Tribunal administratif N° 39489 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2017 3e chambre Audience publique du 30 mai 2018 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre un acte du ministre du Développement durable et des Infrastructures, en matière de transport
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39489 du rôle et déposée le 2 mai 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent HARGARTEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, ainsi qu’aux noms de Monsieur … et de Madame …, agissant en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur …, et demeurant ensemble à L-…, tendant d’après le libellé de la requête introductive d’instance, principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures, qualifiée comme telle, du 2 février 2017, et interdisant, toujours d’après le libellé de la requête introductive d’instance, à … « l’accès et le séjour dans les moyens de transports publics, ainsi que dans les gares, dans les gares ferroviaires et routières et aux arrêts » ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 septembre 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’acte attaqué ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Stéphanie LINSTER en sa plaidoirie à l’audience publique du 16 mai 2018.
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Par courrier du 28 décembre 2016, le directeur général de la Société nationale des Chemins de Fer Luxembourgeois, ci-après désignés respectivement par « le directeur » et « la CFL », informa le ministre du Développement durable et des Infrastructures, ci-après désigné par « le ministre », d’un incident ayant eu lieu le 3 décembre 2016 et ayant opposé Monsieur … à un agent du personnel d’accompagnement de la CFL. Le directeur releva plus particulièrement que lors d’un contrôle, à cette même date, à bord du train numéro 6871, à destination d’Esch-sur-Alzette, Monsieur … fut dans un premier temps prié par le personnel d’accompagnement des trains de retirer ses pieds d’un siège. Suite à son refus d’obtempérer et après avoir insulté l’agent de la CFL, Monsieur … fut invité de descendre du train en question à l’arrêt de Differdange. Dans ce même courrier le directeur précisa encore qu’à son retour avec un train portant le numéro 6949, le même agent de la CFL fut agressé physiquement par Monsieur … et une tierce personne sur le quai de Differdange.
Par missive du 5 janvier 2017, le ministre pria le directeur de lui fournir les détails au sujet de l’agression physique subie par l’agent d’accompagnement du train et par courrier recommandé du 2 février 2017, le ministre s’adressa à Monsieur … dans les termes suivants :
« […] Je viens d’être saisi par le Directeur Général de la SN des CFL concernant un incident grave dans le train.
En effet, en date du 3 décembre 2016, lors de contrôles effectués par le personnel d’accompagnement des trains, vous n’aviez pas obtempéré à l’invitation de retirer vos pieds du siège. De ce fait vous aviez dû descendre du train 6781 à l’arrêt de Differdange qui a continué ensuite en direction d’Esch-sur-Alzette. Au retour avec le train 6849, à Differdange, vous-même accompagné d’une personne masculine avez attendu l’agent du personnel en question et vous l’avez agressé physiquement.
Suivant Règlement grand-ducal du 3 septembre 1980 ayant pour objet de régler la police et d’assurer la sécurité des services de transports automobile de personnes relevant de la Société Nationale des Chemins de Fer Luxembourgeois, art. 14. il est défendu : « de cracher dans le véhicule, de le souiller, d’y abandonner des déchets, de dégrader le matériel ou de poser les pieds sur les sièges ou les banquettes ».
Ces actes de refus d’obtempérer et surtout d’agression physique envers le personnel d’accompagnement de train sont absolument intolérables. Afin de garantir la sécurité dans les moyens de transport publics, je vous interdis, conformément à l’article 7, paragraphe 1 de la loi du 19 juin 2009 sur l’ordre et la sécurité dans les transports publics, l’accès et le séjour dans les moyens de transport public ainsi que dans les gares, dans les gares ferroviaires et routières et aux arrêts.
Cette interdiction va porter sur tous les réseaux des transports publics (CFL, autobus de la ville de Luxembourg, autobus du RGTR et du Syndicat des TICE) et sera valable jusqu’à la fin de l’année courante.
Je vous informe que vous pouvez me faire part de vos explications et moyens de défense y relatives par voie de lettre recommandée dans un délai de quinze jours à partir de la présente […] ».
Par courrier adressé au ministre en date du 8 février 2017, le directeur lui fit parvenir les détails sollicités en mettant notamment en exergue « la gravité de l’incident en question », le fait que Monsieur … et son collègue « ont violemment frappé l’agent PAT dans la figure » et que ce même agent « était en arrêt de travail pendant 4 jours ». Dans ladite missive, le directeur de la CFL pria encore le ministre de « bien vouloir prononcer une interdiction d’accès et de séjour dans les moyens des transports publics à l’encontre de Monsieur … ».
Par décision du 4 avril 2017, envoyée par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 4 avril 2017, le ministre, en se basant sur l’article 7, paragraphe 3. de la loi modifiée du 19 juin 2009 sur l’ordre et la sécurité dans les transports publics, ci-après désignée par « la loi du 19 juin 2009 », interdit l’accès et le séjour dans les moyens de transport public ainsi que dans les gares, dans les gares ferroviaires et routières et aux arrêts à Monsieur ….
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 mai 2017, Monsieur … et son épouse Madame …, agissant en leur qualité de représentants de leur fils mineur …, ont fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle du 2 février 2017, qualifiée comme telle.
La loi du 19 juin 2009 prévoyant en son article 7, paragraphe 3., un recours au fond en la présente matière, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre subsidiaire. Il n’y a partant pas lieu d’analyser le recours en annulation introduit à titre principal.
En ce qui concerne la recevabilité du recours sous analyse, il convient de prime abord de relever que si l’action des père et mère de Monsieur … est recevable en leur qualité d’administrateurs légaux de la personne de leur fils mineur au regard des dispositions combinées des article 389-5 et 464 du code civil, le recours intenté au nom personnel du seul mineur est irrecevable pour défaut de capacité à agir.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève encore l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef des demandeurs d’une part, et, d’autre part, au motif que l’acte attaqué ne constituerait pas une décision de nature à faire grief, mais un acte préparatoire pris par le ministre dans le cadre de la procédure qui serait prévue à l’article 7 de la loi du 19 juin 2009.
Les demandeurs n’ont pas pris position sur les moyens d’irrecevabilité ainsi soulevés par la partie étatique, ni à travers un mémoire en réplique, ni lors de l’audience publique des plaidoiries, audience à laquelle ils ne furent ni présents ni représentés.
Il appartient en premier lieu au tribunal d’analyser le caractère décisionnel de l’acte attaqué avant de pouvoir se prononcer sur l’intérêt à agir des demandeurs, l’intérêt à agir étant conditionné par le caractère décisionnel d’un acte administratif. En effet, l'intérêt à agir implique un lien personnel avec l'acte attaqué et une lésion individuelle par le fait de l'acte. Le recours ne sera déclaré recevable que si l’acte attaquée est susceptible de causer un préjudice au demandeur, respectivement si ce dernier peut justifier d'une lésion à caractère individualisé et retirer de l'annulation de la décision une satisfaction certaine et personnelle1.
Aux termes de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ». Cet article limite ainsi l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment 1 Trib. adm. 22 octobre 2007, n° 22489, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 9, et les autres références y citées.
aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste2.
L'acte émanant d'une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l'intention de l'autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l'acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n'est pas pour autant une condition suffisante. En effet, pour être susceptible de faire l'objet d'un recours la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief3.
Plus particulièrement, n'ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n'étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l'administration, tout comme les déclarations d'intention ou les actes préparatoires d'une décision4. Pareillement, une lettre qui ne porte aucune décision et qui n’est que l’expression d’une opinion destinée à éclairer l’administré sur les droits qu’il peut faire valoir ou plus généralement sur la situation juridique, de même qu’un avis sur l’interprétation à donner à un texte légal ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours contentieux5.
Dans cet ordre d’idées, il s’agit encore de rappeler que pour valoir décision administrative, un acte doit constituer la décision définitive dans la procédure engagée et non pas une simple mesure d'instruction destinée à permettre à l'autorité compétente de recueillir les éléments d'information en vue de sa décision ultérieure6.
Pour déterminer le caractère décisoire ou simplement informatif, respectivement préparatoire à une décision ultérieure d’une lettre, il y a lieu d’analyser son libellé et de qualifier son contenu.
A cet égard, il convient de prime abord de relever que la possibilité pour le ministre de prononcer une interdiction d’accès au transports publics est visée à l’article 7 de la loi du 19 juin 2009 aux termes duquel :
« 1. Le ministre peut, par décision motivée, interdire, en tout ou en partie, pour une durée ne dépassant pas un an, aux usagers des transports publics qui contreviennent aux 2 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.
3 Trib. adm. 18 juin 1998, n° 10617 et 10618 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Actes administratifs, n° 40 et les autres références y citées 4 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas.
adm. 2017, V° Actes administratifs, n° 58 et les autres références y citées.
5 Trib. adm., 7 mars 2007, n° 21708 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Actes administratifs, n° 69 et les autres références y citées.
6 Trib. adm. 6 janvier 1998, n°10138 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Actes administratifs, n° 81 et les autres références y citées.
prescriptions en matière d’ordre et de sécurité dans les transports publics, l’accès et le séjour dans les moyens de transports publics, dans les gares ferroviaires et routières et aux arrêts.
2. La décision est prise après que l’intéressé a été invité par lettre recommandée à présenter ses explications et moyens de défense, dans un délai de 15 jours de la réception de ladite lettre recommandée.
3. La décision est notifiée à l’intéressé. Une information est faite à la police grand-
ducale et à l’administration des douanes et accises. La décision est susceptible d’un recours en réformation devant le tribunal administratif. Elle est exécutoire à partir du jour de la notification ».
Il ressort de la disposition légale qui précède que le ministre peut prononcer une interdiction d’accès aux transports publics, laquelle peut s’étendre à tous les services de transports publics et durer jusqu’à un an. La procédure en question obéit au principe du contradictoire, conformément à la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse7, le législateur ayant en effet pris soin de préciser que la décision intervient après que l’intéressé ait été mis en mesure de présenter ses observations, étant encore précisé que la décision est soumise à l’obligation de motivation.
Force est partant de retenir qu’avant de pouvoir prononcer une interdiction d’accès aux transports publics, il appartient en premier lieu au ministre d’informer la personne concernée de son intention de lui infliger une telle interdiction et de l’inviter, par voie recommandée, de prendre position sur les faits lui reprochés dans un délai de 15 jours, afin de lui permettre d’exposer ses moyens de défense.
En ce qui concerne plus particulièrement le contenu de l’acte attaqué, force est de constater qu’après avoir été informé de l’incident ayant eu lieu le 3 décembre 2016 par missive du directeur du 28 décembre 2016, le ministre s’est adressé en date du 2 février 2017 à Monsieur …, en l’informant qu’il prononcera une interdiction d’accès au transports publics à son encontre et en l’invitant de présenter ses explications et moyens de défense dans la quinzaine. Par le bais de son courrier du 2 février 2017, le ministre s’est dès lors conformé aux dispositions de l’article 7, paragraphe 2., précité de la loi du 19 juin 2009, tout en donnant à la partie intéressée un délai de 15 jours pour présenter ses observations. Or, un courrier dans lequel le ministre invite l’administré à lui faire part de ses observations éventuelles, avant de prononcer une interdiction d’accès aux transports publics dans son chef, ne peut être considéré comme constitutif d’une décision de refus, mais comme un acte préparatoire d’une décision administrative finale, laquelle est intervenue en l’espèce en date du 4 avril 2017, constitutif d’une étape dans la procédure d’élaboration de celle-ci et échappant en tant que tel au recours contentieux8. Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que l’acte sous analyse comporte des voies de recours, alors que la simple indication erronée dans un courrier d’une autorité 7 Projet de loi n°5710 sur la police et la sûreté dans les transports publics et modifiant a) la loi modifiée du 17 décembre 1859 sur la police des chemins de fer, b) la loi modifiée du 12 juin 1965 sur les transports routiers et c) la loi modifiée du 29 juin 2004 sur les transports publics, avis du Conseil d’Etat du 3 juin 2008.
8 Trib. adm. 7 novembre 2007, n° 23260 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Actes administratifs, n° 63.
administrative de voies de recours, ne saurait créer un droit et conférer un quelconque caractère décisionnel à l’acte en question9.
Il s’ensuit, et sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant, que le recours sous examen est irrecevable.
Les demandeurs sollicitent encore une indemnité de procédure de 2.500,- euros sur base de l’article 240 du Nouveau Code de Procédure Civile. Abstraction faite de ce que la faculté pour le tribunal administratif d’allouer une indemnité de procédure trouve son fondement dans l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives et non pas dans l’article 240 du Nouveau Code de Procédure Civile, cette demande est à rejeter eu égard à l’issue du présent litige.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre subsidiaire ;
le déclare irrecevable, partant le rejette ;
dit qu’il n’y a pas lieu d’analyser le recours en annulation introduit à titre principal ;
rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 mai 2018 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 mai 2018 Le greffier du tribunal administratif 9 Trib. adm. 29 avril 2015, n°34249 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.