Tribunal administratif N° 37567a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 février 2016 2e chambre Audience publique du 15 mars 2018 Recours formé par Monsieur …, … (Belgique), contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Revu la requête inscrite sous le numéro 37567 du rôle et déposée le 24 février 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Martine Krieps, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Algérie), de nationalité algérienne, déclarant résider à B-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du 3 février 2016 prise par le ministre de l’Immigration et de l’Asile en ce qu’elle lui interdit l’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans ;
Vu le jugement rendu par le tribunal administratif en date du 30 décembre 2016 ;
Vu l’arrêt rendu par la Cour administrative en date du 30 mai 2017, inscrit sous le numéro 39073C du rôle ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Martine Krieps, et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 janvier 2018.
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Par courrier du 13 novembre 2014, un agent du Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig informa le ministère des Affaires étrangères et européennes que Monsieur … était détenu audit centre pénitentiaire et qu’il n’était pas en possession d’une pièce d’identité.
Par jugement de la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 7 mai 2015, inscrit sous le numéro 1406/2015, Monsieur … fut condamné à une peine d’emprisonnement de 15 mois, du chef de tentative de vol commise à l’aide d’effraction, l’appel introduit par Monsieur … à l’encontre du jugement précité ayant été rejeté comme n’étant pas fondé par un arrêt de la Cour d’appel du 24 juillet 2015 inscrit sous le numéro 347/15 VAC.
En date du 21 août 2015, un acte d’écrou, émis par le Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, fut communiqué au ministère des Affaires étrangères et européennes, avec l’indication que Monsieur … avait été condamné pour « vols, armes prohibées » à une peine d’emprisonnement de 15 mois dont l’exécution avait débuté en date du 13 novembre 2014 pour se terminer le 6 février 2016.
Par arrêté du 3 février 2016, notifié le 5 février 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après le « ministre », informa Monsieur … que son séjour sur le territoire luxembourgeois était irrégulier, qu’il devait quitter ledit territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, à savoir l’Algérie, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner tout en lui interdisant l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de 5 ans.
Cette décision fut basée sur les motifs et considérants suivants :
« Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Attendu que l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public ;
Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un passeport en cours de validité ;
Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;
Attendu que l’intéressé n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail ;
Que par conséquent il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ; (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 février 2016, Monsieur … fit introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision du 3 février 2016 en ce qu’elle lui interdit l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.
Par jugement du 30 décembre 2016, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation, reçut le recours principal en annulation en la forme, le déclara justifié et annula la décision du ministre du 3 février 2016 en ce qu’elle porte interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pendant une durée de cinq ans en renvoyant le dossier en prosécution de cause devant le ministre. Pour arriver à cette solution, le tribunal avait retenu que les règles de la procédure administrative non contentieuse aurait vocation à s’appliquer en l’espèce, que le ministre disposerait en la matière d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire, sous la réserve de la durée de l’interdiction du territoire qui est fixée en principe à cinq ans au maximum et sous la réserve de la prise en compte des circonstances propres à chaque cas et que le ministre n’aurait pas fait application de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 avant la prise de la décision sous examen.
Par arrêt du 30 mai 2017, inscrit sous le numéro 39073C du rôle, la Cour administrative réforma le jugement précité en retenant que « c’est à tort que la décision ministérielle critiquée du 3 février 2016 a été annulée pour violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes » et renvoya l’affaire en prosécution de cause devant le tribunal administratif.
Le tribunal, confirmé sur ce point par la Cour administrative, ayant retenu qu’aucun recours en réformation n’était prévu en la présente matière, il n’est plus saisi, après renvoi par la Cour administrative, que du seul volet du recours ayant trait à l’annulation de la décision du 3 février 2016 portant interdiction d’entrée sur le territoire à l’égard de Monsieur ….
Dans la mesure où le tribunal n’avait, dans le cadre du jugement du 30 décembre 2016, analysé que le moyen de la légalité externe de la décision du 3 février 2016 basé sur l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », il lui appartient d’examiner les autres moyens d’annulation, invoqués par le demandeur.
Le demandeur reproche au ministre, en plus de son moyen relatif à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, de ne pas avoir suffisamment motivé sa décision en se référant aux article 109 et 112 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ». Il précise dans ce contexte que la décision déférée ne comporterait pas de motivation précise et complète et que « la référence vague et globale à des considérations d’ordre général » ne saurait être considérée comme motivation suffisante, d’autant plus que la motivation de la décision se lirait plutôt « comme un texte préfabriqué et standardisé » ne prenant pas en considération la situation personnelle du demandeur.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, le demandeur soutient que les motifs à la base de la décision ne seraient « nullement de taille à pouvoir interdire l’entrée sur le territoire (…) et laisse[raie]nt d’être établis ». A cet égard, il donne à considérer que la condamnation à une seule peine d’emprisonnement ne saurait justifier une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans tout en affirmant que la mesure serait disproportionnée. Il précise finalement qu’il serait marié à une ressortissante belge depuis le 9 septembre 2011, de sorte que l’interdiction d’entrée sur le territoire « mettrait en danger, de fait, les liens conjugaux et partant la vie privée des époux … ».
Le délégué du gouvernement soutient dans son mémoire en réponse que Monsieur … se trouverait en séjour irrégulier sur le territoire et ne disposerait pas de documents d’identité ou de voyage. Il aurait, par ailleurs, été condamné à une peine d’emprisonnement de quinze mois qui n’aurait été assortie d’un sursis en raison des antécédents pénaux de Monsieur … en Belgique, où il serait connu comme « violent, personne dangereuse physiquement (agressive), armé » et qu’il aurait fait usage d’une quinzaine d’alias et fait l’objet de pas moins de 35 procès-verbaux concernant des infractions telles que « Arme, munition ; étranger illégal ; vol qualifié ; coupes et blessures volontaires ; recel ; usage de faux, falsification ; drogues ; dégradations volontaires ;
menaces avec ordre ou sous conditions ; vols simple ». Il donne à considérer que ni un prétendu droit de séjour en Belgique, ni une prétendue existence d’une vie privée sur le territoire belge ne seraient pertinents par rapport à la légalité de la décision d’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois.
S’agissant du moyen basé sur un défaut de motivation de la décision déférée, il y a lieu de rappeler que l’article 112 de la loi du 29 août 2008 dispose ce qui suit : « (1) Les décisions de retour peuvent être assorties d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée maximale de cinq ans prononcée soit simultanément à la décision de retour, soit par décision séparée postérieure. Le ministre prend en considération les circonstances propres à chaque cas. Le délai de l’interdiction d’entrée sur le territoire peut être supérieur à cinq ans si l’étranger constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale. ».
L’article 112, paragraphe (1), précité, permet dès lors au ministre, en prenant en considération les circonstances propres à chaque cas, d’assortir une décision de retour d’une interdiction d’entrée sur le territoire dont la durée ne peut, en principe, pas excéder cinq ans, sauf dans l’hypothèse où l’intéressé constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale.
Le ministre dispose en la matière d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire, sous la réserve de la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire qui est fixée en principe à cinq ans au maximum et sous la réserve de la prise en compte des circonstances propres à chaque cas.
Force est au tribunal de rappeler que l’existence de motifs est une des conditions essentielles de la validité d’un acte administratif. Le fait, par l’administration, de se limiter à reprendre comme seuls motifs, des formules générales et abstraites prévues par la loi, sans tenter de préciser concrètement comment, dans le cas d’espèce, des raisons de fait permettent de justifier la décision, équivaut à une absence de motivation, mettant le juge administratif dans l’impossibilité de contrôler la légalité de l’acte1.
Dans ce contexte, le tribunal relève que dans la mesure où l’article 112 prévoit expressément que « Le ministre prend en considération les circonstances propres à chaque cas », la partie étatique est tenue de préciser, au plus tard au cours de la procédure contentieuse, non seulement pour quelle raison il assortit la décision de retour d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire, mais également d’indiquer les motifs qui l’ont amené à fixer la durée de cette interdiction à autant d’années.
En l’espèce, s’il est vrai que le ministre a motivé l’interdiction du territoire par une simple référence à l’article 112 de la loi du 29 août 2008 et au fait que Monsieur … constituerait une menace pour l’ordre public sans précision supplémentaire, il n’en reste pas moins que le délégué du gouvernement a encore précisé dans son mémoire en réponse tant les circonstances de fait que la cause juridique de la décision déférée, en insistant plus particulièrement sur le passé criminel du demandeur, de sorte que ce dernier n’a pas pu se méprendre sur les raisons à la base de la décision litigieuse et a ainsi été mis en mesure d’assurer la défense de ses droits et intérêts en parfaite connaissance de cause.
Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter.
Quant au fond, il échet de rappeler que le ministre dispose en la matière d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire, sous la réserve de la durée de l’interdiction du territoire qui est fixée en principe à cinq ans au maximum et sous la réserve de la prise en compte des circonstances propres à chaque cas.
Le pouvoir discrétionnaire du ministre n’échappe pas au contrôle des juridictions administratives, en ce que le ministre ne saurait verser dans l’arbitraire. Ainsi, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, en ce sens qu’au cas où une disproportion devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision2.
En ce qui concerne les interdictions de territoire jusqu’à cinq ans, la loi ne prévoit pas de critères fixes permettant de guider la décision du ministre, de sorte que le tribunal, dans le cadre 1 trib. adm. 27 février 1997, n° 9601 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 58 et autres références y citées.
2 trib. adm. 27 février 2013, n° du rôle 30584, Pas.adm. 2017, V° Etrangers, n° 635 et les autres références y citées.
de son contrôle, doit également procéder à une analyse in concreto du dossier administratif afin de vérifier si une telle interdiction ne semble pas disproportionnée en l’espèce.
Force est de constater que par jugement correctionnel du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 7 mai 2015, confirmé par un arrêt n° 347/15 du 24 juillet 2015 de la Cour d’appel, le demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement de quinze mois pour tentative de vol qualifié, sans que cette peine ait été assortie d’un sursis en raison des antécédents judiciaires de Monsieur … en Belgique.
Il ressort également du dossier administratif que Monsieur … est « connu dans [le] fichier national police en Belgique dans le cadre de nombreux faits entre 2008 et 2014 », qu’ « il n’hésiterait pas à faire usage de ses armes contre la police », qu’il est connu en Belgique sous 16 alias différentes et qu’il a fait l’objet de 34 procès-verbaux de police en Belgique pour de multiples infractions, dont notamment en matière d’arme et de munition, de dégradation volontaire, de faux et usage de faux, de coups et blessures volontaires, de vol et de toxicomanie.
S’agissant des développements du demandeur ayant trait à l’existence d’une vie privée et familiale en Belgique, force est au tribunal de constater, à l’instar du délégué du gouvernement, que même à supposer qu’une vie privée et familiale existerait en Belgique, cet élément ne serait pas pertinent dans l’examen du bien-fondé d’une décision portant interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois, étant précisé à cet égard qu’il ressort d’un courrier du service public fédéral Intérieur belge du 7 février 2017 que le demandeur a perdu son droit de séjour comme conjoint d’un ressortissant belge et qu’il découle d’un certificat de composition de ménage du 15 janvier 2015 que les époux …, certes mariés depuis le 9 septembre 2011, n’ont été inscrits à la même adresse qu’à partir du 30 octobre 2014, sachant que le demandeur a été détenu au Centre pénitentiaire de Luxembourg du 13 novembre 2014 au 6 février 2016.
Le tribunal est amené à retenir que compte tenu de la condamnation par le jugement précité du 7 mai 2015, combinée à ses antécédents judiciaires qui se dégagent des pièces du dossier administratif et qui dénotent une énergie criminelle incontestable, ainsi que du fait que les développements du demandeur ayant trait à une vie privée en Belgique ne sont pas pertinents dans le cadre l’examen de la proportionnalité de la décision sous analyse, le ministre a valablement pu, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation et sans violer le principe de proportionnalité, prononcer à l’encontre du demandeur une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, de sorte que le moyen afférent est à rejeter comme étant non fondé.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties et sur renvoi par l’arrêt de la Cour administrative du 30 mai 2017, inscrit sous le numéro 39073C du rôle ;
déclare le recours en annulation non fondé, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 15 mars 2018 par le vice-président, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 mars 2018 Le greffier du tribunal administratif 6