Tribunal administratif Numéro 39813 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juin 2017 2e chambre Audience publique du 3 mai 2018 Recours formé par Madame ……, ……, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39813 du rôle et déposée le 30 juin 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Mariame Yazback, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame ……, née le …… à …… (Syrie), de nationalité syrienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation, sinon la réformation d’une décision du ministre « des Affaires Etrangères et Européennes, Direction de l’Immigration » du 30 mars 2017 rejetant la demande de regroupement familial et d’autorisation de séjour dans le chef de Monsieur…… et Madame ……;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en sa plaidoirie à l’audience publique du 19 février 2018.
En date du 4 janvier 2016, Madame …… introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Par décision du 2 décembre 2016, notifiée en mains propres le 7 décembre 2016 à l’intéressée, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », lui accorda le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après dénommée « la Convention de Genève ».
Par courrier du 12 janvier 2017, Madame …… introduisit, par l’intermédiaire de son litismandataire, une demande de regroupement familial au sens de l’article 69 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », pour son fils mineur ……, ce qui lui fut accordé par décision ministérielle du 19 mai 2017. Il obtint également le statut de réfugié par décision ministérielle du 26 juillet 2017.
Par courrier du 7 mars 2017, réceptionné par les services du ministère compétent le 8 mars 2017, Madame …… introduisit une autre demande de regroupement familial au sens de l’article 69 (1) et suivants de la loi du 29 août 2008 pour son père ………… et sa mère ……, demeurant tous deux en Syrie.
Par décision du 30 mars 2017, le ministre refusa le regroupement familial dans le chef des parents de Madame ……, aux motifs suivants :
« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier du 7 mars 2017 reprenant l'objet sous rubrique.
Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête. En effet, afin de pouvoir bénéficier du regroupement familial conformément à l'article 70, paragraphe (5), point a) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l'immigration, l’ascendant direct doit être à charge du regroupant et privé du soutien familial nécessaire dans son pays d’origine.
Or, il n’est pas prouvé que les intéressés sont à charge de leur fille. En date du 7 décembre 2016 votre mandante a indiqué et certifié véridique et exact que, je cite, « mon père s’occupe de ma famille » lorsqu’elle a été demandée comment ses parents subviennent à leurs besoins.
Par ailleurs, il n’est pas prouvé que ses parents sont privés du soutien familial nécessaire en Syrie alors qu’un de leurs fils, Monsieur ……, réside aussi à ….. en Syrie d’après les indications de votre mandante du 7 décembre 2016.
Subsidiairement, il n’est pas prouvé qu’ils remplissent les conditions pour bénéficier d’une autorisation de séjour à d’autres fins dont les différentes catégories sont fixées à l’article 38 de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée.
L'autorisation de séjour leur est en conséquence refusée conformément à l’article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2017, Madame …… a fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision ministérielle précitée du 30 mars 2017.
Quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte qu’en présence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision, il n’y a plus lieu de statuer sur un recours en annulation contre la même décision.
Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours en réformation en la présente matière, l’article 113 de la loi du 29 août 2008 prévoyant expressément un recours en annulation à l’encontre des décisions visées aux articles 109 et 112 de la même loi, renvoyant à l’article 101 sur le fondement duquel la décision a été prise, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce. Il s’ensuit que le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire contre la décision déférée du 30 mars 2017.
Le recours en annulation introduit à titre principal est en revanche recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, Madame …… soutient, en premier lieu, que ses parents auraient été à sa charge en Syrie : elle n’aurait jamais affirmé que son père se serait occupé de sa famille lors de son audition, contrairement à ce que le ministre aurait retenu. Elle précise encore que son frère … n’aurait jamais subvenu aux besoins de sa famille et se serait récemment enfui de la Syrie. Elle ajoute que ses parents n’auraient aucun revenu, son père n’exerçant aucune activité professionnelle depuis plusieurs années et sa mère étant femme au foyer. Elle aurait dès lors subvenu à leurs besoins, lorsqu’elle se trouvait en Syrie, grâce à son emploi de professeur de dessin. Elle verse à cet effet une attestation du maire de leur commune, …, datée du 30 janvier 2017, dans laquelle il affirme que les parents de Madame …… auraient été à la charge de cette dernière. Elle en conclut que ses parents seraient effectivement privés de tout soutien nécessaire dans leur pays d’origine.
Elle fait encore valoir que la décision ministérielle litigieuse violerait l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », au vu de « l’unité familiale » dont elle serait privée.
En second lieu, les documents versés à l’appui de sa demande démontreraient à suffisance que Monsieur …… et Madame ……seraient ses parents, de sorte que le ministre aurait retenu à tort que ces derniers ne rempliraient pas les conditions de l’article 38 (1), point f), de la loi du 29 août 2008 qui consacre le droit de séjour d’un ressortissant de pays tiers pour une période de plus de trois mois aux membres de la famille, catégorie dans laquelle ses parents se trouveraient.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours. Il relève que l’accord d’une autorisation de séjour serait une possibilité laissée à l’appréciation souveraine du ministre, pouvoir qui s’exercerait au cas par cas, mais qui nécessiterait que les deux conditions cumulatives prévues à l’article 70 (5) de la loi du 29 août 2008 soient remplies. En l’espèce, la condition tenant à la privation du soutien familial dans le pays d’origine ne serait pas remplie du fait que leur fils …. y serait toujours, sans preuve du contraire.
Il ajoute encore à titre superfétatoire que la deuxième condition, à savoir celle d’être à charge de Madame ……, ne serait pas non plus remplie dans la mesure où cette dernière aurait indiqué lors du remplissage de la fiche de données familiales du 7 décembre 2016, notamment aux pages 4 et 5, que son père s’occuperait de sa famille en Syrie. Il s’interroge sur les moyens de subsistance de ses parents si ceux-ci avaient été véritablement privés de toutes ressources depuis le départ de Madame …… de son pays d’origine en décembre 2015.
Selon le délégué du gouvernement, l’attestation établie par le maire de … le 30 janvier 2017 ne prouverait pas que les parents de la demanderesse seraient à sa charge. Il considère en effet que le maire aurait délivré une attestation de complaisance, qui en outre contredirait les déclarations de la demanderesse faites quelques semaines plus tôt au Luxembourg.
En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 8 de la CEDH, il précise qu’outre le fait que la demanderesse n’aurait pas développé ce moyen, le prédit article ne lui serait pas applicable, dans la mesure où, selon une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », dans l’hypothèse de personnes adultes, la partie demanderesse devrait apporter la preuve qu’il existe des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.
Enfin, la partie étatique donne à considérer que Madame …… ayant obtenu le statut de réfugié en date du 2 décembre 2016 et ayant introduit sa demande le 8 mars 2017, elle aurait à prouver que les conditions prévues à l’article 69 (1), point 1, sont remplies, notamment qu’elle ne recourrait pas au système d’aide sociale, ce qui ne serait pas le cas du fait qu’elle percevrait le revenu minimum garanti. Elle n’aurait pas non plus versé de documents relatifs à son logement, ni à une couverture d’assurance maladie.
Le tribunal constate que la décision attaquée a principalement été prise en application de l’article 70 de la loi du 29 août 2008, notamment des dispositions au paragraphe 5, point a) dudit article, et subsidiairement sur base de l’article 38 de la même loi.
Tout d’abord, dans la mesure où le délégué du gouvernement soulève dans son mémoire en réponse le fait que Madame …… aurait dû remplir les conditions de l’article 69 (1) pour demander le regroupement familial dans le chef de ses parents, il y a lieu de vérifier en premier lieu ce point, étant entendu que les conditions dans le chef du regroupant doivent être remplies au moment de la prise de la décision ministérielle.
L’article 69 dispose que « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d'un titre de séjour d'une durée de validité d'au moins un an et qui a une perspective fondée d'obtenir un droit de séjour de longue durée et qui séjourne depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l'article 70, s'il remplit les conditions suivantes:
1. il rapporte la preuve qu'il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d'aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal;
2. il dispose d'un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille;
3. il dispose de la couverture d'une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.
(2) Le bénéficiaire d'une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l'article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de trois mois suivant l'octroi d'une protection internationale. ».
Il ressort du prédit article que le bénéficiaire d’une protection internationale dispose de conditions plus favorables s’il demande le regroupement familial dans les trois mois de l’obtention de son statut. Dans le cas contraire, il doit remplir cumulativement les conditions visées au premier paragraphe de l’article 69 précité.
Il n’est pas contesté que Madame …… a obtenu le statut de réfugié par décision ministérielle datée du 2 décembre 2016, qui lui a été notifiée en mains propres le 7 décembre 2016. Le délai de trois mois prévu à l’article 69 (2) commençant nécessairement à courir à partir du moment où l’intéressée a eu connaissance de la décision, soit à partir du 7 décembre 2016, celle-ci disposait d’un délai de trois mois - étant rappelé qu’en vertu des articles 1 à 4 de la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle relative au droit commun de la computation des délais, les délais exprimés en mois commencent à courir à minuit le jour de la notification de l’acte en question et expirent à minuit, le jour du mois dont la date correspond à celle du jour de la notification -, donc jusqu’au 7 mars 2017 pour introduire sa demande de regroupement familial pour ne pas devoir remplir les conditions prévues par l’article 69 (1) de la loi du 29 août 2008.
Etant donné que le ministre a reçu la demande de regroupement familial dans le chef des parents de la demanderesse en date du 8 mars 2017, Madame …… n’était plus dans les délais pour bénéficier des conditions favorables prévues à l’article 69 (2) précité et devait dès lors remplir les conditions prévues au premier paragraphe du même article.
Or, Madame …… n’apporte pas la preuve de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d'aide sociale. Il ressort, en effet, des explications de la partie étatique, non autrement contredites par la demanderesse, que cette dernière perçoit le revenu minimum garanti depuis l’obtention du statut de réfugié, de sorte que la première condition n’est pas remplie et que le ministre pouvait de ce fait rejeter sa demande de regroupement familial dans le chef de ses parents.
A titre superfétatoire, la demanderesse n’apporte pas non plus la preuve qu’elle dispose d’un logement approprié pour recevoir ses parents, ni d’une couverture d'une assurance maladie pour elle-même et ces derniers.
Il s’ensuit que le ministre pouvait valablement rejeter la demande de Madame …… en vue d’un regroupement familial dans le chef de ses parents, Monsieur ………… et Madame ……, basée sur les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008.
Il n’y a dès lors plus lieu de vérifier si les conditions de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 sont remplies, cet examen devenant surabondant.
Concernant l’article 38 de la loi du 18 décembre 2015, celui-ci dispose que « Sous réserve de l'application des conditions de l'article 34, paragraphes (1) et (2), et sans préjudice des dispositions plus favorables adoptées par le biais d'accords bilatéraux ou multilatéraux avec des pays tiers, le ressortissant de pays tiers a le droit de séjourner sur le territoire pour une période supérieure à trois mois si, dans les conditions fixées par la présente loi:
1. il est muni d'une autorisation de séjour temporaire à titre de:
a) travailleur salarié;
b) travailleur indépendant;
c) sportif;
d) étudiant, élève, stagiaire ou volontaire;
e) chercheur;
f) membre de la famille;
g) sinon pour des raisons d'ordre privé ou particulier, ou 2. il est muni d'une autorisation de séjour de résident de longue durée. » La demanderesse affirme que ses parents entreraient dans la catégorie visée au premier paragraphe, point f) de la prédite loi. S’il n’est pas contesté que Monsieur ………… et Madame ……sont les parents de la demanderesse et qu’ils relèveraient a priori de la prédite catégorie, il n’en demeure pas moins que l’article 38 prévoit que les conditions énumérées à l’article 34 de la loi du 29 août 2008 doivent être remplies, article ainsi rédigé :
« (1) Pour entrer sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et pour le quitter, le ressortissant de pays tiers doit être muni d'un document de voyage valable et le cas échéant du visa requis, tels que prévus par les conventions internationales et la réglementation communautaire.
(2) Il a le droit d'entrer sur le territoire et d'y séjourner pour une période allant jusqu'à trois mois sur une période de six mois, s'il remplit les conditions suivantes:
1. être en possession d'un passeport en cours de validité et d'un visa en cours de validité si celui-ci est requis;
2. ne pas faire l'objet d'un signalement aux fins de non-admission sur base de l'article 96 de la Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 et être signalé à cette fin dans le Système d'Information Schengen (SIS);
3. ne pas faire l'objet d'une décision d'interdiction d'entrée sur le territoire;
4. ne pas être considéré comme constituant une menace pour l'ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales du Grand-Duché de Luxembourg ou de l'un des Etats parties à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant le Grand-Duché de Luxembourg;
5. justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé, et justifier de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d'origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie, ou justifier de la possibilité d'acquérir légalement ces moyens et disposer d'une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire. Un règlement grand-ducal définit les ressources exigées et précise les conditions et les modalités selon lesquelles la preuve peut être rapportée.
(3) Si le ressortissant de pays tiers déclare vouloir séjourner sur le territoire pour une période allant jusqu'à trois mois dans le cadre d'une visite familiale ou privée, la preuve du caractère suffisant des ressources personnelles peut être rapportée par la production d'une attestation de prise en charge ou par des lettres de garantie émises par un institut bancaire. » Or, la demanderesse n’a pas établi en cause que ses parents rempliraient les prédites conditions pour bénéficier d’une autorisation de séjour à titre de membres de famille, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour être non fondé.
En ce qui concerne enfin l’article 8 de la CEDH, celui-ci est libellé comme suit :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-
être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, les Etats qui ont ratifié la CEDH ont tout de même accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de cette même convention. Dans ce contexte, l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.
Il convient dans ce contexte de préciser encore que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis. Il faut au contraire que l’intéressé puisse invoquer l’existence d’une vie familiale effective et stable, caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites, préexistantes à l’entrée sur le territoire national ou créées sur ledit territoire, le but du regroupement familial étant de reconstituer l’unité familiale, avec l’impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays1.
Par ailleurs, la CourEDH a précisé que « les rapports entre adultes (…) ne bénéficieront pas nécessairement de la protection de l’article 8 sans que soit démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux. »2.
A cet égard, la demanderesse fait simplement état dans sa requête introductive d’instance qu’elle risquerait d’être privée de « l’unité familiale ». Or, cette seule considération n’est pas de nature à satisfaire aux conditions posées par l’article 8 de la CEDH pour pouvoir bénéficier d’une protection de la vie privée et familiale.
Si la demanderesse soutient que ses parents seraient financièrement dépendants d’elle dans la partie de son recours concernant le refus de regroupement familial, le tribunal est néanmoins amené à retenir, après analyse des pièces lui soumises, qu’elle n’apporte aucun élément en ce sens.
En effet, le simple fait d’affirmer que, lorsqu’elle se serait encore trouvée en Syrie, ils auraient vécu de son salaire et de verser une attestation du maire de ……… en ce sens n’emporte pas la conviction du tribunal, étant donné que ledit document ne permet pas de vérifier si son auteur a pu personnellement constater les faits qu’il atteste ou s’il ne s’agit que d’une retranscription des déclarations des parents de la demanderesse. Cette dernière n’apporte, en outre, aucun élément de nature à établir qu’ils seraient toujours financièrement dépendants d’elle depuis qu’elle réside sur le territoire luxembourgeois, soit depuis près d’un an et demi.
A défaut pour la demanderesse d’avoir établi l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux, le moyen tiré d’une violation de l’article 8 de la CEDH est dès lors à rejeter pour être non fondé.
Partant, au vu des considérations qui précèdent, le recours en annulation est à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;
reçoit le recours principal en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
1 voir en ce sens trib. adm. 8 mars 2012, n° 27556, Pas. adm. 2017, V° Etrangers, n° 415 et les autres références y citées.
2 Commission EDH, 10 décembre 1984, « S. et S. c. Royaume-Uni », n° 10375/83, Décisions et rapports 40, p.
196. En ce sens, voir également par exemple CEDH, 2 juin 2015, « K.M. c. Suisse », n° 6009/10, point 59 et CEDH, 30 juin 2015, « A.S. c. Suisse », n° 39350/13, point 49.
Ainsi jugé par :
Hélène Steichen, juge, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 3 mai 2018 par le juge Hélène Steichen, en présence du greffier assumé Lejila Adrovic.
s. Lejila Adrovic s. Hélène Steichen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4.5.2018 Le greffier du tribunal administratif 8