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15/05/2018 | LUXEMBOURG | N°39920

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 mai 2018, 39920


Tribunal administratif Numéro 39920 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juillet 2017 3e chambre Audience publique du 15 mai 2018 Recours formé par Monsieur …, … (France), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39920 du rôle et déposée le 24 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Rafaëlle WEISS, avocat à la Cour, inscrit

e au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assistée de Maître Roselyne ROLET, inscr...

Tribunal administratif Numéro 39920 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juillet 2017 3e chambre Audience publique du 15 mai 2018 Recours formé par Monsieur …, … (France), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39920 du rôle et déposée le 24 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Rafaëlle WEISS, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assistée de Maître Roselyne ROLET, inscrite au barreau de Strasbourg, au nom de Monsieur …, demeurant à F-… (France), …, …, et ayant élu domicile en l’étude de Maître WEISS préqualifiée, sise à L-2132 Luxembourg, 24, avenue Marie-Thérèse, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du 28 avril 2017 du directeur de l’administration des Contributions directes répertoriée sous le numéro … du rôle, portant rejet de sa réclamation introduite à l’encontre d’un bulletin d’appel en garantie émis par le bureau d’imposition … en date du 26 juillet 2016 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 septembre 2017 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2017 par Maître Rafaëlle WEISS pour compte de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Philippine RICOTTA-

WALAS, en remplacement de Maître Raphaëlle WEISS, et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 mai 2018.

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En date du 26 juillet 2016, le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après par le « bureau d’imposition », émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l’égard de Monsieur … en sa qualité d’administrateur de la société anonyme … SA, dénommée ci-après « la société … », déclarée en faillite par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du … 2015, ledit bulletin déclarant Monsieur … codébiteur solidaire d’un montant total de …,- euros, en principal et intérêts, résultant de retenues d’impôt non réalisées pour les années 2008 à 2015.

Par courrier de son mandataire du 25 octobre 2016, réceptionné le 31 octobre 2016, Monsieur … fit introduire une réclamation auprès du directeur de l’administration des 1Contributions directes, désigné ci-après par « le directeur », à l’encontre dudit bulletin d’appel en garantie.

Par décision du 28 avril 2017, référencée sous le numéro … du rôle, le directeur refusa de faire droit à la réclamation telle qu’introduite par Monsieur …, sur base des considérations suivantes :

« […] Vu la requête introduite le 31 octobre 2016 par Me Roselyne Rolet, au nom du sieur …, demeurant à F-…, pour réclamer contre le bulletin d’appel en garantie émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d’imposition … en date du 26 juillet 2016 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu le § 119 alinéa 1er AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§238 AO) dans les forme (§249 AO) et délai (§245 AO) de la loi, qu’elle est partant recevable ;

Considérant que le bulletin attaqué a déclaré le réclamant co-débiteur solidaire de l’impôt sur les traitements et salaires des années 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015 au motif qu’il aurait, en sa qualité de représentant légal de la société anonyme …, en faillite, commis une faute en ne veillant pas à ce que soient payées au receveur des Contributions, sur les fonds administrés, les sommes qui ont été retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d’impôt sur les salaires, et dont la société était redevable ;

En ce qui concerne la prescription de l’impôt Considérant qu’en vertu de l’article 10 de la loi du 27 novembre 1933, tel que modifié par la suite, la créance du Trésor se prescrit par cinq ans ; que toutefois, en cas de non-

déclaration ou en cas d’imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse, la prescription est de dix ans ; que l’alinéa 2 de l’article 3 de la loi du 22 décembre 1951 s’y juxtapose en disposant qu’ « En cas d’interruption, une nouvelle prescription, susceptible d’être interrompue de la même manière, commence à courir et s’accomplit à la fin de la quatrième année suivant celle du dernier acte interruptif de la précédente prescription, sans que le délai global de prescription puisse être inférieur à dix ans en cas de non-déclaration ou en cas d’imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse » ; que le commandement (article 2244 c. civ.) est un moyen utilisé par le receveur pour interrompre la prescription et qu’il est fait en vertu d’un titre exécutoire appelé la « contrainte » ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction du dossier de la société anonyme …, que depuis l’année d’imposition 2008, le paiement des salaires a été fait sans que les montants à retenir n’aient été continués entièrement au receveur ; qu’en l’espèce, vu l’ensemble des constatations qui précèdent, la prescription des impôts sur les traitements et salaires des années 2008 à 2011 a été interrompue à chaque fois par l’émission d’une telle contrainte avec commandement, de sorte que le grief afférent à la prescription des impôts se rapportant aux années 2008 à 2011 est à rejeter comme non fondé ;

En ce qui concerne le bulletin d’appel en garantie 2Considérant, à titre liminaire tout comme en matière de principe, que le représentant d’une personne morale est responsable du paiement des dettes d’impôt de la personne morale qu’il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ; qu’aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable (CE du 20 octobre 1981, n° 6902) ;

Considérant dès lors que dans la mesure où le représentant, par l’inexécution fautive de ces obligations, a empêché la perception de l’impôt légalement dû, il est, en principe, constitué co-débiteur solidaire des arriérés d’impôt de la société, conformément au § 109 AO ; que la responsabilité du représentant est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l’administration ;

Considérant qu’il s’avère nécessaire dans ce contexte de mettre en exergue qu’en matière de responsabilité du fait personnel (article 1382 du code civil), l’auteur du dommage ne peut pas s’exonérer en invoquant une prétendue faute d’un tiers, lequel n’entrera en ligne de compte qu’au stade du recours entre les coresponsables ; que le gérant responsable sur le fondement du § 109 AO ne peut s’opposer à une poursuite au motif qu’elle n’a pas été engagée contre l’autre, quod non en l’espèce, étant donné que deux autres bulletins d’appel en garantie ont été émis à l’encontre des sieurs … et …, les rendant ainsi codébiteurs solidaires au sens du § 7 de la loi d’adaptation fiscale (StAnpG) ;

Considérant, matériellement, qu’en vertu de l’article 136, alinéa 4 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) l’employeur est tenu de retenir, de déclarer et de verser l’impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel ; que dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l’égard des tiers (§ 103 AO) ; que la responsabilité de l’administrateur, voire du gérant, selon le cas, est à qualifier de fautive du moment que des paiements de salaires sont effectués sans retenue d’impôt et sans continuation des montants à retenir à l’administration (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle) ; qu’il en est de même en ce qui concerne les retenues échues avant son entrée en fonction, si, par sa faute, elles ne sont pas payées sur les fonds disponibles de la société ;

Considérant que sous l’empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l’imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait et en vertu du § 2 de la loi d’adaptation fiscale (StAnpG) une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH du 19 février 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH du 24 novembre 1961, BStBI. 1962.37 ; 3 février 1981, BStBI. 1981 II 493 ; cf Becker-Riewald-Koch § 2 StAnpG Anm. 5 Abs. 3) ; que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe même de la mise en œuvre de la responsabilité d’un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;

Considérant qu’un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef de l’administrateur délégué d’une société n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109, alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l’exigence supplémentaire 3d’une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (Cour administrative du 22 février 2000, n° 11694C du rôle) ;

Considérant que la responsabilité du représentant est cependant à qualifier de fautive du moment qu’il n’accomplit pas ses obligations fiscales, dont notamment celle de veiller à ce que les impôts dus soient payés, même ceux datant d’avant son entrée en fonction, à l’aide des fonds administrés ; que cette dernière prémisse l’emporte, le cas échéant, ainsi de plein droit sur la situation telle qu’elle s’est présentée durant les années antérieures ;

Considérant dans ce contexte, et notamment d’après une jurisprudence constante, que le paiement de salaires sans retenue d’impôt et sans continuation des montants à retenir à l’administration des contributions directes est à qualifier de fautif per se (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle ; Cour administrative du 6 janvier 2011, n° 27126C du rôle ; Tribunal administratif du 15 janvier 2009, n° 24145 du rôle) ;

Considérant encore qu’en ce qui concerne la notion de l’inexécution fautive, à savoir de la « schuldhafte Verletzung seiner steuerlichen Pflichten durch den Vertreter des Steuerpflichtigen » au sens du § 109, alinéa 1er AO, que la Cour administrative a consigné très récemment que :

1) « Dans la mesure où il n’est pas contesté que les bilans pour les années litigieuses n’ont pas été déposés dans les délais au RCS et que les déclarations fiscales n’ont pas non plus été déposées, ce qui a contraint le bureau d’imposition à procéder par la voie de la taxation d’office pour les années 2008 à 2010 et par la fixation d’avances pour les années 2012 à 2014, le bureau d’imposition a en principe valablement pu retenir une inexécution fautive dans le chef de l’appelant, étant donné qu’en sa qualité de gérant unique, il était conformément au paragraphe 103 AO personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (…), de sorte qu’il était tenu de veiller au dépôt des déclarations fiscales et au paiement des créances d’impôt et que l’omission de ce faire est à qualifier de comportement fautif.

(…) Or, le fait pour l’appelant de ne pas avoir veillé, en tant que gérant unique de la société (…), à ce que les déclarations d’impôt soient déposées en temps utile auprès de l’administration des Contributions directes, est à qualifier d’inexécution fautive des obligations du représentant d’une société envers les autorités fiscales, de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle à l’égard des créances d’impôt visées dans le bulletin d’appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. Cette conclusion ne saurait être invalidée par l’argumentation de l’appelant selon laquelle il serait inéquitable de le poursuivre personnellement après tous les efforts entrepris pour régulariser les affaires de la société, étant donné qu’il est resté trop longtemps inactif et qu’il semblerait, d’après les éléments du dossier, qu’il n’est devenu actif que lorsque le Parquet a décidé de demander la dissolution judiciaire de la société. » (CA du 23 août 2016, n° 38378C), et que :

2) « Les premiers juges ont essentiellement retenu que le « § 103 AO soumet les dirigeants d’une société à l’obligation de veiller à ce que les impôts dus soient 4payés au trésor public », pointant de la sorte essentiellement l’obligation des représentants d’une société de veiller au paiement des impôts dus (…).

La Cour ne saurait entériner cette vision des choses.

En premier lieu, il est erroné de limiter l’analyse sur l’obligation de paiement des impôts dus, mais il convient d’avoir égard à l’ensemble des obligations incombant au contribuable en vue de la fixation et du paiement de l’impôt dû.

(…) Cette façon de procéder au cours de la procédure d’imposition est aux antipodes de l’attitude que l’on peut attendre d’une société raisonnablement prudente et diligente et elle caractérise manifestement une violation des obligations incombant aux organes d’administration de la société (…). Le manquement ainsi dépeint est encore de toute évidence grave.

(…) (…), il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que Monsieur (…) a de façon prolongée rendu impossible la détermination exacte des bases d’imposition et qu’il a singulièrement et fautivement manqué de remplir les obligations fiscales qui lui incombaient en tant que représentant de la société (…), de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle pour les impôts visés par le bulletin d’appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. » (CA du 31 janvier 2017, n° 38343C) ;

Considérant qu’il découle de tout ce qui précède que c’est à tort que le réclamant estime sa responsabilité personnelle ne pas devoir être engagée, de sorte que la mise à charge des arriérés de la société anonyme … au titre de la retenue d’impôt sur les traitements et salaires, ainsi que les intérêts de retard y relatifs, est parfaitement justifiée en ce qui concerne les années en cause ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 juillet 2017, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision directoriale précitée du 28 avril 2017 portant rejet de sa réclamation introduite à l’encontre du bulletin d’appel en garantie émis à son encontre par le bureau d’imposition … en date du 26 juillet 2016.

En ce qui concerne la recevabilité du recours sous analyse, il y a lieu de rappeler que conformément aux dispositions du paragraphe 119 AO, les personnes à l’encontre desquelles un bulletin d’appel en garantie a été émis bénéficient des mêmes voies de recours que celles ouvertes au contribuable. Or, conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant 5organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités, un bulletin de l’impôt commercial communal, un bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux et un bulletin d’établissement de la fortune.

Il s’ensuit qu’en l’espèce le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision directoriale du 28 avril 2017 précitée, ayant statué sur les mérites de la réclamation introduite par Monsieur … contre le bulletin d’appel en garantie dont il a fait l’objet.

Ledit recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser le recours en annulation introduit à titre subsidiaire contre la décision directoriale du 28 avril 2017.

A l’appui de son recours, le demandeur et après avoir rappelé les faits et rétroactes à la base du présent litige, soutient que la dette fiscale des années 2008 à 2010 serait prescrite à son encontre eu égard au délai de prescription quinquennale des créances en matière d’impôt prévue à l’article 10 de la loi modifiée du 27 novembre 1933 concernant le recouvrement des contributions directes, des droits d’accise sur l’eau de vie et des cotisations d’assurance sociale, telle que remise en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 29 octobre 1946, ci-après désignée par « la loi du 27 novembre 1933 ». A l’appui de son argumentation, il fait plus particulièrement valoir que ce serait à tort que le directeur a conclu à une interruption de cette prescription quinquennale du fait de l’émission d’une contrainte par commandement, le demandeur précisant à cet égard qu’il n’aurait eu aucune information ni communication quant à cette contrainte avec commandement et qu’il n’en aurait pas été le destinataire personnel, de sorte que la prescription quinquennale n’aurait pas été valablement interrompue.

Dans un deuxième temps, et en se basant sur l’article 51 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, article aux termes duquel le mandat des administrateurs ne peut excéder six ans, le demandeur conteste sa qualité d’administrateur de la société … à partir du 30 mai 2012.

Il ajoute qu’aucune faute ne saurait lui être reprochée en sa qualité de représentant légal de la société … tout en insistant sur le fait que compte de tenu de la terminaison automatique de son mandat à partir du 30 mai 2012, il n’aurait eu plus aucun pouvoir de représenter la société en question.

Le demandeur conclut partant à la réformation de la décision directoriale sous analyse.

Le délégué du gouvernement quant à lui conclut au rejet du recours sous analyse.

En ce qui concerne le moyen relatif à la prescription de la créance à la base du bulletin d’appel en garantie pour les années antérieures à 2011, force est de rappeler qu’en vertu de l’article 10 de la loi du 27 novembre 1933, les impôts dont est chargée l’administration des Contributions directes, dont l’impôt sur les salaires, pensions et rentes, se 6prescrivent par cinq ans, la prescription prenant cours à partir du 1er janvier qui suit l’année pendant laquelle la créance est née1.

L’article 3, alinéa 1er de la loi du 22 décembre 1951 portant prorogation du délai de prescription de certains impôts directs et précisant les conditions dans lesquelles les prescriptions peuvent être interrompues dispose que « les délais de prescription pour l’établissement et le recouvrement des sommes, en principal, intérêts et amendes fiscales, dues au titre des impôts visés à l’alinéa 2 de l’article 1er de la présente loi ainsi que des impôts extraordinaires sur les bénéfices de guerre et sur le capital sont interrompus, soit de la manière et dans les conditions prévues par les articles 2244 et suivants du Code civil, soit par une renonciation du contribuable au temps déjà couru de la prescription. Il en est de même des délais de prescription pour le recouvrement de toutes autres sommes, en principal, intérêts et amendes fiscales dont la perception est confiée à l’administration des contributions. […] ».

Aux termes de l’article 2244 du Code civil « Une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire, forment l’interruption civile. ».

En l’espèce, les parties divergent sur la question de savoir si les prescriptions pour les années antérieures à 2011, à savoir les prescriptions pour les années fiscales 2008 à 2010, sont acquises depuis les 1er janvier 2014, 1er janvier 2015 et 1er janvier 2016, ou si ces trois délais ont été utilement interrompus par l’administration des Contributions directes, le bulletin d’appel en garantie daté au 26 juillet 2016 étant en effet intervenu postérieurement à l’écoulement de ces trois délais de prescription.

Il ressort du dossier administratif que pour se voir régler les montants réclamés l’administration des Contributions directes a signifié le 9 février 2010 une sommation à tiers détenteur à un établissement bancaire et qu’en date du 12 juillet 2012 elle a signifié une contrainte à la société … portant commandement de régler les arriérés de l’impôt sur les salaires pour les années 2008 à 2010, tels qu’ils figurent également sur le bulletin d’appel en garantie.

A cet égard, il convient encore de préciser en ce qui concerne l’affirmation du demandeur qu’il n’aurait pas été informé de la prédite contrainte, respectivement de la sommation à tiers détenteur, que celle-ci, outre de rester à l’état de pure allégation et d’être par ailleurs peu vraisemblable compte tenu de la qualité d’administrateur et d’administrateur-

délégué du demandeur, est en tout état de cause à rejeter pour défaut de pertinence dans la mesure où il résulte d’une combinaison des articles 3, alinéa 1er de la loi du 22 décembre 1951 et 2244 du Code civil que les délais de prescription pour l’établissement et le recouvrement des sommes, en principal, intérêts et amendes fiscales, dues au titre des impôts sont interrompus par un commandement signifié à celui qu’on veut empêcher de prescrire.

Etant donné qu’à la date de la signification de la contrainte, la société … était seule débitrice des arriérés de l’impôt sur les salaires pour les années 2008 à 2010, de sorte qu’il s’agissait 1 « La créance du Trésor se prescrit par cinq ans nonobstant la prescription plus courte des privilèges et hypothèque légale. Cette prescription s’applique à tous impôts, taxes, cotisations, droits d’accises, amendes, frais et autres perceptions généralement quelconques dont est chargée l’administration des contributions, sauf la prolongation conventionnelle des droits du Trésor. La prescription prend cours à partir du 31 décembre de l’année pour laquelle la somme à percevoir est due. ».

7d’éviter la prescription dans son chef, la signification de la contrainte à cette dernière a valablement interrompu les délais de prescription quinquennale.

Il s’ensuit qu’en application de l’article 3, alinéa 1er de la loi précitée du 22 décembre 1951, combiné à l’article 2244 du Code Civil, ledit commandement, signifié à la société …, ainsi que la signification à tiers détenteur ont interrompu les délais de prescription des impôts litigieux des années d’imposition de 2008 à 2010.

Il suit de ces considérations que l’administration des Contributions directes a valablement fait interrompre, par rapport à la société …, les délais de prescription relatifs à tous les arriérés d’impôts litigieux, étant encore relevé que les nouveaux délais de prescription ayant commencé à courir à partir des évènements interruptifs précités ont par ailleurs été interrompus par le dépôt, en date du 29 février 2016, d’une déclaration de créance dans le cadre de la procédure de faillite de la société …, déclarée en état de faillite le … 2015.

En effet, tel qu’il vient d’être rappelé encore récemment par la Cour administrative, il est de jurisprudence que tant une assignation en faillite, qu’une action en admission au passif d’une faillite sont de nature à interrompre la prescription d’une dette, étant donné qu’elles ne constituent que de simples modalités d’introduction d’une instance en justice2.

Il a également été jugé que l’effet interruptif du délai de prescription d’une déclaration de créance se prolonge jusqu’au jour du jugement de la clôture de la faillite3, de sorte qu’en l’espèce, la fin d’interruption des prescriptions n’est pas encore acquise, étant donné qu’il n’est pas contesté que la faillite n’est pas encore clôturée.

Il s’ensuit que le moyen relatif à la prescription de la dette fiscale litigieuse est à rejeter.

En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur quant à sa qualité d’administrateur, respectivement d’administrateur-délégué de la société … à partir du 30 mai 2012, il échet de constater qu’il résulte des développements de part et d’autre, de même que des pièces versées en cause, que la société … a été constituée en date du … 2006, date à laquelle le demandeur a également été nommé administrateur et administrateur-délégué de la société en question et ce pour une durée de six ans. S’il est dès lors vrai, que suivant la résolution afférente de l’assemblée générale extraordinaire du … 2006, le mandat d’administrateur, respectivement d’administrateur-délégué du demandeur devait prendre fin au bout d’une période de six ans, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas contesté en cause qu’aucune assemblée générale en vue d’une nomination d’un nouvel administrateur, respectivement d’un nouvel administrateur-délégué ne s’est tenue à l’issue de cette même période.

Si le mandat d’administrateur du demandeur n’a dès lors pas été explicitement reconduit à la date initialement prévue, le tribunal ne saurait toutefois suivre les développements de Monsieur … selon lesquels il n’aurait plus représenté la société … à partir de fin mai 2012 et que sa responsabilité en tant qu’administrateur ne pouvait plus être engagée à partir de cette date.

2 Cour adm. 13 octobre 2016, n° 37815C du rôle, publié sur www.jurad.etat.lu.

3 Ibidem.

8En effet, il convient de relever qu’un administrateur sortant, que ce soit par expiration de la durée de son mandat ou par démission, continue provisoirement à s’occuper de la gestion de la société jusqu’à la prochaine assemblée nommant son remplaçant. Cette compétence s’étend également aux pouvoirs de représentation de la société vis-à-vis des tiers, les nécessités d’un bon fonctionnement et de la continuité d’une société commandant cette solution dérogatoire au droit commun4. Il convient encore de noter que si, comme en l’espèce, les mandats des administrateurs sont tous arrivés en même temps à leur terme, les administrateurs continueront à représenter la société en attendant leur remplacement5. Par ailleurs, il y a lieu de souligner que si l’article 51 de la loi du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, dans sa version applicable au moment des faits, dispose certes que le terme du mandat d’un administrateur ne peut excéder 6 ans, cette disposition vise la seule durée maximale d’un mandat, mais ne fait pas obstacle à la reconduction d’un mandat à plusieurs reprises, même au-delà de 6 ans, ni d’ailleurs à une situation d’administrateur de fait, c’est-à-

dire une situation où une personne exerce en toute souveraineté et indépendance une activité positive de gestion ou de direction dans la société, étant encore précisé que la limitation de la durée du mandat est destinée à protéger les actionnaires vis-à-vis des administrateurs qui, s’incrustant durablement dans la gestion sociale, deviendraient trop puissants6. Elle n’a pas d’effets à l’égard des tiers, de sorte que l’administrateur dont le mandat est venu à expiration en raison du dépassement de la durée légale de six ans continue à engager la société tant que sa démission n’a pas été publiée7.

Le tribunal en déduit qu’à défaut de démission formelle et dans la mesure où il n’avait pas été pourvu à son remplacement, le demandeur avait gardé la qualité de représentant légal de la société … jusqu’au jour du jugement déclaratif de faillite, nonobstant l’arrivée à terme de son mandat d’administrateur au cours du mois de mai 2012, Monsieur … étant ainsi à considérer comme dirigeant de fait. Or, et comme retenu ci-avant la responsabilité personnelle du non-paiement des impôts est celle des représentants légaux du contribuable, en ce compris, conformément au paragraphe 108 AO, les dirigeants de fait ou dirigeants apparents, c’est-à-dire ceux qui se comportent, à l’égard des tiers, comme s’ils avaient le pouvoir de disposer8.

Quant à l’affirmation non autrement circonstanciée du demandeur qu’aucune faute ne lui saurait être reprochée, il convient de rappeler qu’en vertu des dispositions de l’article 136, paragraphe (4), de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-

après dénommée « LIR », l’employeur est tenu de retenir, de déclarer et de verser l’impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au paragraphe 103 AO qui dispose que « die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln, die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ».

4 A. Steichen, Précis de droit des sociétés, 2017, page 627.

5 Ibidem, page 628.

6 A. Steichen. Précis de droit des sociétés, 2017, n°896.

7 Cour 5 novembre 2003, n°27 263, Bull. Barreau, 2004, page 32.

8 Cour adm. 6 janvier 2011, n°27126C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Impôts n° 421.

9Quant à la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du fait du non-paiement des impôts dont est redevable une personne morale, le paragraphe 109 AO pévoit dans son alinéa 1er ce qui suit: « Die Vertreter und die übrigen in den §§ 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den §§ 103 bis 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütungen zu Unrecht gewährt worden sind. ».

Ces dispositions légales mettent ainsi une obligation personnelle à charge des représentants légaux de la société.

A cet égard, il convient de souligner qu’à défaut de pouvoir exiger l’exécution personnelle de ses obligations fiscales par la personne morale, la loi fiscale s’attend à ce qu’elles soient exécutées par le représentant, lequel est non seulement solidairement responsable envers les tiers de tous dommages et intérêts résultant d’infractions aux dispositions de la loi sur les sociétés commerciales ou des statuts sociaux, mais qui engage en outre sa responsabilité par ses fautes lourdes incompatibles avec l’exercice normal de ses fonctions. La notion de responsabilité d’un dirigeant d’entreprise est dès lors une notion polysémique. Ainsi et selon le sens qui lui est donné par l’AO, le mot responsabilité marque l’obligation pour une personne de répondre et d’être garant de la dette d’autrui au moyen de sa fortune personnelle. Il s’agit donc ici de la responsabilité vis-à-vis d’un tiers particulier qui est le receveur chargé de recouvrer l’impôt. Le représentant engage sa responsabilité personnelle pour les insuffisances d’impôt qui lui sont imputables9.

Si la responsabilité civile, voire pénale d’un dirigeant d’entreprise est ainsi engagée en cas d’infractions commises aux dispositions de la loi sur les sociétés commerciales ou des statuts sociaux, la responsabilité prévue au paragraphe 109 AO est spécifique en ce sens qu’elle résulte à la base d’un fait d’un tiers, à savoir la personne morale qui s’est rendue coupable d’un manquement à une de ses obligations fiscales, pour être transférée ensuite aux dirigeants de cette même personne morale, lesquels doivent garantir les dettes fiscales éventuelles de la personne morale par leur propre fortune. A cet égard, il convient de se référer notamment à la doctrine allemande d’après laquelle « Haftung im Steuerecht bedeutet demnach immer das Einstehenmüssen mit eigenem Vermögen für fremde Schuld. Während im Privatrecht dagegen Haftung und Schuld häufig synonym verwendet werden 10 ».

La responsabilité du dirigeant d’entreprise, telle que visée au paragraphe 109 AO, est dès lors directement liée à la dette d’impôt de la personne morale, cette circonstance étant encore illustrée par le fait que la responsabilité personnelle du représentant responsable du paiement des impôts sur salaires ayant commis une inexécution fautive de ses obligations fiscales, engagée sur base du paragraphe 109 AO, ne peut être engagée qu’aussi longtemps que la dette d’impôt n’est pas éteinte11.

Cette responsabilité spécifique, engagée suite à un fait d’autrui, à savoir la personne morale s’étant rendue coupable d’un manquement à ses obligations fiscales, se distingue ainsi de la responsabilité civile de droit commun d’un dirigeant d’entreprise, respectivement de la responsabilité civile vis-à-vis de la société en cas de fautes de gestion, ou encore de celle vis-

9 Fabienne Rosen, Obligations et responsabilité des dirigeants de société en matière de contributions directes, Livre Jubilaire de l’IFA Luxembourg, Bruylant, point 7.17 page 206.

10 Stefan Schäfer, Die steuerliche Haftung insbesondere der Haftungsvorschriften der Abgabenordnung, Projektarbeit, page 6.

11 Voir en ce sens Cour adm. 6 janvier 2011, n°27126C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Impôts n° 427.

10à-vis de la société et des tiers en cas de fautes résultant de la violation des dispositions de la loi sur les sociétés commerciales ou des statuts de la société en question. Ces deux régimes de responsabilité cohabitent et ne s’excluent pas mutuellement, cette conclusion se retrouvant d’ailleurs également en doctrine, selon laquelle « Steuerliche und zivilrechtliche Haftungsvorschriften sind nebeneinander anwendbar. Ihre jeweiligen Tatbestände beeinflussen sich gegenseitig nicht, so dass sich der Fiskus grundsätzlich den jeweils weitgehenden Tatbestand aussuchen kann »12.

Il y a ensuite lieu de souligner qu’il se dégage de l’article 136, paragraphe (4), LIR, ainsi que des paragraphes 103 et 109 AO, que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO précité n’est pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société en application du paragraphe 109 (1) AO et pour voir émettre à leur encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant en effet posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers l’administration fiscale.

Le paragraphe 7 (3) StAnpG dispose, par ailleurs, que « Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern », de sorte que le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce, à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.

En cas de pluralité de responsables, la possibilité de poursuivre simultanément tous les responsables résulte implicitement du paragraphe 7 StAnpG qui dispose que ceux qui sont poursuivis en qualité de responsables sont tenus solidairement. Le bureau d’imposition n’est par contre pas obligé de poursuivre tous les co-responsables et peut limiter son recours contre un ou plusieurs d’entre eux. En toute hypothèse, il appartient au bureau d’imposition de relever les circonstances particulières qui ont déterminé son choix.

En effet, quant à l’exercice du pouvoir d’appréciation par l’administration, le paragraphe 2 StAnpG prévoit ce qui suit : « (1) Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessens-Entscheidungen), müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessens-

Entscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen ». Ainsi, l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles de fonder sa décision en raison et en équité.

En l’espèce, le demandeur entend s’exonérer de toute responsabilité éventuelle en contestant sa qualité d’administrateur.

Il se dégage des pièces figurant au dossier fiscal, ainsi que des développements de part et d’autre, que lors de la constitution de la société … en date du … 2006, Monsieur … a 12 Wolgang Jakob, Abgabenordnung, 4. Auflage, Verlag C.H. Beck, point 409, page 166.

11été nommé administrateur et administrateur-délégué de ladite société avec le pouvoir d’engager la société par sa seule signature et avec la précision que le mandat d’administrateur est limité à une durée de six ans. S’il est exact que le mandat d’administrateur de l’intéressé a, en principe, expiré au cours du mois de mai 2012, il n’en reste pas moins qu’il n’est ni allégué ni a fortiori prouvé qu’entre cette dernière date et le jour du jugement déclaratif de faillite, un nouvel administrateur ait été nommé. A cet égard, il convient de rappeler, comme retenu ci-avant que la limitation de la durée du mandat est destinée à protéger les actionnaires vis-à-vis des administrateurs qui, s’incrustant durablement dans la gestion sociale, deviendraient trop puissants13. Elle n’a pas d’effets à l’égard des tiers, de sorte que l’administrateur dont le mandat est venu à expiration en raison du dépassement de la durée légale de six ans continue à engager la société tant que sa démission n’a pas été publiée14. En effet, et comme retenu ci-avant, l’administrateur, dont le mandat est venu à échéance continue à participer provisoirement à la gestion de la société et à représenter celle-ci vis-à-

vis des tiers, jusqu’à la prochaine assemblée nommant le nouvel administrateur, les administrateurs étant, par ailleurs, rééligibles. Cette continuation des pouvoirs de représentation envers les tiers – dérogatoire au droit commun – s’impose aux fins de permettre à la société de continuer à fonctionner normalement15 et a pour corollaire la persistance du régime de responsabilité applicable aux administrateurs16.

Le tribunal en déduit qu’à défaut de démission formelle et dans la mesure où il n’avait pas été pourvu à son remplacement, le demandeur avait gardé la qualité de représentant légal de la société … jusqu’au jour du jugement déclaratif de faillite, nonobstant l’arrivée à terme de son mandat d’administrateur, respectivement d’administrateur-délégué, au cours du mois de mai 2012.

Il est admis que les administrateurs sont nommés parce que l’on attend d’eux la compétence nécessaire pour l’accomplissement de leurs fonctions, de sorte qu’actifs et non-

actifs répondent de leurs actes de la même façon. Le fait de ne pas exercer ses fonctions dans la société étant en soi une faute de gestion17. En effet, la faute n’implique pas de la part de l’administrateur un agissement actif. La responsabilité de l’administrateur peut être engagée par son attitude passive, sa négligence, son incurie18 ; aussi, le comportement du demandeur, consistant en une légèreté ou une insouciance impardonnable doit être considéré comme faute grave, à savoir une faute qu’un dirigeant raisonnablement diligent et prudent n’aurait pas commise et qui heurte les normes essentielles de la vie en société, ou du moins les normes importantes19.

A toutes fins utiles, il échet encore de relever que les obligations légales d’un représentant légal d’une société telles que visées au paragraphe 103 AO relèvent du droit public et ne sauraient dès lors être tenues en échec par des restrictions - parfaitement valables dans les rapports internes - découlant de l’acte de société ou de délibérations internes, ni même par des dispositions du droit privé.

13 A. Steichen. Précis de droit des sociétés, 2017 n°896.

14 Cour 5 novembre 2003, n°27 263, Bull. Barreau, 2004, page 32.

15 Cour d’appel, 14 janvier 2009, Pas. 34, p. 392.

16 C. Duro et al., La société en poche Luxembourg 2016-2017, Wolters Kluwer, 2016, p. 119.

17 Ibidem, note n° 214.

18 P.Thielen et J. Delvaux, La responsabilité civile des administrateurs de sociétés anonymes en droit luxembourgeois - situation actuelle et tendance future, Bulletin Droit et banque, 4/1948, p.6, et N. Schaeffer, Réflexions sur la responsabilité des administrateurs et dirigeants de sociétés commerciales de capitaux, Bulletin de la Conférence St Yves, n° 77, novembre 1990, p.18.

19 D. Matray, op.cit, notes n° 67, 68, 69 et 70.

12 Il y a dès lors lieu de conclure que Monsieur … était responsable de la retenue des impôts sur salaires et traitements. En effet, un administrateur, en tant que représentant d’une société, agissant en lieu et place de celle-ci, doit veiller à l’exécution des obligations fiscales de celui qu’il représente. Une de ces obligations consiste ainsi pour le représentant légal d’une société à opérer, déclarer et verser les retenues d’impôt et, de manière générale, à payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.

Ainsi, le représentant qui a accepté sa fonction ne peut pas se contenter de contester son pouvoir. En effet, en n’exécutant pas les obligations légales de la société, il manque à son premier devoir, celui d’administrer20.

Sur base des principes développés ci-avant, le fait que le demandeur, durant le laps de temps où il a exercé la fonction d’administrateur et d’administrateur-délégué de la société …, ait omis de retenir et de continuer à l’administration des Contributions directes les sommes dues à titre de retenues sur salaires et traitements, est à qualifier de comportement fautif : en effet, dès lors que le débiteur du revenu a opéré la retenue sans la continuer au fisc et a de ce fait nécessairement détourné les sommes retenues à d’autres fins, son comportement est en règle générale à considérer comme fautif puisque celui qui opère des retenues ne peut ignorer que la loi qui l’oblige à effectuer les retenues l’oblige également de transférer ces fonds au receveur21.

En ce qui concerne l’omission non contestée du demandeur de veiller à la gestion journalière détaillée de la société …, force est de constater que Monsieur … n’avance, dans le cadre du présent recours, aucune explication susceptible d’expliquer son comportement.

Or, la responsabilité de l’administrateur pouvant, comme développé ci-avant, être engagée par son attitude passive, sa négligence, son incurie22, force est de retenir que le comportement du demandeur consiste en une légèreté ou une insouciance impardonnable et doit être considéré comme faute grave, à savoir une faute qu’un dirigeant raisonnablement diligent et prudent n’aurait pas commise et qui heurte les normes essentielles de la vie en société, ou du moins les normes importantes23.

A cet égard, il y a lieu de relever que les retenues sur salaires constituent des sommes d’argent qui, dès le versement du salaire, ne doivent pas recevoir une affectation autre que le seul paiement de l’impôt dû par le salarié. En ne donnant pas à ces montants l’affectation qu’ils doivent recevoir, le représentant de la société détourne lesdits montants à d’autres fins, ce qui constitue à l’évidence une inexécution gravement fautive de ses devoirs24.

Dès lors, le fait de ne pas avoir veillé à la gestion journalière de la société … est de nature à engager la responsabilité de Monsieur …, solidairement co-responsable.

Le tribunal est, dès lors, amené à retenir que les explications fournies en l’espèce par la partie étatique permettent à suffisance, au regard des exigences posées par le paragraphe 109 AO et par le paragraphe 2 StAnpG, de justifier le constat d’un comportement fautif dans 20 F. Rosen, op. cit., p. 199.

21 Trib. adm. 22 mai 2013, n° 31503 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Impôts, n°449 et les autres références y citées.

22 P.Thielen et J. Delvaux, op. cit., p.18 23 D. Matray, op.cit, notes n° 67, 68, 69 et 70.

24 Voir, p. ex. : Trib. adm., 1er juin 2016, n° 36298 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

13le chef du demandeur. C’est dès lors à bon droit que le bureau d’imposition a retenu une faute caractérisée à sa charge.

En avançant ces considérations à l’appui de sa décision, le directeur s’est livré à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles de fonder sa décision en raison et en équité, contrairement à ce que soutient le demandeur.

Si le tribunal vient de retenir dans le chef de Monsieur … un comportement fautif et de constater l’existence d’un dommage consistant en une insuffisance d’impôt (« Verkürzung der auferlegten Steueransprüche ») - résultant du défaut de paiement de l’impôt fixé à l’échéance - il y a encore lieu de retenir que ce dommage se trouve dans un lien de causalité direct avec les agissements fautifs de Monsieur …. En effet, il ne saurait être conclu à l’absence d’un lien de causalité que si le dommage était survenu alors même que le représentant aurait eu un comportement conforme aux lois ou à ses obligations25. Or, en l’espèce, il convient de rappeler que la responsabilité personnelle du demandeur a été mise en cause pour ne pas avoir accompli les obligations incombant au contribuable, la société …, ainsi que pour son manque de diligence ou de soin apporté à l’exécution des obligations fiscales de la société représentée. Or, si le demandeur, comme développé ci-avant, avait respecté ses obligations, en les accomplissant personnellement et solidairement en sa qualité d’administrateur et d’administrateur-délégué, la non-perception des impôts redûs aurait été évitée, de sorte que la violation des obligations incombant à Monsieur … a engendré le résultat dommageable.

Il s’ensuit qu’il y a lieu d’admettre, à l’instar de ce qui a été retenu par le bureau d’imposition, que Monsieur …, en sa qualité d’administrateur et d’administrateur-délégué, a activement contribué par sa négligence coupable au défaut de procéder aux retenues d’impôts et de leur continuation à l’administration des Contributions directes.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autres contestations que le recours est à déclarer non fondé.

En ce qui concerne la demande de Monsieur … de voir ordonner le sursis à exécution de la décision directoriale litigieuse, il convient de souligner que conformément à l’article 11, paragraphe (3). de la loi modifiée du 21 juin 1999portant règlement de procédure devant les juridictions administratives une telle demande doit être présentée par requête séparée, à adresser au président du tribunal et doit remplir les conditions prévues aux article 2 et 4 de la même loi. Une telle demande, formulée dans le cadre du présent recours est partant à rejeter.

Le demandeur réclame encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3000.- euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qui est toutefois à rejeter eu égard à l’issue du litige.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

25 F. Rosen, op.cit., p. 212.

14 au fond, le dit non fondé, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 15 mai 2018 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Stéphanie Lommel, attaché de justice, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 mai 2018 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 39920
Date de la décision : 15/05/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-05-15;39920 ?

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