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12/03/2018 | LUXEMBOURG | N°38831

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mars 2018, 38831


Tribunal administratif N° 38831 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 décembre 2016 1re chambre Audience publique du 12 mars 2018 Recours formé par Monsieur …, … contre des bulletins de l’impôt sur le revenu en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38831 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2016 par Maître Sophie Pierini, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Lu

xembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant, selon le corps de la requête, à la ré...

Tribunal administratif N° 38831 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 décembre 2016 1re chambre Audience publique du 12 mars 2018 Recours formé par Monsieur …, … contre des bulletins de l’impôt sur le revenu en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38831 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2016 par Maître Sophie Pierini, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant, selon le corps de la requête, à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2008, 2009 et 2010, tous émis le 19 mars 2014 et selon le dispositif de la même requête à la réformation, sinon à l’annulation de « la décision implicite de refus consécutive au silence gardé par Monsieur le Directeur de l’Administration des Contributions Directes à la suite de l’introduction de la réclamation en date du 25 juin 2014 » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 février 2017 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2017 par Maître Sophie Pierini, pour le compte de Monsieur …, préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins critiqués ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sophie Pierini et Monsieur le délégué du gouvernement Eric Pralong en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 janvier 2018.

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Le 8 juin 2011, le bureau d’imposition Luxembourg 4 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit à l’égard de Monsieur … des bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2008 et 2009.

En date du 8 août 2011, Monsieur … introduisit deux réclamations contre lesdits bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2008 et 2009.

Le 14 mars 2012, le bureau d’imposition émit un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2010.

1Le 5 avril 2012, le mandataire de Monsieur … introduisit une réclamation contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2010.

Le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », n’ayant pas répondu à ces réclamations, Monsieur …, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2012, inscrite sous le numéro 31788 du rôle, fit introduire un recours en réformation contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2008, 2009 et 2010, émis le 8 juin 2011, respectivement le 14 mars 2012.

Par jugement du 11 décembre 2013, le tribunal administratif annula les bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années 2008, 2009 et 2010 et renvoya le dossier devant l’administration des Contributions directes en prosécution de cause.

Le 19 mars 2014, le bureau d’imposition émit à l’encontre de Monsieur … des nouveaux bulletins d’impôt sur le revenu pour les années 2008, 2009 et 2010.

Par courrier du 17 mai 2014, entré le 18 juin 2014 à l’administration des Contributions directes, l’avocat de Monsieur … s’adressa au bureau d’imposition en les termes suivants :

« […] Je peux vous informer que Monsieur … m'a chargé de la défense de ses intérêts dans le dossier fiscal dont la référence est émargée.

Par la présente mon mandant conteste formellement le bien fondé des deux taxations d'office datant du 19 mars 2014 et relatives aux exercices 2008, 2009 et 2010.

En date du 14 mars 2014 mon mandant, par l'intermédiaire de son bureau comptable, vous a tenu les preuves objectives rapportant le bien fondé de ses contestations de votre projet de taxation d'office (voir pièce numéro 1).

Il vous a été prouvé pièce à l'appui que le couple …/… vécu en séparée dès janvier 2004, alors que mon mandant a déménagé au Luxembourg pour vivre dès le 7 janvier 2004 à … comme le prouve la déclaration par-devant Maître … entrepris en date du 5 octobre 2012. (voir pièce numéro 2) Il vous a été prouvé, pièce à l'appui, que dans la suite le couple … / …, ayant trois enfants en commun, a divorcé (voir pièce numéro 2) avec à la charge du père de payer à la mère une contribution à raison de 300.-€ par enfant/mois, donc par une mensualité de ….-€. Pareille charge constitue sans équivoque possible une pension alimentaire déductible à titre de charge spéciale.

Il en va de même du minerval scolaire que le père assume comme il est prouvé de nouveau par pièce à l'appui.

Il y a donc lieu de prendre en compte ces charges spéciales pour réduire les revenus provenant d'une profession libérale.

La contestation la plus importante portait pour chaque exercice sur les revenus nets non exonérés de capitaux mobiliers mis en compte pour les exercices 2008, 2009 et 2010 pour la somme de ….-€ alors que vous taxe[z] pour l'exercice un revenu de ….-€. Pour les trois exercice[s] ce revenu est, tant en droit qu'économiquement inexistant dans le chef de mon 2mandant.

En effet les capitaux causant votre taxation d'office pour cette catégorie pour les exercices 2008, 2009 et 2010, ne sont pas la propriété de Monsieur … pour constituer des biens propres à Madame ….

A titre de preuve de cette réalité de droit et économique, mon mandant verse les documents suivants :

- l'avis d'impôt sur le revenu du couple … /… exercice 2000 - l'avis d'impôt sur le revenu du couple … /… exercice 2001 - l'avis d'impôt sur le revenu du couple … /… exercice 2002 - l'avis d'impôt sur le revenu du couple … /… exercice 2003 - l'avis d'impôt sur le revenu du couple … /… exercice 2004 - les déclarations récapitulatives de la société … pour les exercices 2003/5/6 - les déclarations récapitulatives de la société … pour les exercices 2003/5/6 - les déclarations récapitulatives de la société … pour les exercices 2005/6 - les déclarations récapitulatives de la société … pour les exercices 2005/6 - les déclarations récapitulatives de la société … pour les exercices 2006 - la déclaration de la société immobilière … pour l'exercice 2006 - sont aussi annexés les extraits … des sociétés…, ….

- en dernier document sont annexés les extraits d'imputations des revenus d'activité nets imposables de l'exercice 2005 pour les sociétés … et ….

Il ressort de la lecture de ces documents objectifs que tou[te]s ces participations restent étrangères au chef du sieur … tant que restent étrangers à son chef les revenus de capitaux qu'ont générés ces participations.

Il y a donc lieu de revoir les taxations d'office comme suit :

Exercice 2008 :

Revenu de capitaux : 0,00.-

Charges spéciales : ….- (secours alimentaire enfants) Exercice 2009 :

Revenu de capitaux : 0,00.-

Charges spéciales : ….- (secours alimentaire enfants) Exercice 2010 :

Revenu de capitaux : 0,00.-

Charges spéciales : ….- (secours alimentaire enfants) Tant mon mandant que moi restons à votre entière disposition pour tout renseignement respectivement explications requis de votre part. […] » Par courrier du 19 juin 2014, le bureau d’imposition refusa d’opérer un redressement desdits bulletins en les termes suivants : « En réponse à votre demande du 17.05.2014 (courrier reçu le 18.06.2014) introduite par Maître …, concernant le redressement des taxations des années 2008 à 2010, j'ai le regret de vous informer que je ne peux pas réserver une suite favorable à votre demande.

3Cette décision est motivée par les faits suivants :

1. Votre domicile (sans incidence fiscale) :

Le 07.01.2004 vous vous êtes enregistré à la rue …, adresse qui est toujours votre adresse officielle au Luxembourg d'après le répertoire national. En date du 06.01.2011 j'avais demandé une copie de votre contrat de bail pour cette habitation. Vous m'avez envoyé une attestation établie par Madame … que vous habitez à titre gracieux dans son appartement à la rue …, attestation qui a été établie le 05.11.2003. Comme Madame … avait cependant vendu cet appartement en 2006 et qu'elle habite à … depuis le 20.05.2010, je vous avais demandé le 28.01.2011 de me dire où se trouve votre résidence réelle. Vous m'avez envoyé ensuite un contrat de bail pour une habitation à …, contrat signé le 25.06.2009. D'après la déclaration du 05.10.2012 auprès du notaire S…, vous partagez un foyer avec Madame …, qui devrait donc se trouver à …. Lors de notre entretien téléphonique du 04.02.2014 vous m'avez expliqué que vous louez toujours une habitation à la rue … (un « appartement de merde » selon vos dires). En plus vous souhaitez la déduction de 50% du loyer d'une habitation à … (dans votre déclaration 2011). Il y a partant des contradictions constantes en ce qui concerne votre domicile.

2. Charge spéciale Une charge spéciale n'existe pas en droit fiscal, il s'agit soit de dépenses spéciales, soit de charges extraordinaires.

D'après les courriers de la fiduciaire DL Audit, vous demandez la déduction de la rente alimentaire pour vos enfants sub dépenses spéciales. Or, uniquement une rente alimentaire en faveur du conjoint divorcé, fixée par décision judicaire, est à déduire sub dépenses spéciales (article 109bis LIR).

La rente alimentaire pour l'entretien des enfants ne faisant pas partie de votre ménage est à déduire comme charges extraordinaires (article 127bis LIR).

Il est normal que la mère reçoit l'argent sur son compte, surtout lorsqu'il s'agit d'enfants mineurs, mais cela ne change rien dans la qualification de la charge à faire valoir comme charges extraordinaires.

Concernant les déductions :

En 2008, les relevés bancaires montrent que les virements ont été effectués depuis le compte bancaire de la société … S.A. avec siège à …, le compte associé manque donc je ne peux pas vérifier si la société a déduit ces paiements comme dépense ou non. J'ai donc refusé une déduction puisque vous n'avez pas payé vous-même cette rente alimentaire (voir aussi remarque sur le premier bulletin d'imposition émis et dans mon courrier du 23.01.2014).

En 2009, votre compte associé de la maison mère d'… n'indique que …euros en tant que rente alimentaire. Ce montant a été déduit comme charges extraordinaires, tel que je vous avais déjà informé dans mon courrier du 23.01.2014.

En 2010, le montant maximal de …euros a été considéré (3 x … euros), mentionné également dans mon courrier du 23.01.2014.

43. Capitaux mobiliers :

Les pièces reçues ne concernent pas les années d'imposition 2008 à 2010.

Vous avez indiqué que vous êtes en litige avec l'administration fiscale française au sujet de l'imposition de revenus de capitaux (voir jugement du tribunal administratif du 11.12.2013 page 5). Qu'en est-il ? Pour 2010, les dividendes imposés figurent sur votre compte associé, envoyé par Allen et Overy en date du 07.03.2012. Pour le calcul exact, veuillez vous référer à mon courrier du 23.01.2014.

Comme je refuse de procéder à un redressement des taxations émises, je vous prie de faire une réclamation officielle auprès du Directeur de l'administration, dans les formes et délais prévus […] ».

Par courrier du 25 juin 2014, réceptionné par le directeur selon l’accusé de réception versé par le demandeur le 26 juin 2014, le mandataire de Monsieur … s’adressa, cette fois-ci, au directeur en les termes suivants :

« […] Je peux vous informer que Monsieur … m'a chargé de la défense de ses intérêts dans le dossier fiscal dont la référence est émargée.

Par la présente mon mandant conteste formellement le bien fondé des deux taxations d'office datant du 19 mars 2014 et relatives aux exercices 2008, 2009 et 2010.

En date du 14 mars 2014 mon mandant, par l'intermédiaire de son bureau comptable, vous a tenu les preuves objectives rapportant le bien fondé de ses contestations de votre projet de taxation d'office (voir pièce numéro 1).

Il vous a été prouvé pièce à l'appui que le couple …/… vécu[t] en séparée dès janvier 2004, alors que mon mandant a déménagé au Luxembourg pour vivre dès le 7 janvier 2004 à … comme le prouve la déclaration par-devant Maître … entrepris en date du 5 octobre 2012.

(voir pièce numéro 2) Il vous a été prouvé, pièce à l'appui, que dans la suite le couple … / …, ayant trois enfants en commun, a divorcé (voir pièce numéro 2) avec à la charge du père de payer à la mère une contribution à raison de ….-€ par enfant/mois, donc par une mensualité de ….-€. Pareille charge constitue sans équivoque possible une pension alimentaire déductible à titre de charge spéciale.

Il en va de même du minerval scolaire que le père assume comme il est prouvé de nouveau par pièce à l'appui.

Il y a donc lieu de prendre en compte ces charges spéciales pour réduire les revenus provenant d'une profession libérale.

La contestation la plus importante portait pour chaque exercice sur les revenus nets non exonérés de capitaux mobiliers mis en compte pour les exercices 2008, 2009 et 2010 pour la somme de ….-€ alors que vous taxe[z] pour l'exercice un revenu de ….-€. Pour les trois 5exercice[s] ce revenu est, tant en droit qu'économiquement inexistant dans le chef de mon mandant.

En effet les capitaux causant votre taxation d'office pour cette catégorie pour les exercices 2008, 2009 et 2010, ne sont pas la propriété de Monsieur … pour constituer des biens propres à Madame ….

A titre de preuve de cette réalité de droit et économique, mon mandant verse les documents suivants :

-

l'avis d'impôt sur le revenu du couple … /… exercice 2000 -

l'avis d'impôt sur le revenu du couple … /… exercice 2001 -

l'avis d'impôt sur le revenu du couple … /… exercice 2002 -

l'avis d'impôt sur le revenu du couple … /… exercice 2003 -

l'avis d'impôt sur le revenu du couple … /… exercice 2004 -

les déclarations récapitulatives de la société … pour les exercices 2003/5/6 -

les déclarations récapitulatives de la société … pour les exercices 2003/5/6 -

les déclarations récapitulatives de la société … pour les exercices 2005/6 -

les déclarations récapitulatives de la société … pour les exercices 2005/6 -

les déclarations récapitulatives de la société … pour les exercices 2006 -

la déclaration de la société immobilière … pour l'exercice 2006 -

sont aussi annexés les extraits … des sociétés …… ….

-

en dernier document sont annexés les extraits d'imputations des revenus d'activité nets imposables de l'exercice 2005 pour les sociétés … et ….

Il ressort de la lecture de ces documents objectifs que tous ces participations restent étrangères au chef du sieur … tant que restent étrangers à son chef les revenus de capitaux qu'ont générés ces participations.

Il y a donc lieu de revoir les taxations d'office comme suit :

Exercice 2008 :

Revenu de capitaux : 0,00.-

Charges spéciales : ….- (secours alimentaire enfants) Exercice 2009 :

Revenu de capitaux : 0,00.-

Charges spéciales : ….- (secours alimentaire enfants) Exercice 2010 :

Revenu de capitaux : 0,00.-

Charges spéciales : ….- (secours alimentaire enfants) Le bureau d'imposition 4 a par écrit refusé de procéder à une rectification au motif que Monsieur … . ne serait pas domicilié au Luxembourg, thèse contredite par les pièces versées en la cause.

Tant mon mandant que moi restons à votre entière disposition pour tout renseignement respectivement explications requis de votre part. ».

6A défaut de réponse du directeur, Monsieur … a fait introduire par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2016, un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années 2008, 2009 et 2010, précités, et selon le dispositif de ladite requête un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de « la décision implicite de refus consécutive au silence gardé par Monsieur le Directeur de l’Administration des Contributions Directes à la suite de l’introduction de la réclamation en date du 25 juin 2014 ».

A l’audience des plaidoiries, le mandataire de Monsieur … a indiqué, sur question afférente du tribunal, que le recours serait uniquement dirigé contre les bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années 2008, 2009 et 2010, émis le 19 mars 2014 par le bureau d’imposition et non contre une décision implicite de refus du directeur, tel que erronément indiqué dans le dispositif du recours, de sorte que seuls les bulletins d’impôt litigieux sont déférés à l’analyse du tribunal.

A l’audience des plaidoiries, le mandataire du demandeur a encore déposé une pièce additionnelle intitulée « Copie du courrier de Me PIERINI au Comité de Direction de l’ACD du 3 janvier 2017, ainsi que copie de la décision de la Mission d’Expertise Juridique et Economique Internationale française du 17 novembre 2017 », dont le délégué du gouvernement a demandé le rejet pour avoir été déposée après le rapport du juge-rapporteur.

Force est de constater que la pièce en question a été déposée après le rapport prévu par l’article 28 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », et sans autorisation afférente du tribunal. Or, les pièces produites seulement après le rapport à l’audience sont à rejeter des débats1, de sorte qu’en l’espèce, la pièce sus-mentionnée est à écarter des débats.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 21 mai 1931 telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », ci-après désignée par « AO », et de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre la décision qui a fait l’objet d’une réclamation dans l’hypothèse où aucune décision définitive du directeur n’est intervenue dans un délai de six mois à partir de la réclamation.

Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2008, 2009 et 2010, émis le 19 mars 2014 par le bureau d’imposition.

Il n’y a par conséquent pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

La partie étatique conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation au motif que les bulletins litigieux n’auraient pas fait l’objet d’une réclamation auprès du directeur dans le délai légal. En se référant aux paragraphes 228 et 245 AO, ainsi qu’à la présomption de notification prévue à l’article 2 du règlement grand-ducal du 24 octobre 1978 concernant la notification des bulletins en matière d'impôts directs, ci-après « le règlement grand-ducal du 24 octobre 1978 », elle soutient, en effet, que les bulletins litigieux auraient dû être contestés au moyen d’une réclamation adressée au directeur dans un délai de trois mois à compter de la notification des 1 Cour adm. 4 mars 1997, n°9517C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 684 7bulletins en cause. Or, en l’espèce, la réclamation réceptionnée le 26 juin 2014 par le directeur serait tardive, de sorte que les bulletins litigieux seraient devenus définitifs, ayant acquis autorité de chose décidée, et que, par conséquent, toutes les contestations en rapport avec le bien-fondé desdits bulletins seraient à déclarer non-fondées. Le délégué du gouvernement ajoute encore que le demandeur ne ferait pas état de circonstances susceptibles de justifier un relevé de forclusion au sens du paragraphe 83 AO.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait valoir qu’il aurait, par le biais de son ancien mandataire, adressé un courrier au préposé du bureau d’imposition en date du 17 mai 2014 et que ce courrier aurait été réceptionné par ledit bureau d’imposition en date du 18 juin 2014.

Le bureau d’imposition aurait répondu au prédit courrier par un courrier du 19 juin 2014.

En vertu du parallélisme des formes et en application de l’article 2 du règlement grand-ducal du 24 octobre 1978, ce courrier devrait être considéré comme ayant été notifié le 24 juin 2014, jour de l’expiration du délai de recours devant le directeur, de sorte que lui-même se serait trouvé dans une « impossibilité totale d’agir avant cette date ». A cet égard, le demandeur fait valoir qu’il aurait introduit son recours devant le directeur le jour ayant suivi la réception du courrier du bureau d’imposition, à savoir le 26 juin 2014, de sorte qu’il mériterait d’être relevé de la forclusion par application du paragraphe 83 AO.

Le délégué du gouvernement argumente dans son mémoire en duplique que ce serait à tort que le demandeur considérerait pouvoir bénéficier d’un relevé de forclusion au motif qu’il aurait été empêché, sans faute de sa part, d’introduire une réclamation devant le directeur puisqu’aucune disposition légale ne l’aurait empêché de s’adresser directement au directeur ou l’aurait obligé d’attendre la prise de position du bureau d’imposition pour introduire une telle réclamation. Aussi bien les courriers du 23 janvier 2014, invitant le demandeur à faire part de ses objections quant à l’imposition envisagée, que les bulletins d’impôts déférés, comporteraient des instructions claires et précises sur les demandes de modification et les voies de recours ouvertes, de sorte qu’aucune circonstance ne justifierait un relevé de forclusion au sens du paragraphe 83 AO.

Au regard des contestations de la partie étatique, il convient d’examiner si, en l’espèce, les bulletins litigieux ont fait l’objet d’une réclamation endéans le délai légal, étant relevé qu’à défaut de réclamation endéans ce délai, le recours contentieux introduit directement contre un bulletin doit être déclaré irrecevable. A cet égard, il convient de relever que, conformément aux dispositions combinées des paragraphes 228, 245 et 246 AO, un bulletin doit être contesté obligatoirement par la voie d’une réclamation devant le directeur qui doit être introduite dans un délai de trois mois à partir de la notification valable du bulletin, seul le défaut ou le caractère lacuneux d’une instruction sur les voies de recours sur le bulletin ayant pour effet, au vœu du paragraphe 246 (3) AO, d’empêcher le cours de ce délai.2 Il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, le contribuable, confronté à un bulletin d’imposition, dispose de plusieurs recours spécifiques au droit fiscal, régis par des dispositions spéciales.

C’est ainsi que le contribuable dispose notamment, en vertu du paragraphe 94, alinéa 1er AO, de la possibilité de faire retirer ou modifier son bulletin d’impôt, à condition toutefois qu’il 2 Cour adm. 18 décembre 2008, n° 24391C, disponible sous www.jurad.etat.lu 8ne soit pas forclos dans le cadre d’un recours contentieux, possibilité communément considérée comme « recours gracieux » en ce sens que la demande afférente est adressée à l’autorité ayant pris la décision attaquée, à savoir le bureau d’imposition compétent : cette possibilité est notamment ouverte au contribuable qui constate une erreur dans le bulletin d’imposition : il lui est loisible de contacter endéans les délais du recours contentieux les services fiscaux afin que ces derniers redressent l’erreur dans le cadre d’un nouveau bulletin d’imposition. La caractéristique essentielle d’une telle requête en modification est de n’agir que de façon ponctuelle : alors que la réclamation au sens du paragraphe 228 AO a un effet dévolutif général, la requête en modification n’autorise le bureau d’imposition à vérifier et décider à nouveau que sur le point litigieux. Pour ces raisons également, la requête en modification du bulletin d’imposition ne constitue pas non plus une « réclamation » au sens du paragraphe 228 AO et n’a de ce fait pas pour effet d’interrompre les délais pour réclamer, ni l’obligation de paiement de la cote d’impôt3.

Le bureau d’imposition, saisi d’une telle requête en modification peut soit, sans y être obligé, décider de réserver une suite favorable à la requête du contribuable et émettre un bulletin rectificatif, soit décider de maintenir inchangé le bulletin d’imposition critiqué sur la base de considérations liées à l’équité comme à l’opportunité : dans ce cas la légalité de cette décision pourra être contestée par le contribuable dans le cadre d’un recours en annulation à introduire endéans un délai de trois mois conformément à l’article 8 (4) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 précitée.4 Il peut encore déposer une réclamation devant le directeur sur base du paragraphe 228 AO, le contribuable étant même, tel que cela a été retenu ci-avant, obligé lorsqu’il veut soumettre l’imposition lui opposée au juge du fond, sous peine d’irrecevabilité de son recours contentieux ultérieur, de soumettre préalablement une telle réclamation au directeur.

S’agissant du point de départ du délai de réclamation, à savoir la date de notification du bulletin, il convient de relever qu’en cas de notification par voie de courrier postal, la notification du bulletin est présumée accomplie le troisième jour ouvrable après la mise à la poste conformément à l’article 2 du règlement grand-ducal du 24 octobre 1978.

En l’espèce, il se dégage des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que les bulletins litigieux ont été émis le 19 mars 2014, de sorte que la notification des bulletins précités est présumée avoir eu lieu le 24 mars 2014. En application des paragraphes 228, 245 et 246 AO précités, le délai de 3 mois pour pouvoir introduire une réclamation devant le directeur a dès lors expiré le 24 juin 2014, tel qu’avancé par la partie étatique et non autrement été contesté par le demandeur.

Il s’ensuit que le courrier du 25 juin 2014, entré à l’administration des Contributions directes le 26 juin 2014, que le demandeur qualifie de réclamation a été introduit après l’expiration du délai de réclamation.

S’il existe certes un autre courrier portant la date du 17 mai 2014, il n’en reste pas moins que cette lettre adressée au bureau d’imposition, a été qualifiée par ce dernier de demande de redressement au sens du paragraphe 94, alinéa 1er AO à travers un courrier du 19 juin 2014, qualification d’ailleurs non-autrement remise en cause par le demandeur, ni dans sa réclamation du 25 juin 2014, ni dans le cadre du présent recours, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que 3 Trib. adm. 18 mars 2013, n°29974 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu 4 Ibidem 9l’intention exprimée par le demandeur à travers cette lettre n’était pas celle d’introduire une réclamation, mais une demande de redressement, étant relevé qu’à côté de la réclamation prévue au paragraphe 228 AO, le contribuable dispose, tel que relevé ci-dessus, également d’autres recours spécifiques au droit fiscal pour agir contre un bulletin d’imposition lui notifié, en l’occurrence une demande en redressement. A défaut de réclamation endéans le délai légal, le recours contre les bulletins déférés est dès lors à déclarer irrecevable omissio medio.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’invocation par le demandeur de son impossibilité d’agir avant la notification de la réponse du bureau d’imposition, ni par l’affirmation suivant laquelle il aurait introduit la réclamation auprès du directeur dès réception de la lettre du bureau d’imposition du 19 juin 2014, de sorte à mériter d’être relevé du délai de forclusion pour porter sa réclamation devant le directeur. Force est, en effet, de constater, d’une part, que les bulletins contiennent tous l’indication des voies et délais de recours, de sorte que le demandeur n’a pas pu se méprendre sur les démarches à entreprendre pour contester les bulletins en bonne et due forme et, d’autre part, que pour se voir relever de la forclusion d’introduire une réclamation auprès du directeur, il aurait appartenu au demandeur d’introduire une demande en relevé de forclusion selon les prescriptions du paragraphe 87 AO devant le directeur lui-même pour examen et décision, une telle demande ne pouvant, en effet, pas être introduite pour la première fois devant le tribunal administratif sous peine d’être déclarée irrecevable omisso medio.

Dans la mesure où il vient d’être retenu que les bulletins d’impôt litigieux ne peuvent être déférés directement au tribunal sans réclamation préalable introduite devant le directeur, et qu’en l’espèce, une telle réclamation a été introduite tardivement, le recours sous analyse est à déclarer irrecevable omissio medio en ce qu’il est dirigé contre les bulletins d’impôts sur le revenu des années 2008, 2009 et 2010, sans qu’il n’y ait lieu de prendre position sur les autres moyens contenus dans la requête introductive d’instance.

Eu égard à l’issue du litige, la demande en paiement de procédure d’un montant de l’ordre de 20.000 - euros, telle que formulée par le demandeur sur base de l’article 33 de de la loi du 21 juin 1999 est rejetée.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte à Monsieur … qu’il renonce au recours pour autant qu’il est dirigé contre une décision implicite de refus du directeur de l’administration des Contributions directes;

écarte des débats la pièce additionnelle intitulée « Copie du courrier de Me PIERINI au Comité de Direction de l’ACD du 3 janvier 2017, ainsi que copie de la décision de la Mission d’Expertise Juridique et Economique Internationale française du 17 novembre 2017 » ;

se déclare compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les bulletins d’impôts sur le revenu des années 2008, 2009 et 2010 du 19 mars 2014 ;

déclare ledit recours principal en réformation irrecevable, partant le rejette ;

dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le recours subsidiaire en annulation ;

10déclare la demande en relevé de forclusion irrecevable, partant la rejette ;

rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 mars 2018 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Hélène Steichen, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12.3.2017 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 38831
Date de la décision : 12/03/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-03-12;38831 ?

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