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14/03/2018 | LUXEMBOURG | N°38729

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 mars 2018, 38729


Tribunal administratif N° 38729 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 novembre 2016 1re chambre Audience publique du 14 mars 2018 Recours formé par la société à responsabilité limitée … SARL, … contre des décisions du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Mondercange, en matière de marchés publics

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite le 18 novembre 2016 sous le numéro du rôle 38729 par Maître Georges Wirtz, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l

’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée … SARL, étab...

Tribunal administratif N° 38729 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 novembre 2016 1re chambre Audience publique du 14 mars 2018 Recours formé par la société à responsabilité limitée … SARL, … contre des décisions du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Mondercange, en matière de marchés publics

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite le 18 novembre 2016 sous le numéro du rôle 38729 par Maître Georges Wirtz, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée … SARL, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par ses gérants actuellement en fonctions, inscrite au registre du commerce et des sociétés sous le numéro …, tendant à l’annulation de trois décisions du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Mondercange du 10 août 2016, ainsi qualifiées, portant 1) annulation du marché public relatif aux transports scolaires dans la commune de Mondercange pour les années scolaires 2016/2017 à 2018/2019, 2) renonciation à une nouvelle soumission du marché public en question, 3) non résiliation de la convention la liant à une entreprise de transport opérant dans le cadre du régime général des transports routiers (RGTR) ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Yves Tapella, demeurant à Esch-sur-Alzette, des 23, 24 et 25 novembre 2016, portant signification de la requête introductive d’instance à la commune de Mondercange, établie à L-3901 Mondercange, rue Arthur Thinnes, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, ainsi qu’à la société anonyme … SA, établie et ayant son siège social à L…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, de même qu’à la société à responsabilité limitée … SARL, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro … ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 novembre 2016 par Maître Claude Pauly, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la commune de Mondercange ;

Vu le mémoire en réponse déposé le 2 février 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Claude Pauly pour compte de la commune de Mondercange ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 2 mars 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Georges Wirtz pour compte de la société à responsabilité limitée … SARL, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique déposé le 27 mars 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Claude Pauly, pour compte de la commune de Mondercange ;

Vu les pièces versées et notamment l’acte attaqué du 10 août 2016 ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Benjamin Pacary, en remplacement de Maître Georges Wirtz, et Maître Claude Pauly en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 décembre 2017.

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Benjamin Pacary, en remplacement de Maître Georges Wirtz, et Maître Diab Boudene, en remplacement de Maître Claude Pauly, en leurs plaidoiries supplémentaires en date du 24 janvier 2018.

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Par avis de marché du 1er juin 2016, la commune de Mondercange lança une procédure de soumission publique relative au transport scolaire dans ladite commune pour les années scolaires 2016/2017, 2017/2018 et 2018/2019.

Lors de l’ouverture des soumissions en date du 1er juillet 2016, la société à responsabilité limitée … SARL, ci-après désignée par « la société … », se classa en dernière position derrière deux autres participants avec un prix de 437.969,55.- euros.

Le résultat des soumissions fut acté comme suit :

… Pts … Pts … Pts Prix de l’offre 277 466,80 € 5,07 € 50 373 861,00 € 5,78 € 38 437 969,55 € 3,50 € 35 Qualité du service à offrir 7 9 3,68 Compétence et expérience 17 19 3,06 Environnement 8 9 6,40 81 75 48 Par courrier du 10 août 2016, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Mondercange informa la société … de ce qu’il avait décidé d’annuler la mise en adjudication, respectivement de renoncer à une nouvelle soumission. Ledit courrier est libellé comme suit :

« En application du § 1) de l’article 91 du règlement grand-ducal modifié du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics et portant modification du seuil prévu à l’article 106 point 10° de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, considérant que la soumission n’a pas donné de résultat satisfaisant, et après avoir préalablement sollicité l’avis de la Commission des soumissions, reçu en date du 10 août 2016, nous tenons à vous informer que l’adjudication a été annulé par décision du collège échevinal en date du 10 août 2016.

En effet il s’avère que le résultat de la soumission est à qualifier comme n’ayant donné de résultat satisfaisant du fait que le montant le plus bas représente une augmentation de plus de 225% par rapport à la dépense moyenne des années précédentes.

Il a également été retenu de renoncer à une nouvelle soumission, étant donné que selon la circulaire N° 2225 du 9 février 2001 de Monsieur le Ministre de l’Intérieur il est loisible aux communes de s’engager par voie conventionnelle avec une entreprise de transport opérant dans le cadre du RGTR. La commune est actuellement liée via une telle convention à une entreprise de transport, et profite dès lors d’un prix beaucoup plus avantageux, et compte dès lors ne pas résilier le contrat en question.

Tout en vous remerciant d’avoir participé à la procédure ouverte en question, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de nos meilleurs sentiments. […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2016, la société … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de trois décisions, ainsi qualifiées, du collège des bourgmestre et échevins du 10 août 2016 en ce qu’elles porteraient 1) annulation du marché public relatif aux transports scolaires dans la commune de Mondercange pour les années scolaires 2016/2017 à 2018/2019, 2) renonciation à une nouvelle soumission du marché public en cause et 3) non résiliation de la convention liant, au jour des deux décisions prévisées, la commune de Mondercange à une entreprise de transport opérant dans le cadre du RGTR.

Le tribunal relève de prime abord que bien que la requête introductive d’instance ait été signifiée par exploit de l’huissier de justice Yves Tapella du 24 et 25 novembre 2016 à la société anonyme … SA, ainsi qu’à la société à responsabilité limitée … SARL, celles-ci n’ont pas déposé de mémoire en réponse. En vertu des dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-

après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties par un jugement ayant les effets d’une décision contradictoire, même si les parties tierce-intéressées n’ont pas comparu dans le délai prévu par la loi.

Quant à la recevabilité Force est tout d’abord de relever que la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, ci-après dénommée la « loi du 25 juin 2009 », ne prévoit pas la possibilité d’exercer un recours en réformation contre une quelconque décision prise en matière de marchés publics, de sorte que seul un recours en annulation est possible contre des décisions prises dans cette matière.

La commune de Mondercange soulève de prime abord l’irrecevabilité du recours sous analyse pour avoir été dirigé à l’encontre d’un certain nombre de décisions prises par le collège des bourgmestre et échevins au cours de sa séance du 10 août 2016 et non pas contre le courrier du 10 août 2016 adressé à la société requérante par le collège échevinal qui serait seul à considérer comme une décision finale attaquable. Elle estime, en effet, que les décisions prises par le collège échevinal en relation avec le marché public en cause ne constitueraient pas l’acte final manifestant la volonté de l’administration et qu’en tant que telles, elles ne pourraient pas s’analyser en des décisions administratives au sens de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 ». Elle ajoute que l’annulation des délibérations d’un collège des bourgmestre et échevins serait de toute façon régie par la procédure spécifique prévue à l’article 103 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, ci-après désignée par « la loi communale », et qu’en conséquence, la demande en annulation de délibérations du collège échevinal serait à déclarer irrecevable pour violer la loi communale.

Dans son mémoire en réplique, la société … estime avoir à suffisance identifié les décisions attaquées à travers son recours. Elle précise que bien qu’elle n’ait pas été en possession de l’extrait du registre des délibérations du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Mondercange au moment du dépôt de son recours, ce dernier viserait bien les décisions relatives au marché public en cause qui auraient été prises par ledit collège en date du 10 août 2016 et qui lui auraient été notifiées par courrier recommandé lui adressé le même jour.

Aux termes de l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 7 novembre 1996, « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements ».

L’article 2, précité, limite l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l’acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n’est pas pour autant une condition suffisante. Pour être susceptible de faire l’objet d’un recours, la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief2.

Le tribunal relève tout d’abord, et face au reproche de la commune suivant lequel le recours sous analyse n’aurait pas pu être valablement dirigé contre des décisions prises par le collège échevinal lors de sa séance du 10 août 2016 en relation avec le marché public en cause, au motif que la décision finale qui ferait grief à la société requérante serait celle notifiée à cette dernière par le biais du courrier du 10 août 2016, que, contrairement à ce que soutient la commune, et indépendamment de la portée exacte de la délibération du conseil échevinal lors de sa séance du 10 août 2016, qui sera analysée ci-dessous, ce n’est pas le courrier du même jour signé par le bourgmestre au nom du collège échevinal qui est susceptible de faire grief à la société requérante. En effet, il ne s’agit, en tout état de cause, que d’un courrier par le biais duquel cette dernière a été informée des suites réservées à la soumission litigieuse, de sorte que ledit courrier est lui-même, en tant que simple lettre d’information, dépourvu de tout caractère décisionnel propre3 et dès lors non attaquable. Il s’ensuit encore que le recours contentieux n’a pu, a priori, être dirigé que contre les décisions prises par le collège échevinal relatives au marché public en cause lors de sa séance du 10 août 2016.

Force est ensuite de constater qu’il ressort du libellé du recours, ainsi que des explications du litismandataire de la société requérante à l’audience des plaidoiries, que la 1 Trib. 6 octobre 2004, n° 16533 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Actes administratifs, n°1 et les autres références y cités.

2 Trib. adm. 9 juillet 2013, n°31548 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Actes administratifs, n°40 et les autres références y citées.

3 Trib. adm. 26 février 2004, n° 16952 du rôle, Pas adm. 2017, V° Marché publics, n°174 et les autres références y citées société … a entendu diriger son recours contre les décisions relatives au marché public en cause qui ont été prises par le collège des bourgmestre et échevins dans sa séance du 10 août 2016, telles qu’elles se sont matérialisées à son égard par le seul biais du courrier signé par le bourgmestre lui notifié le même jour.

Or, lorsque, comme en l’espèce, un soumissionnaire n’a été informé du résultat d’une soumission que par le biais d’un courrier d’information lui adressé, il est de jurisprudence constante que le recours peut être valablement dirigé contre les décisions prises par le collège échevinal en relation avec le marché public en cause, telles qu’elles se sont matérialisées à l’égard d’un soumissionnaire par le courrier révélateur de l’existence des décisions prises lors de la délibération4.

La conclusion qui précède n’est pas énervée par la référence faite par la commune de Mondercange à l’article 103 de la loi communale du 13 décembre 1988 qui dispose que « Le Grand-Duc peut annuler les actes collectifs et individuels des autorités communales qui sont contraires à la loi ou à l’intérêt général. L’arrêté d’annulation doit être motivé et indiquer les moyens légaux ou les éléments d’intérêt général qui sont en cause et qu’il s’agit de protéger. Par autorités communales au sens des articles 103 à 108 inclus de la présente loi, on entend le conseil communal, le collège des bourgmestre et échevins, le bourgmestre, le receveur ainsi que les organes des syndicats de communes et établissements publics placés sous la surveillance des communes. », la commune interprétant à tort cet article comme donnant au seul Grand-Duc le pouvoir d’annuler les délibérations du conseil échevinal, pour en conclure que le recours sous analyse, en ce qu’il tend à l’annulation de délibérations du conseil échevinal serait de ce fait irrecevable.

Le tribunal est, à cet égard, amené à relever qu’à supposer, pour les besoins de la discussion que l’article 103 de la loi communale instaure un « recours » - au sens de l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 7 novembre 1996 précitée, c’est-à-dire une voie ouverte aux administrés s’estimant lésés par un acte leur permettant de saisir une autorité en vue d’obtenir l’annulation ou la réformation de l’acte litigieux - contre les actes collectifs et individuels des autorités communales contraires à la loi ou à l’intérêt général, force est cependant de relever que l’article 2, paragraphe (2), de la loi du 7 novembre 1996 précitée, dispose que « dans les cas où des lois et règlements admettent contre une décision administrative le recours au Grand-Duc, la partie se prétendant lésée pourra néanmoins déférer cette décision au tribunal administratif pour les causes sus-énoncées. Dans ce cas, elle renonce au recours au Grand-Duc. Lorsque, en pareil cas, la partie intéressée s'est d'abord adressée au Grand-

Duc, elle peut encore se pourvoir devant le tribunal administratif, mais seulement pour les causes ci-dessus énoncées, contre la décision qu'elle aura inutilement déférée au Grand-Duc (…) », de sorte que l’éventuelle existence d’une voie de recours spécifique par-devant le Grand-Duc n’est, en tout état de cause, pas de nature à entraîner l’irrecevabilité du présent recours introduit par la société requérante, mais seulement de nature à l’empêcher de recourir ultérieurement à l’arbitrage du Grand-Duc, la société requérante étant dans cette hypothèse réputée avoir renoncé au recours au Grand-Duc.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de retenir, dans un premier temps, que la société requérante a pu valablement diriger son recours contre des décisions relatives au marché public en cause qui ont été prises par le collège des bourgmestre et échevins dans 4 Par analogie : Trib. adm. 26 février 2004, n° 16952 du rôle, Pas adm. 2017, V° Marché publics, n°174 et les autres références y citées.

sa séance du 10 août 2016, telles qu’elles se sont matérialisées à son égard par le courrier de ce dernier lui notifié le même jour.

Force est toutefois de relever que la société requérante a identifié dans le courrier signé par le bourgmestre du 10 août 2016 trois décisions qui auraient été prises par le collège échevinal en relation avec le marché public en cause, à savoir une décision d’annuler le marché public litigieux, une autre, d’y renoncer et, enfin, une troisième, de ne pas résilier la convention liant la commune à une autre société de transport.

La commune a cependant également soulevé l’irrecevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre la décision, ainsi qualifiée, du collège échevinal de ne pas résilier la convention qui lie l’administration communale à une autre société de transports, au motif qu’il ne s’agirait pas d’une décision administrative au sens de l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 7 novembre 1996, mais simplement d’un moyen invoqué à l’appui de la décision de renoncer à une nouvelle mise en adjudication. A cela s’ajouterait que la non-résiliation de cette convention ne ferait pas grief à la société requérante puisqu’elle serait en vigueur et exécutée depuis 2003. Par ailleurs, il s’agirait d’une convention conclue entre parties qui, en tant que telle, respecterait les articles 1108 et suivants du Code civil.

Dans son mémoire en réplique, la société requérante fait valoir que si la décision de la commune de ne pas résilier la convention en cause était bien utilisée comme un moyen à l’appui de ses décisions d’annuler le marché public et de renoncer à une nouvelle mise en adjudication, outre le fait qu’il s’agirait d’un moyen inopérant parce qu’il violerait l’article 92 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 3 août 2009 », la commune aurait, par ailleurs, manifesté à travers cette décision sa volonté de ne pas résilier ladite convention au vu des résultats du marché public suite à l’ouverture des offres, ce qui aurait eu pour effet juridique d’attribuer les services faisant l’objet du marché public annulé à un concurrent, sans recourir à une nouvelle mise en adjudication et ce, en violation des articles 1er, 4 et 8 de la loi du 25 juin 2009 et de l’article 92 du règlement grand-ducal du 3 août 2009. Elle réfute finalement l’argumentation de la commune suivant laquelle sa décision de ne pas résilier la convention en cause serait de nature purement civile et qu’elle aurait été prise dans le cadre de l’exécution d’une convention existant depuis 2003, de sorte à ne pas lui faire grief pour avoir préexisté au marché public litigieux. Elle estime, en effet, que même si le juge administratif ne pouvait pas s’immiscer dans l’exécution d’un contrat civil, il aurait toutefois le pouvoir de contrôler la décision administrative préalable quant au choix du mode de passation du marché public et de l’attribution du marché.

Le tribunal relève, à cet égard, tout d’abord que lors de la délibération du 10 août 2016, le collège échevinal a décidé d’annuler la mise en adjudication litigieuse sur base du constat que la soumission n’avait pas donné de résultat satisfaisant, tout en décidant, corrélativement, de renoncer à l’adjudication du marché en cause au motif que la commune serait toujours liée par voie conventionnelle à une entreprise de transport et que, dans le cadre de cette convention, elle profiterait, pour les services ayant fait l’objet de l’appel d’offres litigieux, d’un prix plus avantageux, de sorte qu’elle aurait l’intention de ne pas résilier cette convention et donc de continuer à faire exécuter lesdits services par le prestataire actuel.

Contrairement à ce que soutient la partie requérante, le tribunal n’identifie, dans la délibération du collège échevinal, que deux décisions administratives a priori susceptibles de lui causer grief, à savoir, d’une part, celle d’annuler la mise en adjudication, et, d’autre part, celle de renoncer à l’adjudication du marché en cause, étant, à cet égard, précisé qu’il s’agit a priori de deux voies légales distinctes pour ne pas mener la procédure de mise en adjudication engagée à son terme. En effet, l’annulation ne peut, aux termes de l’article 91 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, être décidée par le pouvoir adjudicateur que pour des circonstances externes à celui-ci, pour le surplus indépendantes de sa volonté5, cette annulation impliquant, en principe, la remise en adjudication du marché, tandis qu’en cas de renonciation, le pouvoir adjudicateur ne procède plus à l’adjudication pour des raisons qui lui sont internes et qui peuvent relever de l’opportunité ou de contraintes internes6, la renonciation impliquant que la procédure de passation n’est plus recommencée, parce qu’il est renoncé à faire exécuter les travaux, fournitures ou services prévus. S’il est vrai que le collège échevinal a encore exprimé son intention de ne pas résilier la convention liant la commune à une autre société de transport, force est de constater que l’annonce même de l’existence de cette convention et de l’intention corrélative de la commune de la maintenir pour des raisons d’ordre financier, participe, malgré les termes utilisés, uniquement à la motivation de sa décision de renoncer à l’adjudication du marché en cause et qu’en tant que telle, cette annonce n’est pas de nature à produire per se des effets juridiques de nature à affecter la situation personnelle de la société requérante, étant encore relevé que la question de savoir si une telle motivation a pu être valablement invoquée à la base de la décision de renoncer à l’adjudication devrait en tout état de cause être toisée dans le cadre de l’analyse de la légalité interne de cet acte.

L’annonce de la commune suivant laquelle elle compte maintenir le contrat la liant à une autre société de transport n’est dès lors pas constitutive d’une décision administrative individuelle susceptible d’un recours contentieux, de sorte que le recours sous analyse, en ce qu’il est dirigé contre ce volet de l’acte du 10 août 2016 est à déclarer irrecevable.

Au vu de cette conclusion, il y a lieu de retenir, dans un deuxième temps, que seule la décision du collège échevinal d’annuler la mise en adjudication litigieuse et celle corrélative de renoncer à l’adjudication du marché en cause sont susceptibles d’être déférées au tribunal par le biais d’un recours en annulation.

La commune de Mondercange soulève toutefois encore le défaut d’intérêt à agir dans le chef de la société requérante contre ces deux décisions, en mettant en exergue que, dans la mesure où celle-ci se serait classée en dernière position à l’ouverture de la soumission, elle ne pourrait tirer aucune satisfaction d’une annulation des décisions du collège échevinal du 10 août 2016, alors que ses chances d’obtenir l’attribution du marché seraient nulles.

La société … estime, quant à elle, qu’en sa qualité de soumissionnaire d’un marché public de services de transport scolaire ayant été annulé et pour lequel le pouvoir adjudicateur aurait renoncé à une nouvelle adjudication pour finalement attribuer l’exécution des services de transport public par voie conventionnelle à une autre société, et ce, en violation de la loi sur les marchés publics, elle bénéficierait d’un intérêt personnel, direct, effectif, né et actuel de faire examiner la légalité de telles décisions. Plus particulièrement, son droit subjectif de soumissionnaire à voir respecter les dispositions légales et réglementaires relatives à l’adjudication des marchés publics auxquels elle participe aurait été violé. En se référant à diverses jurisprudences du tribunal administratif, elle souligne qu’un intérêt de concurrence serait suffisant pour conférer à une entreprise voulant participer à une soumission publique un 5 En ce sens : Cour adm. 20 octobre 2015, n°36094C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

6 Idem.

intérêt à voir respecter les dispositions légales et réglementaires régissant les adjudications publiques.

Elle ajoute que l’intérêt à agir serait, par ailleurs, à analyser en fonction de l’objet du recours. Or, en l’espèce, il s’agirait de demander l’annulation des décisions de la commune par laquelle celle-ci a annulé le marché public de services de transport scolaire pour les trois années scolaires de septembre 2016 à juillet 2019, renoncé à une nouvelle mise en adjudication dudit marché et attribué les services de transport scolaire par voie conventionnelle en maintenant, respectivement en ne résiliant pas la convention existant entre elle et une autre société de transport, ceci en violation des dispositions législatives et réglementaires en matière de marchés publics.

En ce qui concerne la position de la commune consistant à lui dénier un intérêt à agir au motif qu’elle n’aurait pas la moindre chance de se voir attribuer le marché ayant été annulé, la société requérante fait valoir que comme le marché aurait été annulé et que la commune y aurait ensuite renoncé, il serait indifférent de savoir si elle avait ou non une chance de se voir attribuer les services de transport scolaire faisant l’objet du marché annulé.

Finalement, elle estime que le fait de lui dénier un intérêt à agir alors qu’elle aurait participé au marché public annulé équivaudrait à fermer le prétoire à tous les concurrents directement intéressés en contravention à leur droit subjectif de voir respecter par l’administration les procédures légales et réglementaires de passation des marchés publics et plus particulièrement des règles de mise en concurrence, d’égalité de traitement et de transparence.

En ce qui concerne la question de l’intérêt à agir de la société requérante, telle que débattue par les parties en cause, force est de constater qu’en matière de contentieux administratif portant sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d’un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif7.

Un demandeur, pour justifier d’un intérêt à agir, doit justifier d’un intérêt personnel et certain, en ce sens que la réformation ou l’annulation de l’acte litigieux doit lui procurer une satisfaction certaine et personnelle8. L’intérêt invoqué doit encore être distinct de l’intérêt général, le demandeur devant justifier de l’existence d’un lien suffisamment direct entre la décision querellée et sa situation personnelle9.

Plus particulièrement, en matière de marchés publics, l’article 1er, dernier alinéa, de la loi modifiée du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics, donne des précisions quant à l’intérêt à agir en la matière en ce qu’il dispose que « Les procédures de recours sont accessibles à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée 7 Cour adm. 14 juillet 2009, nos 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 3 et les autres références y citées 8 Trib. adm. 22 octobre 2007, n°22489 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 9 et les autres références y citées 9 Trib. adm. 28 novembre 2016, n°36482 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 12 et les autres références y citées.

du droit communautaire ou de droit national transposant le droit communautaire en matière de marché public. » Force est encore de relever que la définition générale de l’intérêt à agir par la jurisprudence administrative est en phase avec cette définition, reprise de l’article 1.3 de la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics, étant donné qu’il se dégage de cette disposition que l’accessibilité aux procédures de recours en matière de marchés publics est conditionnée plus particulièrement par la lésion ou le risque de lésion d’une personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé, lésion qui présuppose un lien direct entre l’acte attaqué et la situation de l’intéressé, la sanction de l’acte devant lui procurer une satisfaction certaine et personnelle10.

Comme l’intérêt doit être personnel en ce sens qu’entre l’acte querellé et le requérant il y ait un lien individualisé, l’existence de ce lien dépend dans certains cas du demandeur lui-

même.

Ainsi, il y a lieu de retenir qu’aussi bien en cas d’annulation d’une mise en adjudication qu’en cas de renonciation par le pouvoir adjudicateur à une adjudication, le requérant, pour pouvoir être considéré comme ayant un intérêt personnel et direct à combattre une telle décision, doit non seulement avoir été lui-même soumissionnaire, mais il doit, par ailleurs, s’être trouvé dans une situation telle qu’il avait raisonnablement une chance pour entrer en ligne de compte pour se voir attribuer le marché, puisqu’à défaut, il ne saurait tirer une quelconque satisfaction personnelle effective d’une annulation judiciaire d’une telle décision.

En effet, comme une décision administrative annulée judiciairement est réputée n’être jamais intervenue, l’acte annulé ne peut plus être exécuté et il disparaît rétroactivement depuis la date où il a été pris. Cette considération oblige l’administration à remettre les choses dans l’état où elles seraient trouvées si la décision annulée n’avait pas été prise11.

Il s’ensuit que, si le tribunal venait à accueillir favorablement la demande de la société requérante et à annuler les décisions du collège échevinal actuellement litigieuses, l’annulation de chacune de ces décisions aurait uniquement pour effet de placer les parties dans la même position que celle dans laquelle elles se sont trouvées antérieurement à l’annulation de la mise en adjudication, respectivement à la renonciation à l’adjudication du marché en cause. Plus particulièrement, par l’effet de l’annulation judiciaire des décisions actuellement litigieuses, le pouvoir adjudicateur se verrait contraint de poursuivre la procédure de mise en adjudication qui a d’ores et déjà été entamée et dont l’aboutissement, par définition, sera la prise d’une décision d’adjudication et la conclusion subséquente d’un contrat afférent avec le soumissionnaire qui a remis, lors de l’ouverture de la soumission en date du 1er juillet 2016, la meilleure offre conforme aux exigences du cahier des charges.

Or, en l’espèce, il est constant en cause que la société requérante a été soumissionnaire dans le cadre du marché litigieux et qu’au moment de l’ouverture des offres, elle s’est classée en dernière position derrière deux autres soumissionnaires, étant relevé que 10 Trib. adm. 22 février 2016, n°34252 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu 11 Cour adm. 15 octobre 1998, n°10704C du rôle, Pas adm. 2017, V° Recours en annulation, n°64 et les autres références y citées.

le choix de l’adjudicataire devait se faire, conformément aux stipulations du dossier de soumission, suivant l’offre économiquement la plus avantageuse avec des critères d’attribution ayant trait tant au prix (à raison de 50 points), à la qualité du service à offrir (à raison de 20 points) et à la compétence et l’expérience dans le domaine des transports scolaires (à raison de 20 points) et aux mesures prises par le transporteur en matière de protection de l’environnement (à raison de 10 points), de sorte à réserver une place non négligeable au facteur prix.

Dans la mesure où, au moment de la poursuite de la mise en adjudication, l’offre de la société requérante serait toujours classée en dernière position avec, pour ce qui est plus particulièrement des lots 1 à 7, un écart d’environ 64.000.- euros avec l’offre de la société classée en deuxième position et un écart de plus de 160.000.- euros avec celle de la société classée en première position, respectivement en termes de points, avec un écart de 27 points par rapport à la société classée en deuxième position et un écart de 33 points avec celle classée en première position, elle n’a, au vu des éléments soumis au tribunal - la société requérante n’arguant plus particulièrement pas que les offres de ses deux concurrents auraient présenté une quelconque irrégularité ou non-conformité susceptible d’en justifier l’écartement ou le rejet -, aucune réelle chance de se voir attribuer le marché actuellement litigieux ni, a fortiori, de tirer une satisfaction personnelle effective, que ce soit de l’annulation judiciaire de la décision du conseil échevinal d’annuler la mise en adjudication ou de celle de renoncer à l’adjudication du marché en cause.

Si la société requérante met encore en avant son souci de voir sanctionner la violation par le pouvoir adjudicateur des règles de mise en concurrence, d’égalité de traitement et de transparence, cette volonté ne traduit en réalité d’autre intérêt que l’intérêt général.

En effet, en cherchant uniquement à voir respecter la règle de droit en général et à faire juger la loi violée, la société requérante vise au final, par le biais de son recours, à agir afin d’assurer la défense de l’intérêt général. Or, dans la mesure où un administré n’est admis qu’à sa prévaloir de la lésion de ses propres intérêts, le recours qui tend uniquement à faire assurer la défense de l’intérêt général, sans établir dans quelle mesure une éventuelle annulation de l’acte administratif attaqué est susceptible de lui causer une quelconque satisfaction personnelle effective est à déclarer irrecevable pour défaut d’intérêt à agir12, les juridictions administratives n’ayant pas été instituées pour procurer aux plaideurs des satisfactions purement platoniques ou leur fournir des consultations13.

Au vu des considérations qui précèdent et sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant, le recours est à déclarer irrecevable pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la société … en ce qu’il est dirigé contre la décision du collège échevinal d’annuler la mise en adjudication litigieuse et celle corrélative de renoncer à l’adjudication du marché en cause.

Finalement, en ce qui concerne la demande de la société requérante à voir enjoindre la commune de communiquer l’entièreté du dossier administratif, au-delà du constat qu’au cours de l’audience des plaidoiries et sur question afférente du tribunal, la société requérante est restée en défaut d’expliquer concrètement quelle pièce du dossier administratif faisait encore défaut, le tribunal est amené à retenir que dans la mesure où le recours est déclaré irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, la demande en communication du dossier 12 En ce sens : Trib. adm. 24 mai 2004, n° 17111 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n°53 et l’autre références y citée.

13 Trib. adm. 14 janvier 2009, n° 22029 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 52.

administratif est à rejeter.

La société requérante réclame encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.500 euros, demande qui, au vu de l’issue du litige, est à rejeter.

La commune de Mondercange, pour sa part, sollicite également une indemnité de procédure d’un montant de 5.000.- euros. Toutefois, les conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge de la partie défenderesse n’ayant pas été rapportés à suffisance comme étant remplis en l’espèce, il y a lieu de rejeter ladite demande.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours en annulation irrecevable dans son intégralité, partant le rejette ;

rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure telles que formulées de part et d’autre ;

condamne la société requérante aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mars 2018 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Olivier Poos, premier juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

Michèle Hoffmann Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14.3.2018 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 38729
Date de la décision : 14/03/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-03-14;38729 ?

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