Tribunal administratif N° 39640 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mai 2017 1re chambre Audience publique du 19 mars 2018 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette en matière d’urbanisme
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39640 du rôle et déposée le 26 mai 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Serge Marx, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-
Alzette du 12 mai 2017 par laquelle le changement d’affectation d’une maison sise à L-…, lui a été refusé ;
Vu l’exploit de l’huissier suppléant Christine Kovelter, en remplacement de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 31 mai 2017, portant signification de ladite requête à l’administration communale d’Esch-sur-Alzette, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, ayant sa maison communale à L-4138 Esch-sur-Alzette, Place de l’Hôtel de Ville ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 juin 2017 par Maître Steve Helminger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la Ville d’Esch-sur-Alzette, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juin 2017 par Maître Steve Helminger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de la Ville d’Esch-sur-Alzette, préqualifiée ;
Vu l’acte de reprise d’instance déposé au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2017 par Maître Serge Marx, au nom de Monsieur … … et de Madame …, demeurant ensemble à L-…, déclarant agir en qualité de nouveaux propriétaires de la maison sise à L-… ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Serge Marx et Maître Steve Helminger en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 octobre 2017.
Par courrier du 1er octobre 2013, Monsieur … sollicita un changement d’affectation de sa maison d’habitation sise à L-… en tant qu’ « […] immeuble pour profession libérale tel que fiduciaire, cabinet de médecin, d'avocat, d'architecte, ou de professions similaires […] », demande que le bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette, désigné ci-après par le « bourgmestre », rejeta par courrier du 28 octobre 2013 dans les termes suivants :
« […] Par la présente j'ai l'honneur d'accuser réception de votre demande concernant le changement d'affectation de votre maison sise ….
Cependant, suite à l'examen de votre projet, nous avons le regret de ne pouvoir délivrer une autorisation de construire, car il n'est pas conforme à l'article 40.1.7. du règlement sur les bâtisses du 9 mai 2009 qui stipule que dans le Secteur « Al Esch&Brill », la modification de l'affectation des maisons unifamiliales n'est pas possible.
Il nous échet dès lors de ne pas devoir analyser votre projet par rapport à d'autres articles des règlements en vigueur afin de motiver le refus […] ».
Par courrier de son litismandataire du 31 mars 2015, Monsieur … fit introduire un recours gracieux contre la décision du bourgmestre du 28 octobre 2013 lui refusant le changement d’affectation de son immeuble.
Par courrier du 28 septembre 2015, le collège des bourgmestre et échevins de la Ville d’Esch-sur-Alzette, ci-après désigné par « le collège des bourgmestre et échevins », informa le litismandataire de Monsieur … de sa décision de refuser le changement d’affectation sollicité sur base des considérations et motifs suivants :
« […] Par la présente, le collège des bourgmestre et échevins fait suite au recours gracieux du 31 mars 2015 que vous avez introduit, ès qualité de mandataire, au nom et pour le compte de Monsieur ….
Nous vous rappelons que conformément à l'article 27 (1) de la loi du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d'habitation, « Une habitation ou un local habituellement loué pour servir de logement ne pourra être soustrait à cette destination pour être transformé en bureau ou local à usage commercial ou artisanal, sauf autorisation expresse de la part du collège des bourgmestre et échevins de la Commune dans laquelle se situe l'habitation ou le local en question ».
Partant, le changement d'affectation d'une maison unifamiliale n'est pas de principe et n'est accepté que de manière exceptionnelle.
Le collège des bourgmestre et échevins a donc pris connaissance des arguments résultant de votre recours et a procédé à l'analyse de la demande initiale de votre mandataire concernant son immeuble sis à L-….
Néanmoins, les arguments développés ont manqué de convaincre le collège échevinal alors qu'il estime qu'il est important de conserver le caractère résidentiel de cette maison unifamiliale. Il est, en effet, d'avis que l'immeuble en question n'est pas adapté pour accueillir des baux commerciaux ou encore des structures administratives ou pour professions libérales.
C'est pourquoi, par délibération du 17 septembre 2015, le collège des bourgmestre et échevins a décidé de ne pas faire droit à la demande de changement d'affectation lui présentée. […] ».
Par une première requête déposée le 29 septembre 2015, inscrite sous le numéro 37005 du rôle, Monsieur … fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation, d’une part, de la décision précitée du bourgmestre du 28 octobre 2013 refusant le changement d’affectation de sa maison sise à …, et, d’autre part, d’une décision implicite de refus du bourgmestre, résultant du silence gardé par lui pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction du recours gracieux du 31 mars 2015 contre la décision de refus du 28 octobre 2013.
Par une deuxième requête, déposée au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2015, inscrite sous le numéro 37025 du rôle, Monsieur … fit encore introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la délibération du 17 septembre 2015 du collège des bourgmestre et échevins de la Ville d’Esch-sur-Alzette, matérialisée dans un courrier du 28 septembre 2015, par laquelle ledit changement d’affectation lui avait été refusé.
Par un jugement du 23 janvier 2017, inscrit sous les numéros 37005 et 37025, le tribunal administratif joignit, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, les deux recours pour les toiser par un seul et même jugement, se déclara incompétent pour connaître des deux recours en réformation introduits en ordre principal et déclara irrecevable le recours subsidiaire en annulation, inscrit sous le numéro 37005 du rôle, pour autant qu’il avait été dirigé contre une décision implicite de refus du bourgmestre, résultant du silence gardé par lui pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction d’un recours gracieux du 31 mars 2015 contre la décision de refus du 28 octobre 2013, au regard de la délibération du collège des bourgmestre et échevins du 17 septembre 2015.
Quant au fond, le tribunal constata l’incompatibilité patente, concernant la compétence en matière de changement d’affectation d’un immeuble, entre les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation1, ci-
après désignée par « la loi du 21 septembre 2006 », prévoyant la nécessité d’une autorisation du collège des bourgmestre et échevins en cas de changement d’affectation d’une maison d’habitation par rapport à celles de l’article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement2, ci-après désignée par « la loi du 19 juillet 2004 », postérieures, soumettant sur l’ensemble du territoire communal, toute réalisation, transformation, changement du mode d’affectation ou démolition d’une construction, ainsi que les travaux de remblais et de déblais, à l’autorisation exclusive du bourgmestre, et retint qu’eu égard au caractère postérieur et général de l’article 37, précitée, les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 21 septembre 2006 sont à considérer comme ayant été implicitement, mais nécessairement abrogées à travers celles de l’article 37 de la loi du 19 juillet 2004, telles que résultant de la loi du 28 juillet 2011, de sorte que les décisions portant sur le changement d’affectation d’un immeuble relèvent de la compétence exclusive du bourgmestre en vertu de l’article 37 de la loi du 19 juillet 2004.
Il annula en conséquence la décision du collège des bourgmestre et échevins du 17 septembre 2015 pour violation de la loi et renvoya l’affaire devant ledit collège pour 1 Aux termes de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 21 septembre 2006 : « « Une habitation ou un local habituellement loué pour servir de logement ne pourra être soustrait à cette destination pour être transformé en bureau ou local à usage commercial ou artisanal, sauf autorisation expresse de la part du collège des bourgmestre et échevins de la commune dans laquelle se situe l’habitation ou le local en question. Cette interdiction ne s’applique ni aux bureaux des services publics ni aux cas où les locaux à usage professionnel, commercial ou artisanal ne constituent que l’accessoire du logement. » 2 En vertu de l’article 37 de la loi du 19 juillet 2004 : « Sur l’ensemble du territoire communal, toute réalisation, transformation, changement du mode d’affectation, ou démolition d’une construction, ainsi que les travaux de remblais et de déblais sont soumis à l’autorisation du bourgmestre. » transmission à l’autorité compétente. Finalement, dans la mesure où, en raison de l’annulation de la décision du 17 septembre 2015, le recours gracieux de Monsieur … du 31 mars 2015 n’avait pas encore vidé et partant la décision de refus initiale du bourgmestre du 28 octobre 2013 non encore définitive, le tribunal sursit à statuer en attendant l’issue réservée audit recours gracieux, ledit recours se trouvant actuellement fixé au rôle général.
Par courrier déposé au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2017, le litismandataire de Monsieur … sollicita la reprise en délibéré du rôle inscrit sous le numéro 37005, en ce qu’un délai de trois mois s’était écoulé depuis le jugement du tribunal administratif du 23 janvier 2017, sans que le bourgmestre n’ait pris une nouvelle décision quant à la demande de changement d’affectation de la maison sise à L-….
Par courrier du 12 mai 2017, le bourgmestre informa le litismandataire de Monsieur … de sa décision de refuser le changement d’affectation sollicitée de leur maison, dans les termes suivants :
« […] Suite au jugement du Tribunal administratif du 23 janvier 2017 ayant retenu une compétence exclusive du bourgmestre en matière de changement d'affectation d'un immeuble, je m'empresse de revenir à votre recours gracieux du 31 mars 2015 par lequel vous m'avez demandé de revenir sur ma décision de refus du 28 octobre 2013.
L'article 40.1.7 du règlement sur les bâtisses de la Ville d'Esch-sur-Alzette dispose dans des termes clairs et précis que « dans le secteur « Aal Esch & Brill » la modification de l'affectation des maisons unifamiliales n'est pas possible, sauf pour des constructions désignées à cet effet dans les plans de quartier. Ceci vaut également pour la parcelle après démolition totale de la bâtisse. » L'immeuble de votre mandant étant situé dans le secteur « Aal Esch & Brill », dans un secteur dépourvu de plans de quartier, de sorte que je ne saurais faire droit à la demande de votre mandante de sorte que je maintiens intégralement ma décision du 28 octobre 2013.
A toutes fins utiles, je me permets d'attirer votre attention sur un jugement du Tribunal administratif du 16 décembre 2013 dans une affaire inscrite au rôle sous le numéro 31530 et ayant confirmé « que l'objectif d'intérêt général poursuivi par le législateur communal, à savoir assurer le respect et l'évolution harmonieuse du site urbain et en particulier assurer la préservation du secteur de protection du patrimoine architectural et urbain « Aal Esch & Brill », en prohibant notamment les changements d'affectation de maisons unifamiliales, sauf pour les maisons désignées explicitement à cet effet, ne constitue pas un choix déraisonnable, respectivement que ce choix n'est pas entaché d'erreur manifeste, de même que l'atteinte infligée aux prérogatives du propriétaire, ne paraît pas disproportionnée par rapport à ce but d'intérêt général, ladite mesure n'atteignant en fait pas l'affectation initiale de la maison en question, mais empêchant surement tout changement d'affectation. » […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2017, inscrite sous le numéro 39640 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du bourgmestre du 12 mai 2017 rejetant son recours gracieux du 31 mars 2015 et confirmant la décision du 28 octobre 2013 refusant le changement d’affectation de sa maison sise à ….
Il échet tout d’abord de relever qu’en matière de changement d’affectation, un recours de pleine juridiction n’est pas prévu par la loi, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal.
Seul un recours en annulation a dès lors pu être introduit en la présente matière. Le recours en annulation qui a, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, est dès lors recevable.
Par acte d’avocat déposé au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2017, Monsieur … et son épouse, Madame Monique …, ci-après désignés par « les époux … », informèrent le tribunal de ce qu’ils reprennent l’instance introduite par Monsieur … par requête du 26 mai 2017, inscrite sous le numéro 39640 du rôle, en ce qu’ils ont acquis, par acte notarié du 18 juillet 2017, la maison litigieuse.
Quant à l’admissibilité de ladite reprise d’instance, il est constant en cause pour ne pas être contesté par les parties que l’acte de vente notarié du 18 juillet 2017 fixe la date d’entrée en jouissance des nouveaux propriétaires à la date de sa passation, de sorte que les époux … sont à considérer comme ayants-cause à titre particulier des époux …, et sont tenus propter rem, en raison de l’immeuble par eux acquis en pleine propriété, des droits et obligations leur ainsi transférés contractuellement.
Dans la mesure où, d’une part, dans le contentieux administratif l’analyse du tribunal n’est pas focalisée sur les personnes à l’instance, mais sur l’acte administratif par rapport auquel nécessairement une personne, physique ou morale, introduit un recours, lui-même conditionné notamment par l’intérêt à agir dudit recourant, et, d’autre part, en matière de changement d’affectation, l’intérêt à agir est conditionné, en règle générale, par la qualité de détenteur de droits réels, généralement propriétaire, de l’immeuble faisant l’objet de l’acte administratif litigieux, en sorte que le demandeur agit, en cette matière plus particulièrement, également propter rem, il y a lieu de retenir qu’un transfert de propriété ou de droits réels en cours d’instance, comportant transfert de jouissance des droits en question, emporte par essence admissibilité à l’instance du nouveau détenteur des droits en lieu et place de l’ancien.3 La reprise d’instance des époux … a, par ailleurs, été effectuée avant la prise en délibéré de l’affaire et sous le respect des droits de la défense de l’autre partie à l’instance, de sorte qu’elle doit être considérée comme valable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs, après avoir retracé les rétroactes à la base du présent litige, exposent être les propriétaires d’une maison inscrite au cadastre de la Commune d’Esch-sur-Alzette, section A d’Esch-Nord sous le numéro 838/12998, lieu dit « … », qui serait classée, suivant le plan d’aménagement général de la Ville d’Esch-sur-
Alzette, ci-après désigné par « le PAG », en secteur urbanisé.
En droit, les demandeurs se prévalent, en premier lieu, de l’article 2.1. du PAG pour soutenir que, dans les secteurs urbanisés, le commerce, les services et l’artisanat seraient expressément admis, de sorte que le bourgmestre leur aurait, à tort, refusé le changement d’affectation sollicité en se fondant sur l’article 40.1.7. du règlement sur les bâtisses de la Ville d’Esch-sur-Alzette dont ils invoquent à titre principal l’illégalité pour empiéter sur une matière réservée au PAG. Ainsi, tant en application de la loi modifiée du 12 juin 1937 3 Cour adm., 13 février 2007, n° 22241C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations importantes, ci-après désignée par « la loi du 12 juin 1937 », que de l’article 5 de la loi du 19 juillet 2004, ainsi que des articles 2 et 6 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 concernant le contenu du plan d’aménagement général d’une commune, seul un PAG pourrait fixer l’affectation des diverses zones du territoire communal, tandis que l’objet d’un règlement sur les bâtisses serait de porter sur la solidité, la sécurité et la salubrité des différentes constructions à réaliser sur le territoire communal, conformément aux articles 52 de la loi du 12 juin 1937, respectivement 39, paragraphe (1) de la loi du 19 juillet 2004. Cette distinction serait justifiée, d’après les demandeurs, par la circonstance que l’élaboration d’un PAG serait soumise à une procédure particulièrement protectrice des droits de propriétaires, dans la mesure où l’affectation du sol serait l’atteinte la plus flagrante au droit de propriété, à l’opposé de la procédure d’adoption d’un règlement sur les bâtisses qui constituerait un simple règlement communal. Comme l’article 40.1.7. du règlement sur les bâtisses de la Ville d’Esch-sur-Alzette interdirait une modification de l’affectation des maisons uni-familiales situées dans le secteur « Al Esch & Brill », celui-ci porterait sur une matière réservée par la loi au PAG, de sorte à être illégal et à ne pas pouvoir motiver la décision litigieuse qui devrait, en conséquence, être annulée.
Dans son mémoire en réponse, la Ville d’Esch-sur-Alzette sollicite le rejet de ce moyen d’annulation fondé sur l’illégalité de l’article 40.1.7. de son règlement sur les bâtisses, au motif que l’article 52 de la loi du 12 juin 1937 permettrait expressément à un tel règlement communal de fixer « […] le caractère des édifices et des logements […] » et de porter sur « […] l’aménagement de l’agglomération dans son ensemble. […] ». Elle en conclut que le PAG pourrait définir l’affectation générale des différentes zones du territoire communal, tandis qu’un règlement sur les bâtisses pourrait fixer la règle de détail quant à l’affectation autorisée notamment en interdisant, comme en l’espèce, un changement d’affectation dans un souci de préserver un aménagement particulier dans une zone spécifique du territoire communal. La Ville d’Esch-sur-Alzette souligne finalement que son règlement sur les bâtisses aurait suivi la même procédure que celle à utiliser pour la modification d’un PAG, sauf que le ministre de l’Intérieur se serait déclaré incompétent pour approuver ledit règlement, de sorte qu’en l’espèce, la procédure particulièrement protectrice des droits des propriétaires aurait été respectée.
A titre liminaire, il y a lieu de préciser que le PAG, adopté sous l’égide de la loi du 12 juin 1937, n’a pas fait l’objet d’une refonte complète au sens de l’article 108 de la loi du 19 juillet 2004, de sorte que l’analyse du tribunal des moyens ayant trait à la légalité tant du PAG que du règlement sur les bâtisses de la Ville d’Esch-sur-Alzette, étant rappelé qu’un règlement sur les bâtisses est un complément naturel et nécessaire des plans d'aménagement, destiné à prévoir les détails qui ne sauraient être inscrits dans les plans,4 doit s’effectuer par rapport aux dispositions de la loi du 12 juin 1937.
Il est encore constant en cause que la maison litigieuse est située, conformément à la partie graphique du PAG, dans un secteur urbanisé I qui est destiné, aux termes de l’article 2.1. de la partie écrite du PAG, « […] aux habitations ainsi qu’aux activités de commerce, de service et d’artisanat. […] ». Il s’ensuit que la maison sise à L-… est a priori susceptible d’être affectée tant à des fins d’habitation, telle qu’elle l’est actuellement, qu’à l’exercice d’activités de service, telles que notamment pour l’exercice d’une activité libérale, comme l’a sollicité, en l’espèce, Monsieur ….
4 Trib. adm. 20 octobre 1997, n° 9796 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Urbanisme, n° 24 et les autres références y citées.
Quant au refus du bourgmestre d’autoriser ledit changement d’affectation, ce dernier se base sur l’article 40.1.7. du règlement sur les bâtisses de la Ville d’Esch-sur-Alzette en vertu duquel « Dans le Secteur « Al Esch & Brill », la modification de l’affectation des maisons unifamiliales n’est pas possible, sauf pour des constructions désignées à cet effet dans les plans de quartier. Ceci vaut également pour la parcelle après la démolition totale de la bâtisse. », les demandeurs contestant ce fondement réglementaire au motif que les modalités d’affectation des immeubles relèveraient non pas du domaine d’un règlement communal, en l’occurrence le règlement sur les bâtisses de la Ville d’Esch-sur-Alzette, mais du PAG.
Il y a tout d’abord lieu de relever que, conformément à l’article 1er de la loi précitée du 12 juin 1937, la Ville d’Esch-sur-Alzette, dans la mesure où elle fait partie des localités « de 10.000 habitants et au-dessus », était tenue dès l’entrée en vigueur de la loi en question d’avoir un projet d’aménagement qui doit comprendre, conformément à l’article 2 de la même loi :
« a) Un plan d’alignement qui fixe la direction, la largeur et le niveau des voies à créer ou à modifier.
Ce plan détermine l’alignement à bord de rue, l’alignement en recul et éventuellement l’alignement des arrières-façades ;
b) Un plan de lotissement qui réserve les terrains destinés aux voies, places, édifices et jardins publics, aux terrains de jeux et aux espaces libres divers ;
c) Un plan avec un programme d’extension, déterminant les servitudes hygiéniques, archéologiques et esthétiques que comportent les différents quartiers. Les plan et programme fixent l’écartement des constructions entre elles, de même que leur hauteur, et prévoient les distributions d’eau potable, d’éclairage, ainsi que les canalisations pour l’évacuation des eaux pluviales et résiduaires.
Les mesures nécessaires pour assurer l’exécution et l’application du plan-programme sont arrêtées par le conseil communal, sous l’approbation du « Ministre de l’Intérieur » ».
Conformément à l’article 52 de ladite loi du 12 juin 1937 : « Toutes les localités auxquelles la présente loi impose l’obligation d’établir un projet d’aménagement, sont également tenues d’édicter, dans le cadre des dispositions ci-après, un règlement sur les bâtisses, les voies publiques et les sites.
Le règlement portera sur la solidité, la sécurité et la salubrité des différentes constructions et sur l’aménagement de l’agglomération dans son ensemble. Il établira les règles à suivre pour la construction des voies publiques, fixera le caractère des édifices et des logements et prévoira les mesures de protection des sites ou monuments au point de vue esthétique.
Le règlement sera soumis à l’approbation du « Ministre de l’Intérieur ».
Lorsqu’une commune reste en défaut d’édicter le règlement dans les deux ans de la publication de la présente loi, le Gouvernement est autorisé à le publier d’office ».
Il se dégage des dispositions légales qui précèdent qu’un règlement sur les bâtisses n’a pour objet que de « s’occuper des voies publiques avec tous leurs accessoires, des alignements des bâtiments et des clôtures ainsi que de leur mode de construction, de l’hygiène et de l’esthétique de la ville ou du village »5, de sorte que son champ d’application doit nécessairement se limiter à édicter les règles de détail quant à la solidité, la sécurité et la salubrité des différentes constructions admissibles dans les différentes zones d’aménagement du territoire communal, sans pouvoir, d’une part, déterminer ces zones du territoire communal, ni, d’autre part, fixer l’affectation desdites zones, ce rôle revenant exclusivement au PAG. L’objectif d’un plan d’aménagement est en effet la définition des différents aménagements qui peuvent, le cas échéant, être effectués sur les différentes parties du territoire soumis à son champ d’application6, étant encore précisé qu’un règlement sur les bâtisses, en raison de sa complémentarité par rapport aux plans d’aménagement général et particuliers, n'a pas de domaine réservé qu'il aurait vocation à régler de manière exclusive. Il n'est, au contraire, destiné qu'à édicter des règles de détail dans les domaines où les plans se sont bornés à énoncer des règles générales. Il s'en dégage encore que les prescriptions d'un règlement sur les bâtisses ne sauraient tenir en échec les dispositions contraires d'un plan d'aménagement.7 Bien qu’il ressorte de l’article 2.1. du PAG relatif aux secteurs urbanisés, que « ces secteurs sont soumis aux dispositions du règlement général sur les bâtisses et, le cas échéant, aux règlements particuliers et plans particuliers d’aménagement y afférents en vigueur ou à édicter ultérieurement » et que « ces règlement et plans particuliers s’appliquent à un îlot bien défini à l’intérieur de ces secteurs et précisent, en fonction du caractère actuel, l’affectation future de ces [î]lots par des plans de conservation, de réhabilitation ou de rénovation urbaine […] », force est cependant au tribunal de constater que la Ville d’Esch-
sur-Alzette a, à travers l’article 40.1.7. de son règlement sur les bâtisses, empiété sur une matière réservée au PAG, dont l’objectif, tel que le tribunal vient de le préciser, est de fournir la définition des différents aménagements qui peuvent, le cas échéant, être réalisés sur les différentes parties du territoire soumis à son champ d’application. Ainsi, il aurait appartenu au PAG, non seulement de déterminer les types d’affectations des immeubles admissibles dans une zone déterminée du territoire communal concernée, mais également de prévoir expressément les exceptions auxdites affectations, en en fixant, au moins les critères d’application.
Or, en l’espèce, l’article 2.1. du PAG ne fait que retenir le principe de l’admissibilité, dans les secteurs urbanisés de la Ville d’Esch-sur-Alzette, des immeubles affectés à des fins d’habitation, d’activités de commerce, de service et d’artisanat, sans prévoir une quelconque exception à ces affectations, tandis que l’article 40.1.7. du règlement sur les bâtisses a pour effet de définir un secteur déterminé du territoire communal, en l’occurrence le secteur « Al Esch & Brill », pour y interdire, de manière générale, le changement d’affectation des maisons unifamiliales s’y situant. Il y a partant lieu de retenir que l’article 40.1.7. du règlement sur les bâtisses procède à l’aménagement d’une partie du territoire communal de la Ville d’Esch-sur-Alzette en le réservant à des maisons unifamiliales, en dérogeant à l’article 5 Projet de loi concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations importantes, 1927, rapport de la commission spéciale, p.32.
6 Trib. adm. 15 mai 2006, n°20252 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Urbanisme, n° 51 et article 14 de la loi du 20 mars 1974 concernant l’aménagement général du territoire, loi entretemps abrogée, en vertu duquel : « […] Chaque projet [d’aménagement] fixe pour le moins l’affectation générale des diverses zones du territoire communal […] ».
7 Trib. adm. 20 octobre 1997, n° 9796 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Urbanisme, n° 24 et les autres références y citées.
2.1., alinéa 3 du PAG, dépassant ainsi son champ de compétence qui est, conformément à l’article 52 de la loi du 12 juin 1937, de déterminer la solidité, la sécurité et la salubrité des différentes constructions, respectivement l’aménagement de l’agglomération concernée, dans son ensemble.
Il suit des considérations qui précèdent que l’article 40.1.7. du règlement sur les bâtisses de la Ville d’Esch-sur-Alzette est illégal, pour avoir été pris en violation des articles 2 et 52 de la loi du 12 juin 1937, de sorte que la décision déférée du 12 mai 2017 doit être annulée pour défaut de base légale, en ce qu’elle est exclusivement fondée sur ladite disposition réglementaire, sans qu’il n’y ait lieu de statuer sur les autres moyens d’annulation des demandeurs, cet examen devenant surabondant.
Les demandeurs sollicitent, finalement, l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000 euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qu’il y a lieu de rejeter, étant donné que les demandeurs omettent de préciser en quoi il serait inéquitable de laisser les frais non répétibles à leur charge, la simple référence à l’article de loi applicable n’étant pas suffisante à cet égard.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
donne acte à Monsieur … et Madame … qu’ils reprennent l’instance en lieu et place de Monsieur … ;
au fond déclare le recours subsidiaire en annulation justifié ;
partant annule la décision du bourgmestre du 12 mai 2017 refusant le changement d’affectation de la maison sise à L-… et renvoie le dossier au bourgmestre en prosécution de cause ;
rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure telle que formulée par les époux …-… ;
condamne la Ville d’Esch-sur-Alzette aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 mars 2018 par :
Annick Braun, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Alexandra Castegnaro, premier juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19.3.2018 Le greffier du tribunal administratif 10