Tribunal administratif Numéro 39397 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2017 3e chambre Audience publique du 25 avril 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39397 du rôle et déposée le 12 avril 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître François DELVAUX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du 31 janvier 2017 du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi ordonnant le remboursement de la somme de ….-€ versé au titre de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … SARL, ayant exploité sous les enseignes commerciales « … » et « … » ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2017 ;
Vu le mémoire en réplique déposé en date du 1er août 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître François DELVAUX au nom et pour compte de Monsieur … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître François DELVAUX et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 mars 2018.
La société à responsabilité limitée … SARL, ayant exploité sous les enseignes commerciales « … » et « … », ci-après désigné par la « société … » fut constituée par acte notarié en date du … 1980.
En date du 15 avril 1999, Monsieur … signa avec la société … un contrat de travail à durée indéterminée précisant qu’il serait engagé en tant qu’« employé ».
La société … fut déclarée sur aveu en état de faillite par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, du … 2015, inscrit sous le numéro … du rôle.
En date du 14 août 2015, Monsieur … déposa au greffe du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg une déclaration de créance dans le cadre de cette faillite et demanda l’admission au passif privilégié d’une créance salariale à hauteur de ….-€ du chef d’arriérés de salaire pour les mois de février à juillet 2015, des indemnités du mois subséquent de la survenance de la faillite, de la moitié de l’indemnité de préavis légal, de l’indemnité de départ, ainsi que d’une indemnité pour congé non pris.
En date du 2 septembre 2015, la créance fut admise au passif privilégié de la faillite à hauteur du montant déclaré.
Par décision du 15 septembre 2015, le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi, ci-après désignés par « le directeur », respectivement par « l’ADEM », accepta, jusqu’au plafond légal de ….-€, de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale déclarée par Monsieur ….
Par une décision du 31 janvier 2017, le directeur de l’ADEM ordonna à Monsieur … le remboursement de la somme de ….-€ versé au titre de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société …, sur le fondement des considérations suivantes :
« […] Lors d’un contrôle de votre dossier, mes services ont constaté que vous ne répondiez pas aux dispositions de l’article L. 126-1 du code du Travail qui s’appliquent seuls aux travailleurs salariés dans le cas de la faillite émargée.
En effet, ne peut bénéficier de ces dispositions que le travailleur salarié ayant conclu un contrat de travail avec un employeur et s’engageant ainsi à mettre son activité à la disposition de celui-ci, sous la subordination duquel il se place, moyennant rémunération.
Or, en date du 19 septembre 2000, vous avez été nommé gérant („Geschäftsführerˮ) et délégué à la gestion journalière de la société … GMBH avec pouvoir de signature (« Einzelzeichnungsrecht »).
Enfin, d’après le Ministère de l’Economie, vous êtes le titulaire de l’autorisation d’établissement N° … laquelle n’est valable que si la société est dirigée de manière effective par vous.
Par conséquent, vous devez être considéré comme le dirigeant assurant la, gestion journalière et permanente de ladite société et non comme un travailleur salarié soumis à un lien de subordination effectif, de sorte que vous n’étiez pas en droit de toucher les indemnités dues à votre créance salariale.
Il s’ensuit que vous avez indûment touché l’aide pour un montant net de … €.
Par conséquent, vous devez rembourser la somme en question au compte […] de la Trésorerie de l’Etat dans les meilleurs délais. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2017 inscrite sous le numéro 39397 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du directeur du 31 janvier 2017.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
En revanche, il est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation, qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, Monsieur … rappelle dans un premier temps les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en expliquant que Monsieur … et Madame … auraient été les associés de la société faillie et que la fonction de gérant aurait été exercée exclusivement par son père, …. Il précise qu’en 2000 son père serait tombé malade et qu’afin de ne pas compromettre le bon fonctionnement de la société et d’assurer sa gestion régulière, il aurait été décidé, sur conseil de la fiduciaire, et à titre purement préventif, de le nommer en tant que « deuxième » gérant. Cette nomination n’aurait cependant pas affecté sa fonction de simple salarié de la société …, laquelle se serait limitée à la commercialisation des produits, au contact avec les clients et fournisseurs, et à l’établissement des devis et factures. Il aurait ainsi toujours suivi les instructions de son père, n’aurait pris aucune initiative, et se serait limité à signer des virements isolés. Il conclut dès lors à l’existence d’un lien de subordination dans son chef envers son employeur.
Le demandeur souligne ensuite qu’en 2015, lors de la réception par l’ADEM de sa déclaration de créance, il aurait, sur question expresse de celle-ci, fourni des explications complémentaires quant à sa fonction exacte au sein de la société …, et que le directeur aurait dès lors décidé en connaissance de cause de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale, de sorte qu’il serait « incompréhensible » que la question sur sa fonction au sein de ladite société est de nouveau soulevée par l’ADEM. Il conclut dès lors à l’annulation de la décision du directeur du 31 janvier 2017 pour violation de la loi, au motif que les dispositions de l’article L.126-1 du Code du travail seraient remplies dans son chef.
Le délégué du gouvernement pour sa part explique que lors d’un contrôle du dossier de Monsieur … début 2017, les services de l’ADEM auraient constaté que celui-ci ne répondrait pas aux dispositions de l’article L.126-1 du Code du travail et qu’il aurait indûment touché une indemnité à hauteur de ….-€. Il fait plus particulièrement valoir que lors de l’assemblée générale extraordinaire du 19 septembre 2000, Monsieur … aurait été nommé gérant de la société en question et qu’un pouvoir de signature lui aurait été conféré, de sorte qu’il aurait été le dirigeant de la société …, assurant sa gestion journalière et permanente avec le pouvoir de l’engager par sa seule signature. Il aurait encore été le détenteur de l’autorisation d’établissement, laquelle serait uniquement valable lorsque la gérance de la société serait assurée de manière effective par lui.
La partie étatique conteste ensuite les affirmations du demandeur, selon lesquelles il n’aurait qu’exécuté les ordres de son père, étant donné que ce dernier souffrirait de problèmes de santé, aurait parfois été absent de l’entreprise et aurait été âgé de 76 ans au moment de la faillite en 2015, de sorte qu’il serait « discutable » qu’il aurait géré la société seul, sans assistance ni intervention aucune de son fils dans la gestion courante de l’entreprise.
Un lien de subordination dans le chef du demandeur ferait dès lors défaut, la simple existence de fiches de salaire réalisées par son père ne saurait démontrer un tel lien de subordination, la partie étatique soulignant encore le fait que Monsieur … aurait, début 2001, injecté des fonds propres dans la société en question lorsque celle-ci aurait connu des difficultés financières.
Elle en conclut que le demandeur serait à considérer comme ayant été le dirigeant effectif de la société …, assurant sa gestion journalière et permanente, de sorte qu’il aurait perçu les indemnités au titre de sa créance salariale de manière indue.
Dans son mémoire en réplique Monsieur … conteste les affirmations étatiques, suivant lesquelles il aurait exercé la fonction de gérant au sein de la société faillie, et se prévaut d’un arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale, pour soutenir que la charge de la preuve que les conditions de l’article L.126-1 du Code du travail seraient remplies appartiendrait à la partie étatique, tout en rappelant que l’ADEM lui aurait, en connaissance de cause, accordé une indemnité de ….-€ au titre de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faille de la société ….
Le demandeur conteste ensuite que son père n’aurait pas été en mesure de gérer seul la société … et explique, quant à son apport financier personnel début 2001 lui reproché par le délégué du gouvernement, qu’il aurait simplement voulu soutenir provisoirement l’entreprise de ses parents afin d’éviter que lui-même et ses collègues de travail perdraient leur emploi.
Finalement, il ajoute qu’il n’aurait pas touché de rémunération en lien avec son mandat au sein de la société et soutient, à titre subsidiaire, que le cumul dans une même personne d’un mandat de gérant d’une société et la fonction de salarié serait à condition que le contrat de travail correspond à une convention réelle et sérieuse, ce qui serait le cas en l’espèce.
Le délégué du gouvernement rétorque finalement que l’investissement des fonds propres dans la société début 2001 ne représenterait pas le comportement d’un simple salarié qui n’aurait aucun lien avec la gestion de la société et qu’aucun élément concret du dossier ne permettrait de conclure à l’existence réelle d’un lien de subordination entre le demandeur et la société prétendument gérée par son père.
L’article L.126-1 du Code du travail dispose :
« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.
(2) Sont garanties jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.
(3) En cas de continuation des affaires par le curateur de la faillite, la garantie visée au présent article est applicable, dans les limites visées au paragraphe (2), aux créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié le jour de la résiliation du contrat de travail et celles résultant de la résiliation du contrat de travail.
(4) Pour l’application des dispositions des paragraphes qui précèdent, sont considérées les créances de salaire et d’indemnité, déduction faite des retenues fiscales et sociales obligatoires en matière de salaires.
(5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.
(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi.
Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances.
Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2).[…] ».
Il s’ensuit qu’en cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit jusqu’au plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2), du Code civil, c’est-à-dire jusqu’au sextuple du salaire social minimum, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.
Dans ce contexte, force est au tribunal de conclure de prime abord que l’ADEM a non seulement le droit, mais l’obligation de vérifier en premier lieu l’existence de la qualité de salarié dans le chef du demandeur de la garantie salariale sollicitée1, de sorte que l’acceptation d’une créance par le juge commissaire et par le curateur ne s’oppose en principe pas à un refus du directeur de libérer les fonds nécessaires à la garantie salariale.
En effet, il résulte de l’article L.126-1 précité du Code du travail que peuvent seules faire l’objet d’une prestation de garantie à charge du Fonds pour l’emploi les créances de nature salariale et que, conformément au paragraphe (6) du même article, les versements sont effectués sur base de relevés « vérifiés par » l’ADEM. Sous peine de vider ledit texte de toute portée, il y a lieu de retenir que l’administration est en droit de procéder à son propre examen des créances qui lui sont soumises.
Cette vérification doit se rapporter à l’examen de la justification de l’intervention du Fonds pour l’emploi qui a vocation, en cas de faillite, à se substituer à l’employeur en carence et qui bénéficie d’une subrogation dans les droits du salarié. Il en découle que l’administration est en droit de vérifier aussi la qualité de salarié de l’intéressé et donc l’existence d’une relation de travail entre celui-ci et le failli, en vertu de l’article L.126-1 du Code du Travail, paragraphe (1), disposant que ladite créance s’applique aux « créances résultant du contrat de 1 Cour adm., 18 mai 2006, n° 21111C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Travail, n° 18 et les autres références y citées.
travail ». Son application est dès lors plus particulièrement conditionnée par l’existence d’un contrat de travail.
Le contrat de travail s’analyse notamment en une convention par laquelle une personne s’engage à mettre, moyennant une rémunération, son activité à la disposition d’une autre à l’égard de laquelle elle se trouve dans un rapport de subordination juridique. Dès lors, la subordination juridique constitue l’élément essentiel de tout contrat de travail, de sorte qu’il faut que le contrat place le salarié sous l’autorité de son employeur qui lui donne des ordres concernant l’exécution du travail, en contrôle l’accomplissement et en vérifie les résultats2.
En l’espèce, il n’est pas contesté et cela résulte d’ailleurs des pièces soumises en cause, que la déclaration de créance a été acceptée par le juge commissaire et par le curateur à hauteur du montant déclaré, de sorte que dans ce contexte, l’existence d’un contrat de travail n’a pas été remise en cause.
Dans ces circonstances, en cas de refus par l’ADEM du paiement d’une créance dûment acceptée par le curateur et le juge commissaire, voire en cas de demande de remboursement de l’ADEM des indemnités versées par lui au titre d’une créance dûment acceptée par le curateur et le juge commissaire, tel que c’est le cas en l’espèce, la charge de la preuve du bien-fondé des motifs justifiant cette décision incombe à l’Etat, cette preuve étant à rapporter sur la toile de fond de l’examen, par le juge administratif, de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision déférée, et de la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à la motiver légalement3.
Ainsi, il appartient à l’Etat, ayant refusé la prise en charge de la créance, voire ayant ordonné le remboursement des indemnités versées au titre d’une telle créance pourtant acceptée par le curateur et le juge commissaire, de fournir la preuve du bien-fondé des motifs justifiant sa décision. En l’occurrence, la partie étatique faisant état d’une situation excluant un lien de subordination tiré de la qualité de « deuxième » gérant du demandeur et de son pouvoir de signature individuel en tant que tel, ainsi que du fait qu’il a été le titulaire de l’autorisation d’établissement délivrée par le ministère des Classes moyennes, le délégué du gouvernement ayant encore fait état d’un apport financier personnel du demandeur dans la société, ainsi que de l’état de santé précaire du père de ce dernier, il lui appartient partant d’établir, d’une part, la réalité de la situation juridique, respectivement de fait qu’il allègue, et, d’autre part, de justifier que celle-ci est de nature à conclure qu’au regard des circonstances de l’espèce, le demandeur aurait exercé un contrôle déterminant sur les activités de la société, de sorte que l’existence d’un lien de subordination serait inconcevable. Une fois cette preuve rapportée, il appartient, le cas échéant, au demandeur d’établir que, malgré la situation de contrôle légal ou de fait ainsi démontrée et excluant, a priori, l’existence d’un lien de subordination, il se serait en réalité trouvé lié à la société par un contrat de travail caractérisé par un tel lien de subordination qui, en présence d’un mandat social, devra se caractériser par l’exercice d’une fonction technique distincte.
En ce qui concerne d’abord la réalité de la situation juridique, respectivement de fait allégué par le directeur, force est au tribunal de constater qu’il est constant en cause que lors de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société … du 19 septembre 2000, Monsieur … a été nommé « deuxième » gérant (« zweiter Geschäftsführer ») avec le pouvoir d’engager la société sous sa seule signature (« Einzelzeichnungsrecht »). Il résulte encore du 2 Cour adm., 16 juin 2011, n° 27974C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Travail, n° 11 et les autres références y citées.
3 Trib. adm., 22 mai 2006, n° 20427 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Travail, n° 7 et les autres références y citées.
dossier administratif qu’au moment de la prononciation de la faillite de la société …, le demandeur exerçait la fonction de gérant ensemble avec son père, Monsieur …, de sorte qu’il convient de retenir qu’il avait, depuis le 19 septembre 2000, la qualité de gérant de la société …, pouvant engager celle-ci sous sa seule signature.
A cet égard, il y a lieu de souligner que si le cumul dans une même personne du mandat de gérant d’une société à responsabilité limitée et de la qualité de salarié n’est pas prohibé, il n’en reste pas moins que le contrat de travail doit rester une convention réelle et sérieuse. Dans ce contexte, le tribunal est amené à retenir que n’est pas à considérer comme convention réelle et sérieuse, le contrat de travail simulé dans le but unique de bénéficier des avantages inhérents à un tel contrat. Au-delà de ce que le contrat de travail doit correspondre à des attributions techniques nettement dissociables de celles découlant du mandat, la subordination doit trouver sa véritable expression juridique dans les prérogatives de l’employeur envers le salarié, à savoir dans l’exercice d’un véritable pouvoir de contrôle et de direction à l’égard du salarié4.
Ensuite, il n’est pas contesté en cause pour encore ressortir des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que Monsieur … a été le détenteur de l’autorisation d’établissement délivrée par le ministère des Classes moyennes du 9 juillet 2001 au 31 juillet 2015.
La réalité de la situation juridique alléguée par la partie étatique étant vérifiée en l’espèce, il se pose dès lors la question de savoir si cette situation est de nature à conclure que le demandeur a exercé un contrôle déterminant sur les activités de la société …, de sorte que l’existence d’un lien de subordination, qui en présence d’un mandat social devra se caractériser par l’exercice d’une fonction technique distincte, est inconcevable.
A cet égard, il échet de prime abord de souligner que si le demandeur détenait effectivement l’autorisation d’établissement, autorisation ayant indubitablement mis le demandeur dans une position de force, il convient cependant de retenir que le simple fait qu’elle ait été octroyée à la société sous condition que le demandeur la dirige de manière effective n’est pas incompatible avec un statut de salarié, étant donné qu’une telle hypothèse est expressément prévue à l’article 4, point 3, de la loi modifiée du 2 septembre 2011 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, de sorte que cette circonstance n’est pas, à elle seule, de nature à exclure l’existence d’un lien de subordination.
Ensuite et si Monsieur … détenait effectivement l’autorisation d’établissement et était « deuxième » gérant de la société …, avec un pouvoir de signature individuel, il ressort toutefois des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que le demandeur n’a pas détenu de parts sociales dans le capital de ladite société, de sorte qu’il était révocable ad nutum sans avoir la possibilité d’influencer ce vote des actionnaires par son propre vote. D’autre part, il ressort des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que la majorité des parts sociales a été détenue par l’autre gérant, Monsieur …, de sorte à admettre que même si le demandeur détenait un pouvoir de signature individuel, le pouvoir décisionnel au sein de la société était, au regard de la répartition des parts sociales, forcément dilué.
En vertu de ce qui précède, il y a lieu de constater que la situation juridique décrite par la partie étatique n’est dès lors pas telle à exclure ipso facto l’existence d’un lien de 4 Cour adm., 16 juin 2011, n° 27974C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Travail, n° 12 et les autres références y citées.
subordination, qui en présence d’un mandat social devra se caractériser par l’exercice d’une fonction technique distincte.
Or, en l’espèce, le demandeur a, à suffisance, fourni des éléments permettant de conclure à l’existence d’une convention réelle et sérieuse, sans que la partie étatique n’ait, au-
delà de son argumentation fondée sur l’existence d’un pouvoir de signature et de la détention de l’autorisation d’établissement, soumis au tribunal des éléments permettant de mettre en doute l’existence d’un tel contrat de travail.
En effet, il ressort des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que Monsieur … a signé en date du 15 avril 1999 un contrat de travail à durée indéterminée avec effet au 16 avril 1999. En vertu de ce contrat, le demandeur a été occupé en qualité d’employé de la société et a été chargé notamment de « divers travaux administratifs ». Plus précisément, il ressort des explications circonstanciées et non contestées du demandeur, qu’il aurait été chargé de la commercialisation des produits, du contact avec les clients et fournisseurs, et de l’établissement des devis et factures, de manière à admettre qu’il exerçait une fonction technique distincte de celle de gérant. Ce constat est encore corroboré par le fait que les fiches de salaire telles que figurant au dossier administratif portent la mention « employé », sans se référer à son mandat social, ainsi que par les déclarations du père du demandeur, suivant lesquelles il n’a pas eu l’intention de modifier la méthode de gestion de la société suite à la nomination de son fils en tant que « deuxième » gérant. A cela s’ajoute qu’il ressort encore des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que c’était en effet Monsieur … qui a conclu les contrats d’abonnements et d’assurances au nom de la société …, a demandé des crédits et l’ouverture d’un compte d’épargne auprès des établissements bancaires, et s’est porté caution en nom personnel pour ladite société.
Les affirmations du délégué du gouvernement ayant trait à l’état de santé du gérant Monsieur … ainsi qu’à son âge au moment de la faillite de la société …, sont encore purement hypothétiques et ne sauraient, à défaut de tout élément concrétisant un éventuel état de santé précaire de celui-ci, ainsi que les conséquences concrètes d’un tel état de santé sur la gestion effective de la société en question, ni établir son incapacité de s’occuper de la gestion de la société ni exclure l’exercice d’une fonction technique distincte dans le chef du demandeur.
Elles sont encore contredites par les pièces versées à l’appréciation du tribunal, dans la mesure où il ressort desdites pièces que Monsieur … a été hospitalisé, et ainsi temporairement absent de l’entreprise uniquement durant les années 2003 et 2004, qu’il a, pendant cette période, donné ses instructions par téléphone et qu’il a encore, jusqu’en 2014 signé des devis et des factures au nom de la société ….
Il en est de même en ce qui concerne les allégations de la partie étatique relatives à l’apport de fonds propres de Monsieur … à la société en question en 2001, lequel n’est, face aux contestations du demandeur, pas non plus de nature à prouver l’absence d’un lien de subordination de Monsieur … par rapport à la société faillie, à défaut de tout élément concret soumis à l’appréciation du tribunal quant à l’envergure de cet apport financier et à sa finalité concrète, le demandeur qualifiant lui-même ledit apport financier de « provisoire », et son père précisant qu’un tel soutien financier a également été effectué par ses deux autres enfants lorsque la situation financière de la société faillie était difficile.
Le tribunal est dès lors amené à conclure que c’est à tort que le directeur a dénié au demandeur l’existence d’un contrat de travail caractérisé par un lien de subordination. Par ailleurs, aucun élément ne lui est soumis par la partie étatique de nature à prouver que le contrat de travail du demandeur ait cessé où que Monsieur … ait arrêté d’exercer la fonction pour laquelle il a été engagé, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que le demandeur exerçait, à côté de son mandat social, une fonction technique distincte, caractérisée par un lien de subordination.
Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres moyens, la décision déférée encourt l’annulation.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, annule la décision du directeur de l’Agence pour le Développement de l’Emploi du 31 janvier 2017 ordonnant à Monsieur … le remboursement de la somme de ….-€ lui versé au titre de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … SARL, ayant exploité sous les enseignes commerciales « … » et « … » ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 avril 2018 par :
Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, Stéphanie Lommel, attaché de justice, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 avril 2018 Le greffier du tribunal administratif 9