnelle.
23 Cour d’arbitrage belge, 7 juin 2006, n° 92/2006, pt. B.27.1.
24 M. Pâques, op .cit., p.43.
25 COM (2l06) 725 final : Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant l’évaluation des plans nationaux d’allocation de quotas d’émission de gaz à effet de serre pour la deuxième période du système communautaire d’échange de quotas d’émission accompagnant les décisions de la Commission du 29 novembre 2006 relatives aux PNA établis par l’Allemagne, la Grèce, l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la Slovaquie, la Suède et le Royaume-Uni conformément à la directive 2003/87/CE, p. 9, disponible sous http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2006:0725:FIN:FR:PDF 26 Projet de loi n° 5327 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, Session ordinaire 2003-2004, Exposé des motifs, p.13.
Le tribunal relève de prime abord que le fait, tel que prétendu par l’Etat, que l’arrêté incriminé serait l’application pure et simple des articles 8 (3), 12 (4) et 13 (6) de la loi modifiée du 23 décembre 2004, ne saurait ipso facto écarter tout atteinte au droit de propriété, le fait que pareille atteinte résulterait de la loi - le tribunal notant encore les articles 8 (3) et 12 (4), abrogés par la loi du 21 décembre 2012, n’existaient en tout état de cause plus à la date des décisions déférées - n’étant pas de nature à automatiquement écarter toute question de conformité notamment à l’article 16 de la Constitution.
Il s’ensuit que deux questions préjudicielles seraient susceptibles d’être posées par le tribunal, l’une à l’attention de la Cour de justice de l’Union européenne, l’autre notamment à la Cour constitutionnelle.
Or, si aux termes de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, une juridiction nationale dont les décisions restent susceptibles de recours, hypothèse qui se trouve établie quant au tribunal administratif, n’est pas tenue impérativement de poser une question préjudicielle, encore qu’elle puisse décider d’un renvoi préjudiciel, lorsqu’il s’agit d’une question d’interprétation nouvelle présentant un intérêt général pour l’application uniforme du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres, ou lorsque la jurisprudence existante ne paraît pas applicable à un cadre factuel inédit, cette faculté se trouvant néanmoins, aux termes de la jurisprudence de la Cour de Justice, conditionnée entre autres par le caractère pertinent de la question, la solution de la question relevant du droit communautaire devant donc être nécessaire à la décision à prendre par la juridiction nationale, la saisine de la Cour constitutionnelle est en revanche obligatoire pour le juge national.
En effet, l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle stipule que :
« Une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle estime que :
-
une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement ;
-
la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement ;
-
la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet. (…) ».
En principe, par application de l’article 6, alinéa 1er, de la loi du 27 juillet 1997, la connaissance des questions de constitutionnalité de normes législatives appartient exclusivement à la Cour constitutionnelle. Ce n’est que si une des exceptions prévues à l’article 6, alinéa 2, de la même loi, est donnée, qu’une juridiction peut se dispenser de poser une question de conformité à la Constitution, à savoir si elle estime a) qu’une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement, b) que la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement, et c) que la Cour constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet.
Encore que l’article 6, alinéa 2, de la loi du 27 juillet 1997 dispose qu’une juridiction est dispensée de saisir la Cour constitutionnelle d’une question de constitutionnalité si elle « estime » qu’une des trois exceptions y énoncées est donnée, il ne s’agit en l’occurrence pas d’un droit discrétionnaire, mais il faut que l’exception soit avérée, hypothèse non donnée en l’espèce, puisque, outre que la réponse à apporter à la question de l’atteinte au droit de propriété - et de son éventuelle justification - conditionnera directement le sort à réserver à l’article 13 (6) de la loi modifiée du 23 décembre 2004 et aux décisions déférées, la question ne paraît manifestement pas dénuée de tout fondement, notamment au vu de l’arrêt n° 101/13 du 4 octobre 2013 de la Cour constitutionnelle ayant retenu qu’un changement dans les attributs de la propriété qui est à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels et sans ouvrir de droit à indemnité, peut constituer une expropriation contraire à l’article 16 de la Constitution.
Dès lors, confronté, d’une part à une saisine obligatoire de la Cour constitutionnelle nationale, et d’autre part, à une saisine facultative de la Cour de justice de l’Union européenne, le tribunal administratif est obligé, dans la mesure où la Cour constitutionnelle n’a pas encore statué sur une question ayant le même objet, qu’il résulte de ce qui précède que la question soulevée n’est pas non plus dénuée, a priori, de tout fondement et qu’elle est nécessaire pour rendre le jugement, par application de l’article 6, alinéa 1er, de la loi du 27 juillet 1997, de saisir la Cour constitutionnelle de la question de la compatibilité de la disposition en question à l’article 16 de la Constitution, la réponse y apportée rendant le cas échéant un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne inutile, le tribunal se réservant néanmoins cette possibilité.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation tel que dirigé contre le courrier du 18 décembre 2012 du ministre délégué au Développement durable et aux Infrastructures ;
pour le surplus, reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
quant au fond, saisit la Cour constitutionnelle, par voie préjudicielle, de la question suivante :
« l’article 13 (6) de la loi modifiée du 23 décembre 2004 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, dans la mesure où il permet au ministre compétent d’exiger la restitution sans indemnité totale ou partielle des quotas délivrés conformément à l’article 12 (2) et (4) de la même loi, mais non utilisés ; est-il conforme à l’article 16 de la Constitution consacrant le droit à la propriété privée ? » ;
réserve les frais ainsi que tous droits des parties ;
fixe l’affaire au rôle général Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 décembre 2014 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Hoffmann s. Sünnen 18