Tribunal administratif N° 41193 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mai 2018 4e chambre Audience publique extraordinaire du 7 juin 2018 Recours formé par Monsieur … alias …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 41193 du rôle et déposée le 28 mai 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Martine Krieps, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, né le … à … (Algérie), de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 mai 2018 portant prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2018 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er juin 2018 par Maître Martine Krieps, préqualifiée, au nom de Monsieur … :
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2018 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Martine Krieps et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives.
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Il ressort d’un rapport de la Police grand-ducale, circonscription régionale de Luxembourg, Centre d’Intervention Gare du 27 février 2018, portant la référence 50706, que Monsieur … fut appréhendé par les forces de l'ordre, alors qu'il était en possession de stupéfiants et d'un brouilleur d'ondes. A cette occasion, il s'avéra que Monsieur … est connu sous divers alias dont notamment, …, né le …, de nationalité algérienne ; …, né le …, de nationalité algérienne ; …, né le …, de nationalité algérienne ; …, né le …, de nationalité algérienne et …, né le …, de nationalité algérienne. Il ressort également dudit rapport que l’intéressé est signalé au Système d'Information Schengen (SIS).
Par décision du 27 février 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, l’Algérie, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner et prononça à son encontre, une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.
Par un arrêté du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question. Cette décision est basée sur les considérations suivantes :
« (…) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le procès-verbal N° 50706 du 27 février 2018 établi par la Police Grand-ducale, Unité CI Luxembourg – Groupe Gare ;
Vu ma décision de retour du 27 février 2018 ;
Attendu que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;
Attendu qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b), c), de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches (…) ».
Cette mesure de placement en rétention fut à chaque fois prorogée pour un mois par des arrêtés successifs du 23 mars 2018 et du 24 avril 2018, notifiés respectivement le 27 mars 2017 et le 27 avril 2018.
La mesure de placement fut encore prorogée par un arrêté du 23 mai 2018, notifié le 25 mai 2018, ce dernier arrêté étant de la teneur suivante :
« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mes arrêtés des 27 février, 23 mars et 24 avril 2018, notifiés le 27 février, le 27 mars et le 27 avril 2018, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 27 février 2018 subsistent dans le chef de l'intéressé ;
Considérant que les diligences en vue de l'éloignement de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que le départ du 16 mai 2018 a dû être annulé pour des raisons indépendantes de notre volonté ;
Considérant qu’une nouvelle mission d’éloignement sera organisée dans les plus brefs délais ;
Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2018, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 23 mai 2018.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur passe en revue les derniers rétroactes à la base de la décision déférée.
En droit, le demandeur fait tout d’abord plaider qu’aucune démarche concrète n’aurait été entreprise depuis le 18 mai 2018, de sorte que la mesure de placement ne se justifierait plus.
Il donne à considérer qu’il aurait été dans l’impossibilité d’être rapatrié en raison du fait que le deuxième vol aurait été annulé.
Ensuite, il fait valoir que les chances raisonnables de voir le dispositif d’éloignement mené à bien seraient inexistantes. Il expose que les vols prévus auraient, à chaque fois, été annulés, sans qu’il n’ait été informé des raisons de ces annulations.
Par voie de réplique, il conteste, en substance, au titre des diligences entreprises par le ministre, les arguments avancés par le délégué du gouvernement tendant à démontrer que les raisons avancées par le ministre pour justifier l’annulation des deux vols seraient indépendantes de sa volonté. Il en conclut que l’annulation du vol du 16 mai 2018 « [serait] entièrement imputable au manque de réactivité du Ministère ». Il réfute encore les explications du ministre quant aux contraintes imposées par les autorités algériennes pour les transferts de ressortissants algériens et lui reproche de ne pas avoir versé de pièces pour appuyer ses affirmations. Dans l’ensemble, il objecte à l’indisponibilité de vols retour, horaires à l’appui.
Il maintient son affirmation selon laquelle les chances raisonnables de voir le dispositif d’éloignement mené à bien seraient inexistantes et émet des doutes quant au caractère réalisable du prochain vol de retour prévu, tout en donnant à considérer que le Consulat d’Algérie n’aurait pas donné de suite en vue de l’émission d’un laissez-passer pour le vol annulé du 16 mai 2018. ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée (…). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ». En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, « (…) La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. (…) ».
Ainsi, l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Il faut ensuite arranger l’éloignement matériel par l’organisation d’un moyen de transport, éventuellement d’une escorte, ainsi que de l’accueil de l’intéressé par les autorités du pays d’origine. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Cette mesure peut encore être reconduite à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Sous la seule condition qu’il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération des autorités étrangères ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut encore être prolongée à deux reprises, chaque fois pour un mois supplémentaire.
Une décision de prorogation d’une mesure de placement en rétention est partant soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
En l’espèce, il n’est pas contesté que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, ayant fait l’objet d’une décision de retour le 27 février 2018, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire pendant une durée de trois ans, qu’il ne dispose pas d’autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois au Luxembourg, ni d’une autorisation de travail, de sorte qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi ou encore s’il ne dispose pas de documents d’identité ou de voyage en cours de validité, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement et également proroger cette mesure.
En ce qui concerne les diligences effectuées en vue de l’éloignement du demandeur, il ressort du dossier administratif que par courriers séparés du 28 février 2018, le ministre adressa au Consulat Général d'Algérie, une demande d'identification du demandeur, présumé être de nationalité algérienne, en l’absence de tout document d'identité ou de voyage dans son chef et aux services de la Police grand-ducale, une demande en délivrance de photos et des empreintes digitales du demandeur. Par courrier du 8 mars 2018, le Consulat Général d'Algérie répondit que les autorités algériennes seraient disposées à délivrer un laissez-passer au demandeur, qu’elles identifièrent comme étant Monsieur …, né le … à … (Algérie) et de nationalité algérienne. Par transmis du 13 mars 2018, le ministre pria le service de Police judiciaire, section des étrangers et des jeux, d'organiser le départ sous escorte du demandeur, tout en précisant que l'éloignement devrait se faire au départ de Bruxelles et ne devrait pas avoir lieu ni un lundi ni un mardi. Par courrier du 16 avril 2018, le service de Police judiciaire informa le ministre que nonobstant le fait que le transfert du demandeur avait été prévu pour le 9 mai 2018 par Bruxelles, le bureau de voyage informa les autorités luxembourgeoises que les vols d'Air Algérie vers Alger étaient annulés le 9 mai 2018 en raison de « nombreuses opérations planifiées ». Par courrier du 23 avril 2018, le service de Police Judiciaire, section des étrangers et des jeux, informa le ministre qu'un vol était prévu pour le 16 mai 2018. Par courrier daté du 8 mai 2018, le ministre informa le Consulat général d'Algérie que le transfert du demandeur était prévu pour le 16 mai 2018. Par échange de courriers électroniques des 3 mai, 8 mai et 11 mai 2018, les autorités luxembourgeoises tentèrent d'organiser le transit avec les autorités françaises, et ce, au départ de l'aéroport de Metz-Nancy-Lorraine. Par courrier électronique daté du 14 mai 2018, la Direction Centrale de la Police Aux Frontières française informa ses homologues luxembourgeois que, faute d'effectifs, aucune escorte ne pouvait être formée pour le 16 mai 2018, raison pour laquelle le retour du demandeur a dû à nouveau être annulé. Par courrier électronique daté du 15 mai 2018, le ministre informa le service juridique du Consulat Général d'Algérie que le vol du 16 mai 2018 avait été annulé, faute d'avoir pu organiser une escorte avec les autorités françaises. En date du 17 mai 2018, le ministre adressa au bureau de voyage concerné une nouvelle demande de délivrance de billets d'avion en vue de préparer le retour du demandeur vers son pays d'origine. En date du 29 mai 2018, le service de Police judiciaire, section des étrangers et des jeux dressa un plan de vol duquel il ressort que le rapatriement du demandeur aura lieu le 29 juin 2018 au départ de l’aéroport de Metz.
Force est au tribunal de conclure qu’au vu de l’accord de reprise de la part des autorités algériennes délivré en date du 8 mars 2018, il n’existe a priori pas d’obstacle à l’éloignement du demandeur vers son pays d’origine.
Au regard des diligences entreprises par la partie gouvernementale telles qu’amplement énumérées plus en avant, de la date prévisionnelle de retour du demandeur nonobstant le fait qu’elle soit éloignée dans le temps par rapport à la date du prononcé du présent jugement s’expliquant par les nombreux contretemps auxquels les autorités luxembourgeoises ont été confrontées en raison du fait qu’elles sont tributaires de la coopération policière transfrontalière, il y a lieu de constater que les moyens relatifs à un manque de diligences, respectivement à l’impossibilité de mener l’éloignement à terme sont à rejeter. Il s’ensuit que le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Cette conclusion n’est pas énervée par le reproche formulé par le demandeur quant à l’absence de « réactivité des autorités luxembourgeoises » face aux deux annulations successives des vols pour des raisons qu’il objecte être indépendantes de leur volonté tout en critiquant lesdites autorités de ne pas lui avoir communiqué les justifications sous-jacentes auxdites annulations, dès lors qu’il ressort manifestement des nombreuses pièces et éléments versés au dossier administratif que les autorités luxembourgeoises ont, à tout moment, mis tous les moyens en œuvre pour procéder au rapatriement du demandeur, dans un premier temps, au départ de Bruxelles et, par la suite, au départ de Metz sans que les raisons ayant justifié les deux annulations successives des vols ne leur soient imputables, lesquelles sont objectivement fondées et, par ailleurs, clairement retraçables à la lecture du dossier administratif, le reproche selon lequel les autorités luxembourgeoises n’auraient pas tout fait pour écourter la durée de la rétention étant, ainsi, à écarter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 7 juin 2018, à 15.00 heures par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 juin 2018 Le greffier du tribunal administratif 6