Tribunal administratif N° 40923 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2018 4e chambre Audience publique du 18 mai 2018 Recours formé par Madame … et consort, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 40923 du rôle et déposée le 19 mars 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Ghana), agissant en son nom propre ainsi qu’en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure …, née le … à … (Ghana), toutes deux de nationalité ghanéenne, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 2 mars 2018 décidant de leur transfert vers la République française, Etat membre compétent pour connaître de leur demande de protection internationale ;
Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 21 mars 2018, portant le numéro 40924 du rôle ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2018 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Marlène Aybek, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-
Paul Reiter entendus en leurs plaidoiries respectives.
_____________________________________________________________________________
Le 18 janvier 2018, Madame …, accompagnée de sa fille mineure …, toutes deux de nationalité ghanéenne, introduisit auprès du ministère de l’Immigration et de l’Asile une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommées ci-après « les consorts … ».
Le même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la Police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion qu’elle avait précédemment introduit une demande de protection internationale en France.
Madame … fut entendue le 19 janvier 2018 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection 1internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après dénommé « le règlement Dublin III ».
Par décision du 2 mars 2018, notifiée par envoi recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa l’intéressée que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de la transférer avec sa fille dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1) point b), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :
« (…) J’accuse réception de votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée le 18 janvier 2018.
Il résulte des informations dont nous avons connaissance que vous avez introduit une demande de protection internationale en France en 2015.
La France a accepté en date du 12 février 2018 de prendre/reprendre en charge l’examen de votre demande de protection internationale.
Au vu de ce qui précède, je tiens à vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18§1b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de vous transférer dans les meilleurs délais vers la France, qui est l’Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale.(…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2018, inscrite sous le numéro 40923 du rôle, Madame … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 2 mars 2018.
Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 40924 du rôle, elle a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à voir surseoir à l’exécution de leur transfert vers la France jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond, demande qui a été rejetée par une ordonnance présidentielle du 21 mars 2018 au vu de la décision du ministre de suspendre le transfert jusqu’à la fin de la grossesse de Madame ….
A l’appui de son recours au fond, elle invoque d’abord une violation des articles 2 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ainsi que des articles 3 et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en reprochant au ministre de ne pas avoir procédé à une quelconque vérification préalable à la prise de la décision litigieuse afin de s’assurer qu’elle ne courrait aucun risque d’être exposée à des conditions matérielles d’accueil contraires aux exigences de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, dénommée ci-après « la directive 2013/33/UE », la demanderesse mettant en avant tant son état physique de femme enceinte que sa crainte corrélative de subir un stress important en raison de sa grossesse assez avancée dont le terme serait prévu pour le 25 mai 2018.
Elle s’empare encore dans ce contexte de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 pour soutenir qu’il ne serait pas établi qu’ils puissent bénéficier des conditions d’accueil nécessaires et 2indispensables à leur état de vulnérabilité.
Elle soulève ensuite la violation, sinon la méconnaissance de la procédure prévue aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, au motif que le ministre aurait omis de transmettre aux autorités françaises les informations relatives à son état de santé, la demanderesse affirmant ne pouvoir prendre le risque de voyager sous peine de risquer un accouchement prématuré.
Enfin, elle s’empare de l’article 17, paragraphe 1er, du règlement Dublin III « lu à la lumière de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », pour soutenir qu’il incomberait aux autorités luxembourgeoises d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur son état de santé, en prenant les précautions nécessaires pour que le transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante son état de santé et celui de son bébé. Par ailleurs, elle estime encore que compte tenu de la particulière gravité de son état de santé, en l’occurrence une grossesse de plus de 6 mois et demi, il incomberait à l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert, et ce aussi longtemps que son état de santé ne la rendrait pas apte à un tel transfert, dès lors qu’il ne serait pas exclu que son transfert vers Nice entraînerait un risque réel et sérieux d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé et de celui de son bébé. En citant la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, elle estime que s’il n’est pas avéré qu’il existerait, en France, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement Dublin III, « il ne s’agirait pas du seul motif pour les requérantes permettant de démontrer que le transfert les exposerait à un risque réel de traitements inhumains et dégradants », de sorte qu’il reviendrait « aux autorités d’examiner toutes les circonstances importantes dans le respect du principe de non refoulement et de l’interdiction de l’article 3CEDH, y compris l’état de santé des intéressés ».
Etant donné que l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en annulation contre les décisions de transfert visées à l’article 28 (1) de la même loi, telle que la décision litigieuse, un recours en annulation a valablement pu être introduit à l’encontre de celle-
ci.
A l’audience publique des plaidoiries, le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité du recours au regard de l’intérêt à agir de Madame … en considération du fait (i) qu’il ressort de l’ordonnance présidentielle précitée du 21 mars 2018 que le ministre a décidé de suspendre son transfert jusqu’au terme de sa grossesse, à savoir le 25 mai 2018 et (ii) que les moyens et arguments de Madame … dans le cadre de la présente requête introductive d’instance ne visent manifestement exclusivement que son état de grossesse comme motivation pour contester le transfert.
Le litismandataire de Madame … a indiqué que sa mandante conserverait néanmoins un intérêt à agir dès lors qu’il incomberait au tribunal de céans de toiser la question de l’absence de vérification par le ministre préalablement à la prise de la décision litigieuse qu’elle ne courrait aucun risque d’être exposée à des conditions matérielles d’accueil contraires aux exigences de la directive 2013/33/UE. Il a encore ajouté souhaiter que la question de la légalité du transfert soit en tout état de cause tranchée.
Le délégué du gouvernement n’a pas pris plus amplement position sur la question.
Le tribunal a alors interrogé le délégué du gouvernement quant aux intentions du gouvernement relatives à la date du transfert, ce dernier ayant confirmé que le gouvernement n’entendait pas exécuter le transfert avant la date d’accouchement Madame …, voire même pas 3dans les semaines à suivre, de sorte qu’une décision de transfert ne sera pas exécutée, ledit engagement ayant, par ailleurs, été acté au plumitif de l’audience.
Force est au tribunal de constater qu’eu égard (i) à la confirmation de l’engagement de la partie gouvernementale, consigné au plumitif de l’audience, à ne pas exécuter la décision de transfert antérieurement à la date de l’accouchement de Madame … ni dans les semaines qui suivent et (ii) à la circonstance que tous les moyens et arguments de Madame … tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 2 mars 2018 ont uniquement trait aux conséquences que ce transfert pourrait entraîner en raison de son état de grossesse sans qu’un quelconque autre moyen n’ait été invoqué de nature à remettre en question la légalité de la décision entreprise, Madame … a, au cours de la procédure contentieuse, obtenu satisfaction en ce sens qu’elle ne fera pas l’objet d’un transfert en raison de son état avancé de grossesse. Il s’ensuit que la décision déférée n’est plus de nature à lui faire grief. Partant, elle ne justifie plus d’un intérêt à agir à son encontre.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à déclarer irrecevable pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la demanderesse, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner les moyens invoqués eu fond.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare le recours irrecevable ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, et lu à l’audience publique du 18 mai 2018 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 mai 2018 Le greffier du tribunal administratif 4