Tribunal administratif N° 39495 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2017 2e chambre Audience publique du 7 mai 2018 Recours formé par Monsieur ….., ….., contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39495 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2017 par Maître Sarah Moineaux, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à …. (Irak), agissant en son nom personnel et au nom et pour compte de son enfant mineur à l’époque ….., né le ….
à ….., tous de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-….., tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 mars 2017 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de la décision portant ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2017 ;
Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er janvier 2018 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déclarant avoir repris le mandat pour la défense des intérêts de Monsieur ….. et de son fils …..;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marlène Aybek, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Madame le délégué du gouvernement Nancy Carier en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 janvier 2018.
Le 12 octobre 2015, Monsieur ….. introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », en son nom et celui de son fils mineur à l’époque, ….., une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur ….. fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
1 Le 30 novembre 2015, Monsieur ….. fut entendu par un agent du ministère, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
Le 30 septembre 2016, Monsieur ….. fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 27 mars 2017, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 28 mars 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après « le ministre », informa Monsieur ….. qu’il avait rejeté sa demande de protection internationale comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Ladite décision est libellée de la façon suivante :
« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez déposée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 12 octobre 2015.
Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 12 octobre 2015.
Il ressort dudit rapport que vous êtes entré de façon illégale dans l'Union européenne.
Monsieur, vous prétendez que vous auriez quitté l'Irak en date du 28 août 2015 en avion à partir de …… pour vous rendre à …./Turquie, puis en voiture à …. et à ….. Là-bas, vous auriez rencontré un passeur auquel vous auriez payé la somme de 2600 dollars. Ce dernier vous aurait cheminé par la voie maritime en Grèce. Toutefois, vous précisez qu'à cause de problèmes, vous auriez dû entreprendre deux tentatives pour traverser la mer, ce qui vous aurait finalement coûté la somme de 7000 dollars. A partir de la Grèce, vous auriez voyagé jusqu'au Luxembourg en passant par la Macédoine, la Serbie, la Hongrie, l'Autriche, l'Allemagne et la Belgique. Vous ajoutez que vous auriez dû payer une somme de 3000 dollars à un deuxième passeur afin de pouvoir passer la frontière serbe-hongroise.
Lors de votre entretien avec l'agent de la Police Judiciaire, vous avez indiqué que vous auriez quitté l'Irak, étant donné que vous auriez été menacé par des milices. Vous évoquez également, que votre femme et vos deux filles seraient toujours en Irak.
Vous présentez des passeports irakiens et des cartes d'identité irakiennes.
Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d'entretien Dublin III du 30 novembre 2015 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 30 septembre 2016 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
2 Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays natal, à savoir l'Irak, pour les raisons suivantes, à savoir :
- Une prétendue tentative de recrutement forcé de la part de diverses milices chiites, - Une prétendue lettre de menace.
Monsieur, il résulte de vos déclarations que l'élément déclencheur de votre demande de protection internationale aurait été une visite de trois hommes qui, selon votre opinion, appartiendraient à des milices chiites.
En effet, vous expliquez qu'après l'emprise de Daech sur les communes ….., la famille de votre femme, qui aurait habité à ….., serait venue se réfugier à ….. et vous auriez été son garant pour qu'elle puisse venir s'installer à …… Vous affirmez qu'en date du 3 mai 2015, trois prétendus membres de plusieurs milices chiites, dont vous affirmez en connaître deux, se seraient rendus à votre domicile, « les trois personnes qui étaient venus appartiennent à différents partis (milices). ….. appartient à Asaib Ahl Al Haq et je crois qu'….. appartient à l'organisation Badr » (p. 5/11 du rapport d'entretien). Ces derniers vous auraient demandé de joindre leur organisation pour libérer les zones occupées par Daech.
Selon vos déclarations, vous auriez refusé de faire suite à cette demande, du fait que « je suis un père et le responsable de ma famille. Aucune autre personne ne peut les prendre en charge » (p.4/11 du rapport d'entretien). Suite à ce refus, les trois individus auraient commencé à vous insulter, ce qui aurait déclenché une altercation verbale et physique, lors de laquelle vous auriez insulté les chiites ainsi que les milices.
En partant, les prétendus miliciens vous auraient dit « Ce n'était qu'un avertissement et on ne va pas vous laisser tranquille. Comment osez-vous d'insulter l'imam des chiites ? On va t'apprendre » (p.4/11 du rapport d'entretien).
Vous manifestez que le lendemain soir, vous auriez trouvé une lettre de menace contenant une balle de Kalachnikov devant votre porte d'entrée. Vous évoquez que vous seriez alors parti consulter votre ami ….., qui vous aurait conseillé de partir dans les meilleurs délais. Selon vos dires, vous auriez donc décidé de vous installer auprès de la famille de votre mère dans le quartier d'…..et de déposer une plainte auprès du tribunal, qui vous aurait renvoyé au poste de police d'…… Vous ajoutez que votre ami ….. vous aurait accompagné en tant que témoin. Ce dernier vous aurait fortement déconseillé de mentionner les noms de vos agresseurs à la police.
Vous évoquez que finalement, après une tentative échouée de vous installer à ….., vous auriez décidé de quitter l'Irak, ensemble avec votre fils en août 2015. Le reste de votre famille serait resté en Irak, étant donné que vous n'auriez pas pu financer le voyage de tout le monde.
Vous précisez encore que d'autres raisons de votre départ de l'Irak seraient l'instabilité permanente et les bombardements.
Pour étayer vos dires, vous avez remis :
- Une demande auprès du juge pour déposer une plainte, - Une copie de votre plainte déposée auprès de la police ainsi qu'auprès du juge d'instruction du Tribunal d'….., 3- Une copie de l'ouverture du procès-verbal, - Une copie du procès-verbal, - Un récépissé et une copie de la lettre de menace que vous auriez reçue, - Une copie du témoignage du dénommé ….., - Une copie du jugement qui accepte le témoignage de Monsieur ….., - Une copie du rapport dressé par la police d'….. qu'ils ont envoyé au juge, - Une copie de votre carte de résidence et d'un ticket de ravitaillement, - La carte de résidence de votre beau-père.
Enfin, il ressort du rapport d'entretien du 30 septembre 2016 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.
Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi précitée du 18 décembre 2015, votre demande de protection internationale est évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
Soulignons dans ce contexte que l'examen et l’évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.
1. Quant à la Convention de Genève Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.
Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 a) de la loi 18 décembre 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42(1) de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.
Selon l'article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.
* En l'espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amené à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par l'un des critères de fond défini par lesdites Convention de Genève et loi du 18 décembre 2015.
- En ce qui concerne la prétendue tentative de recrutement forcé 4 Monsieur, il ressort de votre entretien vous auriez quitté votre pays d'origine à cause d'une prétendue tentative de recrutement forcé de la part de miliciens de plusieurs milices chiites ainsi que leur menace en cas de votre refus.
Il convient tout d'abord de soulever que vous indiquez que les trois individus appartiendraient à différents milices chiites, et notamment la milice Asa'ib Ahl Al Haq et l'organisation de Badr. Etant donné que des miliciens des deux milices seraient venus vous voir ensemble dans le but de vous recruter pour leur organisation, il est sage de dire qu'ils seraient venus vous recruter pour le compte de la milice Al Hashd al Shaabi, organisation qui est constitué de plusieurs milices irakiennes, dont l'Asa'ib Ahl Al Haq et l'organisation Badr :
« Today, the Hash'd al Shaabi is funded by the Iraqi government and acts as an umbrella organization for the dozens of Shi'ia paramilitary groups operating in the country: the most prominent being: AAH, the Badr Organization, and Saraya al-Salam, formed in 2014 by Moqtada al Sadr ».
Toutefois, il ressort de nombreuses sources, citées ci-après, que la milice al-Hashd al-
Shaabi n'a jamais procédé à un recrutement forcé, indépendamment qu'il s'agisse en l'occurrence de combattants chiites ou sunnites. En effet, suite à l'appel de l'ayatollah ….. al-
Sistani, les volontaires se sont présentés en plus grand nombre qu'il n'en aurait fallu.
A noter qu'en date du 12 juin 2014, suite à l'annonce par les Etats-Unis qu'ils ne déploieraient plus de troupes en l'Irak, l'ayatollah …., la plus haute personnalité religieuse chiite en Irak, a appelé dans une fatwa les citoyens irakiens à se mobiliser pour lutter contre l'offensive de Daech dans le pays. Cet appel à la mobilisation a été suivi par un million de volontaires, majoritairement chiites. La milice al-Hashd al-Shaabi a été créée quelques jours plus tard pour encadrer correctement cet afflux de volontaires.
Les troupes d'al-Hashd al-Shaabi comprennent 100000-120000 hommes ayant des liens avec l'Organisation de Badr, l'Asa'ib al-Haq, les Kata'ib Hezbollah, les Kata'ib Sayyid al-Shuhada et le Harakat Hezbollah al-Nujaba, du fait que la milice est constitué de ces milices chiites irakiennes déjà existantes.
Avant la création de la milice al-Hashd al-Shaabi, ces milices recrutaient des volontaires pour soutenir le régime d'Assad en Syrie. Les techniques de recrutement allaient du simple placardage d'affiches jusqu'à l'ouverture de centres de recrutement sur les itinéraires des pèlerinages chiites. Des combattants étaient également recrutés sur internet ainsi que sur les réseaux sociaux. Quand en juin 2014, l'ayatollah ….. a appelé à prendre les armes pour stopper l'avancée de l'EI, les milices chiites irakiennes ont appliqué ces méthodes éprouvées de recrutement.
Disposant d'une structure organisationnelle bien développée, les milices telles que l'Organisation Badr, les Kata'ib Hezbollah, l'Asa'ib al-Haq, les Kata'ib al-Imam Ali et les Kata'ib Sayyid al-Shuhada ont recruté la plupart des nouveaux volontaires.
Aucun rapport publié ces dernières années sur les droits de l'homme en Irak ne mentionne le terme « recrutement forcé par les milices chiites ». De plus, ni la presse irakienne, ni la presse internationale ne signalent un cas de recrutement forcé de civils par les milices chiites.
5Au contraire, toutes les sources disponibles signalent qu'al-Hashd al-Shaabi est une armée composée de volontaires. Comme énoncé ci-avant, il s'agit, d'une part, d'hommes qui ont répondu à l'appel de l'ayatollah …..à prendre les armes contre l'EI et, d'autre part, des membres de milices chiites qui existaient déjà.
Même si le site d'informations Middle East Eye rapporte que des jeunes pourraient avoir subi une certaine pression sociale pour rejoindre al-Hashd al-Shaabi, il se dégage des recherches effectués par le Ministère des Affaires étrangères et européennes que les motifs religieux et financiers, ils gagnent environ 600$ par mois, auraient été les principaux arguments qui auraient poussé ces jeunes à rejoindre l'une ou l'autre milice chiite. De plus, le prestige social dont bénéficient les membres de ces milices est un facteur non négligeable.
Notons que le recrutement « forcé » est un recrutement sous forme de pression sociale qui émane en large partie des vœux exprimées par la famille ou par les clans.
Il convient donc de constater qu'une pression sociale, ne constitue guerre une crainte fondée de persécution dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, §2 de la Convention de Genève.
De ce fait, en menant une politique active de recrutement, al-Hashd al-Shaabi parvient à convaincre de nombreux jeunes à adhérer à leur organisation pour une lutte armée contre l'Etat islamique sans pour cela devoir recourir à la contrainte. Cette organisation attire de nouvelles recrues grâce au prestige social et aux avantages financiers dont jouissent ses membres. Toutes les sources consultées coïncident au fait que les milices qui composent al-Hashd al-Shaabi ne procèdent pas à des recrutements forcés.
Monsieur, vous confirmez ces informations vous-mêmes dans vos déclarations lorsque vous affirmez : « ils n'ont pas besoin de personnes comme nous pour combattre, c'était juste pour nous faire partir du quartier » (p.4/11 du rapport d'entretien).
En ce qui concerne vos paroles, selon lesquelles les miliciens seraient venus chez vous à la maison afin de vous forcer de partir de la zone, il s'agit là de simples suppositions de votre part, sans aucun élément de preuve.
Cependant, indépendamment de l'absence d'un quelconque élément de preuve de vos déclarations, les craintes que vous exprimez s'analysent en l'expression d'un simple sentiment général d'insécurité, plutôt qu'en une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Ceci est d'autant plus renforcé par le fait que vous expliquez au début de votre audition que « le fait de vivre en Iraq est considéré comme un suicide. A n'importe quel moment il y a des bombardements et les milices » (p.4/11 du rapport d'entretien).
* - En ce qui concerne la prétendue lettre de menace Monsieur, vous déclarez que le lendemain de la visite de ces trois individus, prétendus miliciens, vous auriez trouvé une lettre de menace devant votre porte d'entrée.
6Vous évoquez que suite à cette lettre, vous auriez décidé de vous installer auprès de la famille de votre femme, dans un autre quartier de ….., en l'occurrence le quartier d'…… De plus, vous déclarez que vous auriez déposé une plainte contre inconnu auprès de la police, même si vous prétendez avoir soupçonné que la menace serait provenue des miliciens qui vous auraient menacé le jour d'avant.
Toutefois, force est de constater qu'il vous est impossible de préciser l'origine et les personnes à la base de ladite menace et de ce fait il convient de considérer qu'une menace de la part de personnes non identifiées est à considérer comme infraction de droit commun, commis par des personnes privées, punissables selon la loi irakienne.
Or, s'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peuvent être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur de protection internationale.
Monsieur, il faut noter qu'il ressort clairement de vos paroles, que vous auriez porté plainte auprès de la police et du tribunal et que les policiers auraient entamé des démarches dans le cadre d'une procédure judiciaire : « les policiers ont envoyé les documents au juge et ils avaient aussi fait un schéma de ce qui s'était passé » (p.5/11 du rapport d'entretien).
Signalons que vous avez déposé un rapport dressé par la police ainsi que les documents que vous avez déposé chez le juge à l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes.
Ceci prouve que les autorités irakiennes auraient en effet fait leur travail. Par conséquent, il n'est pas démontré que les autorités de votre pays d'origine seraient dans l'incapacité de vous fournir une protection quelconque.
En outre, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire ou celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.
* Relevons également qu'en vertu de l'article 41 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, le ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.
Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine.
Selon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.
7Alors qu'il résulte des considérations développées ci-avant que vous n'êtes pas victime ou en proie d'être victime de persécutions dans votre pays d'origine, il importe de préciser qu'en tant que musulman sunnite, il vous aurait été parfaitement loisible de résider à ….., la capitale de l'Irak qui compte plus de sept millions d'habitants et qui est divisée en plusieurs quartiers dans lesquels vivent de manière séparée chiites et sunnites ainsi que d'autres quartiers qui connaissent des populations issues de sous horizons.
Si néanmoins vous estimez ne plus pouvoir ou vouloir vivre dans votre quartier d'origine, le quartier ….., situé au nord-ouest de ….., il vous serait parfaitement possible de vous installer dans un des quartiers d'….., ….. ou encore …. et plus précisément dans des localités majoritairement peuplées par des musulmans sunnites comme …..
Compte tenu des constatations qui précèdent concernant les conditions générales dans cette partie du pays et votre situation personnelle, force est de retenir que les critères du paragraphe 2 de l'article 41 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire sont clairement remplis.
Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
2. Quant à la protection subsidiaire L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 48 de la loi précitée du 18 décembre 2015, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous craindriez d'être tué par les milices chiites existantes en Irak.
Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.
* 8Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l’Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2017, Monsieur ….. a fait introduire, pour son compte et celui de son fils, mineur à l’époque, un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 27 mars 2017 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
A titre liminaire, en ce qui concerne la farde n° 3, contenant la pièce n° 15, déposée par les demandeurs au greffe du tribunal administratif en date du 25 janvier 2018, donc après l’audience publique au cours de laquelle l’affaire sous examen a été prise en délibéré, la partie étatique en réclame le rejet par courrier du 26 janvier 2018 en invoquant l’article 41 (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par la « loi du 21 juin 1999 », relatif au dépôt de pièces en cours de délibéré devant la Cour administrative.
D’après l’article 8 (6) de la loi du 21 juin 1999, nécessairement visé par la partie étatique, « toute pièce versée après que le juge rapporteur a commencé son rapport en audience publique est écartée des débats, sauf si le dépôt en est ordonné par le tribunal ».
Force est de constater que la pièce litigieuse a été versée dix jours après que le juge rapporteur ait lu son rapport en audience publique, que l’existence de cette pièce n’a pas été mentionnée lors de ladite audience et que le tribunal n’a pas ordonné son dépôt, il y a dès lors lieu de l’écarter des débats.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 27 mars 2017 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 27 mars 2017, telle que déférée.
Ledit recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, Monsieur ….. explique que son fils et lui seraient de confession sunnite. Ils auraient résidé dans le quartier …., à ….., zone qui serait majoritairement chiite. Monsieur ….. affirme avoir accueilli la famille de sa femme originaire de la province de l’…. lorsque ceux-ci auraient été obligés de la fuir. Le 3 mai 2015, trois personnes se seraient présentées à son domicile pour l’informer que lui-même ou son fils devrait s’enrôler dans une milice chiite pour se battre contre la menace du groupe terroriste dénommé « Etat islamique ». Il précise connaître l’identité de deux de ces personnes : l’un serait son voisin « ….. » qui appartiendrait à la milice chiite « Asa’ib Ahl al-Haqq », et l’autre serait « ….. » qui appartiendrait à la milice « l’Organisation de Badr ». Monsieur ….. s’y serait 9formellement opposé et aurait eu une altercation avec eux, lors de laquelle il aurait proféré des insultes contre les chiites et le gouvernement irakien. Les trois personnes l’auraient alors menacé.
Le lendemain, il aurait reçu devant sa porte une enveloppe contenant une lettre de menace et une balle de Kalachnikov. Il aurait pris les menaces au sérieux et aurait décidé de se cacher avec sa famille dans un autre quartier de ….., …., qui serait majoritairement composé de sunnites. Il aurait alors décidé de porter plainte dans un commissariat d’un autre quartier.
Sur conseil d’un ami, il aurait tu le nom des deux personnes dont il connaissait l’identité, de peur de faire l’objet de représailles de la part desdits individus, ou encore des milices chiites auxquelles ils auraient appartenu. Le prédit ami aurait également témoigné en sa faveur devant les policiers. Au bout de deux mois, durant lesquels il aurait fait attention à ses déplacements, il aurait décidé de se rendre à ….. avec les parents de son épouse. Il y aurait trouvé un appartement, mais en tant qu’arabe sans garant dans la partie kurde du pays, il n’aurait pas pu rester. Il serait alors retourné à ….. et aurait entrepris de s’enfuir avec son fils.
a) Quant au statut de réfugié Les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir pris en compte les faits pertinents concernant leur pays d’origine, à savoir le fait qu’en tant qu’hommes sunnites résidants à ….. ayant accueilli des déplacés internes provenant de provinces contrôlées par le groupe terroriste dénommé « Etat islamique », telle que l’…., ils seraient plus exposés à des persécutions.
A l’appui de leurs affirmations, ils citent un rapport du « Geneva International Centre for Justice » de septembre 2016 intitulé « Militias in Iraq – The hidden face of terrorism », expliquant que les milices chiites agiraient de leur propre chef sans qu’elles ne puissent être contrôlées ni sanctionnées par l’Etat irakien, qu’elles auraient commis de nombreuses exactions à l’égard des sunnites et qu’elles devraient de ce fait être considérées comme groupes terroristes. Ils ajoutent que ce même rapport, ainsi que de nombreux autres, feraient état de disparitions d’hommes sunnites âgés de 18 à 50 ans, dues aux milices chiites qui n’hésiteraient pas à s’en prendre à eux à cause de leur religion. Ils renvoient également à un rapport d’ « Amnesty International » titré « Report 2016/17 : The state of the world’s human rights », dans lequel il serait précisé que les sunnites vivant à ….. seraient considérés par les milices chiites comme sympathisants ou membres de l’Etat islamique, et feraient, de ce fait, l’objet de violences, tortures et seraient même exécutés. Ils se basent encore sur le rapport du Service de l’immigration finlandais, intitulé « Security situation in Baghdad – the Shia militias » du 29 avril 2015, ainsi qu’à un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) de mai 2016, intitulé « Relevant COI for assessments on the Availability of an Internal Flight or Relocation Alternative (IFA/IRA) in Baghdad for Sunni Arabs from ISIS-Held Areas ».
Quant au fait que Monsieur ….. ait accueilli chez lui des personnes issues de l’…., ils affirment, en s’appuyant sur le prédit rapport du Service de l’immigration finlandais, que celles-ci seraient suspectées par les milices chiites d’être infiltrées par l’Etat islamique. De ce fait, les milices agiraient de sorte que les sunnites prennent peur et quittent ….., actions qui seraient avalisées par le gouvernement irakien. La menace écrite en ce sens qu’il aurait reçue confirmerait ses affirmations.
10Ils ajoutent, en citant l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, que Monsieur …..
n’aurait pas à apporter les preuves de ses déclarations, étant donné que son récit serait crédible dans son ensemble.
Les demandeurs reprochent encore au ministre d’avoir retenu que les faits exposés ne relèveraient pas de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des Réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». Ils auraient, en effet, quitté leur pays suite aux persécutions qu’ils auraient subies en raison (i) de leur religion, alors qu’en tant que sunnites, ils seraient perçus par les milices chiites comme soutenant l’Etat islamique, et ce, d’autant plus que Monsieur ….. aurait accueilli des sunnites de la province de l’…., (ii) de leur appartenance au groupe social des musulmans sunnites d’Irak, et (iii) de motifs politiques, dans la mesure où ils seraient, aux yeux des milices chiites, des représentants de la communauté sunnite, donc opposants au régime irakien, qui, lui, est dominé par les chiites.
Les faits subis, à savoir des menaces de mort, ainsi que le risque d’être enlevés, soumis à la torture ou à de mauvais traitements, voire tués par l’Etat irakien ou les milices chiites en cas de retour, seraient assez graves au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015. Les demandeurs ajoutent, à ce propos, que le fait d’avoir d’ores et déjà subi des persécutions dans leur pays d’origine serait un indice sérieux qu’ils risquent bien de faire l’objet de telles persécutions en cas de retour et renvoient, à cet effet, à la lettre destinée à Monsieur ….. qui contiendrait des menaces de mort de la part de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq.
Quant aux agents de persécutions et à la protection disponible en Irak, les demandeurs donnent à considérer que deux milices chiites – l’Asa’ib Ahl al-Haqq et l’Organisation de Badr – auraient menacé de mort Monsieur …… Ces milices devraient être qualifiées d’agents étatiques en raison de leur association étroite avec les autorités irakiennes, qui les auraient incorporées au sein des forces armées du pays. Il leur serait dès lors impossible d’obtenir une protection contre les milices chiites de la part des autorités nationales, qui seraient également auteurs des persécutions subies et redoutées. La plainte introduite par Monsieur ….. n’aurait pas été efficace et aurait même aggravé leur crainte d’être la cible de persécutions, en raison de l’interconnexion des milices chiites avec l’Etat irakien. Les demandeurs font encore valoir que les autorités irakiennes ne pourraient ou ne voudraient pas leur apporter une protection effective en raison de leur confession sunnite. Ils se réfèrent, à cet égard, à un rapport du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) belge du 31 mars 2016 intitulé « Irak, la situation sécuritaire à Bagdad », aux rapports du Service de l’immigration finlandais, de l’UNHCR et d’ « Amnesty International » précités, dans lesquels il serait précisé que les sunnites de ….. seraient soumis à un risque plus élevé d’être victimes des milices chiites, ainsi que des autorités irakiennes, qui seraient en outre corrompues. Ils citent également un rapport de l’ « United States Department of State » intitulé « Country reports on Human Rights Practices for 2016 », indiquant que l’indépendance de l’organe judiciaire irakien n’existerait pas et que les juges seraient corrompus, sinon menacés et/ou tués.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours. Concernant les évènements relatés par les demandeurs, il insiste sur le fait que les milices chiites - qui se seraient réunies en un groupement dénommé « Al Hashd al Shaabi » - n’auraient jamais procédé à des recrutements forcés. Aucun rapport international ni article de presse irakien ou international ne mentionneraient des cas de recrutement forcé. Les motifs religieux, financiers et le prestige social qui en découlerait pousseraient, en effet, les hommes à s’engager volontairement dans les milices chiites. Il en conclut que les déclarations de Monsieur ….. en ce sens ne fonderaient pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.
11 La partie gouvernementale ajoute que Monsieur ….. ne pourrait pas faire valoir une absence de protection de la part des autorités irakiennes, étant donné que, malgré le fait qu’il aurait empêché les policiers de poursuivre les auteurs des menaces en taisant leurs noms, ceux-ci auraient tout de même diligenté une enquête, dressé un rapport et renvoyé l’affaire devant un juge.
Elle réitère les conclusions du ministre quant à la possibilité d’une fuite interne et conclut que ce serait à bon droit que ce dernier leur aurait refusé le statut de réfugié.
Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».
Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et l’article 40 de la même loi dispose que : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
12 a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, les demandeurs fondent leur crainte d’être persécutés d’une part, sur le fait d’avoir refusé d’être recrutés par des milices chiites, d’autre part, sur le fait d’être de confession sunnite.
13 En ce qui concerne d’abord l’affirmation des demandeurs d’être persécutés pour avoir refusé d’être recrutés par des milices chiites, il y a lieu de constater que si Monsieur …..
affirme d’un côté que les miliciens auraient voulu qu’il vienne, ou son fils, combattre à leurs côtés, il affirme également que ceux-ci n’auraient pas réellement voulu les recruter mais auraient souhaité qu’ils s’en aillent : « (…) Ils sont venus chez moi parce que j’avais des réfugiés venant de …. à la maison. Ils ne sont pas allés chez les autres sunnites pour les enregistrer. Ils sont venus chez moi et chez la famille qui s’était réfugiée chez moi. Comme ça ils voulaient nous forcer de partir de la zone. Ils n’ont pas besoin de personnes comme nous pour combattre, c’était juste pour nous faire partir du quartier. »1.
Etant donné qu’il ressort des recherches menées par la partie étatique, non autrement remises en cause par les demandeurs, que les milices chiites ne procèdent pas au recrutement forcé, le tribunal est amené à retenir que les trois individus qui se sont présentés au domicile familial n’avaient pas pour but de les enrôler de force, mais qu’ils voulaient effectivement pousser les demandeurs à quitter leur quartier.
Cette analyse est en outre confirmée par le fait qu’il serait légitime de la part de personnes, qui supposément persécuteraient les sunnites, qu’elles ne cherchent pas à recruter de force un membre de cette communauté, mais qu’elles privilégient un chiite.
En ce qui concerne ensuite les persécutions en raison de la religion des demandeurs, si Monsieur ….. affirme lors de son audition que le contenu de la lettre de menace aurait été « Vous devez partir toi et ta famille. Vous les sunnites vous êtes des mécréants. C’est le dernier avertissement, si on vous voit encore une fois on vas vous faire du mal.»2, il indique néanmoins dans sa requête introductive d’instance que son contenu aurait été « Pars ainsi que les incroyants et infidèles qui sont avec toi et les traîtres que tu héberges chez toi. Ceci est le dernier avertissement après nous te tuerons toi ainsi que ta famille. A vous le déshonneur et l’humiliation. »3. Il échet de constater que la motivation première des miliciens à leur égard était de les chasser de leur quartier pour avoir hébergé des sunnites de l’…., et non pas pour être sunnite, analyse confortée par le fait que les demandeurs ont vécu paisiblement à ….., dans leur quartier de …. à majorité chiite, sans avoir le moindre souci avec une quelconque milice, ou même d’autres membres de la communauté chiite, jusqu’à ce qu’ils hébergent la belle-famille de Monsieur ….. originaire de la province de l’…..
Enfin, le père de Monsieur ….., sunnite selon ses propres déclarations, aurait reçu la visite de ces individus, qui se seraient renseignés sur le lieu de séjour de son fils, sans avoir été autrement inquiété par les miliciens chiites, corroborant ainsi la précédente analyse.
En outre, Monsieur ….. précise que les menaces viendraient de son voisin ….. avec lequel il aurait eu un conflit purement personnel en raison de l’élevage de pigeons de ce dernier, n’excluant pas une vengeance exclusivement privée de celui-ci à l’encontre du demandeur.
Dès lors, les agissements des miliciens n’ont pas été motivés par l’intention de recruter les demandeurs, ni du fait de leur religion mais par le fait qu’ils ont accueillis des « étrangers » à leur domicile. Le fait d’avoir accueilli la belle-famille de Monsieur ….. n’entre 1 Page 4 du rapport d’audition de Monsieur …..
2 Page 6 du rapport d’audition de Monsieur …..
3 Page 9/31 de la requête introductive d’instance.
14pas dans le champ d’application de la Convention de Genève, dans la mesure où les demandeurs restent en défaut d’établir à suffisance de droit le lien entre les faits subis et la motivation prétendument religieuse et communautariste gisant à la base des agissements des miliciens, d’autant plus que Monsieur ….. a précisé lors de son audition que les autres sunnites de son quartier n’avaient pas été approchés par les prédits miliciens.
En ce qui concerne les motifs politiques tirés du fait qu’en tant que sunnites, ils seraient ipso facto considérés comme opposants politiques, il échet d’abord de préciser que l’article 43 (1) e) dispose que « (…) la notion d’opinions politiques recouvre, en particulier, les opinions, les idées ou les croyances dans un domaine lié aux acteurs de la persécution potentiels, ainsi qu’à leurs politiques et à leurs méthodes, que ces opinions, idées ou croyances se soient ou non traduites par des actes de la part du demandeur. » Or, les demandeurs restent également en défaut d’étayer le lien entre la volonté des miliciens de les faire fuir du quartier et leurs opinions politiques, le fait d’invoquer qu’en tant que sunnites ils seraient automatiquement considérés par les miliciens comme opposants du gouvernement irakien n’étant, en effet, ni suffisant ni concluant, d’autant plus qu’en l’espèce, il y a lieu de rappeler que Monsieur ….., ayant habité dans un quartier majoritairement chiite, ne fait état d’aucun incident avant l’accueil de sa belle-famille.
Dès lors, les craintes de persécution des demandeurs ne rentrent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève, en ce que les agissements des trois miliciens ne sont pas fondés sur l’un des motifs de persécutions prévues à l'article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou encore l'appartenance des demandeurs à un certain groupe social.
Dans ces conditions, le recours pour autant qu'il est dirigé contre le refus du ministre d’accorder aux demandeurs le statut de réfugié est à déclarer comme étant infondé.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies dans le chef de Monsieur ….. et de son fils.
b) Quant au statut conféré par la protection subsidiaire Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder à Monsieur ….. et son fils le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, les demandeurs estiment qu’au vu des déclarations que le premier a faites lors de son audition du 30 septembre 2016, les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire seraient remplies dans leur chef. Ils ajoutent qu’ils risquent d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », en cas de retour dans leur pays d’origine, et d’être exécutés du seul fait d’être sunnites.
Il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette 15personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi dispose que les atteintes graves doivent être définies comme suit : « a) la peine de mort ou l’exécution ;
b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ;
c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de la demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent en substance les mêmes motifs que ceux à la base de la demande de reconnaissance du statut de réfugié.
i. Quant au risque de subir les atteintes graves définies aux points a) et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour en Irak Les demandeurs estiment qu’ils pourraient être exécutés du seul fait d’être sunnites, sinon qu’ils pourraient subir des traitements inhumains ou dégradants, par les miliciens.
Il y a tout d’abord lieu de souligner, comme retenu ci-avant, que pour pouvoir être considérés comme étant des atteintes graves au sens de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, les faits invoqués par un demandeur de protection internationale doivent être d’une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiés d’exécution, de peine de mort, de tortures ou de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.
16Tel n’est cependant pas le cas en l’espèce, étant donné qu’il a été précédemment retenu que le but des trois individus, notamment de son voisin ….., qui se sont présentés chez les demandeurs était surtout de pousser les invités des demandeurs et ces derniers à quitter leur quartier, que les menaces n’ont pas été suivies d’actes d’agressions physiques concrets et personnels, ni d’un autre incident, alors même que le père de Monsieur ….., sunnite, aurait reçu la visite de ces personnes à deux reprises et qu’elles lui auraient seulement demandé où son fils se trouvait. Si ces trois individus avaient véritablement pris les sunnites pour cible et s’ils étaient d’une dangerosité telle que les demandeurs l’affirment, il est raisonnable de penser qu’ils ne se seraient pas contentés de poser simplement des questions à ce dernier.
Etant donné qu’il ne ressort pas, en outre, de l’audition de Monsieur ….. que son fils et lui-même auraient été ou pourraient être condamnés à la peine de mort et qu’ils n’ont pas spécifiquement étayé leur argumentaire quant à ce point, le tribunal est partant amené à retenir que les demandeurs sont restés en défaut d’établir à suffisance de droit qu’ils courent un risque réel et avéré de subir les prédits actes, de sorte qu’il y a lieu de conclure que c’est à juste titre que le ministre a considéré que les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire prévues à l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 ne sont pas remplies.
ii. Quant au risque de subir les atteintes graves définies à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour en Irak Les demandeurs font valoir qu’ils ne pourraient retourner en Irak en application de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015. Ils renvoient à cet effet aux divers rapports internationaux qu’ils ont invoqués dans le cadre de la demande de réformation du refus d’octroi du statut de réfugié, et citent de nouvelles sources, à savoir des articles de presse relatant la mort de Bagdadiens, un rapport d’ « Amnesty International » du 18 octobre 2016 intitulé « Displaced Iraqis Abused by Militias and Government Forces », le relevé des blessés et décès en Irak par mois réalisé par l’« UN Assistance Mission for Iraq » (UNAMI), un autre rapport de l’UNHCR du 14 novembre 2016, ayant pour titre « Position on Returns to Iraq », et des données relevées sur le site « www.iraqbodycount.org » comptabilisant le nombre de victimes en Irak depuis 2003.
Les demandeurs versent également le 12 janvier 2018, par le biais de leur litismandataire actuel, une farde de pièces contenant d’autres articles de journaux et des rapports : un article de la station de radio « Europe 1 » du 24 octobre 2016 dont le titre est « L’alcool désormais banni en Irak », un autre du journal « Figaro » du 13 mars 2017 titré « A Bagdad, survivre dans la cité du cauchemar », un article du site internet « www.rfi.fr » intitulé « Irak : combats entre forces kurdes et armée irakienne dans la région de Kirkouk » du 16 octobre 2017, un rapport du Comité international de la Croix-Rouge ayant pour titre « Irak : rapport d’activité 2016 », publié le 3 février 2017, décrivant le déplacement des Irakiens à l’intérieur de leur pays depuis le début des conflits, un article d’ « Amnesty International » ayant pour titre « Irak. La bataille opposant l’Etat islamique à la coalition menée par les Etats-Unis et les forces irakiennes provoque une situation catastrophique pour les civils de Mossoul-Ouest », publié le 11 juillet 2017, un autre de la même organisation dénommé « l’Irak des milices » du 5 janvier 2017, une analyse tirée d’un blog du journal « Le Monde » ayant pour titre « l’Irak à la merci des milices chiites » du 28 mai 2017, ainsi que des articles de presse relatant de la colère des miliciens suite à l’appel du président français à démanteler les forces paramilitaires en Irak.
17Ils versent encore juste avant l’audience du 15 janvier 2018, une autre farde contenant un article du journal « The Guardian » du même jour, relatant une attaque au centre de ….. qui se serait produite le matin même et qui aurait fait au moins 38 morts et 105 blessés.
Dans leur requête introductive d’instance, les demandeurs précisent encore qu’en tant qu’hommes sunnites en âge de combattre et ayant hébergé des déplacés internes de la province de l’…., ils seraient plus exposés aux violences aveugles. Ils ajoutent que le fait d’être restés dans un pays occidental les exposerait davantage au risque d’être kidnappés pour l’obtention d’une rançon. Enfin, Monsieur ….. ….. fait valoir que le fait d’avoir un prénom chiite augmenterait le risque qu’il soit victime de violences aveugles.
Le délégué du gouvernement, dans son mémoire en réponse, indique que la situation générale en Irak serait grave et évolutive mais pas au point qu’il existerait de ce fait « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne du requérant, celui-ci n’ayant pas démontré avoir subi des persécutions caractérisées dans ce pays » et renvoie à un arrêt de la Cour administrative du 7 mars 2017, inscrit au rôle sous le numéro 38697.
Il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 le demandeur doit établir qu’il existe dans son pays d’origine « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Si la Cour administrative a retenu dans des arrêts récents, en prenant en compte les éléments d’espèce, que « (…) la situation de sécurité était et reste dangereuse et précaire dans différentes parties de l'Irak, dont en particulier la ville de Bagdad, étant donné que les incidents violents continuent d’être nombreux et largement répandus. Si les derniers chiffres dont la Cour dispose témoignent indubitablement de nombreuses victimes dans la ville de Bagdad où les époux (…) ont vécu avant son départ, à savoir 86 civils tués dans des attentats au mois de mai 2017, 22 au courant du mois de juin 2017 et 38 au courant du mois de juillet 2017, et si le sort de chacune de ces victimes est en soi une tragédie épouvantable, il n’en reste pas moins que ces chiffres doivent être mis en relation avec le nombre total de la population vivant à Bagdad, à savoir environ 8 millions d’habitants. Or, sur base de la mise en relation du nombre des victimes d’incidents violents avec la population totale, il n’appert pas que la simple présence d’un individu à Bagdad l’expose ipso facto, avec un degré de probabilité certain, à des menaces individuelles graves. Ainsi, le seul fait d'être originaire d'Irak et, plus particulièrement, de Bagdad n’est pas un élément justifiant à lui seul et automatiquement l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire. (…) »4, il y a tout de même lieu de vérifier, si à l’heure actuelle - la situation étant, telle que soulignée par la Cour administrative, précaire en Irak -, un conflit armé interne lors duquel des violences aveugles sont exercées existe dans le prédit pays au moment où le tribunal statue.
La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé dans ce contexte, dans l’arrêt du 17 février 2009, « Elgafaji c. Pays-Bas », numéro C-465/07, que « (…) l’article 15, sous c), de la directive, lu en combinaison avec l’article 2, sous e), de la même directive, doit être interprété en ce sens que:
- l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne du demandeur de la protection subsidiaire n’est pas subordonnée à la condition que ce dernier 4 Cour administrative, arrêts du 7 décembre 2017 inscrits sous les numéros de rôle 39992C, 40005C et 39944C.
18rapporte la preuve qu’il est visé spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle;
- l’existence de telles menaces peut exceptionnellement être considérée comme établie lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours, apprécié par les autorités nationales compétentes saisies d’une demande de protection subsidiaire ou par les juridictions d’un État membre auxquelles une décision de rejet d’une telle demande est déférée, atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir lesdites menaces. ».
Elle a également retenu, en son considérant 39, que « (…) plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire ».
Elle a, par ailleurs, défini les violences aveugles, notamment dans les considérants 34 et 35, comme étant des violences qui s’étendent à des civils sans considération de leur situation personnelle ou de leur identité.
Il ressort de l’arrêt « Elgafaji c. Pays-Bas » précité que, (i) dans un premier temps, le demandeur doit démontrer que la situation est telle que tout civil, quels que soient son identité, son vécu, ses caractéristiques personnelles – d’où le terme « aveugle » qui suit le mot « violence » – est exposé par le simple fait de se trouver sur le territoire où ces violences sont exercées, (ii) s’il prouve que ces violences existent mais n’atteignent pas un degré exceptionnel, il doit alors démontrer que des éléments propres à sa situation personnelle aggravent dans son chef le risque de subir ces violences, par exemple dans le cas d’une personne particulièrement vulnérable.
Le conflit armé interne a été, par la suite, défini par la CJUE dans son arrêt du 30 janvier 2014, « Diakité c. Belgique », numéro C-285/12, et plus particulièrement en son considérant 35, de la manière suivante : « (…) lorsque les forces régulières d’un État affrontent un ou plusieurs groupes armés ou lorsque deux ou plusieurs groupes armés s’affrontent, sans qu’il soit nécessaire que ce conflit puisse être qualifié de conflit armé ne présentant pas un caractère international au sens du droit international humanitaire et sans que l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence ou la durée du conflit fasse l’objet d’une appréciation distincte de celle du degré de violence régnant sur le territoire concerné. ».
En d’autres termes, une protection subsidiaire sera accordée en vertu de l’article 48 c) précité, (i) si le demandeur de protection internationale démontre l’existence d’un conflit armé interne, à savoir de graves affrontements entre l’Etat et un ou des groupes armés ou entre différents groupes armés sur le territoire de son pays d’origine, sa région d’origine ou celle où il s’est établi avant sa fuite, et (ii) s’il soumet la preuve que les violences découlant du prédit conflit touchent les civils sans aucune considération personnelle et ont un niveau si élevé que le simple fait d’être présent sur ledit territoire, ou dans la région dont il est originaire ou qu’il a fui, l’exposerait à un risque réel de subir les prédites atteintes graves, sinon que des éléments propres à sa situation personnelle aggravent dans son chef le risque de subir des atteintes graves du fait de violences aveugles qui n’ont pas atteint un degré exceptionnel.
19 En ce qui concerne, tout d’abord, l’existence du conflit armé interne, il est effectivement nécessaire de distinguer les différentes régions lors de l’appréciation de la qualification des conflits dans lesdites zones du pays d’origine d’un demandeur, si un conflit généralisé sur tout le territoire ne peut être retenu.
Au vu des éléments à la disposition du tribunal, il est indéniable que l’Etat irakien, appuyé par les milices chiites, lutte contre le groupe terroriste Etat islamique, sur une grande partie du territoire irakien, et particulièrement à Bagdad d’où les demandeurs sont originaires, de sorte que la condition de conflit armé interne, tel que défini par la CJUE dans l’arrêt « Diakité c. Belgique », y est remplie.
En ce qui concerne, ensuite, l’existence de violences aveugles, dans le prédit arrêt « Elgafaji c. Pays-Bas », la CJUE a relevé qu’il appartient aux autorités nationales ou au juge saisi d’un recours contre une décision refusant la protection subsidiaire d’apprécier le degré de violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé. Néanmoins, ce degré n’a pas été précisément défini dans les prédits arrêts de la CJUE.
Dans un arrêt du 28 juin 2011 « Sufi et Elmi c. Royaume-Uni », la CEDH a toutefois dégagé des critères non-exhaustifs, notamment en son considérant 241, permettant de circonscrire une approche dans l’évaluation du degré des violences aveugles, de la façon suivante : « In the present case the applicants submitted that the indiscriminate violence in Mogadishu was of a sufficient level of intensity to pose a real risk to the life or person of any civilian in the capital. Although the Court has previously indicated that it would only be “in the most extreme cases” that a situation of general violence would be of sufficient intensity to pose such a risk, it has not provided any further guidance on how the intensity of a conflict is to be assessed. However, the Court recalls that the Asylum and Immigration Tribunal had to conduct a similar assessment in AM and AM (Somalia) (cited above), and in doing so it identified the following criteria: first, whether the parties to the conflict were either employing methods and tactics of warfare which increased the risk of civilian casualties or directly targeting civilians; secondly, whether the use of such methods and/or tactics was widespread among the parties to the conflict; thirdly, whether the fighting was localised or widespread; and finally, the number of civilians killed, injured and displaced as a result of the fighting. While these criteria are not to be seen as an exhaustive list to be applied in all future cases, in the context of the present case the Court considers that they form an appropriate yardstick by which to assess the level of violence in Mogadishu. »5.
La Cour administrative a, quant à elle, retenu dans deux arrêts6 qu’il existe un conflit armé interne dans lequel des violences aveugles sont exercées en Afghanistan, et elle a décidé, notamment dans celui du 4 janvier 2018, que « S’il est certes exact que l’intimé, comme la plupart des citoyens afghans a été en mesure de voyager régulièrement à l’intérieur de son pays d’origine, en l’occurrence entre Baghlan et Balkh, le rapport EASO, cité par le représentant étatique, relève néanmoins que 785 incidents sécuritaires ont eu lieu dans ces deux provinces entre septembre 2015 et mai 2016, soit sur une période de 9 mois. Or, aux yeux de la Cour, la fréquence de ces incidents violents dans les régions de provenance de l’intimé, même si elles sont peuplées par plus de 2.000.000 d’habitants, caractérise une situation de « violence aveugle », les attentats et attaques des Talibans comportant un risque réel pour tout habitant dans ces régions du nord de l’Afghanistan de devenir la victime 5 CEDH, 28 juin 2011, « Sufi et Elmi c. Royaume-Uni », 8319/07 et 11449/07, non souligné dans le texte.
6 Cour administrative, arrêts du 28 novembre 2017, n° 39977C du rôle, et du 4 janvier 2018, n° 40256C du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
20d’actes de terrorisme. Cette situation se trouve encore aggravée pour le cas de Monsieur …, étant donné que celui-ci, en tant que professeur de mathématiques ayant travaillé pour le ministère de l’Education au niveau de l’éducation nationale, risque d’être particulièrement visé par des attaques des Talibans , les écoles publiques ainsi que les étudiants et enseignants étant des cibles privilégiées, tel que cela se dégage encore d’un rapport de la commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (pièce 6 de la farde de pièces I déposée par l’appelant le 26 octobre 2017).
Ainsi, la Cour se doit de constater que l’Afghanistan, y compris les provinces dont est originaire Monsieur …, est actuellement en proie à un « conflit armé interne » dans le sens que des forces régulières d’un Etat, ainsi que des forces alliées internationales, affrontent un ou plusieurs groupes armés, dont notamment les Talibans et des groupes appartenant à la mouvance de l’« Etat Islamique.
Dans les circonstances données, la Cour arrive dès lors à la conclusion, à l’instar des premiers juges, que Monsieur … est confronté, en cas de retour en Afghanistan, à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015. » et ce, en se basant sur un rapport d’« Amnesty International » d’octobre 2017 relevant que « Cette dégradation des conditions de sécurité constatée en 2016 s’est encore accentuée en 2017. L’ONU a enregistré plus de 16 290 atteintes à la sécurité au cours des huit premiers mois de l’année 2017. En juin 2017, le secrétaire général de l’ONU a qualifié les conditions de sécurité en Afghanistan de « très précaires ». Selon le service de la Commission européenne à l’aide humanitaire et à la protection civile (ECHO), la situation a « évolué vers une crise humanitaire toujours plus aiguë ».
Entre le 1er janvier et le 30 juin 2017, la MANUA a recensé 5 243 victimes civiles (1 662 morts et 3 581 blessés). Dans la majorité des cas, il s'agit de personnes touchées par l'explosion d'engins explosifs improvisés placés dans des zones à population civile par des éléments hostiles au gouvernement - attentats suicides et systèmes à déclenchement par plaque de pression, en particulier. La MANUA dit avoir répertorié de janvier à juin 2017 davantage de personnes tuées ou blessées lors d'attaques suicides ou autres qu'au cours de n'importe quel semestre précédent depuis qu'elle a commencé à comptabiliser systématiquement les victimes civiles, en 2009.
La province de Kaboul est la plus dangereuse de tout l'Afghanistan en termes de victimes civiles. Toutefois, lorsque l'on regarde les 10 provinces où les victimes civiles ont été les plus nombreuses en 2016, on constate que le conflit affecte l'ensemble du pays, n'épargnant aucune des régions, du nord au sud, d'est en ouest et au centre. Ce conflit se caractérise par une instabilité généralisée et implique de nombreux groupes qui cherchent constamment à gagner ou regagner du terrain, et dont les actes peuvent être imprévisibles. Les déclarations de la MANUA et du secrétaire général des Nations unies, ainsi que celles des autorités américaines, de diverses ONG internationales et de certaines composantes du gouvernement afghan, insistent toutes sur l'ampleur de l'insécurité dans tout le pays.
Parallèlement aux graves dangers que le conflit actuel fait courir à tous les Afghans, un grand nombre de personnes vivant en Afghanistan sont également confrontées à un risque particulier de persécution - terme défini par le droit européen et international comme désignant des actes représentant « des violations graves des droits fondamentaux de l'homme », lorsqu'ils se fondent sur l'origine, la religion, la nationalité, l'appartenance à un groupe social en particulier ou les opinions politiques. La persécution n'est pas une menace localisée. Il s'agit d'une grave 21atteinte aux droits humains, perpétrée dans tout l'Afghanistan, dans les territoires sous contrôle aussi bien des forces favorables au gouvernement que des éléments qui lui sont hostiles. Dans les secteurs contrôlés par le pouvoir central, des agents de l'État se livrent quotidiennement à des violations des droits humains. Les groupes armés favorables au gouvernement se rendent responsables de meurtres, d'agressions, d'extorsions, d'actes d'intimidation, etc. Dans les régions aux mains d'éléments hostiles au gouvernement, les atteintes aux droits humains sont très fréquentes. Elles prennent la forme non seulement d'exécutions extrajudiciaires, d'actes de torture et d'autres mauvais traitements, mais également d'un refus de reconnaître les droits à la liberté de circulation, à la liberté d'expression, à la participation à la vie politique, à l'accès à l'éducation ou aux soins de santé. De plus, les deux camps commettent des atteintes aux droits humains dans des zones dont ils n'ont pas le contrôle. (…) L'Afghanistan est par ailleurs le théâtre d'une crise humanitaire aiguë. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCRA), 9 300 000 personnes auront besoin d'aide humanitaire sur l'ensemble de l'année 2017. Plus de neuf millions d'Afghans ont, au mieux, un accès limité aux services de santé les plus élémentaires. Les taux de mortalité maternelle et infantile, respectivement de 327/100 000 et de 73/1 000 enfants nés vivants, figurent parmi les plus élevés de la planète. La sécurité alimentaire est de plus en plus menacée. Quelque 1 600 000 Afghans sont actuellement dans une situation très précaire dans ce domaine.
L'Afghanistan compte environ 2 millions de personnes déplacées. Le retour, souvent involontaire, des personnes parties se réfugier à l'étranger ne fait qu'exacerber une crise humanitaire déjà profonde. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (001A) a indiqué en septembre 2017 que 30 provinces afghanes sur 34 étaient touchées par le problème des personnes déplacées. Pour la seule période comprise entre le 1er janvier et le 16 septembre 2017, 257 900 nouvelles personnes seraient venues grossir leurs rangs. Près de 60% de ces nouveaux arrivants étaient des enfants. (…) Le principe même de l' « option de déplacement à l'intérieur du pays » est à la fois contestable sur le plan juridique et, dans le cas de l'Afghanistan, fallacieux au niveau de son application. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a exprimé de fortes réserves à propos d'un concept qui n'est pas fondé aux termes de la Convention relative au statut des réfugiés. Qui plus est, les rapports de l'ONU et d'autres spécialistes montrent bien que tout le territoire afghan, du nord au sud et d'est en ouest, est touché par les attaques contre les civils et des atteintes à la sécurité. La situation sécuritaire est précaire et les multiples groupes armés opérant dans le pays cherchent à conserver, à prendre ou à reprendre tel ou tel secteur du pays. Aucune « option de déplacement à l'intérieur du pays » n'est honnêtement envisageable. »7.
Il y dès lors lieu de considérer que les critères suivants ont été pris en compte par la Cour administrative pour examiner la gravité des violences aveugles et considérer qu’elles avaient atteint un degré exceptionnel justifiant l’octroi d’une protection subsidiaire sur base de l’article 48 c) :
- le nombre d’atteintes sécuritaires (16.290 pour les huit premiers mois de l’année 2017 en Afghanistan), - les conditions de sécurité très précaires, - le nombre de victimes civiles (1.662 morts et 3.581 blessés pour les six premiers mois de 2017 en Afghanistan, soit 5.243 victimes sur une population totale de plus de 34 millions d’habitants), 7 Amnesty International, « Retour forcé vers l’insécurité – L’Europe renvoie des demandeurs d’asile en Afghanistan », https://www.amnesty.be/IMG/pdf/asa_11_6866_2017_synthese_fr.pdf 22- le fait que le conflit affecte l’ensemble du pays, et la capitale plus particulièrement, - le fait que des agents de l’Etat participent, au même titre que les groupes armés, à des violations des droits humains, - l’existence d’une crise humanitaire aiguë (9.300.000 personnes nécessitant une aide humanitaire en 2017 en Afghanistan), - le nombre de personnes déplacées (2.000.000 pour l’Afghanistan), - le fait qu’aucune option de déplacement interne ne soit réellement envisageable.
Le tribunal procède en l’espèce à la même analyse relative à la situation en Irak.
En ce qui concerne le nombre de victimes civiles en Irak, pour la même période que celle analysée pour l’Afghanistan, soit de janvier à juin 2017, le site internet de l’UNAMI8 -
notamment à la rubrique « Resources – civilian casualties » - auquel les demandeurs renvoient dans leur requête introductive d’instance, renseigne que 5.706 personnes ont été victimes des violences sur une population totale de plus de 37 millions d’habitants, plus exactement 2.429 morts et 3.277 blessés sur cette période.
Pour l’année 2016, le rapport de l’ « US Department of State » mis à jour le 29 mars 20179, cité par les demandeurs, révèle que, selon l’UNAMI, un total de 19.266 civils ont été victimes du conflit armé (6.878 morts et 12.388 blessés) et que « Active areas of conflict continued to disrupt the lives of hundreds of thousands of persons throughout the country, particularly in Baghdad and the IKR, but also in Anbar, Ninewa, Salah al-Din, and Diyala Governorates » (page 25 du rapport).
Pour ce qui est des conditions de sécurité précaires, dans le rapport de l’UNHCR du 14 novembre 2016 précité, il est indiqué que « The security situation in many parts of central and northern Iraq continues to be highly volatile and unpredictable due to ongoing military offensives and counter-offensives. Parts of northern and central Iraq remain under de facto control of ISIS, which is reported to continue to commit grave and widespread human rights abuses against the population in these areas. During military operations, civilians are used by ISIS as “human shields”; they are also at great risk from crossfire, snipers and bombardment. », situation précaire également constatée par la Cour administrative dans les prédits arrêts concernant l’Irak10.
Il ressort également des documents cités par les demandeurs dans leur requête introductive d’instance que le conflit affecte une grande partie du pays, et particulièrement …… Il est ainsi précisé dans le rapport de l’UNHCR du 14 novembre 2016 précité que « The impact of the ongoing conflict and other acts of violence against civilians is severe and extensive. Iraq has never been free of conflict-related violence since the invasion in 2003, with death tolls spiking during the height of the 2006-2007 sectarian conflict. The country experienced a relative reduction in levels of violence between 2010 and 2012. By all accounts civilian casualty figures have risen again since mid-2013 compared to previous years, and civilian casualties in 2014 and 2015 represent the highest totals since the height of sectarian
conflict in 2006-2007. In 2016, casualty figures have remained at a high level. Based on statistics provided by the UN Assistance Mission for Iraq (UNAMI), Baghdad Governorate was consistently the worst affected governorate in terms of casualty figures every month in 2014, 2015 and 2016. Baghdad is followed, although not always in the same order, by Al-Anbar, Diyala, Ninewa, Kirkuk, Salah Al-Din and Babel Governorates. Prior to the start of the military offensive to retake Mosul, the UN Humanitarian Coordinator for Iraq warned that the humanitarian consequences of the military campaign against ISIS in Mosul would be “devastating” and that “mass casualties among civilians are likely.” » 11 (pages 16-17 du rapport).
La situation sécuritaire catastrophique à Bagdad est révélée par différents autres rapports cités par les demandeurs, notamment celui de l’ « US Department of State » mis à jour le 29 mars 2017, dans lequel il apparaît que « Terrorist activities continued throughout the year, particularly with Da’esh’s attacks on cities. Baghdad was most affected, and was the site of more than half of the total fatalities. UNAMI reported that Baghdad experienced attacks of IEDs on a nearly daily basis from January to October. Some attacks targeted government buildings or checkpoints staffed by security forces, while others targeted civilians. Da’esh reportedly carried out attacks against civilians in Baghdad’s Shia-majority neighborhoods. The largest was on July 3, when a coordinated bomb attack in Baghdad’s Shia district of Karrada resulted in 292 civilians killed and hundreds wounded. » 12 (page 4 du rapport).
Plusieurs articles de journaux cités par les demandeurs dans leur requête introductive d’instance dénombrent les victimes à Bagdad : un article du 27 septembre 2016 dénombre 17 morts suite à une attaque de l’Etat islamique, un autre du 10 septembre 2016 fait état de 12 morts, un autre du 6 septembre 2016 fait état de 9 morts, un autre du 24 juillet 2016 annonce 14 morts, un autre du 21 juillet 2016 établit le nombre de morts à 21, et un autre article du 8 juillet 2016 mentionne 292 morts.
Les demandeurs renvoient également aux recherches de l’organisation « Iraq Body Count » qui recense pour l’année 2016, près de 3.744 tués à Bagdad et un total de 300 morts pour les mois de janvier et février 2017.
Ils précisent que, selon le rapport du CGRA précité, « Pour chaque mois de 2015 et de 2016, la province de Bagdad est celle qui compte le plus grand nombre de victimes civiles en chiffres absolus (…) Le risque de sous-estimation est bien sûr plus grand pour les enlèvements, les disparitions et les meurtres, dont les victimes ne sont pas toujours visibles, contrairement aux victimes des attentats à la bombe »13.
Dans l’article du journal « Figaro » du 13 mars 2017 versé par les demandeurs, le journaliste explique que « La capitale irakienne, où les marchés sont encore régulièrement frappés par des attentats, est encore constellée de checkpoints. (…) Si le nombre d’attentats a quelque peu baissé depuis le début de l'année et si les succès militaires ont permis de réduire la pression de Daech sur Bagdad, la « ville de sang » reste très dangereuse. Les Bagdadiens que notre envoyé spécial ….a rencontrés estiment vivre dans une cité de la peur: « Ils se protègent par un subterfuge : ils comparent leur situation à un cauchemar, raconte …… L'avantage du cauchemar est qu'il y a une fin. ». »14.
La Cour administrative, dans ses prédits arrêts de décembre 2017, a également noté que 86 Bagdadiens ont été tués durant le mois de mai, 22 au mois de juin et 38 au mois de juillet de l’année 2017, le nombre de blessés n’étant pas renseigné.
Dans la farde versée par les demandeurs le jour de l’audience, l’article de « The Guardian » du même jour fait état d’attentats à la bombe au centre de Bagdad, faisant au moins 38 morts et 105 blessés15, démontrant que le danger existe encore actuellement dans la capitale.
Concernant la situation humanitaire en Irak, le rapport de l’UNHCR du 14 novembre 2016 précité la met en lumière dans les termes suivants : « The escalation in violence since 2014, and the attendant humanitarian crisis have also reportedly generated additional deaths as a result of a lack of access to food, water and medical care ». (page 16 du rapport), et continue par « Iraq is experiencing a growing humanitarian crisis amidst ongoing conflict, restrictions on humanitarian access, diminishing coping mechanisms and funding shortfalls.
As a result of conflict, continuous displacement and disruption of services, humanitarian needs are reported to have escalated rapidly. It is estimated that over 10 million persons, or nearly a third of the population, are currently in need of humanitarian assistance across Iraq, including IDPs, returnees, refugees from Syria and elsewhere, and those living in areas under ISIS control. » (pages 20-21 du rapport).
Toujours dans le rapport du 14 novembre 2016 précité, l’UNHCR affirme que : « For the past two years, Iraq has been facing a major displacement crisis. Currently, more than 3.18 million persons, or nearly one in 10 of the Iraqi population, have been forced to flee their homes in several waves of mass displacement, and multiple smaller ones since January 2014, primarily from Al-Anbar, Ninewa, Salah Al-Din, as well as Diyala, Baghdad, Kirkuk and Babel Governorates. In some instances, entire communities have been displaced. (…) In terms of total numbers, Iraq hosts the third highest population of IDPs in the world. » Il en ressort que l’Irak fait face à une crise humanitaire aiguë au moins aussi grave que celle prévalant en Afghanistan, dans la mesure où 1 Irakien sur 10 a dû fuir son domicile, soit 3.180.000 de personnes, et que plus de 10.000.000 d’Irakiens, soit près d’un tiers de la population totale, nécessitaient une aide humanitaire.
Concernant la participation d’agents étatiques à des violations des droits humains, celle-ci est révélée par l’UNHCR, dans le rapport du 14 novembre 2016 précité, en ces termes : « Widespread human rights abuses and violations of international humanitarian law greatly impact on the lives of civilians beyond displacement and casualty figures. UN human rights bodies and human rights organizations have documented that all parties to the non-
international armed conflict in Iraq are committing violations of international humanitarian law and gross violations and abuses of international human rights law. » (page 3 du rapport).
Cette information est, en outre, confirmée dans le rapport précité d’« Amnesty International » intitulé « Report 2016/17 : The state of the world’s human rights » et publié le
22 février 2017, organisation qui dénonce ces faits comme suit : « Government forces, paramilitary militias and the armed group Islamic State (IS) committed war crimes, other violations of international humanitarian law and gross human rights abuses in the internal armed conflict. »16.
En ce qui concerne la fuite interne en Irak, toujours dans le rapport du 14 novembre 2016 précité, l’UNHCR affirme que « Increasingly, IDPs are prevented from accessing urban areas and are relocated, at times involuntarily, into camps where restrictions on their freedom of movement are imposed in a manner disproportionate to any legitimate concern, including those related to security. As a result, those fleeing are often forced to remain. in or near conflict areas. Sunni Arab families have reportedly also been forcibly relocated by Kurdish security forces from their original towns and villages, purportedly for their own safety as they are located in close proximity to the frontlines. » (pages 10-11 du rapport) et que « In the current circumstances, with large-scale internal displacement, a serious humanitarian crisis, mounting intercommunal tensions, access/residency restrictions in virtually all parts of the country and increasing pressure exercised on IDPs to prematurely return to their areas of origin following the retaking of these areas from ISIS, UNHCR does not consider it appropriate for States to deny persons from Iraq international protection on the basis of the applicability of an internal flight or relocation alternative. (page 23 du rapport).
Il échet d’en conclure que, si la situation sécuritaire et humanitaire est la plus catastrophique à Bagdad et que celle dans d’autres parties de l’Irak peut être considérée comme étant moins désastreuse, lesdites zones situées au Nord et au centre du pays se trouvent cependant également affectées par des attentats visant la population civile, et en outre, au vu des articles de presse versés par les demandeurs, par des affrontements, notamment au Kurdistan irakien, où les troupes fédérales irakiennes et les Kurdes ont combattu le 16 octobre 201717, et aussi à Mossoul où, selon l’article d’ « Amnesty International » du 11 juillet 2017 précité, 426 personnes sont décédées et 100 autres blessées suite à 45 attaques dans ladite ville sur une période allant de janvier à la mi-mai 2017.
Si le nombre exact des atteintes sécuritaires ayant eu lieu en 2016 ou 2017 n’a été renseigné ni par les demandeurs, ni par la partie étatique, les documents versés démontrent néanmoins que les habitants du Nord et du centre de l’Irak, et surtout ceux de Bagdad, continuent inlassablement d’être victimes, et ce, de manière régulière, de violences aveugles.
Le tribunal est par conséquent amené à retenir que la situation prévalant dans la ville d’origine des demandeurs, à savoir Bagdad, ainsi que celle dans le Nord et le centre du pays, ont pour conséquence de générer des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne des civils qui y vivent en raison de violences aveugles commises dans le cadre d’un conflit armé interne.
En ce qui concerne les autres quartiers de Bagdad cités par le ministre, où il estime que les demandeurs pourraient se réfugier, étant donné qu’il a été retenu qu’un conflit armé interne entraînant des violences aveugles a lieu à Bagdad, une fuite interne y est, par principe, en tout état de cause impossible.
16 https://www.amnesty.org/en/documents/pol10/4800/2017/en/ 17 http://www.rfi.fr/moyen-orient/20171016-irak-combats-kurdes-armee-irakienne-kirkouk-ultimatum 26Concernant la réinstallation dans « une autre ville » non autrement précisée par le délégué du gouvernement, il échet de relever que le ministre, sur lequel repose la charge de la preuve, reste en défaut de rapporter l’existence d’une région ou d’une ville irakienne dans laquelle les demandeurs pourraient se réinstaller en toute sécurité, de sorte qu’une fuite interne ne peut raisonnablement être envisagée pour eux, et ce, d’autant plus que l’UNHCR, dans son rapport du 14 novembre 2016 précité, considère qu’il n’est pas approprié, au vu de la crise humanitaire en Irak, de refuser la protection internationale à un Irakien sur base de la possibilité d’une fuite interne.
Il suit des considérations qui précèdent que les demandeurs sont confrontés à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, en cas de retour Bagdad, de sorte qu’il y a lieu de leur octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 27 mars 2017 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
Les demandeurs invoquent l’article 129 de la loi du 29 août 2008, qui dispose que « L'étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. », ainsi que l’article 3 de la CEDH.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours contre l’ordre de quitter le territoire qui découlerait du rejet de la demande de protection internationale sous examen en faisant valoir que les demandeurs seraient restés en défaut d’établir qu’un retour en Irak entraînerait pour eux le risque de faire l’objet de traitements contraires à la CEDH, respectivement violerait le principe de non refoulement.
Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que les demandeurs sont fondés à se prévaloir du statut conféré par la protection subsidiaire et que la décision de refus de la 27protection internationale est à réformer en ce sens, il y a lieu, en conséquence, de réformer l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle déférée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 27 mars 2017 rejetant la demande de protection internationale de Monsieur ….. et de son fils, …..;
au fond, le déclare partiellement justifié ;
partant, par réformation de la décision ministérielle déférée du 27 mars 2017, accorde aux demandeurs le statut conféré par la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile pour exécution ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 27 mars 2017 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, par réformation, dit que les demandeurs ne doivent pas quitter le territoire dans un délai de trente jours ;
donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Hélène Steichen, juge, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 7 mai 2018 par le juge Hélène Steichen, en présence du greffier assumé Lejila Adrovic.
s. Lejila Adrovic s. Hélène Steichen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 08.05.2018 Le greffier du tribunal administratif 28