Tribunal administratif N° 39440 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 avril 2017 3e chambre Audience publique extraordinaire du 8 juin 2018 Recours par … et …, …, contre une décision du collège échevinal de la commune de …, en présence de Monsieur … … et Madame … … en matière de scolarisation
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Jugement Vu la requête inscrite sous le numéro 39440 du rôle et déposée le 20 avril 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrice Rudatinya MBONYUMUTWA, assisté de Maître Karine EVORA, tous les deux avocats à la Cour, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de …, né le …, et de …, née le …, tous deux demeurant ensemble à L-…, …, représentés par leurs parents, Monsieur … … et Madame … …, tendant à l’annulation d’une décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de … du 3 avril 2017, telle que matérialisée par un courrier du 5 avril 2017, ayant décidé d’enlever les mineurs … et … de la liste des enfants scolarisés à l’école de … ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura GEIGER, en remplacement de l’huissier de justice Frank SCHAAL, demeurant à Luxembourg, du 21 avril 2017, portant signification de ce recours à la commune de …, ayant sa maison communale à L-…, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;
Vu la requête en intervention volontaire déposée en date du 21 avril 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Cathy ARENDT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … … et de Madame … …, demeurant ensemble à L-…, …, en leurs qualités respectives de parents des enfants mineurs … et …, aux termes de laquelle ils déclarent intervenir dans l’instance introduite par la requête précitée et se rallier aux moyens de fait et de droits y exposés par leurs enfants mineurs ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Geoffrey GALLE, demeurant à Luxembourg, du 25 avril 2017, portant signification de cette requête en intervention volontaire à la commune de …, préqualifiée, ainsi qu’aux demandeurs ;
Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2017 par Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la commune de …, préqualifiée ;
Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 28 avril 2017, inscrite sous le numéro 39441 du rôle, ayant débouté les consorts … de leur demande tendant à voir ordonner un sursis à l’exécution, respectivement une mesure de sauvegarde ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 11 août 2017 par Maître Georges PIERRET, au nom de la commune de …, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2017 par Maître Cathy ARENDT, au nom des parties intervenantes ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 octobre 2017 par Maître Patrice Rudatinya MBONYUMUTWA, au nom des demandeurs ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 novembre 2017 par Maître Georges PIERRET, au nom de la commune de …, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Patrice Rudatinya MBONYUMUTWA et Maître Sébastien COÏ, en remplacement de Maître Georges PIERRET, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 avril 2018.
Les époux … … et … … résident ensemble avec leurs enfants mineurs … et … dans la commune de …, mais ont obtenu en 2016 l’inscription de leurs enfants dans des classes de l’enseignement fondamental de la commune de …, les parents s’étant domiciliés auprès de la mère de Madame … à L-…, … à partir du 27 avril 2016.
Par courrier du 5 avril 2017, signé du bourgmestre et de l’échevin aux affaires scolaires, les époux … … et … … se virent informés de ce qui suit :
« […] Par la présente, nous tenons à vous informer que dans sa réunion du 3 avril 2017, le Conseil échevinal a décidé d’enlever votre fille … (…) et votre fils … (…) de la liste des enfants scolarisés à l’école de ….
Lors du contrôle de notre fichier scolaire nous avons constaté que le domicile de vos enfants n’est plus en la Commune de … depuis le 12 janvier 2017. Force est de constater que vous avez omis de demander la prolongation de la scolarité de vos enfants, malgré la recommandation y relative de M. le Maire lors de votre échange. Vous n’êtes donc plus conforme aux dispositions de la loi modifiée du 9 février 2009 portant organisation de l’enseignement fondamental concernant la scolarisation des enfants non-résidents.
L’article 20 prévoit uniquement 4 motifs valables qui permettent aux communes d’accueil d’accepter ces demandes après vérification des motifs invoqués :
1. la garde de l’enfant par un membre de la famille jusque et y compris le 3e degré ;
2. la garde de l’enfant par une tierce personne exerçant une activité d’assistance parentale agrée par l’Etat ;
3. la garde de l’enfant par un organisme œuvrant dans le domaine socio-éducatif agréé par l’Etat ;
4. la situation du lieu de travail d’un des parents. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2017, inscrite sous le numéro 39440 du rôle, les enfants mineurs … et …, ci-après désignés par « les enfants … », 2 ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du collège des bourgmestre et échevins de la commune de … du 3 avril 2017.
Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 39441 du rôle, ils ont demandé à voir prononcer un sursis à exécution, sinon l’instauration d’une mesure de sauvegarde par rapport à la décision déférée en attendant la solution de leur recours au fond, leurs parents intervenant volontairement à l’instance par requête déposée le 21 avril 2017, ladite demande ayant été rejetée par une ordonnance du président du tribunal administratif du 28 avril 2017 comme n’étant pas fondée.
Par requête en intervention volontaire déposée en date du 21 avril 2017 au greffe du tribunal administratif par Monsieur … … et de Madame…, ci-après désignés par « les époux … », en leurs qualités de parents des enfants mineurs … et …, déclarèrent intervenir dans l’instance introduite par leurs enfants mineurs et se rallier aux moyens de fait et de droits exposés par leurs enfants mineurs.
Quant à la recevabilité Dans la mesure où ni la loi modifiée du 6 février 2009 portant organisation de l’enseignement fondamental, ci-après dénommée « la loi du 6 février 2009 », ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de décision de refus d’admission d’un enfant dans une école d’une autre commune, seul un recours en annulation a pu être valablement introduit.
Dans son mémoire en réponse, la commune de … soulève, tout d’abord, l’irrecevabilité du recours en ce qu’il a été introduit par les enfants …, représentés par leurs parents, alors même que cela aurait dû être ces derniers, agissant au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs, qui auraient dû être les demandeurs à l’action. La commune de … explique encore, dans ce cadre, que les parents …, d’une part, se seraient rendus compte de leur erreur procédurale et auraient tenté de la rectifier par leur requête en intervention volontaire du 21 avril 2017, et, d’autre part, n’auraient aucun intérêt à agir dans la mesure où la scolarisation d’enfants mineurs serait obligatoire et gratuite.
La commune de … conclut encore à l’irrecevabilité du recours du 20 avril 2017, dans la mesure où il tendrait à obtenir, dans le chef des enfants … à la protection d’un intérêt illégitime, en l’occurrence la sauvegarde d’une situation irrégulière caractérisée par leur scolarisation résultant de leur inscription à une adresse autre que l’adresse légale de leur domicile effectif. La commune de … fait finalement valoir que le recours sous examen serait dépourvu d’objet, faute de préjudice dans le chef des requérants, respectivement dans le chef de leurs parents.
Les époux …, dans le cadre de leur mémoire en réplique, concluent à la recevabilité, tant du recours, que de leur requête en intervention volontaire qui constituerait un droit dans leur chef, leur intérêt direct consistant, par ailleurs, à soutenir la cause de leurs enfants et les moyens développés dans le recours principal.
Ils contestent encore l’argumentation de la commune de … relative au caractère illégitime de leur intérêt à agir en insistant sur leur situation particulière, ainsi que sur les antécédents du dossier. Dans ce cadre, ils font valoir, d’une part, qu’au moment de leur inscription à l’école d’…, leurs enfants auraient été inscrits et domiciliés à une adresse dans la 3 commune de …, et, d’autre part, que l’article 20 de la loi du 6 février 2009 prévoirait la possibilité pour des enfants de fréquenter une école autre que celle de leur commune de résidence. Ils soutiennent finalement qu’il n’y aurait rien d’immoral à ce que leurs enfants poursuivraient leur scolarité dans un cadre scolaire serein, plutôt que de se trouver enfermés dans un hôpital psychiatrique.
Dans leur mémoire en réplique, les enfants … sollicitent le rejet du moyen d’irrecevabilité de la commune de … comme n’étant pas fondé, en contestant toute faute procédurale dans leur chef et en faisant valoir l’existence d’une lésion à caractère individuel découlant directement de la décision déférée, à savoir leur déscolarisation en pleine année scolaire à un âge où la scolarisation serait obligatoire. Leurs parents seraient également directement concernés par la déscolarisation litigieuse.
Quant à la légitimité de leur intérêt à agir, ils argumentent que la commune de … resterait en défaut de verser une quelconque pièce démontrant que leur situation serait contraire à la loi, en soulignant que leur scolarisation dans l’école d’… aurait été réalisée en respectant la condition de la résidence. Au regard du passé de l’enfant …, leur seul objectif serait de continuer leur scolarisation en toute sérénité, ce que la commune de … leur aurait permis de faire, même après l’intervention de leur grand-mère en janvier 2017.
La commune de …, dans son mémoire en duplique, maintient son moyen d’irrecevabilité relatif, d’une part, à la représentation des mineurs en justice, en soutenant qu’une action en justice d’un mineur devrait être intentée par ses parents, en leur qualité de représentants légaux, au sens de l’article 488 du Code civil, et, d’autre part, à l’absence d’intérêt légitime dans le chef des enfants … et de leurs parents, en se prévalant de leur situation illégale, les enfants étant domiciliés, depuis le 12 janvier 2017, à la commune de … et leur inscription antérieure auprès de la commune de … ne correspondant pas à leur domicile effectif.
En ce qui concerne tout d’abord le moyen d’irrecevabilité du recours tiré en substance du défaut de capacité d’agir des enfants …, la commune de … argumentant que le recours sous examen aurait dû être introduit par les époux … agissant au nom et pour le compte de leurs enfants et non pas, comme en l’espèce, par les enfants … représentés par leurs parents, ce moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.
En effet, bien qu’au regard des dispositions combinées des articles 389-5 et 464 du Code civil, le recours intenté au nom personnel du seul mineur est irrecevable pour défaut de capacité à agir, dans la mesure où ce dernier ne peut agir en justice que par le biais de son, respectivement ses représentants légaux, il y a lieu de constater que le recours sous examen a été introduit par les enfants …, représentés par les personnes exerçant l’autorité parentale sur eux, en l’occurrence leurs parents. Par ailleurs la commune de … reste en défaut d’invoquer une quelconque disposition légale imposant une formulation précise, à peine d’irrecevabilité du recours, quant à la désignation des représentants de mineurs agissant en justice, les termes « agissant au nom et pour le compte », respectivement « représentés par » devant être considérées comme étant des synonymes pour indiquer la représentation en justice d’une personne incapable juridiquement d’agir seul.
Quant à l’intérêt à agir des requérants, l’objet du litige, respectivement quant à la question de la légitimité de leur intérêt, il y a lieu de rappeler qu’en matière de recours en annulation dirigé contre un acte administratif, le demandeur doit justifier d’un intérêt 4 personnel et direct à obtenir l’annulation de l’acte qu’il attaque, le juge administratif devant seulement avoir égard à ce que le demandeur avance à ce sujet, dès lors qu’il lui appartient de démontrer son intérêt.
En matière de contentieux administratif portant sur des droits objectifs, l'intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu'une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d'un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif1. L'intérêt doit être direct et personnel. Il est l’utilité que présente pour le demandeur la solution du litige qu’il demande au juge d’adopter2, étant souligné que l’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés3.
L'intérêt à agir conditionnant la recevabilité d'un recours administratif ne doit pas seulement être personnel et direct, effectif, né et actuel, mais encore être légitime et ne pas viser à voir consacrer une situation contraire à la loi4.
Il convient de relever à partir des pièces du dossier que les enfants … ont été domiciliés auprès de leur grand-mère résidant à … depuis le 27 avril 2016 et ont, en conséquence, été scolarisés à l’école d’… depuis cette date, jusqu’à la notification de la décision litigieuse du 3 avril 2017 les enlevant de la liste des enfants scolarisés à ladite école.
Force est de retenir qu’en tant que destinataire direct d’une décision de refus de scolarisation dans un établissement scolaire déterminé, chaque demandeur fait valoir un lien personnel avec la décision déférée qui le concerne personnellement, de même qu’une lésion individuelle par le fait qu’il n’a pas pu terminer l’année scolaire dans ledit établissement, pour avoir dû le quitter après le 2e trimestre, de sorte que l’intérêt mis en avant par les demandeurs revêt les conditions requises relativement à son caractère personnel, né, actuel suffisant et certain de nature à lui donner qualité pour agir à l’encontre de la décision qui le concerne personnellement, étant encore relevé, en ce qui concerne plus particulièrement l’enfant …, qu’il ne ressort pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que ce dernier y aurait rencontré des problèmes, contrairement à sa précédente scolarisation à … ayant conduit à son internement dans un hôpital psychiatrique pendant quelques mois.
Indépendamment de la question de savoir si les prétentions des demandeurs sont justifiées ou non, les demandeurs ont intérêt à faire vérifier par le juge administratif le respect des dispositions légales et réglementaires régissant la matière et partant la légalité de la décision déférée.
Quant à la légitimité de l’intérêt à agir dans le chef des requérants, ce moyen ne s’analyse en l’espèce pas en un moyen d’irrecevabilité, mais il touche au fond de l’affaire, dans la mesure où prendre en considération la légitimité de l’intérêt à agir, c’est déjà aborder 1 Cour adm. 14 juillet 2009, nos 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 3 et les autres références y citées.
2 Voir Encyclopédie Dalloz, Contentieux administratif, V° Recours pour excès de pouvoir (Conditions de recevabilité), n° 247.
3 Trib. adm. prés. 27 septembre 2002, n° 15373, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 4 et les autres références y citées.
4 Trib. adm. 27 janvier 1999, n° 10858 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 18 et les autres références y citées.
5 la question de savoir si la demande exprimant le droit d’agir est fondée et non pas seulement si elle est recevable5.
Il suit de ce qui précède que les moyens tirés d’un défaut d’intérêt à agir, d’objet du recours, respectivement d’intérêt légitime dans le chef des enfants … sont partant à écarter.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Il convient encore de vérifier la recevabilité de l’intervention volontaire introduite par les époux …, en leur qualité de parents des enfants ….
A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une intervention est recevable dès lors que l’intervenant justifie d’un intérêt direct ou indirect, matériel ou moral, la jurisprudence des juridictions civiles admettant même que le risque que le jugement à intervenir ne crée un simple préjugé favorable comme constitutif d’un intérêt suffisant pour intervenir6, l’intérêt à intervenir étant d’ailleurs apprécié de manière plus libérale que l’intérêt à agir, de sorte que sont recevables à intervenir tous ceux qui n’ont pas un intérêt direct à la solution du litige, mais à l’égard desquels le principe de cette solution peut avoir des incidences7.
A ce titre, les époux … exposent avoir un intérêt à intervenir aux côtés de leurs enfants, plus particulièrement en raison de la situation ayant existé avant la scolarisation de leurs enfants dans un établissement scolaire de la commune de …, marquée plus particulièrement par l’internement, pendant plusieurs mois, de leur enfant… dans un hôpital psychiatrique. Les parents affirment vouloir soutenir le recours introduit au nom de leurs enfants, dans le souci d’assurer à ces derniers une scolarité se déroulant dans les conditions les plus sereines possibles.
Le tribunal est amené à retenir qu’au regard de ces explications, les époux … doivent être considérés comme justifiant d’un intérêt suffisant pour intervenir volontairement dans le présent litige et présenter leurs moyens en appui du recours. Une requête en intervention volontaire, lorsqu’elle intervient en appui à une requête, peut en effet seulement étayer les moyens développés dans la requête principale ; ainsi, par une intervention, un intervenant ne peut ni étendre la portée de la requête, ni exposer des moyens nouveaux8 : en d’autres termes, l’intervenant ne peut que s’associer à l’action principale.
Sous cette réserve, il y a lieu d’admettre que tant le recours en annulation, que l’intervention volontaire, sont recevables pour avoir été, par ailleurs, introduits dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond A titre liminaire, il y a lieu de relever que suite à l’audience des plaidoiries du 18 avril 2018, lors de laquelle le tribunal avait sollicité, de la part de la commune de …, la 5 Trib. adm. 27 janvier 1999, n° 10858 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 18 et les autres références y citées.
6 Voir Lux. 21 juin 1972, Pas. 22, p. 229.
7 Trib. adm. 22 juillet 2009, n° 24495 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 463 et les autres références y citées.
8 M. Leroy, Contentieux administratif, 3e édition, p.566.
6 communication du dossier administratif à la base du litige sous examen, cette dernière a déposé le 23 avril 2018 au greffe du tribunal administratif une farde de 10 pièces contenant, à côté des documents et de la correspondance relatifs à la scolarisation des enfants … dans un établissement scolaire de la commune de …, une attestation testimoniale établie le 19 avril 2018 par une assistante du bourgmestre de ladite commune. Tant les enfants … que leurs parents sollicitent le rejet de ladite farde de pièces pour avoir été communiquée en cours de délibéré.
Etant rappelé qu’aux termes de l’article 8, paragraphe (6) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », « toute pièce versée après que le juge-rapporteur a commencé son rapport en audience publique est écartée des débats, sauf si le dépôt en est ordonné par le tribunal », il y a lieu d’écarter des débats l’attestation testimoniale du 19 avril 2018 pour avoir été déposée après la lecture du rapport en audience publique par le juge-
rapporteur sans avoir été sollicitée par le tribunal, les autres documents de la farde de pièces versée par la commune de … le 23 avril 2018 étant admissibles, étant donné que leur communication a été ordonnée par le tribunal à l’audience publique du 18 avril 2018.
Quant au fond, les demandeurs concluent, tout d’abord, à l’annulation de la décision litigieuse pour avoir été prise en violation du principe général du respect des droits de la défense et du principe pour l’administré d’être entendu avant qu’une mesure grave affectant ses intérêts ne soit prise à son encontre. Dans ce cadre, ils vont valoir que ni eux-mêmes, ni leurs parents n’auraient été préalablement entendus par la commune de …, de sorte à n’avoir pas été en mesure de faire valoir leurs observations afin de permettre à la commune de revoir sinon au moins de différer sa décision jusqu’à la fin de l’année scolaire pour leur permettre de ne pas être perturbés dans leur scolarité ou pour permettre à la famille de rechercher sereinement une nouvelle école ou même de régulariser leur domicile dans la commune.
La décision de désinscription litigieuse aurait, par ailleurs, été prise en violation du principe général de continuité et d’adaptabilité du service public mais aussi du principe de confiance légitime, dans la mesure où la commune de … aurait interrompu intempestivement le service public leur délivré en les retirant de la liste des enfants scolarisés dans la commune, et ce alors même qu’ils auraient le droit d’exiger de l’autorité administrative qu’elle se conforme à une attitude qu’elle aurait suivie dans le passé. Dans ce contexte, ils exposent que malgré le fait ne plus être domiciliés dans la commune depuis le 12 janvier 2017, information qui résulterait des registres communaux de l’état civil, la commune de … aurait accepté leur maintien dans l’établissement scolaire à … au-delà de cette date depuis près de trois mois. La décision actuellement déférée constituerait ainsi un changement brusque de l’attitude de la commune comportant une violation du principe général de confiance légitime.
Enfin, ils font encore plaider que la décision aurait également été prise en violation du principe général de proportionnalité puisque cette décision de les déscolariser n’aurait présenté aucune urgence justifiant d’être prise en plein milieu de l’année scolaire et que le préjudice leur causé serait totalement disproportionné par rapport à l’hypothétique intérêt que cette décision pouvait présenter.
Les demandeurs font encore valoir que la décision déférée devrait être annulée pour détournement de pouvoir dans la mesure où il résulterait des explications données oralement par le bourgmestre de la commune de … au litismandataire des époux … que la décision de déscolariser leurs enfants serait en réalité fondée sur de prétendues plaintes répétitives 7 d’enseignants relatives au comportement de …. Outre de contester tout comportement agressif de la part de l’enfant …, les demandeurs soutiennent que ces explications de la part du bourgmestre révèleraient que la décision déférée serait en fait fondée sur un motif autre que celui y expressément indiqué, de sorte à constituer un détournement de pouvoir.
Les demandeurs concluent encore à l’annulation de la décision litigieuse pour violation de la loi, et plus particulièrement des articles 19 et 20 de la loi du 6 février 2009, au motif que le champ d’application de l’article 20, expressément invoqué pour les déscolariser, serait exclusivement limité à la question de l’admission d’un enfant dans une école et non pas à celle de sa déscolarisation.
Ils sollicitent de même l’annulation de la décision litigieuse du 3 avril 2017 pour violation des textes nationaux garantissant à chaque enfant le droit à l’éducation, à savoir l’article 11 de la Constitution, les articles 2 et 7 de la loi du 6 février 2009 relative à l’obligation scolaire mais aussi de l’article 3 de la loi du 6 février 2009 portant organisation de l’enseignement fondamental. De même, ils concluent à la violation de diverses conventions internationales relatives aux droits de l’enfant, consacrant plus particulièrement le droit de l’enfant à l’éducation.
Finalement, elles requièrent l’annulation de la décision pour violation des formes destinées à protéger les intérêts privés, et plus précisément pour violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des Communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », dans la mesure où la commune de … aurait pris sa décision sans avoir préalablement accordé la possibilité aux demandeurs, respectivement à leurs parents, de faire valoir leur position.
Le tribunal n’étant pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et détenant la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégagent, il y a tout d’abord lieu d’analyser les moyens de légalité externe avant de procéder à l’examen des moyens au fond.
En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, la commune de …, dans son mémoire en réponse, soutient qu’elle n’aurait pas révoqué, respectivement modifié d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits aux demandeurs, en insistant sur le fait que la situation des enfants … aurait « […] été illégale, tolérée un moment sans reconnaissance d’aucun droit, et finalement contraire à la loi de leur propre fait, puisqu’ils se [seraient réinscrits] à la commune de … le 12 janvier 2017 déjà. […] ». Dans la mesure où les demandeurs ne seraient pas recevables à solliciter l’application de dispositions qui ne tendraient qu’à protéger des intérêts légaux, voire légitimes, ce qui ne serait pas leur cas, le moyen tiré d’une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 devrait être rejeté pour ne pas être fondé.
Dans leurs mémoires en répliques respectifs, les demandeurs, ainsi que leurs parents, se prévalent de la circonstance qu’ils n’auraient pas été entendus par la commune de … préalablement à la prise de la décision litigieuse du 3 avril 2017, en violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. Les demandeurs soutiennent encore que les observations qu’ils auraient pu faire valoir auraient, le cas échéant, amené la commune de … à revoir sa décision, sinon du moins à différer celle-ci jusqu’à la fin de l’année scolaire, ce 8 qui leur aurait permis de ne pas être perturbé dans leur scolarité, respectivement de rechercher une nouvelle école, voire de régulariser leur domicile dans la commune de ….
La commune de …, dans son mémoire en duplique, réitère sa position en arguant que le droit d’un administré d’être entendu préalablement à la prise d’une décision administrative affectant ses droits serait conditionné par le fait que ladite décision serait prise en dehors de son initiative, ce qui ne serait pas le cas des demandeurs. En effet, ces derniers, d’une part, auraient eux-mêmes provoqué la décision litigieuse, décision d’ailleurs imposée par la loi, et, d’autre part, auraient été informés de l’imminence d’une telle décision à défaut de régularisation de leur situation. La commune de … conteste finalement tout préjudice dans le chef des demandeurs, respectivement de leurs parents, résultant de la circonstance de ne pas avoir été entendus avant la décision litigieuse du 3 avril 2017.
Il y a, tout d’abord, lieu de relever que la commune de …, par l’admission des demandeurs sur la liste des enfants scolarisés à l’école de … pour l’année scolaire 2016/2017 a reconnu, respectivement créé un droit dans le chef des demandeurs en les autorisant a priori à effectuer l’entièreté de ladite année scolaire au sein de cette école.
Il est dès lors constant que les demandeurs, lorsqu’ils se sont vu notifier la décision litigieuse du 3 avril 2017, furent destinataires d’une décision administrative individuelle laquelle a modifié d’office pour l’avenir une décision ayant créé des droits, de sorte que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1978 est applicable, ledit article disposant que :
« Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.
Cette communication se fait par lettre recommandée […] ».
Cette disposition a pour objet d’instaurer une procédure contradictoire destinée à protéger les droits de la défense de l’administré lorsque l’administration se propose de prendre, d’une part, des décisions de révocation ou de modification d’office pour l’avenir de décisions qui ont créé ou reconnu des droits, respectivement, d’autre part, des décisions en dehors d’une initiative de la partie concernée, c’est-à-dire sans avoir été saisie d’une demande préalable de l’administré concerné.
Dans la mesure où la décision litigieuse du 3 avril 2017 s’inscrit dans le premier cas d’application de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 pour constituer une décision révoquant le droit des enfants … de continuer leur scolarité au sein de l’école …, l’argumentation de la commune d’… selon laquelle les demandeurs auraient été à l’origine de la décision déférée du 3 avril 2017 en raison de leur changement de résidence en janvier 2017 est à rejeter pour défaut de pertinence, cette thèse s’inscrivant dans le deuxième cas d’application de la disposition réglementaire susmentionnée.
Il s’ensuit que la commune de … était tenue d’observer les dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, imposant à l’autorité qui se propose de prendre une telle décision, d’informer au préalable la personne concernée de son intention, cette communication se faisant par lettre recommandée.
9 Face aux contestations afférentes des demandeurs, la commune de …, afin d’établir les avoir informé préalablement à la décision litigieuse du 3 avril 2017, a versé, parmi les pièces du dossier administratif, comme seul élément probant un courrier électronique adressé le 2 février 2017 par l’assistante du bourgmestre de la commune de … au responsable du service scolaire de ladite commune selon lequel « D’Famill ass op … geplënnert. D’Kanner sinn nach hei an der Schoul. Ech hunn der Mamm gesot si misst eng Demande op d’Gemeng schécken fir ze froen dat d’Kanner hiert d’Schouljoer kenne fäerdeg machen. […] ». Ce courrier n’est cependant pas pertinent en ce qu’il ne permet pas d’établir, d’une part, la communication aux demandeurs des éléments de fait et de droit qui ont amené la commune de … à agir et, d’autre part, que cette communication se soit faite par lettre recommandée. En effet dans la mesure où l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 prévoit comme seule forme admise de communication l’envoi par lettre recommandée dans un souci de protection des droits de la défense de l’administré et afin de réduire à un minimum les contestations portant sur le fait même de la communication, il ne saurait être suppléé à cette carence par d’autres moyens.
Etant donné qu’il n’est donc pas établi que cette formalité substantielle ait été mise en œuvre, l’inobservation de cette seule formalité entraîne l’illégalité de l’acte administratif intervenu à son mépris.
Il suit des considérations qui précèdent que la décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de … du 3 avril 2017 ayant décidé d’enlever les mineurs … et … de la liste des enfants scolarisés à l’école de … doit être annulée, sans qu’il n’y ait lieu de statuer sur les autres moyens des demandeurs, cet examen étant devenu surabondant.
Au vu de l’issue du litige la demande en allocation d’une indemnité de procédure, d’un montant de … euros, formulée par la commune de … est à rejeter comme non fondée.
Les demandeurs, ainsi que les époux …, sollicitent également l’allocation d’une indemnité de procédure de …euros, demandes qui sont cependant à rejeter, étant donné que tant les demandeurs, que leurs parents, en tant que parties intervenantes, omettent de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et ne précisent pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à leur charge, la simple référence à l’article de la loi applicable n’étant pas suffisants à cet égard.
Par ces motifs, Le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
reçoit la requête en intervention volontaire en la forme ;
écarte des débats l’attestation de Madame … déposée au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2018 ;
au fond, déclare le recours en annulation justifié ;
10 partant annule la décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de … du 3 avril 2017 ayant décidé d’enlever les mineurs … et … de la liste des enfants scolarisés à l’école de … ;
rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure formulées par la commune de …, respectivement par les demandeurs et les parties intervenantes ;
condamne la commune de … aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 8 juin 2018 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juin 2018 Le greffier du tribunal administratif 11