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09/07/2018 | LUXEMBOURG | N°39815

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juillet 2018, 39815


Tribunal administratif N° 39815 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juillet 2017 1re chambre Audience publique du 9 juillet 2018 Recours formé par Madame … et consort, … contre un arrêté grand-ducal du 3 mars 2017, en matière de changement de nom patronymique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39815 du rôle et déposée le 3 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Deidre Du Bois, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre de

s avocats à Luxembourg, au nom de Madame … et de Monsieur …, agissant en leur qualité d’...

Tribunal administratif N° 39815 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juillet 2017 1re chambre Audience publique du 9 juillet 2018 Recours formé par Madame … et consort, … contre un arrêté grand-ducal du 3 mars 2017, en matière de changement de nom patronymique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39815 du rôle et déposée le 3 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Deidre Du Bois, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … et de Monsieur …, agissant en leur qualité d’administrateurs légaux de leur enfant mineur …, née le …, les trois demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté grand-ducal du 3 mars 2017 portant refus de l’autorisation de changer le nom patronymique de leur fille mineure de « …» en « …» ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2017;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté grand-ducal déféré ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Michel Foetz, en remplacement de Maître Deidre Du Bois, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 juin 2018.

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Par courrier du 15 juin 2016, entré auprès du ministère de la Justice en date du 5 juillet 2016, Madame … et Monsieur …, ci-après désignés par « les consorts …», s’adressèrent audit ministère afin de solliciter l’autorisation de changer le nom patronymique de leur enfant mineur commun … de « …» en celui de « …».

Par avis respectifs des 17 et 22 août 2016, le procureur d’Etat et le procureur général d’Etat se prononcèrent en défaveur du changement de nom patronymique sollicité par les consorts …. Le Conseil d’Etat émit le 27 octobre 2016 également un avis défavorable quant au changement de nom patronymique sollicité.

Suite à ces avis, la requête en changement de nom patronymique fut rejetée par arrêté grand-ducal du 3 mars 2017 transmis aux intéressés par un courrier du ministre de la Justice du 5 avril 2017, expédié le même jour. Cet arrêté est motivé comme suit :

« Vu la demande présentée le 15 juin 2016 par Monsieur … et Madame … …, sollicitant l’autorisation de changer le nom patronymique actuel de leur fille mineure …, née le …, de nationalité luxembourgeoise et demeurant à L-…, en celui de « …» ;

Vu le titre II de la loi du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de noms, telle que modifiée par la loi du 18 mars 1982 relative aux changements de noms et de prénoms ;

Vu les avis négatifs rendus par le Procureur d'État de Luxembourg le 17 août 2016 et par le Procureur général d'État le 22 août 2016 ;

Vu l’avis négatif rendu par le Conseil d'État en date du 27 octobre 2016 ;

Considérant que le principe de la fixité du nom patronymique constitue une règle d'ordre public et social ;

Considérant qu'un changement de nom patronymique ne peut être autorisé qu'en présence de circonstances exceptionnelles et pour des raisons importantes ;

Considérant que lors de la déclaration de naissance, intervenue après l’entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 2005 sur le nom des enfants, les requérants avaient la possibilité de choisir un nom composé à partir de leurs noms ;

Considérant que le Procureur d’État estime qu’en « l’absence d’un tel choix au moment de la déclaration de naissance, un changement de nom ne peut intervenir qu’en présence de circonstances d’une exceptionnelle gravité, de sorte que le principe de la pérennité du nom s’oppose à ce que la fille des requérants soit autorisée à porter le nom composé des noms de ses parents » ;

Sur le rapport de Notre Ministre de la Justice et après délibération du Gouvernement en Conseil;

Arrêtons :

Art. 1er. - L'autorisation sollicitée est refusée.

Art. 2. - Notre Ministre de la Justice est chargé de l'exécution du présent arrêté. ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 juillet 2017, les consorts …ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté grand-ducal du 3 mars 2017 portant refus de leur demande de changement du nom patronymique de leur fille mineure.

Aucune disposition de la loi du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de noms, telle que modifiée par la loi du 18 mars 1982 relative aux changements de noms et de prénoms, ci-après désignée par « la loi modifiée du 11-12 germinal an XI », ne prévoyant de recours de pleine juridiction contre une décision de refus de changement de nom patronymique, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision sous examen.

Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs expliquent qu’ils se sont mariés en Tunisie en août 2008 et que de leur union est née, le …, leur enfant, …. Au moment de sa naissance, ils auraient choisi de donner à leur fille le nom de son père, de sorte à ne pas avoir fait usage, au moment de la déclaration de naissance, de la possibilité leur donnée par l’article 57, alinéa 3, du Code civil, tel qu’il a été modifié par la loi du 23 décembre 2005 relative au nom des enfants, ci-après désignée par « la loi du 23 décembre 2005 », de choisir un nom composé de leurs deux noms.

Ils estiment toutefois que, même s’ils n’avaient pas fait usage de cette possibilité à ce moment-là, ils n’auraient pas pour autant renoncé à ce droit qu’ils auraient, par conséquent, entendu exercer par le biais de leur demande de changement de nom patronymique du 15 juin 2016.

Les demandeurs donnent ensuite à considérer que le nom de famille serait le symbole marquant de l’attachement d’une personne avec sa famille et que dans le cas de leur fille, son nom de famille démontrerait uniquement qu’elle descend de la famille de son père et non pas de celle de sa mère. Ils estiment dès lors qu’il serait compréhensible que des parents entendent montrer cette appartenance aux deux familles qui serait, pour le surplus, dans l’intérêt de l’enfant.

Au vu de ces considérations, les demandeurs estiment que l’arrêté grand-ducal serait à annuler.

Le délégué du gouvernement conclut quant à lui au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève tout d’abord que le droit au port d’un nom patronymique constitue un droit naturel de l’homme, le nom patronymique étant l’un des attributs de la personnalité.

Or, à travers l’article 1er de la loi du 6 fructitor an II, en vertu duquel aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance, l’Etat garantit à chaque être humain relevant de sa compétence le port d’un nom patronymique, en l’occurrence celui exprimé dans son acte de naissance. Cette garantie comporte l’exception prévue à travers la loi modifiée du 11-21 germinal an XI, en ce que suivant son article 4 « toute personne qui aura quelque raison de changer de nom ou de prénoms en adressera la demande motivée au Gouvernement ». En vertu de l’article 5 de la même loi, le Gouvernement se prononce dans la forme prescrite pour les règlements d’administration publique.

Il résulte de ces dispositions que le principe de fixité du nom patronymique est une règle qui est d’ordre public. Quelle qu’ait été l’évolution sociétale quant au choix du nom à transmettre à l’enfant à la naissance, en cas de reconnaissance ou lors de l’adoption, la fixité est la règle et le changement l’exception1. Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles et pour des raisons importantes qu’un changement de nom peut être accordé2.

1 Cour adm. 26 janvier 2017, n° 38371C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu 2 Trib. adm. 13 novembre 1997, n°9854 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Noms- Prénoms- Domicile- Etat civil, n°5 et les autres références y citées.

Par ailleurs, il échet de relever, d’une part, que suivant la règle de la fixité, sinon de la pérennité du nom patronymique, laquelle participe à l’ordre public, les raisons devant justifier le changement de nom patronymique sont appelées à s’analyser en des circonstances exceptionnelles à énoncer dès la demande adressée au gouvernement, qui doit être dûment motivée. Cette exigence d’une motivation spécifique dès la demande formulée auprès du gouvernement se justifie, d’une part, en raison des circonstances exceptionnelles pouvant seules sous-tendre valablement un changement de nom patronymique et, d’autre part, par le caractère nécessairement éclairé non seulement de l’autorité de décision à travers les avis rendus à son escient par le Conseil d’Etat, ainsi que le procureur d’Etat compétent ensemble le procureur général d’Etat, mais encore dans le chef de ces derniers mêmes3.

D’autre part, il y a encore lieu de rappeler que, de manière générale, dans le cadre de l’analyse d’un recours en annulation, le tribunal est amené à analyser la légalité d’une décision administrative en considération non seulement de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, mais encore dans les circonstances spécifiques se dégageant des dispositions légales régissant les demandes en changement de nom patronymique et notamment celles de la loi modifiée du 11-21 germinal an XI, ce plus particulièrement de son article 4, de sorte que seuls les faits dûment étayés dès la demande en autorisation de changement de nom patronymique, tels que soumis successivement aux instances consultatives, puis à l’autorité de décision, sont à prendre utilement en considération pour apprécier la légalité de la décision rendue.

Il appartient, à cet égard, en tout état de cause aux demandeurs de fournir à l’autorité de décision les éléments nécessaires pour pouvoir apprécier s’il existe des circonstances exceptionnelles ou raisons importantes pour justifier le changement de nom sollicité.

En l’espèce, il se dégage du dossier administratif que dans leur demande parvenue en date du 5 juillet 2016 auprès du ministère de la Justice, les demandeurs ont motivé le changement du nom de leur enfant mineur de « …» en celui de « …» par l’avantage que pourrait tirer leur fille en portant aussi bien un nom tunisien qu’un nom européen, notamment au moment de choisir le pays dans lequel elle entendra vivre une fois devenue majeure.

Si les demandeurs expliquent certes, dans le cadre du recours sous analyse, que leur choix de faire porter à leur fille également le nom de leur mère s’expliquerait par leur volonté de démontrer qu’elle descend non seulement de la famille de son père mais également de celle de sa mère, force est de constater que cette motivation n’a pas été invoquée à l’appui de leur demande entrée en date du 5 juillet 2016 auprès du ministère de la Justice.

Dans la mesure où, tel que relevé ci-avant, dans la présente matière, l’autorité de décision doit préalablement recueillir les avis d’autres instances, en l’occurrence ceux du Procureur d’Etat, du Procureur général d’Etat et du Conseil d’Etat, et que ces organismes ne peuvent émettre un avis éclairé que s’ils sont en possession de tous les éléments sous-tendant la demande de changement de nom leur soumise pour avis, il y a lieu de retenir qu’en l’espèce, les précisions complémentaires quant à volonté de montrer vers l’extérieur un attachement familial équivalent de l’enfant par rapport aux familles respectives de sa mère et de son père, fournies pour la première fois au cours de la procédure contentieuse, ne sauraient être prises en considération dans le cadre du présent recours pour ne pas avoir été invoquées à la base de la 3 Trib. adm. 12 octobre 2005, n° 20084 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Noms- Prénoms- Domicile- Etat civil, n°4 et les autres références y citées.

demande initiale des demandeurs. Il ne saurait, en effet, être reproché à l’autorité administrative de ne pas avoir tenu compte d’éléments qui ne lui ont pas été présentés en temps utile4.

Au vu des conclusions qui précèdent, le tribunal analysera la légalité de l’arrêté litigieux en prenant en considération les seuls éléments de faits portés à la connaissance tant de l’autorité de décision que des instances d’avis, à savoir ceux ayant trait à l’avantage qu’ils estiment que leur fille pourrait tirer du port d’un nom composé au moment de sa majorité.

Le tribunal est tout d’abord amené à relever que le législateur, par le biais de la loi du 23 décembre 2005 relative aux noms des enfants, a mis le nom patronymique de la mère et du père sur un pied d’égalité, l’article 57, alinéa 3, du Code civil introduit par ladite loi du 23 décembre 2005, précisant, en effet, que l’enfant peut acquérir soit le nom de son père, soit le nom de sa mère, soit leurs deux noms, de sorte que le droit de choisir le nom qui est dévolu à l’enfant appartient aux parents, au moment de la naissance de l’enfant, lorsque la filiation d’un enfant est établie simultanément à l’égard de ses deux parents, comme cela a été le cas en l’espèce.

Il résulte, en effet, des travaux parlementaires relatifs à la prédite loi du 23 décembre 2005, que le législateur, en modifiant l’article 57 du Code civil, permettant ainsi aux parents de choisir le nom qu’ils souhaitent attribuer à leurs enfants, a entendu parfaire l’égalité entre les hommes et les femmes en accordant aux deux parents des droits égaux. Le libellé de l’article 57, alinéa 3, en ce qu’il prévoit « lorsque la filiation d’un enfant est établie simultanément à l’égard de ses parents, au plus tard le jour de la déclaration de la naissance, ces derniers choisissent le nom qui lui est dévolu » relate d’ailleurs expressément cette liberté de choix accordée désormais aux parents.

Force est toutefois de relever que l’article 57, alinéa 3, du Code civil traite uniquement de l’attribution du nom de l’enfant par les parents au moment de la naissance, de sorte que cet article ne remet pas en cause la fixité et la pérennité du nom, une fois celui-ci attribué, impliquant que, conformément à l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II et de l’article 4 de la loi modifiée du 14-21 germinal an IX, précités, un changement du nom attribué au moment de la naissance ne peut être autorisé qu’en présence de circonstances exceptionnelles et pour des raisons importantes.

En l’occurrence, il est constant en cause que les demandeurs ont opté, au moment de la naissance de leur enfant, de lui donner le seul nom du père, de sorte qu’ils ne peuvent se voir autoriser à changer ledit nom en un nom composé qu’en fournissant à l’autorité de décision les éléments nécessaires pour pouvoir apprécier s’il existe de telles circonstances exceptionnelles et raisons importantes.

En l’espèce, le tribunal est amené à constater que les demandeurs n’ont fourni aucun motif en relation avec le nom patronymique actuel de leur fille qui serait de nature à s’opposer au maintien de ce dernier.

Ils ne font pas non plus état d’une véritable nécessité de porter un nom composé. En effet, la simple invocation de l’avantage que serait susceptible de constituer un nom composé au moment où leur fille choisira le pays dans lequel elle souhaitera vivre une fois devenue 4 Trib. adm. 13 juin 2012 n° 29126 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Recours en annulation, n°19 et les autres références y citées.

majeure ne saurait suffire au regard des critères jurisprudentiels précités exigeant des circonstances exceptionnelles ou des raisons importantes pour justifier un changement de nom.

C’est dès lors à bon droit qu’il a été retenu dans la décision litigieuse que les motifs invoqués à la base de la demande de changement de nom patronymique ne sauraient s’analyser en des circonstances exceptionnelles, respectivement en des raisons importantes susceptibles de déroger à la fixité du nom et de justifier le changement de nom tel que sollicité.

Il s’ensuit, et à défaut d’autres moyens, que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juillet 2018 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, attaché de justice, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9.7.2018 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 39815
Date de la décision : 09/07/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-07-09;39815 ?

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