Tribunal administratif N° 39794 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2017 2e chambre Audience publique du 25 juin 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39794 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2017 par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement, aux termes de son dispositif, à la réformation « de la décision du Ministre du 29 mai 2017 » et à l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte et subsidiairement à l’annulation « de la décision du 29 mai 2017 » ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 août 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Tony Pereira, en remplacement de Maître Michel Karp, et Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 mars 2018.
Le 14 octobre 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Le 10 novembre 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
1 Le 11 novembre 2016, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 29 mai 2017, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait rejeté sa demande de protection internationale comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Ladite décision est libellée de la façon suivante :
« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez déposée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 14 octobre 2015.
Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 14 octobre 2015.
Il ressort dudit rapport que vous êtes entré de façon illégale dans l'Union européenne.
Monsieur, vous prétendez qu’en septembre 2015 vous vous seriez rendu à …/Turquie en avion, à partir de …. … vous vous seriez déplacé à … où vous auriez rencontré un passeur, auquel vous auriez payé la somme de … dollars afin qu’il vous navigue par la voie maritime en Grèce. De là, vous auriez continué votre périple jusqu’au Luxembourg en passant par la Serbie, la Croatie, la Hongrie, l'Autriche et l'Allemagne.
Vous expliquez que vous auriez fui votre pays d'origine, du fait que vous auriez été menacé par un groupe armé. Vous ajoutez également que vous auriez échappé à la mort à deux reprises lorsque des voitures piégées auraient explosé à côté de vous. Vous déclarez que lors d'une de ces explosions vous auriez été blessé au niveau du coude et de la tête.
Vous précisez encore que vous n'auriez jamais été engagé politiquement. De plus, vous ne seriez pas en contact avec des associations militaires, oppositionnelles où terroristes.
Vous ne présentez aucun document d'identité irakienne, et vous déclarez que vous auriez perdu toutes vos affaires, y inclus vos documents, durant votre voyage.
Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d'entretien Dublin III du 10 novembre 2015 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 11 novembre 2016 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté l’Irak à cause de la situation sécuritaire précaire du pays. En effet, vous expliquez que vous auriez travaillé en tant que chauffeur de taxi, lorsque qu'en date du 14 août 2015, lors d'une course en taxi, deux voitures piégées auraient explosé à quelques mètres de vous. Vous déclarez que « le souffle de l'explosion a fait que toutes les voitures aux alentours ont été touchées par les éclats. Même 2mon taxi a été projeté et j'ai été blessé dans mon bras droit, ainsi qu'à ma tête » (p.4/11 du rapport d'entretien).
Vous indiquez qu'après l'explosion, vous vous seriez retrouvé, traumatisé, à l'hôpital où vous auriez reçu des soins afin de nettoyer et de suturer vos blessures. Vous indiquez que plus tard, votre cousin vous aurait raconté que votre voiture aurait été complètement démolie et brûlée, y compris vos papiers qui se seraient trouvés dans la voiture. Selon vos dires, vous auriez porté plainte auprès du bureau de lutte antiterroriste.
Vous continuez vos dires en évoquant qu'après votre rétablissement, votre cousin … vous aurait proposé de venir travailler chez lui dans un petit commerce dans la rue marchande à …, ce que vous auriez accepté. Cependant, vous indiquez que vous n'auriez travaillé que deux mois là-bas, puisque de nouveau, des voitures piégées auraient explosé, cette fois-ci à proximité du commerce de … et vous auriez subi un choc. Selon vos dires, vous auriez arrêté de travailler et durant quelques mois, vous n'auriez plus osé de sortir de votre maison.
Vous ajoutez encore que quelques jours après que vous auriez commencé à travailler chez … au magasin, des miliciens de la milice … seraient venus vous questionner concernant votre identité et vos origines, puisque « je me suis retrouvé à …, qui n'est pas mon quartier et bien sûr j'étais tout de suite un étranger louche pour eux » (p.5/11 du rapport d'entretien).
Vous mentionnez que ladite milice vous aurait imposé de lui payer une taxe de protection de … dinars chaque mois.
Après cette période de choc, vous auriez repris votre travail en tant que chauffeur de taxi, en évitant toutes les zones où il y avait trop de monde. Malencontreusement, en août 2015, vous auriez été témoin d'un triple meurtre durant un trajet de taxi. En effet, vous proclamez que sur votre chemin de retour, une Mercedes aurait circulé devant vous et « tout d'un coup, des balles ont été tirées en direction de la Mercedes devant moi […] une autre voiture, puissante de couleur blanche avec des vitres teintées noires et sans plaques d'immatriculation, a coupé la route de la Mercedes. Ils ont criblé de balles la Mercedes et ils ont tué les occupants » (p.6/11 du rapport d'entretien).
Vous précisez que vous seriez directement rentré chez vous et vous ne seriez plus sorti de la maison. Vous indiquez que suite à cet incident, vous auriez décidé de quitter définitivement l'Irak.
Pour étayer vos dires, vous avez remis :
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des copies de vingt-neuf photos, -
des copies de dix documents rédigés en langue arabe, -
un certificat médical, établi au Luxembourg par le Dr … en date du 2 novembre 2016, concernant vos blessures.
Enfin, il ressort du rapport d'entretien du 14 octobre 2016 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.
3Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi précitée du 18 décembre 2015, votre demande de protection internationale est évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
Soulignons dans ce contexte que l'examen et l’évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.
1. Quant à la Convention de Genève Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.
Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 a) de la loi 18 décembre 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42(1) de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.
Selon l'article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.
* En l'espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amené à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par l'un des critères de fond défini par lesdites Convention de Genève et loi du 18 décembre 2015.
Monsieur, vous avez indiqué que vous auriez quitté l'Irak à cause de la situation sécuritaire précaire du pays. En effet, il ressort de votre récit, qu'à deux reprises en 2015, vous auriez figuré comme une des victimes d'attentats aveugles, des voitures piégées ayant explosé. Heureusement, vous n'auriez subi des blessures que lors de la première explosion.
Toutefois, vous auriez été complétement déstabilisé et traumatisé après ces attentats, au point de vous enfermer dans la maison durant des mois. De plus, vous indiquez que vous auriez été témoin d'un triple meurtre lors d'un trajet de taxi. Ce dernier indicent aurait fait déborder le vase et vous auriez décidé de quitter définitivement l'Irak.
Il convient tout d'abord de soulever, qu'il n'aurait existé aucun lien de causalité entre ces trois incidents et que votre personne n'aurait pas été la cible de ces attentats. En effet, il est regrettable de dire que vous vous seriez trouvé au mauvais endroit au mauvais moment.
4En tenant compte de ce qui précède, il convient de dire que, dans votre cas bien précis, un sentiment latent de tensions et de malaise a certainement pu exister dans votre chef du fait des évènements subis et que vous avez eu de la chance d'avoir eu la vie sauve.
Nonobstant, un tel sentiment de peur et d'insécurité ne répond cependant pas aux exigences posées par la Convention de Genève quant à la gravité des actes pour pouvoir valoir utilement comme actes de persécution donnant accès au statut de réfugié.
Dans le même ordre d'idées, on peut légalement conclure que vos motifs se traduisent plutôt par un sentiment général d'insécurité que par une crainte de persécution. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte fondée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social n'a pu être établie en espèce.
* Par ailleurs, il se dégage donc votre récit que votre départ de l'Irak aurait également été motivé par des raisons économiques. En effet, vous déclarez que « je n'avais plus d'avenir là-bas, parce que je ne voyais pas comment je pourrais avoir un emploi stable. Alors j'ai décidé de quitter mon pays » (p.6/11 du rapport d'entretien).
Il faut cependant souligner que des motifs économiques ne sauraient fonder une demande de protection internationale parce qu'ils ne tombent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève ou de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire. Il s'agit là de motifs sans aucun lien avec l'un des critères définis dans la Convention de Genève, qui garantit une protection internationale à toute personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa nationalité, de sa religion, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Votre souci à trouver un emploi stable et partant une expectative de vie saine ne saurait donc pas être pris en compte dans le cadre de votre demande de protection internationale.
* Monsieur, en ce qui concerne votre rencontre avec les miliciens de …, il convient de mentionner que, même si vous aviez été contraint à leur payer une somme de … dinars irakiens le premier mois, il s'agit là en l'occurrence d'un payement unique du fait qu'après le deuxième attentat vous auriez démissionné votre travail en tant que vendeur dans le magasin de votre cousin. De plus, il ne ressort pas de vos dires que la milice aurait voulu vous retrouver après votre démission ou bien qu'elle vous aurait menacé afin de continuer l'extorsion.
* En conclusion, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 42 et 43 de la loi précitée du 18 décembre 2015.
5Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
2. Quant à la protection subsidiaire L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 48 de la loi précitée du 18 décembre 2015, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous craindriez de devenir victime d'un attentat aveugle en cas de retour dans votre pays d'origine. Vous citez « je n'ai pas envie d'être handicapé à cause des attentats dans mon pays » (p. 8/11 du rapport d'entretien) Toutefois il convient de soulever que de nos jours, le risque d'attentats aveugles ne se limite pas seulement à l'Irak, ou les pays du Moyen Orient, mais il y a lieu de constater que, depuis plusieurs années, il existe un risque réel et accru d'attentats en Europe, qu'il s'agisse d'attaques simultanées comme celles qui ont ensanglanté Paris et Bruxelles ou d'initiatives de « loups solitaires » comme celui Nice, Berlin, Manchester et à Stockholm.
Pour ce qui est de …, il appert que la ville n'est pas en état de conflit permanent et il ne s'agit pas d'une zone de conflit dans laquelle toute personne originaire de la capitale ferait l'objet de violences aveugles. La ville n'est pas assiégée par l'Etat Islamique, la vie publique à … continue de fonctionner et se trouve sous le contrôle des autorités irakiennes. Ces constatations sont confirmées par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (C.G.R.A.) et acceptées par le Conseil du contentieux des étrangers (C.C.E.) du Royaume de Belgique.
Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.
* Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
6 Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l’Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2017, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, aux termes de son dispositif, principalement à la réformation « de la décision du ministre du 29 mai 2017 » et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, et subsidiairement à l’annulation « de la décision du ministre du 29 mai 2017 ».
A titre liminaire, étant donné que lors de l’audience publique du 5 mars 2017 sur question afférente du tribunal, le litismandataire de Monsieur … n’a pu apporter de précision sur la décision du ministre du 29 mai 2017 exactement visée par la demande de réformation, le tribunal est amené, à la lecture du corps de la requête et du dispositif, à retenir que le litismandataire se réfère, en mentionnant « la décision du ministre du 29 mai 2017 », à la seule décision refusant la protection internationale à Monsieur … et a dès lors entendu introduire principalement un recours en réformation et subsidiairement un recours en annulation contre cette décision, ainsi qu’un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours tendant à la réformation, sinon l’annulation de la décision ministérielle du 29 mai 2017 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 29 mai 2017, telle que déférée.
Ledit recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique être né à … et être de confession chiite. Il aurait exercé le métier de chauffeur de taxi. Lors d’une course en août 2014, il se serait trouvé à l’arrêt dans une file de véhicules, lorsqu’à quelques mètres, une voiture piégée aurait explosé. La force de la déflagration aurait détérioré son véhicule et il aurait alors entrepris d’en sortir. Il aurait alors entendu des coups de feu et se serait allongé au sol. Lorsqu’une deuxième détonation aurait eu lieu, les débris projetés sur lui l’auraient blessé à la tête et au bras. Il aurait alors perdu connaissance et se serait réveillé à l’hôpital, où il aurait été soigné.
Après cet épisode traumatisant, et faute de véhicule, il aurait abandonné son métier.
Son cousin lui aurait alors proposé de travailler avec lui dans le quartier …. Dès les premiers jours, les miliciens de la zone, qui appartiendraient à la milice …, lui auraient posé des questions sur son lieu de provenance. Ils lui auraient également indiqué que pour pouvoir jouir de la protection qu’ils lui fourniraient, il devrait s’acquitter d’une somme de … dinars. Il aurait payé à une seule reprise avant qu’une explosion se produise dans la rue où se trouvait le 7commerce de son cousin et endommage une partie de celui-ci. Il aurait de nouveau abandonné l’idée de travailler et se serait enfermé chez lui.
Encouragé par son père, il aurait, quelques mois après être resté à la maison, décidé de reprendre son métier de chauffeur de taxi en août 2015. Pendant son retour d’une course, il aurait été témoin d’une scène lors de laquelle un véhicule se serait mis en travers du chemin d’un autre. Les personnes se trouvant dans le premier en seraient descendues et auraient abattu à coups de feu les occupants du second véhicule. Le demandeur indique que ce dernier évènement l’aurait définitivement poussé à quitter l’Irak où il n’aurait pas pu vivre en sécurité et travailler.
En droit, Monsieur … reproche, tout d’abord, au ministre de ne pas avoir motivé sa décision et d’avoir renvoyé aux critères de l’article 2 a) de la loi du 18 décembre 2015 qui lui-
même renvoie à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-
après désignée par « la Convention de Genève », et demande la réformation pour défaut de base légale.
Il y a lieu de constater que le ministre a dans un premier temps indiqué que l’octroi du statut de réfugié est soumis, notamment, à la condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 a) de la loi du 18 décembre 2015, qui renvoie effectivement à la Convention de Genève dans son ensemble.
Cependant, dans le paragraphe qui suit celui remis en cause par le litismandataire du demandeur, le ministre a également précisé les critères de fond « selon l’article 1A paragraphe 2 de ladite Convention » qu’il a, ensuite, énumérés.
En outre, le ministre s’est également basé sur les articles 42 (1) et 39 de la loi du 18 décembre 2015 - articles qui ont été, d’ailleurs, repris par le litismandataire dans son recours-, ainsi que sur les articles 2 p), 41, 43 et 48 de la même loi.
Il ressort de ces constatations que, pour le cas où le demandeur a voulu par le prédit moyen soulever un moyen de légalité externe, à savoir le défaut de motivation, le tribunal constate que la décision déférée contient un résumé des motifs de la demande de protection internationale de Monsieur …, tels que ressortant de son entretien du 11 novembre 2016 et qu’elle énonce de façon détaillée, dispositions légales à l’appui, les raisons pour lesquelles le ministre estime que ces motifs ne seraient pas de nature à justifier l’octroi d’une protection internationale. La demande de Monsieur … ayant ainsi fait l’objet d’un examen individuel et la décision mentionnant les bases légales sur lesquelles le ministre s’appuie, l’argumentation en sens contraire du demandeur encourt le rejet.
Dans l’hypothèse où le demandeur a entendu contester la légalité interne de la décision pour défaut de base légale du fait que la référence à l’article 2 a) de la loi du 18 décembre 2015 serait erronée, il découle des prédites observations que le ministre a indiqué à suffisance les articles applicables à la situation de Monsieur …, notamment les articles 2 a), 2 p), 39, 41, 42 (1), 43 et 48 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que la Convention de Genève, textes définissant les critères à remplir pour bénéficier d’une protection internationale, de sorte que le moyen du demandeur vient à manquer en fait.
Le moyen est, partant, à rejeter dans son ensemble pour être non fondé.
8Quant au fond, aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié (a) et au statut conféré par la protection subsidiaire (b).
a) Quant au statut de réfugié En l’espèce, le demandeur relève que les faits qu’il a relatés lors de son audition seraient suffisamment graves au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, alors qu’il serait une victime « de la politique actuelle iraquienne » et « du système des milices qui consiste à racketter, menacer et tuer ou blesser les personnes ».
Il estime que les milices seraient légalisées depuis une loi du 26 novembre 2016 et que la force de mobilisation populaire dénommée « … » ferait partie intégrante de l’Etat et serait sous son autorité. De ce fait, il ne pourrait prétendre à aucune protection contre leurs agissements.
Monsieur … précise encore qu’il n’aurait jamais évoqué de motifs économiques lors de son entretien. Il relève a cet égard que le ministre aurait déformé ses propos et aurait tiré des conclusions hâtives de la simple constatation qu’il aurait faite lors de son audition selon laquelle il n’aurait pas pu travailler en raison des évènements qu’il aurait vécus.
Enfin, il donne à considérer qu’il ne pourrait bénéficier de la fuite interne au sens de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015, étant donné que l’Irak serait un pays en guerre « où la sécurité [ferait] défaut à chaque coin de rue ». A l’appui de ses affirmations, il cite un rapport d’Amnesty International de 2016/2017 sur la situation des droits humains dans le monde pour conclure qu’il lui serait impossible de retourner en Irak.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en reprenant en substance la décision ministérielle attaquée. Concernant les évènements relatés par le demandeur, il insiste sur le fait que ce dernier aurait quitté son pays d’origine en raison de la situation générale. Il renvoie, à cet égard, aux trois incidents qui se sont produits lorsque le demandeur se trouvait sur le territoire irakien et lors desquels il n’aurait pas été personnellement et directement visé.
La partie étatique en déduit que ces faits traduiraient un sentiment général d’insécurité n’entrant pas dans le champ d’application de la Convention de Genève.
En ce qui concerne l’extorsion réalisée par des miliciens, la partie étatique relève qu’aucun élément permettrait de penser que celle-ci serait liée à un des critères mentionnés dans la Convention de Genève et qu’elle ne serait pas, en tout état de cause, suffisamment grave, de sorte qu’elle ne justifierait pas l’octroi d’une protection internationale. Elle ajoute qu’il s’agirait d’une infraction de droit commun et que, le demandeur n’ayant à aucun moment requis de protection auprès des autorités irakiennes, il ne prouverait pas, en conséquence, que celles-ci seraient incapables de lui offrir une protection appropriée.
Le délégué du gouvernement conclut que ce serait à bon droit que le ministre lui aurait refusé le statut de réfugié.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui 9ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».
Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et l’article 40 de la même loi dispose que : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».
10 Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Tout d’abord, en ce qui concerne l’incident l’ayant directement et personnellement touché, à savoir le fait d’avoir été obligé de verser la somme … dinars irakiens à des membres d’une milice, le tribunal partage la conclusion de la partie étatique selon laquelle il n’existe aucun élément permettant de retenir que ceux-ci ont agi en raison de la race, de la religion, de la nationalité, des opinions politiques ou encore de l'appartenance du demandeur à un certain groupe social. Ce dernier affirme, en effet, lors de son audition que les miliciens « (…) viennent dans la rue marchande et ils rackettent tous les gens. Ils prélèvent cet argent en disant que c’est pour assurer notre protection. Si quelqu’un refuse de payer, soit ils brûlent son commerce, soit ils lui volent ses marchandises. »1. Il en découle que les miliciens ont agi sans égard aux caractéristiques personnelles du demandeur, ni même celles des autres commerçants, mais uniquement dans un but de lucre.
Concernant, ensuite, les trois attaques qui ont eu lieu en 2014 et 2015, si le demandeur a été effectivement blessé lors de l’attaque en 2014, force est au tribunal de constater que ce dernier n’établit pas le risque réel d’être à nouveau victime de faits semblables en raison de circonstances ayant un lien avec les critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015. En effet, dans la mesure où le demandeur a précisé lors de son audition s’être retrouvé de manière purement fortuite sur les lieux lorsque les prédits évènements se sont produits, ces actes n’ont aucun lien avec sa situation personnelle. Par ailleurs, Monsieur … reste en défaut de démontrer que ces attaques ont un quelconque lien avec la race, la religion, 1 Page 7 de son rapport d’audition.
11la nationalité, les opinions politiques ou encore l'appartenance des victimes à un certain groupe social, et qu’il partagerait les mêmes particularités que ces dernières permettant de retenir qu’il risquerait également de subir des actes similaires.
Le tribunal est ainsi amené à conclure que les craintes du demandeur ne rentrent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève, en ce que ni l’unique extorsion de la part des miliciens, ni les trois attaques ne sont fondées sur l’un des motifs de persécutions prévues à l'article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015.
Dans ces conditions, le recours pour autant qu'il est dirigé contre le refus du ministre d’accorder au demandeur le statut de réfugié est à déclarer comme étant non fondé.
b) Quant au statut conféré par la protection subsidiaire Quant à ce volet de la décision litigieuse, le demandeur estime que les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire seraient remplies dans son chef. Il ajoute encore qu’un risque d’atteintes graves existerait dans son chef et qu’elles proviendraient de l’Etat irakien sinon d’une organisation - à savoir, la milice - qui contrôlerait celui-ci ou une partie importante de son territoire.
Il expose encore qu’en raison d’une violence aveugle dans son pays, il devrait bénéficier d’une protection subsidiaire, et cite à cet égard un arrêt de la Cour nationale du droit d’asile français du 11 avril 2016, portant le numéro 15018700, dans lequel il a été retenu qu’il existait en Irak des violences aveugles commises dans le cadre d’un conflit armé interne.
Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ce volet de la demande de protection internationale. Il réitère les développements de la décision ministérielle et fait valoir que la situation existant actuellement en Irak ne saurait être qualifiée de conflit armé interne présentant des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle. Il renvoie à ce propos à l’arrêt de la Cour administrative du 7 mars 2017, inscrit sous le numéro 38697C du rôle, dont l’analyse serait toujours pertinente.
Il cite également plusieurs jugements de juridictions européennes, notamment un jugement du « Bundesverwaltungsgericht » autrichien du 2 juin 2017 et un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belge du 27 avril 2017, pour conclure que le fait d’être originaire d’Irak ne justifierait pas automatiquement l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.
Il ajoute, plus particulièrement quant à la situation sécuritaire de …, ville d’origine du demandeur, qu’il n’y aurait pas de violences aveugles et qu’une vie civile y serait tout à fait possible. Il cite à cet égard l’analyse du Conseil du contentieux des étrangers belge dans laquelle il a été retenu que la vie publique ne se serait pas arrêtée à … malgré les risques sécuritaires. Le délégué du gouvernement ajoute encore que dans le quartier de … à …, où aurait vécu le demandeur, de nombreux hôtels, restaurants, commerces, centre commercial, mosquées, établissement d’enseignements primaires et secondaires seraient toujours ouverts.
Une base militaire, une administration municipale, des banques et un hôpital pour enfants y seraient également établis. Il en conclut qu’il ne saurait être retenu qu’un conflit armé caractérisé par une violence aveugle existerait à …, d’autant plus qu’il ne serait rien arrivé aux parents du demandeur, ni à son frère et ses sœurs, qui seraient restés vivre dans ledit quartier.
La partie étatique estime également que Monsieur … ne ferait ni état d’une condamnation à la peine de mort ou d’une exécution découlant d’une telle condamnation, ni 12avoir subi des atteintes graves équivalentes à un traitement inhumain et dégradant à la lumière de l’interprétation faite par la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après désignée par « la CourEDH », de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par « la CEDH », dans un arrêt du 18 janvier 1978 dans l’affaire « Irlande contre Royaume-Uni ». Il en conclut que ce serait à bon droit que la protection subsidiaire aurait été refusée à Monsieur ….
Il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi dispose que les atteintes graves doivent être définies comme suit : « a) la peine de mort ou l’exécution ;
b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ;
c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande 13de reconnaissance du statut de réfugié, à savoir, être victime du « système des milices » ou d’un attentat.
Etant donné qu’il ne ressort pas de l’audition du demandeur qu’il aurait été ou pourrait être condamné à la peine de mort ou exécuté tel que mentionné à l’article 48 a), que le racket par une milice, dont il a fait l’objet à une seule reprise, ne répond pas aux critères définis à l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, précité, et que le demandeur ne démontre pas qu’il risquerait de faire l’objet d’autres atteintes graves de la part de miliciens en cas de retour, il y a lieu de vérifier si les violences commises sur le territoire irakien, mises en exergue par le demandeur dans sa requête introductive d’instance, entrent dans le champ d’application de l’article 48 c) et si ce dernier établit qu’il existe dans son pays d’origine « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
A cet égard, si la Cour administrative a retenu dans des arrêts récents, en prenant en compte les éléments d’espèce, que « (…) la situation de sécurité était et reste dangereuse et précaire dans différentes parties de l'Irak, dont en particulier la ville de …, étant donné que les incidents violents continuent d’être nombreux et largement répandus. Si les derniers chiffres dont la Cour dispose témoignent indubitablement de nombreuses victimes dans la ville de … où les époux (…) ont vécu avant son départ, à savoir 86 civils tués dans des attentats au mois de mai 2017, 22 au courant du mois de juin 2017 et 38 au courant du mois de juillet 2017, et si le sort de chacune de ces victimes est en soi une tragédie épouvantable, il n’en reste pas moins que ces chiffres doivent être mis en relation avec le nombre total de la population vivant à …, à savoir environ 8 millions d’habitants. Or, sur base de la mise en relation du nombre des victimes d’incidents violents avec la population totale, il n’appert pas que la simple présence d’un individu à …, l’expose ipso facto, avec un degré de probabilité certain, à des menaces individuelles graves. Ainsi, le seul fait d'être originaire d'Irak et, plus particulièrement, de … n’est pas un élément justifiant à lui seul et automatiquement l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire. (…) »2, il y a tout de même lieu de vérifier, si à l’heure actuelle - la situation étant, telle que soulignée par la Cour administrative, précaire en Irak -, un conflit armé interne lors duquel des violences aveugles sont exercées existe dans le prédit pays au moment où le tribunal statue.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé dans ce contexte, dans l’arrêt du 17 février 2009, « Elgafaji c. Pays-Bas », numéro C-465/07, que « (…) l’article 15, sous c), de la directive, lu en combinaison avec l’article 2, sous e), de la même directive, doit être interprété en ce sens que:
- l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne du demandeur de la protection subsidiaire n’est pas subordonnée à la condition que ce dernier rapporte la preuve qu’il est visé spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle;
- l’existence de telles menaces peut exceptionnellement être considérée comme établie lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours, apprécié par les autorités nationales compétentes saisies d’une demande de protection subsidiaire ou par les juridictions d’un État membre auxquelles une décision de rejet d’une telle demande est déférée, atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil 2 Cour administrative, arrêts du 7 décembre 2017 inscrits sous les numéros de rôle 39992C, 40005C et 39944C, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
14renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir lesdites menaces. ».
Elle a également retenu, en son considérant 39, que « (…) plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire ».
Elle a, par ailleurs, défini les violences aveugles, notamment dans les considérants 34 et 35, comme étant des violences qui s’étendent à des civils sans considération de leur situation personnelle ou de leur identité.
Ainsi, il convient d’ores et déjà de relever que, contrairement à l’analyse préconisée par la partie étatique, le tribunal ne doit pas, dans le cadre de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, rechercher au cas par cas si la situation personnelle et individuelle du demandeur est telle qu’il se trouverait exposé à des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine.
En effet, il ressort de l’arrêt « Elgafaji c. Pays-Bas » précité que, (i) dans un premier temps, le demandeur doit démontrer que la situation est telle que tout civil, quels que soient son identité, son vécu, ses caractéristiques personnelles – d’où le terme « aveugle » suivant le mot « violence » – est exposé à des violences par le simple fait de se trouver sur le territoire où celles-ci sont exercées, (ii) si le demandeur prouve que ces violences existent mais n’atteignent pas un degré exceptionnel, il doit démontrer que des éléments propres à sa situation personnelle aggravent dans son chef le risque de subir ces violences, par exemple dans le cas d’une personne particulièrement vulnérable.
Le conflit armé interne a été, par la suite, défini par la CJUE dans son arrêt du 30 janvier 2014, « Diakité c. Belgique », numéro C-285/12, et plus particulièrement en son considérant 35, de la manière suivante : « (…) lorsque les forces régulières d’un État affrontent un ou plusieurs groupes armés ou lorsque deux ou plusieurs groupes armés s’affrontent, sans qu’il soit nécessaire que ce conflit puisse être qualifié de conflit armé ne présentant pas un caractère international au sens du droit international humanitaire et sans que l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence ou la durée du conflit fasse l’objet d’une appréciation distincte de celle du degré de violence régnant sur le territoire concerné. ».
En d’autres termes, une protection subsidiaire sera accordée en vertu de l’article 48 c) précité, (i) si le demandeur de protection internationale démontre l’existence d’un conflit armé interne, à savoir de graves affrontements entre l’Etat et un ou des groupes armés ou entre différents groupes armés sur le territoire de son pays d’origine, sa région d’origine ou celle où il s’est établi avant sa fuite, et (ii) s’il soumet la preuve que les violences découlant du prédit conflit touchent les civils sans aucune considération personnelle et ont un niveau si élevé que le simple fait d’être présent sur ledit territoire, ou dans la région dont il est originaire ou qu’il a fui, l’exposerait à un risque réel de subir les prédites atteintes graves, sinon que des éléments propres à sa situation personnelle aggravent dans son chef le risque de subir des atteintes graves du fait de violences aveugles qui n’ont pas atteint un degré exceptionnel.
En ce qui concerne l’existence du conflit armé interne et l’existence de violences aveugles, le tribunal a été amené à constater dans un jugement du 7 mai 2018, portant le 15numéro 39495 du rôle, que les habitants du Nord et du centre de l’Irak, et surtout ceux de … continuent inlassablement d’être victimes, et ce, de manière régulière, de violences aveugles dans le cadre d’un conflit armé interne. Il a ensuite conclut que la situation prévalant dans ces zones a pour conséquence de générer des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne des civils qui y vivent, en raison de violences aveugles commises dans le cadre d’un conflit armé interne, au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 20153.
Au vu des pièces et éléments lui soumis en cause, le tribunal n’aperçoit aucune raison de se départir de la solution ainsi retenue, et ce d’autant plus que le demandeur a été personnellement victime, et ce à deux reprises, d’attentats à la voiture piégée ayant eu lieu à ….
Par conséquent, dans la mesure où il a été retenu qu’un conflit armé interne entraînant des violences aveugles a lieu au Nord et au centre de l’Irak, et plus particulièrement à …, -
ville d’origine du demandeur -, une fuite interne y est, par principe, en tout état de cause impossible, de sorte que le demandeur ne peut se réinstaller à l’intérieur du quartier de … de …, contrairement aux affirmations de la partie étatique.
Etant donné que le ministre, sur lequel repose la charge de la preuve, reste, en outre, en défaut de rapporter l’existence d’une région ou d’une ville irakienne dans laquelle le demandeur pourrait se réinstaller en toute sécurité, une fuite interne ne peut raisonnablement être envisagée pour lui.
Il suit des considérations qui précèdent que le demandeur est confronté à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, en cas de retour à …, de sorte qu’il y a lieu de lui octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire.
2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 29 mai 2017 portant ordre de quitter le territoire Force est au tribunal de constater que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire.
Les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation étant a priori à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours introduit, ainsi que son objet, tel que circonscrits dans le dispositif de la requête introductive d’instance, il y a lieu de relever, au vu de la demande y formulée tendant à voir annuler la décision portant ordre de quitter le territoire, que le recours, en dépit de la possibilité plus large et plus favorable à l’administré d’un recours en réformation prévue par la loi, tend à la seule annulation de la décision précitée.
Or, si dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité4, ce qui est le cas en l’espèce étant donné que le demandeur sollicite l’annulation de l’ordre de quitter le territoire en invoquant le bien-fondé de son recours introduit à l’encontre de la décision de refus de protection internationale.
3 Trib. adm., 7 mai 2018, n° 39495 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu 4 Trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693, Pas. adm. 2017, V° Recours en réformation, n° 2.
16Le recours en annulation est dès lors recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours contre l’ordre de quitter le territoire qui découlerait du rejet de la demande de protection internationale sous examen.
Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur est fondé à se prévaloir du statut conféré par la protection subsidiaire et que la décision de refus de la protection internationale est à réformer en ce sens, il y a lieu, en conséquence, d’annuler l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle déférée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 29 mai 2017 rejetant la demande de protection internationale de Monsieur … ;
au fond, le déclare partiellement justifié ;
partant, par réformation de la décision ministérielle déférée du 29 mai 2017, accorde à Monsieur … le statut conféré par la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile pour exécution ;
pour le surplus, déboute le demandeur de son recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 29 mai 2017 portant refus d’une protection internationale ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 29 mai 2017 ordonnant à Monsieur … de quitter le territoire ;
au fond, le déclare justifié ;
partant annule la décision ministérielle ordonnant au demandeur de quitter le territoire dans un délai de trente jours ;
donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
17 condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Hélène Steichen, juge, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 25 juin 2018 par le juge Hélène Steichen en présence du greffier assumé Lejila Adrovic.
s. Lejila Adrovic s. Hélène Steichen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 juin 2018 Le Greffier du Tribunal administratif 18