Tribunal administratif N° 39639 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mai 2017 1re chambre Audience publique du 11 juin 2018 Recours formé par la société à responsabilité limitée … SARL, … contre un arrêté du ministre de la Culture, en matière de protection des sites et monuments nationaux
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39639 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2017 par Maître Jean-Paul Noesen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée … SARL, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, tendant à la réformation sinon l’annulation d’un arrêté du ministre de la Culture du 30 mars 2017 proposant les immeubles sis …, inscrits au cadastre de la commune de …, section HC de …, sous le numéro …, au classement comme monument national en raison de leur intérêt historique, architectural et esthétique ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2017 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2017 par Maître Jean-Paul Noesen au nom de la société à responsabilité limitée … SARL, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean-Paul Noesen et Madame le délégué du gouvernement Jeannine Dennewald en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 mai 2018.
Par acte notarié du 18 décembre 2014, la société à responsabilité limitée … SARL, ci-
après désignée par « la société … », acquit les immeubles sis à …, aux numéros ….
Par courrier recommandé du 30 mars 2017, le ministre de la Culture, ci-après désigné par « le ministre », informa la société … qu’une procédure de classement comme monument national des immeubles sis … à … avait été engagée d’urgence, tout en annexant audit courrier son arrêté du même jour proposant le classement comme monument national des immeubles en question.
L’arrêté ministériel du 30 mars 2017 proposant au classement comme monument national en raison de leur intérêt historique, architectural et esthétique les immeubles précités est libellé comme suit :
« […] Art. 1.- Sont proposés au classement comme monument national en raison de leur intérêt historique, architectural et esthétique, les immeubles sis …, inscrits au cadastre de la commune de …, section HC de …, sous le numéro … appartenant à la société ….
Art. 2.- L'intérêt historique, architectural et esthétique est motivé comme suit :
Les immeubles sis … à … forment un bel ensemble implanté en perpendiculaire par rapport à la rue et devancé par une grande cour. L’ensemble se compose de deux maisons d’habitation et d’une annexe agricole au centre faisant partie de la maison de gauche. En effet, les bâtisses sont implantées dans un même alignement et sous un même toit de façon à former un imposant gabarit, y compris la toiture à croupettes, qui est tout à fait caractéristique de l’architecture traditionnelle rurale.
L’ensemble est déjà inscrit sur la carte de Ferraris datant 1771 à 1777. En outre, il est reconnaissable sur le « Urkadaster » de 1824. La maison de droite (n°4) porte le millésime 1792, mais ses caractéristiques architecturales laissent présumer qu’elle est plus ancienne, au moins en ce qui concerne ses bases. La maison de gauche remonte à la fin du XVIIIe siècle, même si divers éléments décoratifs datent plutôt d’un remaniement du milieu du XIXe siècle. Il est probable que cette bâtisse ait également des bases plus vieilles.
La maison n°4 s’élève sur deux niveaux sur caves voûtées. La façade sur cour se divise en quatre travées, dont celle de droite est beaucoup plus à l’écart. Sur l’ « Urkadaster » cette partie était apparemment une parcelle cadastrale séparée ; il s’agissait vraisemblablement d’une maison séparée à l’époque. Les encadrements en arcs surbaissés sont, par leurs formes et tailles, caractéristiques pour l’architecture du XVIIIe siècle. L’entrée est surmontée d’une baie d’imposte, également en arc surbaissé. Le linteau porte la date de 1792. L’énorme pignon est divisé en trois travées, dont les baies avec leurs encadrements ressemblent à celles de la façade principale. Les ouvertures de la façade postérieure sont également dans le même style.
La maison n°6 s’élève sur deux niveaux surmontés par un demi-niveau d’ouvertures d’aération de forme circulaire. La façade est divisée en trois travées, dont la travée centrale comporte l’entrée. Les encadrements sont simples, en arc surbaissé avec une clé de voûte centrale, ce qui est caractéristique pour l’architecture du XVIIIe siècle. Les parties chanfreinées, de même que le bandeau sous les appuis de fenêtre, le socle et les chaînages décoratifs sont probablement des ajouts ultérieurs. Malheureusement, la saillie de l’avant-toit est trop prononcée depuis le dernier renouvellement de la toiture. L’annexe agricole présente vers la cour des ouvertures typiques pour ce genre de bâtiment, telles que porte et fenêtres d’étable. De surcroît, la façade postérieure de cet immeuble se distingue par un élément de l’architecture rurale traditionnelle de l’Oesling, qui devient de plus en plus rare, à savoir une grange d’étage ou grange surélevée (Héichscheier), accessible par une rampe (Scheierbreck).
A l’intérieur, les deux maisons présentent encore diverses structures bâties historiques de même que certains éléments décoratifs de l’époque.
En général, les bâtiments se distinguent par leur imposant volume qui est simple mais bien proportionné et qui s’intègre parfaitement dans le tissu urbain. Les façades présentent des agencements harmonieux et biens rythmés. Car, même si les divisions ne sont pas régulières, les façades sont bien proportionnées, c’est-à-dire que les rapports entre les pleins et les vides, entre les hauteurs et les largeurs des différents éléments de l’élévation se respectent.
Situés dans le noyau historique du village, les bâtiments sont des témoins très importants pour l’histoire de la localité. En effet, dans toute la localité ces maisons (notamment celle de droite) font partie des plus anciennes constructions encore conservées. Surtout elles sont les plus grandes et les plus authentiques parmi les constructions historiques de …. Mais également au niveau national les immeubles présentent une valeur patrimoniale, puisqu’elles forment des éléments exemplaires de l’architecture rurale, traditionnelle (de l’Oesling). Ainsi, l’ensemble remplit les critères d’authenticité, de rareté, de genre, de type de bâti, de typicité du paysage et en outre il est caractéristique pour sa période de construction. Par conséquent, les immeubles présentent du point de vue historique, esthétique et architectural un intérêt public à être conservés.
Art. 3.- Tous les effets du classement visés aux articles 9 à 16 de la loi du 18 juillet 1983, énumérés ci-après, s'appliquent de plein droit aux immeubles concernés à compter du jour de la notification du présent arrêté et suivent les immeubles classés en quelques mains qu'ils passent.
Art. 4.- Les effets légaux du classement sont les suivants :
- Quiconque aliène un immeuble classé est tenu de faire connaître à l'acquéreur l'existence du classement.
- Toute aliénation d'un immeuble classé doit, dans les quinze jours de sa date, être notifiée au Ministère de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (ci-après appelé 'Ministère') par celui qui l'a consentie.
- L'immeuble classé ne peut être détruit ou déplacé, même en partie, ni changer d'affectation, ni être l'objet d'un travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, que si le Ministère y a donné son autorisation. La décision du Ministère doit parvenir à l'intéressé dans les six mois de la demande ; passé ce délai, la demande est censée être agréée.
- Les travaux autorisés s'exécutent sous la surveillance du Service des Sites et Monuments nationaux.
- Le Ministère peut toujours faire exécuter par les soins de ce service et aux frais de l'Etat, avec le concours éventuel des intéressés, les travaux de réparation ou d'entretien jugés indispensables à la conservation des monuments classés n'appartenant pas à l'Etat.
- Pour pouvoir constater la nécessité des travaux visés à l'alinéa qui précède, le Ministère peut faire procéder à des visites des lieux périodiques des immeubles classés. Les particuliers en sont informés, au moins quinze jours à l'avance, par lettre recommandée à la poste. Les agents désignés pour procéder à ces visites des lieux doivent justifier de leur qualité à toute demande.
- Lorsque la conservation d'un immeuble classé est gravement compromise par l'inexécution de travaux de réparation ou d'entretien, le Ministère peut mettre en demeure le propriétaire de faire procéder auxdits travaux, en lui indiquant le délai dans lequel ceux-ci doivent être entrepris. Une part appropriée de la dépense doit être supportée par l'Etat. Cette mise en demeure doit être motivée et doit préciser aussi bien les travaux à effectuer par le propriétaire que les taux de participation à supporter par l'Etat. Les contestations relatives à la participation financière de l'Etat ou aux autres conditions et modalités d'exécution sont jugées en premier ressort par le tribunal d'arrondissement dans le ressort duquel se trouve l'immeuble classé.
- Pour assurer l'exécution des travaux urgents de consolidation dans les immeubles classés, le Ministère, à défaut d'accord amiable avec les propriétaires, peut faire procéder à l'occupation temporaire de ces immeubles ou des immeubles voisins. Cette occupation, dont la durée ne peut en aucun cas excéder six mois, est ordonnée par un arrêté du Gouvernement en conseil préalablement notifié au propriétaire. En cas de préjudice causé, elle donne lieu à une indemnité qui est réglée conformément aux dispositions de la loi du 15 mars 1979 sur l'expropriation.
- Aucune construction nouvelle ne peut être adossée à un immeuble classé sans une autorisation spéciale du Ministère, qui doit intervenir dans les six mois de la demande ; passé ce délai, la demande est censée être agréée.
- Nul ne peut acquérir, par voie de prescription, de droit sur un immeuble classé.
- Ne sont pas applicables aux immeubles classés les servitudes légales qui peuvent causer leur dégradation. Aucune servitude ne peut être établie par convention sur un immeuble classé qu'avec l'agrément du Ministère.
Art. 5.- Les servitudes ou obligations du classement donnent droit au paiement éventuel d'une indemnité représentative du préjudice pouvant en résulter pour le propriétaire. La demande éventuelle en indemnisation doit parvenir au Ministère dans les six mois à dater de la notification du présent arrêté. A défaut d'accord entre le Gouvernement et le propriétaire sur l'indemnité à payer, la contestation y relative est jugée en premier ressort par le tribunal d'arrondissement dans le ressort duquel se trouve l'immeuble classé.
Le Gouvernement peut ne pas donner suite à la proposition de classement dans les conditions d'indemnisation fixées par le tribunal et doit alors abroger le classement dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
Art. 6.- En cas de consentement du propriétaire sur le principe et les conditions du classement, celui-ci est décidé par arrêté du Gouvernement en conseil. Les effets du classement cessent de s'appliquer si la décision de classement par le Gouvernement n'intervient pas dans les douze mois de la notification du présent arrêté.
Art. 7.- A défaut de consentement du propriétaire sur le principe du classement, celui-
ci peut être prononcé par le Gouvernement en conseil. Les effets du classement restent applicables jusqu'au moment où le Gouvernement en conseil aura pris une décision qui doit intervenir dans un délai de douze mois de la notification de la décision du propriétaire.
Art. 8.- La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le tribunal administratif de et à Luxembourg. Ce recours doit être intenté par ministère d'avocat dans les trois mois de la notification du présent arrêté, au moyen d'une requête à déposer au secrétariat du tribunal administratif.
Art. 9.- Le présent arrêté est transmis au propriétaire concerné. Copie en est transmise à la Ville de Luxembourg. ».
Par courrier recommandé du 6 avril 2017, la société … s’adressa par le biais de son litismandataire au ministre de la Culture pour l’informer qu’elle contestait l’existence de tout intérêt architectural, historique ou esthétique dans le chef des immeubles litigieux, tout en sollicitant principalement qu’il soit rapidement mis fin sans suite à la procédure de classement et qu’il n’y ait pas non plus d’inscription des immeubles à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux et en formulant à titre subsidiaire une demande d’indemnisation à hauteur de 3.000.000.- euros sous réserve expresse de majoration en raison des coûts d’ores et déjà exposés dans le projet et du bénéfice lui échappant.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2017, la société … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de l’arrêté du ministre de la Culture du 30 mars 2017 proposant le classement comme monument national des immeubles sis … à ….
Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond contre un arrêté ministériel de proposition de classement, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation.
Pour ce qui est du recours subsidiaire en annulation, la partie étatique en soulève l’irrecevabilité dans son mémoire en réponse au motif que l’arrêté ministériel contre lequel ledit recours est dirigé ne serait pas un acte administratif individuel de nature à faire grief, mais uniquement un acte préparatoire préalable à la décision finale de classement et donc non susceptible d’un recours contentieux.
Elle donne plus particulièrement à considérer que les juridictions administratives auraient déjà eu l’occasion de retenir que si l’initiative du classement revient au ministre ayant la culture dans ses attributions en ce qu’il est compétent pour proposer un immeuble au classement comme monument national en vertu de l’article 4, alinéa (1), de la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 1983 », il n’en resterait pas moins que la décision finale de classement, relèverait, en cas de désaccord du propriétaire de l’immeuble concerné, de la compétence du gouvernement en conseil et ce, conformément à l’article 4, alinéa (6), de la même loi. Il s’ensuivrait que l’arrêté de proposition de classement émanant du ministre de la Culture ne constituerait pas la décision finale en la matière, de sorte à ne pas non plus être susceptible d’un recours contentieux.
Dans son mémoire en réplique, la société … insiste sur le fait que l’arrêté de proposition de classement serait constitutif d’une véritable décision administrative affectant les droits et libertés des personnes qui en sont les destinataires, en faisant plus particulièrement valoir qu’en raison de l’arrêté litigieux, elle-même ne pourrait ni démolir les immeubles litigieux, ni reconstruire à l’endroit où ceux-ci se trouvent. Il ne s’agirait dès lors aucunement d’une décision provisoire, tel que cela serait notamment le cas d’une autorisation de principe en matière de construire qui permettrait toujours aux administrations communales de ne finalement pas accorder l’autorisation sollicitée. En l’espèce, l’atteinte portée à ses droits de propriété à travers ledit arrêté serait manifeste, de sorte qu’elle serait autorisée à agir dès à présent contre ledit arrêté.
Il appartient au tribunal d’analyser, avant tout autre progrès en cause, si le recours en annulation introduit à titre subsidiaire par la société …, en ce qu’il vise l’arrêté ministériel de proposition de classement du 30 mars 2017, est recevable pour avoir été dirigé contre un acte administratif susceptible de recours, le tribunal étant ainsi amené à examiner le caractère décisionnel de l’acte attaqué, cette question ayant non seulement été librement discutée par les parties dans le cadre de la procédure contentieuse, mais relevant, par ailleurs, de l’ordre public.
En effet, aux termes de l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible».
Cet article limite ainsi l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.
L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame2.
Plus particulièrement n’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision3 qui ne font que préparer la décision finale et qui constituent des étapes dans la procédure d’élaboration de celle-ci4.
En l’espèce, la procédure d’élaboration de la décision de classement d’un immeuble comme monument national et n’appartenant ni à l’Etat, ni à une commune, ni à un établissement public ou à un établissement d’utilité publique, est établie par l’article 4 de la loi du 18 juillet 1983 aux termes duquel : « Art. 4. L’immeuble appartenant à toute personne autre que celles énumérées à l’article 3 est proposé au classement par arrêté du ministre, la Commission des Sites et Monuments nationaux et le conseil communal de la commune sur le territoire de laquelle l’immeuble est situé entendus en leurs avis, lesquels doivent être produits dans le délai de trois mois à partir de la notification de la proposition de classement. Passé ce délai, la proposition est censée être agréée.
L’arrêté détermine les conditions du classement.
La proposition de classement est notifiée au propriétaire, l’acte de notification énumérant les conditions du classement et informant le propriétaire de son droit au paiement éventuel d’une indemnité représentative du préjudice pouvant résulter pour lui des servitudes et obligations du classement.
La réponse du propriétaire, accompagnée le cas échéant de la demande en indemnisation, doit parvenir au Ministre dans les six mois à dater de la notification de l’arrêté proposant le classement.
En cas de consentement du propriétaire sur le principe et les conditions de classement, l’immeuble est classé par arrêté du Gouvernement en conseil.
A défaut de consentement du propriétaire sur le principe du classement, celui-ci peut être prononcé par le Gouvernement en conseil, le propriétaire jouissant d’un droit de recours au Conseil d’Etat, comité du Contentieux, statuant comme juge du fond.
1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.
2 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2017, V° Actes administratifs, n° 37, et les autres références y citées.
3 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas. adm.
2017, V° Actes administratifs, n° 58, et les autres références y citées.
4 Voir Cour adm., 22 janvier 1998, n° 9647C, 9759C, 10080C et 10276C du rôle, Pas. adm. 2017, v° Actes administratifs, n° 57 et les autres références y citées.
A défaut d’accord du propriétaire sur l’indemnité à payer, la contestation y relative est jugée en premier ressort par le tribunal d’arrondissement dans le ressort duquel se trouve l’immeuble à classer. Le Gouvernement peut ne pas donner suite à la proposition de classement dans les conditions d’indemnisation ainsi fixées. Il doit alors, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, abroger l’arrêté de classement. ».
Il suit de la disposition précitée que si l’initiative du classement revient au ministre ayant dans ses attributions la culture en ce qu’il est compétent pour proposer un immeuble au classement comme monument national en vertu de l’article 4, alinéa (1), de la loi du 18 juillet 1983, la décision de classement finale, en cas de défaut d’accord du propriétaire, tel que c’est le cas en l’espèce, relève, aux termes de l’article 4, alinéa (6) de la même loi, de la seule compétence du gouvernement en conseil. Force est partant au tribunal de retenir que l’arrêté de proposition du ministre de la Culture ne constitue pas la décision finale en la matière susceptible d’un recours contentieux en ce qu’il s’agit uniquement d’un acte préparatoire préalable à la décision finale qui, en tant que tel, ne constitue dès lors qu’une étape dans la procédure d’élaboration de celle-ci.
Cette interprétation est confortée par le constat que l’article 4 de la loi du 18 juillet 1983 ne prévoit qu’une seule voie de recours, à savoir un recours en réformation contre l’acte final, en l’occurrence la décision de classement prise par le gouvernement en conseil.
Force est encore de relever que l’article 5 de la loi du 18 juillet 1983 dispose comme suit : « A compter du jour où le Ministre notifie au propriétaire sa proposition de classement, tous les effets du classement visés aux articles 9 à 15 s'appliquent de plein droit à l'immeuble concerné. En cas de non contestation, ils cessent de s'appliquer si la décision de classement n'intervient pas dans les douze mois de cette notification. En cas de contestation, les effets du classement restent applicables jusqu'au moment où le Gouvernement en conseil aura pris une décision, qui doit intervenir dans un délai ne pouvant dépasser douze mois.». S’il est exact qu’en vertu dudit article, tous les effets du classement visés aux articles 9 à 16 de cette même loi s’appliquent de plein droit à l’immeuble concerné à compter du jour où le ministre notifie au propriétaire sa proposition de classement, il n’en reste pas moins que ces effets ne sont que conservatoires et provisoires, de sorte à ou bien être entérinés par la décision de classement finale prise par le gouvernement en conseil, ou bien à prendre fin si ce dernier ne prend pas de décision dans un délai ne pouvant dépasser douze mois à compter de la notification de la proposition ministérielle de classement, étant relevé qu’il est constant en cause qu’entretemps, le gouvernement en conseil a pris un arrêté de classement des immeubles litigieux contre lequel la société … a également intenté un recours contentieux dans le cadre duquel elle peut valablement faire valoir ses contestations en relation avec la motivation à la base du classement litigieux.
Il suit des développements qui précèdent que le recours subsidiaire en annulation dirigé contre l’arrêté du ministre de la Culture du 30 mars 2017 proposant les immeubles sis …, à … au classement comme monument national en raison de leur intérêt historique, architectural et esthétique est à déclarer irrecevable pour ne pas être dirigé contre un acte administratif susceptible de recours.
Quant aux dépens, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 32 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives : «Toute partie qui succombera sera condamnée au dépens, sauf au tribunal à laisser la totalité, ou une fraction des dépens à la charge d’une autre partie par décision spéciale et motivée », de sorte que l’issue défavorable du litige pour la société … n’empêche pas le tribunal de condamner l’Etat à une partie des dépens. Or, même si le tribunal a retenu ci-avant que l’arrêté ministériel entrepris ne constitue pas une décision administrative susceptible d’un recours, il n’en reste pas moins que ledit arrêté a été assorti à tort de l’indication des voies de recours, de sorte à avoir nécessairement contribué à amener la société requérante à introduire son recours. Au vu de ces considérations, il y a lieu de condamner l’Etat à la moitié des dépens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
déclare le recours subsidiaire en annulation dirigé contre l’arrêté ministériel de proposition de classement du 30 mars 2017 irrecevable ;
fait masse des dépens et condamne chaque partie à en supporter la moitié.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juin 2018 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, attaché de justice, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11.6.2018 Le greffier du tribunal administratif 8