Tribunal administratif Numéro 39228 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 mars 2017 3e chambre Audience publique du 2 mai 2018 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en matière d’impôt sur le revenu
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39228 du rôle et déposée le 10 mars 2017 au greffe du tribunal administratif par Monsieur …, expert-comptable, demeurant à L-…, au nom de Monsieur … et de son épouse Madame …, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2012, émis à leur égard le 16 juillet 2014 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2017 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif par Monsieur …, préqualifié, le 7 juillet 2017 au nom des époux …, préqualifiés ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin critiqué ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur … et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 mars 2018.
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Suite au dépôt, par Monsieur … et de son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les époux … », de leur déclaration d’impôt sur le revenu de l’année 2012 le 14 janvier 2014, le bureau d’imposition … de la section des personnes physiques de l’administration des Contributions directes, ci-après désignée par « le bureau d’imposition », émit à leur égard, en date du 16 juillet 2014, le bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2012.
Par un premier courrier de leur expert-comptable du 5 août 2014, les époux … s’adressèrent au préposé de l’administration des Contributions directes dans les termes suivants :
« […] En référence à votre décompte daté du 16/07/2014, nous vous demandons au nom de notre client mentionné sous rubrique de bien vouloir surseoir au paiement de sa dette.
En effet, notre client souhaite et fait le nécessaire afin de porter réclamation contre les bulletins d’impôt du 16/07/2014 et ce dans les plus délais. […] ».
Par un second courrier de leur expert-comptable du même jour, les époux … communiquèrent différents documents au chef de division de l’administration des Contributions directes, le courrier étant libellé comme suit :
« […] En référence à notre récent entretien téléphonique, nous vous prions de trouver en annexe les documents suivants :
- Bulletin de l’impôt sur le revenu 2012 daté du 16/07/2014 mentionnant que l’art.
22bis n’est pas applicable compte tenu qu’il y a eu vente des titres ;
- Acte de constitution de la société …. Cette dernière ayant été constituée par un « échange de titres » - Acte de cession des titres de … (anc. … SARL) Comme convenu, nous vous saurons gré de bien vouloir examiner ces documents.
Comme expliqué lors de notre entretien téléphonique, nous estimons qu’il y a eu bien échange de titres et que l’art. 22bis serait bien applicable dans le chef des époux …. […] ».
Par une lettre du 17 juillet 2015 de leur expert-comptable, les époux … introduisirent une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé « le directeur », à l’encontre du bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2012, émis le 16 juillet 2014.
Par décision du 22 septembre 2015, référencée sous le numéro du rôle … et notifiée aux intéressés par courrier recommandé envoyé le même jour, le directeur déclara irrecevable la réclamation du 17 juillet 2015 pour tardiveté. Cette décision est libellée comme suit :
« […] Vu la requête introduite le 21 juillet 2015 par le sieur …, au nom des époux …-
…, demeurant à L-…, pour réclamer contre le bulletin de l'impôt sur le revenu de l'année 2012 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les §§ 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que le bulletin litigieux a été mis à la poste sous pli fermé le 16 juillet 2014 ;
Considérant qu'aux termes des §§ 245 et 246 AO, dont la règle a été reprise dans l'instruction sur les voies de recours jointe au bulletin entrepris, le délai de réclamation est de trois mois et court à partir de la notification, qui en cas de simple pli postal, est présumée accomplie le troisième jour ouvrable après la mise à la poste, en l’occurrence donc le 21 juillet 2014 ;
Que la requête, datée au 17 juillet 2015 et entrée le 21 juillet 2015, n’a donc pas été introduite dans le délai légal de réclamation, lequel a expiré le 21 octobre 2014 ;
Considérant qu'aux termes du § 83 AO ce délai est un délai de forclusion ;
Considérant que l'instruction n'a pas révélé de circonstances susceptibles de justifier un relevé de forclusion (§§ 86 et 87 AO) ;
Considérant qu'aux termes du § 252 AO une réclamation tardive est irrecevable ; […] ».
Par requête déposée le 24 décembre 2015 au greffe du tribunal administratif, les époux … ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision directoriale précitée du 22 septembre 2015. Par jugement du 9 janvier 2017, inscrit sous le numéro 37345 du rôle, le tribunal administratif a rejeté le recours en réformation pour ne pas être fondé, en retenant, d’une part, que sa compétence est limitée par l’objet de la décision lui déférée, à savoir une décision d’irrecevabilité rationae temporis du directeur par rapport à la seule réclamation du 17 juillet 2015 des époux …, et, d’autre part, que ladite réclamation avait été introduite au-delà du délai de trois mois légalement prévu, ayant expiré en date du 21 octobre 2014, de sorte que le directeur avait valablement pu décider, en application du paragraphe 252, alinéa (1) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO » qu’elle était irrecevable pour avoir été introduite tardivement, le tribunal ayant encore relevé que les époux … étaient restés en défaut de solliciter auprès du directeur le bénéfice du relevé de déchéance, conformément au paragraphe 86 AO et a fortiori de rapporter la preuve d’un empêchement, de leur part, d’introduire la réclamation dans le délai légal.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2017, les époux … ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2012, au regard du silence de plus de six mois du directeur de l’administration des Contributions directes ayant à statuer sur les mérites de leur courrier du 5 août 2014.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), alinéa 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre des bulletins de l’impôt sur le revenu si, dans un délai de six mois suite à l’introduction d’une réclamation, le directeur est resté en défaut de prendre une décision sur une réclamation régulièrement introduite par le contribuable concerné. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation sous examen, et il n’y a par conséquent pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut, tout d’abord, à l’irrecevabilité du recours sous examen, en ce que les faits de la cause auraient déjà fait l’objet du jugement du 9 janvier 2017 du tribunal administratif, inscrit sous le numéro 37345 du rôle, contre lequel les époux … n’auraient pas interjeté appel.
Les époux … font répliquer que le jugement, précité, du 9 janvier 2017 aurait uniquement porté sur la décision directoriale du 22 septembre 2015 ayant retenu la tardiveté de leur réclamation du 17 juillet 2015 sans se prononcer sur leur réclamation du 5 août 2014, qui devrait être analysée dans le cadre d’un recours séparé, tel que cela ressortirait explicitement du prédit jugement du 9 janvier 2017. Le moyen d’irrecevabilité tiré de l’autorité de la chose jugée devrait partant être rejeté pour ne pas être fondé.
Concernant le moyen d’irrecevabilité du recours tiré d’une violation du principe de l'autorité de la chose jugée, il y a lieu de préciser que celui-ci est circonscrit par la triple identité de parties, de cause et d'objet dans ce sens que ce qui a été jugé ne fait autorité que dans la mesure où la décision est intervenue entre des parties données, qu'elle a porté sur un objet déterminé et qu'elle procède d'une certaine cause juridique. Dès qu'un de ces éléments change, il n'y a plus autorité de la chose jugée puisqu'il y a en réalité un nouveau litige1.
Il convient encore de rappeler que l’objet de la demande consistant dans le résultat que le plaideur entend obtenir est celui circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d’instance, notamment par rapport aux actes ou décisions critiqués à travers le recours2. La seule décision utilement attaquée est celle qui figure dans le dispositif de la requête introductive d’instance3.
Il découle de ce qui précède que le moyen tiré d’une violation du principe de l’autorité de la chose jugée n’est pas fondé, étant donné qu’il n’existe pas d’identité d’objet entre le recours introduit sous le numéro de rôle 37345 et le présent recours, le premier tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision directoriale du 22 septembre 2015 ayant déclaré irrecevable, pour cause de tardiveté, leur réclamation du 17 juillet 2015, tandis que le second tend à la réformation, sinon à l’annulation du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2012, émis le 16 juillet 2014, au regard du silence de plus de six mois du directeur suite au courrier des époux … du 5 août 2014, qualifié, par ces derniers, de réclamation contre le prédit bulletin.
Force est encore de relever que, dans le jugement, précité, du 9 janvier 2017, le tribunal administratif avait expressément retenu que sa compétence, dans le cadre du recours inscrit sous le numéro 37345 du rôle, était limitée par l’objet de la décision lui déférée, en l’occurrence, la décision d’irrecevabilité rationae temporis du directeur par rapport à la seule réclamation du 17 juillet 2015 des demandeurs, de sorte que seuls les moyens ayant trait à la recevabilité de la réclamation du 17 juillet 2015, à l’exclusion des développements des parties relatifs au courrier des demandeurs du 5 août 2014 adressé au chef de division, avaient dû être pris en considération, dans le cadre dudit rôle.
Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité fondé sur l’autorité de la chose jugée doit être rejeté pour ne pas être fondé.
Concernant la recevabilité du recours des époux … dirigé directement contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2012, le délégué du gouvernement fait encore valoir que le recours serait irrecevable omisso medio, alors qu’il n’y aurait pas eu de réclamation dans le délai légal de trois mois, tel que prévu au paragraphe 228 AO, suite à l’émission du bulletin de l’impôt sur le revenu litigieux le 16 juillet 2014. Le délégué du gouvernement estime que le courrier de l’expert-comptable des époux … du 5 août 2014 ne saurait être qualifié de réclamation au sens des paragraphes 228 et 249 AO. Il estime qu’un minimum de diligences serait exigé en ce sens que le contribuable devrait faire ressortir à travers son écrit qu’il se considère lésé par le bulletin d’impôt concerné. A l’appui de ses 1 Trib. adm. prés. 13 novembre 2007, n° 23603 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 866.
2 Trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse n° 316 et les autres références y citées.
3 Trib. adm. 17 décembre 2001, n° 12830 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse n° 316 et les autres références y citées.
affirmations, il se réfère à la jurisprudence du tribunal administratif et de la Cour administrative. Selon lui le courrier litigieux du 5 août 2014, bien que faisant référence à un échange de titres et concluant à l’applicabilité, aux époux …, de l’article 22bis de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, ci-après désignée par « LIR », ne véhiculerait aucune demande concrète de réexamen de l’imposition de leurs revenus et qu’il n’aurait pas été adressé au bureau d’imposition, respectivement au directeur, mais au directeur de la division législation. Le délégué du gouvernement rajoute encore que dans la mesure où, dans leur premier courrier du 5 août 2014, les époux … auraient fait part de leur intention d’introduire, dans les plus brefs délais, une réclamation à l’encontre du bulletin litigieux, le courrier qu’ils qualifieraient actuellement de réclamation, envoyé le même jour, ne saurait être considéré comme telle. La partie étatique donne finalement à considérer que l’expert-comptable des époux … n’aurait que dans son courrier du 17 juillet 2015, mentionné qu’il s’agirait d’une réclamation et que l’imposition de l’année 2012 devrait être revu.
Les époux …, dans leur mémoire en réplique, argumentent que leur courrier du 5 août 2014 devrait valoir réclamation contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2012 émis le 16 juillet 2014 au sens des paragraphes 228 et 249 AO. Ils font valoir avoir été en discussion tant avec le bureau d’imposition qu’avec la direction de l’administration des Contributions directes au sujet dudit bulletin du 16 juillet 2014 et de leur volonté d’introduire une réclamation à son encontre. Par ailleurs, leur courrier du 5 août 2014 serait suffisamment clair, tant en raison de son libellé, les époux … y sollicitant l’examen des documents annexés, ainsi que la reconnaissance du fait qu’il y aurait eu, en l’espèce, échange de titres, de sorte que l’article 22bis LIR aurait dû trouver application, qu’au regard des documents joints, à savoir le bulletin de l’impôt actuellement litigieux, l’acte de constitution de la société … SARL et l’acte de cession des titres de la société … SARL à la société …. Les époux … en concluent que leur courrier du 5 août 2014 devrait être qualifié de réclamation.
Les parties étant en désaccord sur la recevabilité du recours, il appartient donc au tribunal d’examiner si les époux … ont procédé à la réclamation contre le bulletin litigieux dans le délai légal de trois mois, tel que prévu au paragraphe 228 AO, suite à l’émission dudit bulletin, et s’ils ont, le cas échéant, introduit leur recours, conformément à l’article 8, paragraphe (3), alinéa 3 de la loi du 7 novembre 1996 qui exige que le recours soit introduit, en cas de silence gardé par le directeur de l’administration des Contributions directes, au bout d’une période de six mois, suite à l’introduction d’une réclamation du contribuable.
Le tribunal est amené à constater que la qualification de la réclamation se dégage en principe des exigences de forme et de fond auxquelles elle est soumise4.
En vertu du paragraphe 228 AO une réclamation peut être introduite auprès du directeur dans un délai de trois mois notamment contre les bulletins de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu des collectivités. Ces réclamations sont à introduire selon les formes prévues au paragraphe 249 AO aux termes duquel : « (1) Die Rechtsmittel können schriftlich eingereicht oder zu Protokoll erklärt werden. Es genügt, wenn aus dem Schriftstück hervorgeht, wer das Rechtsmittel eingelegt hat. Einlegung durch Telegramm ist zulässig. Unrichtige Bezeichnung des Rechtsmittels schadet nicht.
4 Jean Olinger, La procédure contentieuse en matière d’impôts directs, études fiscales, numéros 81/82/83/84/85, novembre 1989, p. 48, n°56.
(2) Ein Rechtsmittel gilt als eingelegt, wenn aus dem Schriftstück oder aus der Erklärung hervorgeht, dass sich der Erklärende durch die Entscheidung beschwert fühlt und Nachprüfung begehrt.
(3) Die Rechtmittel sind bei der Geschäftsstelle der Behörde anzubringen, deren Bescheid angefochten wird. Die Anbringung bei der zur Entscheidung berufenen Stelle (Rechtsmittelbehörde) oder bei der für eine frühere Rechtsstufe zuständigen Behörde genügt […] ».
Il se dégage du paragraphe 249 (1) AO précité que le formalisme relatif à l’introduction d’une réclamation est réduit au strict minimum, alors que le contribuable peut réclamer soit par écrit, soit oralement contre son bulletin d’impôt.
En l’absence de réclamation orale à l’encontre du bulletin litigieux, il appartient au tribunal d’examiner si le courrier du 5 août 2014, ensemble avec les documents y annexés, répond aux conditions énumérées par le paragraphe 249 AO précité.
En l’espèce, force est de constater que le courrier du 5 août 2014 répond aux exigences du paragraphe 249, alinéa 1er AO, lequel exige l’identification du réclamant, étant donné qu’il indique clairement les personnes au nom desquels il a été envoyé, à savoir les époux …, en précisant tant leurs noms et prénoms, ainsi que leur matricule fiscale, le courrier étant signé par l’expert-comptable de ces derniers, lequel avait, par ailleurs, déjà signé leur déclaration fiscale de l’année d’imposition litigieuse et avait donné suites aux différentes demandes d’informations des autorités fiscales.
Si le paragraphe 249, alinéa 2 AO requiert que la formulation de la réclamation fasse ressortir que le contribuable se considère lésé par le bulletin d’impôt en cause et qu’il sollicite un réexamen de son imposition, cet alinéa commande une interprétation large de la notion de réclamation. En effet, toutes les fois que la voie de la réclamation est celle qui présente de l’intérêt pour le contribuable, sa déclaration doit être considérée comme l’expression de sa volonté d’exercer un recours contentieux5.
Il échet de constater que, s’il est certes vrai que les époux …, dans le courrier litigieux du 5 août 2014 n’ont pas explicitement précisé qu’ils se sentaient lésés par le bulletin litigieux, leur volonté d’introduire un recours contentieux ressort toutefois, à suffisance de droit, du fait même qu’ils ont déposé dans le délai de la réclamation de trois mois, prévu au paragraphe 228 AO, l’acte de constitution de la société … SARL, ainsi que l’acte de cession des titres de la société … SARL à la société …, ensemble avec le bulletin litigieux, tout en sollicitant, dans le prédit courrier du 5 août 2014, d’une part, un examen de ces documents, et, d’autre part, que l’opération litigieuse soit qualifiée d’échanges de titres requérant l’application de l’article 22bis LIR.
Quand bien même, ledit courrier du 5 août 2014 ne mentionnerait pas expressément que les époux … entendaient exercer leur droit à réclamation contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2012, il échet par ailleurs de constater que, de par la fourniture des éléments nécessaires à l’administration des Contributions directes pour procéder à l’analyse 5 Jean Olinger, op. cit., n° 76 et cf. trib. adm. 15 juillet 2009, n° 24913 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Impôts, n° 820 et les autres références y citées.
détaillée de leur situation, il était manifeste que les époux … s’estimaient lésés par le bulletin d’impôts émis le 16 juillet 2014.
De plus, il ne saurait être déduit de la seule absence du terme « réclamation » que les époux … n’auraient pas entendu introduire une réclamation. En effet, le paragraphe 249 (1) AO in fine précise expressément : « Unrichtige Bezeichnung des Rechtsmittels schadet nicht ». Ainsi, il n’y a pas lieu de se limiter aux termes employés par les époux … mais de replacer la demande introduite dans son contexte général. En effet, la qualification donnée par le contribuable à sa déclaration, si elle est importante, n’est pas toujours déterminante. En aucun cas, les déclarations obscures des contribuables ne doivent être interprétées de la façon la plus favorable, la moins fastidieuse pour l’administration6. Dans ce cadre, il y a encore lieu de relever que la circonstance que l’expert-comptable s’était déjà adressé, par un premier courrier du 5 août 2014, à l’administration des Contributions directes, afin de solliciter, pour compte de ses mandants, un sursis au paiement de leur dette fiscale, tout en informant ladite administration qu’une réclamation serait introduite dans les plus brefs délais ne saurait signifier ipso facto que le deuxième courrier du 5 août 2014 ne saurait être qualifié de réclamation au sens du paragraphe 249 AO, dans la mesure où chaque courrier doit faire l’objet d’une analyse individuelle et circonstanciée par les autorités fiscales.
Enfin, comme seule la réclamation contentieuse doit être interjetée dans un délai de trois mois, il existe une forte présomption que les écrits présentés dans ce délai à l’égard des bulletins d’impôt sont des réclamations contentieuses7. En l’espèce, le courrier du 5 août 2014, ensemble avec les documents y annexés, a été envoyé dans le délai de trois mois à compter de la notification du bulletin litigieux, émis le 16 juillet 2014, sachant qu’au besoin, il aurait appartenu à l’administration des Contributions directes de se renseigner auprès du contribuable sur le sens à donner à sa déclaration8.
Par ailleurs le courrier du 5 août 2014 répond aux exigences du paragraphe 249 (3) AO, lequel exige que la réclamation soit introduite auprès l’autorité administrative compétente pour statuer sur celle-ci, ce qui, au sens du paragraphe 228 AO serait le directeur, étant donné que le prédit courrier, ensemble avec ses pièces justificatives, avait été adressé à un membre de la direction de l’administration des Contributions directes.
Au regard des considérations qui précèdent, le courrier du 5 août 2014, malgré l’absence d’indication de réclamation, s’analyse, ensemble avec les documents y annexés, en une réclamation contre un bulletin de l’impôt de l’année 2012 au sens du paragraphe 249 (2) AO.
Cette conclusion n’est pas remise en question par l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle l’expert-comptable n’aurait pas obtenu mandat de la part des époux … pour introduire, en date du 5 août 2014, une réclamation contre le bulletin de l’impôt sur le revenu litigieux du 16 juillet 2014, étant donné qu’il ressort des pièces soumises à l’analyse du tribunal par les époux …, et plus particulièrement d’une procuration du 4 août 2014, que ces derniers avaient donné « […] pouvoir exprès et spécial à Monsieur …, Expert-comptable […] d’agir [en leur nom et pour leur compte] devant l’Administration 6 Jean Olinger, op. cit. n° 76.
7 Jean Olinger, op. cit. n° 56.
8 Jean Olinger, op. cit. n° 76.
des Contributions Directes ou le directeur des contributions dans le cadre de la réclamation contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2012 daté du 16 juillet 2014 […] ».
Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité omisso medio du recours sous examen doit être rejeté pour ne pas être fondé.
Conformément à l’article 8, paragraphe (3), alinéa 3 de la loi du 7 novembre 1996 qui dispose que « lorsqu’une réclamation au sens du § 228 de la loi générale des impôts ou une demande en application du § 131 de cette loi a été introduite et qu’aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande, le réclamant ou le requérant peuvent considérer la réclamation ou la demande comme rejetées et interjeter recours devant le tribunal administratif contre la décision qui fait l’objet de la réclamation ou, lorsqu’il s’agit d’une demande de remise ou en modération, contre la décision implicite de refus. Dans ce cas le délai prévu au point 4, ci-après ne court pas », le contribuable dont la réclamation n’a pas fait l’objet d’une décision définitive du directeur dans un délai de six mois, a le droit de déférer directement au tribunal le bulletin d’impôt, étant entendu que, s’agissant d’une condition de recevabilité, l’observation de ce délai de six mois, qui court à partir de l’introduction de la réclamation, s’apprécie au jour de l’introduction du recours.
Il est constant en l’espèce qu’aucune décision directoriale n’est intervenue sur la réclamation des époux … du 5 août 2014.
Il s’ensuit que le délai de six mois prévu à l’article 8 précité, qui court à partir de l’introduction de la réclamation a partant, en l’espèce, commencé à courir le 5 août 2014 pour expirer le 5 février 2015.
Le recours ayant été introduit au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2017, soit plus de six mois après la réclamation précitée, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Dès lors, saisi d’un recours tendant, conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), alinéa 1er de la loi du 7 novembre 1996, à la réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu et à voir le cas échéant prononcer une décision nouvelle en lieu et place de celle jugée inappropriée9, le tribunal est amené à vider le fond de l’affaire et à substituer sa décision à la décision déférée.
Il y a lieu de préciser qu’il appartient au tribunal, au vu de l’ensemble des actes de procédure et pièces versés au dossier, de déterminer la suite de traitement des moyens et arguments des parties compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent, de sorte qu’il y a, tout d’abord, lieu d’analyser le moyen de légalité externe, tiré d’un défaut d’indication des motifs quant à l’imposition des revenus des époux …, avant d’examiner le fond du litige.
Dans le cadre de leur mémoire en réplique, les époux … reprochent à l’administration des Contributions directes de ne pas avoir fourni d’explications quant à l’imposition, dans 9 Cf. Cour adm. 28 février 2002, n° 13884C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Recours en réformation, n° 21 et les autres références y citées.
leur chef, de la cession des parts de la société … SARL à la société … de la part de la société … SARL.
Le délégué du gouvernement n’a pas pris position par rapport à ce moyen, ni dans le cadre d’un mémoire en duplique, ni oralement à l’audience publique des plaidoiries.
En ce qui concerne l’obligation de motivation de bulletins d’impôt, le paragraphe 211 AO n'exige de façon expresse qu'une motivation en fait, à la fois pour les bases d'imposition et sur les points sur lesquels l'imposition s'écarte de la déclaration d'impôt. Si l'indication des points de divergence par rapport à la déclaration initiale du contribuable peut également comporter une motivation de redressement en droit, pour être d'une quelconque utilité, toujours est-il que pareille motivation en droit n'a de raison d'être qu'en présence de questions relatives à la qualification juridique des faits litigieux10. Il y a encore lieu de relever, par analogie, qu’une décision directoriale statuant sur une réclamation n’est pas soumise à une exigence formelle de motivation complète dont le non-respect serait sanctionné par l’annulation de la décision et l’obligation de motivation ne se conçoit à l’égard d’une décision directoriale qu’à travers le principe général du droit du respect des droits de la défense, en ce sens qu’il faut et il suffit que les motifs à la base de la décision aient existé à la date où elle a été prise et que le contribuable doit être en mesure de connaître la motivation d’une décision au plus tard au cours de la procédure contentieuse devant les juridictions administratives afin de pouvoir utilement préparer sa défense11. Par ailleurs, une violation par l’administration de son obligation de motivation n’est a priori pas à sanctionner par l’annulation, sanction de droit commun, étant donné que la Cour administrative considère la sanction de l’annulation comme étant « disproportionnée par rapport au but poursuivi consistant à mettre l’administré le plus tôt possible en mesure d’apprécier la réalité et la pertinence de la motivation à la base d’une décision administrative » et qu’il appartiendrait plutôt au juge de permettre à l’administration de produire ou de compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse, dans la mesure où la partie demanderesse, confrontée pour la première fois en cours de procédure contentieuse aux motifs de la décision administrative entreprise, dispose encore de par la loi de la possibilité de déposer un mémoire en réplique, voire de la possibilité de se voir accorder un mémoire supplémentaire.
Force est au tribunal de constater qu’en l’espèce, l’administration fiscale a indiqué, bien que de manière très succincte, la motivation, tant juridique que factuelle, en ce qui concerne l’imposition, dans le chef des époux …, de la cession litigieuse des parts sociales de la société … SARL, étant donné que le bureau d’imposition s’est limité à indiquer, dans le bulletin déféré du 16 juillet 2014, « […] l’art. 22bis n’est pas valable, vu qu’il y a eu vente de titres ! ». Bien que les autorités fiscales n’aient pas davantage explicité cette argumentation – le directeur n’ayant pas pris position quant au fond du litige, dans le cadre des réclamations lui adressées, et le délégué du gouvernement s’étant, dans son mémoire en réponse, limité à déclarer que ce serait « […] à bon droit que la cession des parts à … a[urait] été imposé [dans le chef des époux …] » et que « […] l’imposition [serait] conforme à la loi et aux faits de la cause […] », la motivation doit être considérée comme suffisante, en ce qu’elle permet au 10 Trib. adm., 16 octobre 2006, n° 21226 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Impôts, n° 674.
11 Cour adm., 5 juillet 2016, n° 36888C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Impôts, n° 853 et les autres références y citées.
contribuable concerné de cerner les raisons de l’imposition de ses revenus, de sorte que le moyen tiré d’un défaut d’indication des motifs est à rejeter pour ne pas être établi, le bien-
fondé de ladite motivation étant analysé dans le cadre de l’examen au fond.
Quant au fond, les demandeurs, après avoir exposé les rétroactes à la base du présent litige, expliquent avoir constitué, le … 2004, la société … SARL, Monsieur … détenant 90 parts sociales et Madame … épouse … disposant des 10 parts sociales restantes. En date du 28 septembre 2012, les époux … auraient constitué la société … SARL en opérant un apport en nature de leurs parts sociales de la société … SARL, la répartition du capital social de la société nouvellement créée ayant été de 9000 parts, en ce qui concerne Monsieur …, et de 1000 parts sociales, pour son épouse. Le même jour, la société … SARL aurait cédé l’intégralité des parts de la société … SARL à la société … Ltd moyennant un prix de cession de ….- euros.
En droit, les demandeurs concluent, tout d’abord, à la réformation du bulletin déféré de l’année 2012, émis le 16 juillet 2014, en ce que, d’une part, ils auraient dû bénéficier de l’application de l’article 22bis LIR, et, d’autre part, la cession litigieuse aurait dû être imposée dans le chef de la société … SARL et non pas dans le leur.
Le délégué du gouvernement, dans son mémoire en réponse, s’est limité à affirmer que ce serait « […] à bon droit que la cession des parts à … a[urait] été imposé [dans le chef des époux …] » et que « […] l’imposition [serait] conforme à la loi et aux faits de la cause […] », sans fournir davantage de précisions quant aux conditions d’application de l’article 22bis LIR, respectivement quant aux raisons ayant amené l’administration des Contributions directes à imposer le prix de cession des parts sociales de la société … SARL dans le chef des époux … au lieu du cessionnaire, la société … SARL.
Conformément au paragraphe (5) de l’article 22 LIR, « L’échange de biens est à considérer comme cession à titre onéreux du bien donné en échange, suivie de l’acquisition à titre onéreux du bien reçu en échange. Le prix de cession du bien donné en échange correspond à sa valeur estimée de réalisation. », ladite disposition légale posant le principe qu’un échange de titres doit s’analyser en deux opérations juridiques distinctes conduisant, le cas échéant, à la réalisation de plus-values inhérentes aux biens échangés. Cependant l’article 22bis LIR prévoit la neutralité fiscale de telles opérations, sauf renonciation de la part du créancier, et/ou de l’associé de la société concernée, dans des cas limitativement énumérés, à savoir lors de la conversion d’un emprunt, lors de la transformation d’un organisme à caractère collectif en un autre organisme à caractère collectif, lors d’une fusion ou d’une scission de capitaux ou de sociétés résidentes d’un Etat-membre, respectivement lors de l’acquisition par une société résidente d’un Etat membre de l’Union européenne ou par une société de capitaux pleinement imposable dans le capital social d’une autre société, telle que celles prévisées, « […] d’une participation ayant pour effet soit de lui conférer, soit d’augmenter la majorité des droits de vote dans la société acquise: l’attribution à l’associé de titres représentatifs du capital social de la société acquérante en échange des titres représentatifs du capital social détenus dans la société acquise. […] », la neutralité fiscale desdites opérations, sauf en cas de fusions, respectivement de scission de sociétés, demeurant même lorsque le créancier, respectivement l’associé obtiennent, en plus des titres, une soulte en espèces, à condition que cette dernière ne dépasse pas 10% de la valeur nominale, ou, à défaut, du pair comptable des titres reçus en échange.
Force est au tribunal de constater qu’en l’espèce, il ne ressort pas des éléments soumis par les parties à son analyse, qu’il y ait eu un quelconque échange de titres entre la société … Ltd et la société … SARL, respectivement les associés de celle-ci, dans la mesure où la seule opération actuellement documentée consiste dans la vente de l’intégralité des parts sociales de la société … SARL, détenues par la société … SARL, à la société … Ltd moyennant un prix de cession, payable par la remise d’un chèque bancaire, d’un montant de ….- euros, telle que cette opération ressort plus particulièrement de la convention de cession signée entre parties le 28 septembre 2012.
Il s’ensuit que l’administration des Contributions directes a, à juste titre, refusé l’application de l’article 22bis LIR à l’opération litigieuse du 28 septembre 2012 relative aux parts sociales de la société … SARL.
En ce qui concerne le moyen des demandeurs selon lequel les revenus résultant de la cession litigieuse des parts sociales de la société … SARL n’auraient pas dû être imposés en tant que revenus des époux …, mais dans le cadre de l’imposition de la société … SARL, cette dernière ayant été le titulaire et cédant desdites parts, ce qui ressort expressément de l’acte constitutif de ladite société du 28 septembre 2012, ainsi que du contrat de cession entre la société … Ltd et la société … SARL, force est au tribunal de constater que la partie étatique reste en défaut de prendre position par rapport audit moyen.
Au regard du fait, d’une part, que la société … SARL dispose d’une personnalité juridique et fiscale propre, conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales et à l’article 159 LIR, dans leur version applicable à l’année d’imposition litigieuse, distincte de celle de ses associés, et, d’autre part, que la partie étatique reste en défaut de soumettre un quelconque élément tant factuel que juridique au tribunal lui permettant de retenir que le prix de cession des parts sociales de la société … SARL devrait être imposé dans le chef des époux … et non pas dans le chef la société … SARL, cependant titulaire desdites parts sociales et bénéficiaire du prix de cession, le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2012, émis le 16 juillet 2014 à l’égard des demandeurs, encourt la réformation en ce sens.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, que le bulletin de l’impôt sur le revenu litigieux doit être réformé pour autant qu’il impose, dans le chef des époux …, le prix de cession des parts sociales de la société … à la société … Ltd. Le dossier est partant renvoyé, quant à ce volet du litige, devant le bureau d’imposition compétent afin de procéder aux calculs de détail tout en tenant compte des principes retenus dans le présent jugement.
Par ces motifs le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclaré justifié ;
partant, réforme le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2012, émis le 16 juillet 2014 à l’égard de Monsieur … et de Madame … épouse …, en ce sens qu’il n’y a pas lieu de prendre en compte le prix de cession des parts sociales de la société … SARL, cédées par la société … SARL à la société … Ltd ;
renvoie le dossier au bureau d’imposition compétent afin qu’il procède à l’exécution du présent jugement ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 mai 2018 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 mai 2018 Le greffier du tribunal administratif 12