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07/03/2018 | LUXEMBOURG | N°39552

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mars 2018, 39552


Tribunal administratif N° 39552 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mai 2017 1re chambre Audience publique du 7 mars 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39552 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 mai 2017 par Maître Sarah Moineaux, avocat à la Cour,

inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à...

Tribunal administratif N° 39552 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mai 2017 1re chambre Audience publique du 7 mars 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39552 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 mai 2017 par Maître Sarah Moineaux, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, représenté par son administrateur ad hoc, Maître Sarah Moineaux, préqualifiée, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 avril 2017 portant refus de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire et d’une décision implicite, ainsi qualifiée, du même ministre en ce qu’elle porterait à son encontre ordre de quitter le territoire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 juillet 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sarah Moineaux et Madame le délégué du gouvernement Nancy Carier en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 janvier 2018.

Le 28 octobre 2016, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Par ordonnance du juge des tutelles auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 20 octobre 2016, Maître Sarah Moineaux fut désignée administrateur ad hoc de Monsieur … « […] avec la mission de l’assister et de le représenter au cours des procédures relatives à sa demande de protection internationale, conformément aux dispositions des articles 5(4) et 20 de la loi du 18 décembre 2015 […] ».

En date des 16 janvier, 8 février et 28 février 2017, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 12 avril 2017, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « […] Il résulte de vos déclarations que votre mère serait décédée en 2010, suite à quoi votre père se serait remarié.

Vous invoquez comme raison principale sous-tendant votre demande de protection internationale le fait que vous auriez eu « (…) une très mauvaise vie au Maroc à cause de mon père, à cause de sa femme. Ils m’empêchaient d’aller à l’école. Ils m’obligeaient à aller travailler. C’est à cause de leur mauvais traitement que je me suis retrouvé ici. (…) » (page 5/19 du rapport d’entretien). Vous auriez interrompu vos études en quatrième année d’école primaire. Etant donné que votre belle-mère vous maltraitait, vous auriez passé des nuits à dormir dans la rue.

Vous ne vous seriez pas adressé à la police, car « (…) la police n’aurait rien fait même si j’avais porté plainte. La police ne donne pas d’importance aux mineurs (…) » (page 5/19 du rapport d’entretien). Vous ne vous seriez pas renseigné sur une quelconque association qui aurait pu vous venir en aide, car « Il n’y a en a pas. Le jeunes sont livrés à eux-mêmes (…) » (page 12/19 du rapport d’entretien).

Vous auriez arrêté de travailler en 2013, suite à un accident du travail sur un chantier lors duquel vous seriez tombé, vous faisant ainsi mal au dos.

En juin-juillet 2015, vous seriez parti plusieurs mois à Tanger où vous auriez « (…) trainé (…). Je mendiais (…) Je fumais du haschich et je dormais dans la rue » (page 5/19 du rapport d’entretien) en attendant de pouvoir atteindre l’Espagne illégalement à bord d’un camion. Vous seriez finalement monté dans un camion qui aurait embarqué dans un bateau en direction de l’Italie. Vous seriez « longtemps » resté en Italie, et vous y auriez également « (…) trainé avec des jeunes » (page 5/19 du rapport d’entretien). Vous seriez ensuite parti au Luxembourg en passant par la France.

Vous seriez venu au Luxembourg « pour construire mon avenir, pour me scolariser (…) » (page 5/19 du rapport d’entretien).

Enfin, il ressort du rapport d’entretien du 16 janvier et des 8 et 28 février 2017 qu’il n’y a plus d’autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. […] ». Le ministre informa ensuite Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015.

Le ministre estima que les faits invoqués par Monsieur … à l’appui de sa demande de protection internationale ne seraient pas de nature à établir dans son chef une crainte fondée d’être persécuté motivée par l’un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève » et par la loi du 18 décembre 2015, puisqu’il ne ferait état que de motifs d’ordre familial et économique. A cela s’ajouterait qu’il existerait au Maroc diverses instances étatiques qui œuvreraient dans le domaine de la protection des enfants et que Monsieur … aurait disposé de nombreux moyens dans son pays d’origine pour se faire aider en relation avec les actes de violence qu’il aurait prétendument subis de la part de sa famille.

S’agissant de la protection subsidiaire, le ministre conclut que Monsieur … ne ferait état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’il courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 mai 2017, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 12 avril 2017 dans la mesure où elle porte refus de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire, ainsi que de la décision implicite, ainsi qualifiée, portant dans son chef ordre de quitter le territoire.

A titre liminaire, il y a lieu de préciser que dans la mesure où le demandeur a, aux termes du dispositif de la requête introductive d’instance, et tel que cela a été confirmé par son litismandataire à l’audience des plaidoiries, expressément entrepris la décision ministérielle de refus d’octroi d’une protection internationale dans son seul volet concernant la protection subsidiaire, le tribunal n’est pas valablement saisi d’un recours visant le refus ministériel d’accorder à Monsieur … le statut de réfugié, de sorte que ce volet de la décision ministérielle du 12 avril 2017 ne fait pas l’objet du présent recours.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 12 avril 2017 portant refus d’une protection subsidiaire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 12 avril 2017, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait tout d’abord valoir que les faits qu’il craint d’endurer en cas de retour au Maroc seraient suffisamment graves pour être qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Il précise, à cet égard, avoir fait l’objet de violences physiques de la part de son père et de sa belle-mère, de même qu’il aurait été contraint de mettre un terme à sa scolarité à l’âge de 12 ans pour se soumettre à des activités professionnelles inadaptées et dangereuses en raison de son jeune âge. Il souligne également avoir été livré à lui-même dans les rues de Casablanca où il aurait été forcé de dormir et où il aurait été confronté à des violences de la part d’autres personnes sans domicile, ainsi que de la part de la police. Il ajoute qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il ne disposerait d’aucune ressource ni de soutien familial, de sorte qu’il craindrait avec raison non seulement d’être à nouveau confronté aux mêmes traitements inhumains et dégradants que ceux subis auparavant, mais également de se retrouver à la rue où il serait à la proie d’adultes malveillants ou de réseaux criminels n’ayant d’autre but que de l’exploiter.

En ce qui concerne une possibilité de protection de la part des autorités marocaines, le demandeur explique que s’il ne s’était effectivement pas adressé à celles-ci pour obtenir une aide suite aux divers actes de violence subis de la part de son père et de sa belle-mère, cette inaction s’expliquerait, d’une part, par le fait qu’en raison de son jeune âge, il n’aurait pas eu connaissance des procédures qu’il pouvait engager et, d’autre part, en raison de son manque de confiance dans la police marocaine qui, selon lui, ne protégerait pas les mineurs en danger de manière appropriée. Il estime dès lors qu’il aurait légitimement pu s’abstenir de s’adresser aux autorités policières marocaines dont les représentants manifesteraient publiquement leur désintérêt pour la protection des mineurs en danger.

Le demandeur insiste finalement sur le fait qu’il aurait passé de longs mois dans les rues de Casablanca sans qu’aucune autorité ou association ne lui vienne en aide alors même qu’il aurait été à la vue de tous en grand danger et en grande détresse. En se référant encore à la mission officielle de l’Observatoire National des Droits de l’Enfant du Maroc auquel s’est référé le ministre dans sa décision, il met en avant que ledit organe ne pourrait pas être qualifié d’agent de protection au sens de la loi alors que sa mission, tout comme d’ailleurs celle des autres associations auxquelles se serait référé le ministre, n’aurait principalement qu’une portée pédagogique et de sensibilisation.

Au vu de ces considérations, il serait partant impossible de retenir qu’il dispose au Maroc d’une protection effective et efficace de la part des autorités dudit pays.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Il y a lieu de relever qu’aux termes de l'article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que la notion de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » implique nécessairement des atteintes graves, ou à tout le moins un risque d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 définit les atteintes graves comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Les faits dénoncés doivent en tout état de cause être perpétrés par un acteur d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précités, de l’article 48 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des atteintes graves, la demande tendant à l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire ne saurait aboutir.

Force est encore de relever que l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte à viser des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les atteintes graves d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par Monsieur … à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que celui-ci reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte réelle et sérieuse de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la même loi.

Comme il n’y a actuellement pas de conflit armé au Maroc et que le demandeur n’allègue pas risquer la peine de mort ou l’exécution dans son pays d’origine, il y a seulement lieu de vérifier si les agissements dont il fait état peuvent être qualifiés de torture ou de traitements, respectivement de sanctions inhumains ou dégradants.

En ce qui concerne tout d’abord les maltraitances que le demandeur déclare avoir subies à partir de l’âge de 12 ans environ de la part de ses parents et surtout de sa belle-mère, respectivement le fait que ses parents l’aient obligé à quitter l’école pour aller travailler, aussi condamnables que ces agissements puissent être, ils ne sauraient toutefois justifier dans le chef de Monsieur …, qui est entretemps devenu majeur, une crainte actuelle et fondée de subir à nouveau des maltraitances de la part de ses parents en cas de retour dans son pays d’origine.

En effet, au vu de sa majorité, il y a lieu d’admettre qu’il lui est possible de subvenir à ses propres besoins, sans avoir à vivre au domicile familial et, par conséquent, sans pouvoir être forcé à aller gagner de l’argent au seul profit de ses parents. Il est dès lors raisonnable de penser que les agissements dont il fait état ne vont plus se reproduire.

Dans ces conditions et à défaut d’autres éléments, le tribunal est amené à retenir que la crainte du demandeur de subir à nouveau des maltraitances de la part de sa famille, respectivement d’être exploité par celle-ci, est purement hypothétique et qu’il ne saurait faire valoir un risque réel et avéré de s’exposer de ce fait à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour au Maroc.

Ensuite, le tribunal relève que, tel qu’indiqué ci-avant, lorsque l’auteur des agissements invoqués est, comme en l’espèce, une personne privée, le statut conféré par la protection subsidiaire ne peut de toute façon être accordé que dans l’hypothèse où les autorités du pays d’origine du demandeur de protection internationale ne veulent ou ne peuvent lui fournir une protection effective contre les agissements dont il fait état, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, ou s’il a de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine.

En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat d’origine fait défaut.

L’essentiel est, en effet, d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.

A cet égard, il y a lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, -ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves -cette exigence n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni n’impose-elle nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Il incombe au juge administratif de vérifier si, compte tenu des circonstances du cas d’espèce, une protection adéquate a été offerte au demandeur de protection et lui est ouverte, étant rappelé que l’essentiel est d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit.

Or, en l’espèce, il ne ressort pas à suffisance des éléments soumis au tribunal que les autorités marocaines compétentes seraient dans l’impossibilité ou refuseraient de lui fournir une protection contre les agissements de ses parents en cas de retour dans son pays d’origine.

En effet, force est tout d’abord de constater que lors de son audition, le demandeur a admis ne jamais s’être adressé à la police pour dénoncer les maltraitances dont il a été victime de la part de ses parents, ni, par ailleurs, pour échapper à la vie dans la rue et aux violences y liées, sans toutefois faire état d’une expérience négative qu’il aurait personnellement vécue avec la police et qui aurait valablement pu le dissuader de s’adresser à elle. Or, en s’adressant à la police, celle-ci aurait non seulement pu intervenir auprès de ses parents, mais également le mettre en contact avec une association d’aide aux enfants ou bien l’Observatoire National des droits de l’Enfant, qui, suivant les explications étatiques, sources internationales à l’appui, se charge d’orienter les enfants en détresse vers des centres d’accueil et les services sociaux des hôpitaux afin de les sortir de la rue, de même qu’elle peut leur apporter une assistance juridique.

Si le demandeur tente certes de justifier son inaction par sa méfiance générale à l’égard de la police qui, selon lui, n’accorderait aucune importance aux mineurs, le demandeur en voulant notamment pour preuve que la police chasserait les jeunes de la rue lorsqu’elle les y trouverait en train de dormir la nuit, respectivement qu’elle confisquerait les marchandises des jeunes marchands ambulants en usant de la force, il y a lieu de relever que dans la mesure où il est entretemps devenu majeur, des considérations tenant à l’attitude prétendument affichée par la police à l’égard des mineurs ne sont de toute façon plus susceptibles de l’empêcher actuellement de requérir l’aide de la police s’il devait en avoir besoin en cas de retour au Maroc. Par ailleurs, comme la question pertinente, en l’espèce, est celle de savoir quels sont les risques encourus par le demandeur en cas de retour dans son pays d’origine, ses développements visant à mettre en avant la situation générale prétendument difficile des mineurs au Maroc en termes de protection et de promotions de leurs droits sont pareillement à écarter pour être dénués de pertinence dans le cadre de l’analyse du risque de Monsieur … de subir à nouveau des agissements similaires à ceux dont il a fait l’objet avant son départ pour le Luxembourg.

Au vu des considérations qui précèdent et au regard des éléments à la disposition du tribunal, il n’est pas établi qu’en cas de retour au Maroc, les autorités policières et judiciaires marocaines refuseraient ou ne seraient pas capables de fournir une protection adéquate au demandeur s’il devait à nouveau être en proie à des violences, que ce soit de la part de ses parents ou d’autres personnes.

Finalement, le tribunal constate que lors de son audition, le demandeur s’est plaint du fait qu’il n’aurait pas d’avenir au Maroc où il n’aurait pas la possibilité de suivre des études, ni de travailler. Or, des motifs économiques et des considérations d’ordre matériel ne sont pas non plus de nature à pouvoir être qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. En effet, l’article 48 du la loi du 18 décembre 2015 se réfère à des traitements ou des sanctions « infligés », tandis que l’article 39 de la même loi énumère les acteurs des persécutions et des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’ « atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable. Il en résulte que l’état de précarité à lui seul, sinon avec la situation sanitaire et sociale du pays de destination, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’il aurait été infligé ou qu’il résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 20151.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que le demandeur n’a pas fait état et n’a pas établi qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande de Monsieur … tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

2. Quant au recours tendant à la réformation d’une décision implicite portant ordre de quitter le territoire 1 Trib. adm. 9 juillet 2007, n° 22948 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Etrangers, n° 217 et les autres références y citées.

Tel que relevé ci-avant, le demandeur a introduit un recours en réformation contre une décision implicite, ainsi qualifiée, du ministre portant à son encontre ordre de quitter le territoire.

Il estime, en effet, qu’il ressortirait d’une lecture combinée des articles 2 q) et 34 de la loi du 18 décembre 2015, ensemble avec la jurisprudence des juridictions administratives que la décision portant ordre de quitter le territoire, en tant que conséquence d’une décision de refus de protection internationale, interviendrait en application de la loi, de manière automatique.

Il ajoute que même s’il était vrai qu’en l’espèce, le ministre n’avait pas explicitement pris de décision portant ordre de quitter le territoire à son encontre, une telle décision serait cependant intervenue, certes de manière implicite, mais en tout état de cause de manière automatique.

Or, comme la décision ministérielle portant refus de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire serait à réformer par le tribunal, la décision automatique et implicite portant ordre de quitter le territoire devrait subir le même sort.

A titre subsidiaire et pour le cas où la décision portant refus d’une protection subsidiaire ne serait pas réformée, le demandeur sollicite tout de même la réformation de la décision automatique, implicitement prise à son égard, portant ordre de quitter le territoire alors qu’en sa qualité de mineur non accompagné d’un représentant légal, l’article 103 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », interdirait de prendre une décision de retour contre un mineur en l’absence de motifs graves de sécurité publique et/ou si son éloignement n’est pas nécessaire dans son intérêt. Or, en l’espèce, il n’existerait aucun motif grave de sécurité publique et il ne serait pas non plus dans son intérêt supérieur de retourner au Maroc où il ne disposerait d’aucun soutien familial et uniquement de perspectives d’avenir sombres et dangereuses.

Dans son mémoire en réponse, la partie étatique réfute l’argumentation du demandeur en faisant valoir qu’il n’existerait, en l’espèce, pas de décision implicite portant ordre de quitter le territoire. Le ministre aurait, au contraire, estimé que dans le cas de Monsieur …, il y aurait lieu d’appliquer l’article 103 de la loi du 29 août 2008, qui prévoirait que, sauf exceptions limitatives, aucune décision de retour ne peut être prise contre un mineur non accompagné d’un représentant légal, de sorte qu’il n’aurait pas inscrit d’ordre de quitter le territoire dans la décision portant refus d’une protection internationale.

A l’audience des plaidoiries et conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal a soulevé d’office la question de l’objet du recours sous analyse en ce qu’il est dirigé contre une décision implicite, ainsi qualifiée, du ministre portant ordre de quitter le territoire dans le chef du demandeur.

Le litismandataire du demandeur a, à cet égard, expliqué qu’il était d’avis que le ministre aurait dû préciser qu’il ne prendrait pas d’ordre de quitter le territoire et donc y renoncer de manière explicite. A défaut, il y aurait lieu de partir du principe qu’un ordre de quitter le territoire a été pris implicitement à l’égard du demandeur.

Le tribunal relève tout d’abord qu’au moment de la prise de la décision ministérielle du 12 avril 2017, le demandeur, certes actuellement devenu majeur, était un mineur non accompagné d’un représentant légal.

Ensuite, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […]». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre.

Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est en principe la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Il n’en demeure pas moins que l’article 103 de la loi du 29 août 2008 dispose qu’« Aucune décision de retour ne peut être prise contre un mineur non accompagné d’un représentant légal, à l’exception de celles qui se fondent sur des motifs graves de sécurité publique, sauf si l’éloignement est nécessaire dans son intérêt. […]».

L’article 103 pose dès lors comme principe que, sauf les exceptions y énumérées, aucune décision de retour ne peut être légalement prise à l’encontre d’un mineur non accompagné. Il s’ensuit que dans le cas spécifique d’un mineur non accompagné, un ordre de quitter le territoire n’est pas la conséquence automatique d’une décision de refus de protection internationale et que lorsque le ministre prend, par exception, une décision de retour à l’encontre d’un mineur non accompagné dont la demande de protection internationale a été rejetée, il doit motiver à suffisance les raisons pour lesquelles il estime que le mineur remplit l’une des conditions prévues à l’article 103 de la loi du 29 août 2008.

En l’espèce, il y a toutefois lieu de constater que le courrier ministériel du 12 avril 2017 par le biais duquel le demandeur a été informé de la décision de refus de lui accorder une protection internationale ne contient pas d’ordre de quitter le territoire, de sorte qu’il doit être admis que le ministre a estimé que Monsieur … ne remplissait pas les conditions prévues à l’article 103 de la loi du 29 août 2008 et qu’il a, en conséquence, décidé de ne pas prononcer une décision de retour à son encontre par le biais du courrier du 12 avril 2017.

Dans la mesure où la décision du 12 avril 2017 portant refus d’une protection internationale à Monsieur … ne comporte pas d’ordre de quitter le territoire, que ce soit explicitement ou implicitement, le recours en réformation dirigé contre un tel ordre de quitter le territoire est à déclarer irrecevable.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 12 avril 2017 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … ;

donne acte à Monsieur … qu’il renonce à sa demande de statut de réfugié ;

au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 12 avril 2017 portant rejet du statut conféré par la protection subsidiaire non justifié et en déboute ;

déclare irrecevable le recours en réformation dirigé contre une décision ministérielle implicite portant ordre de quitter le territoire à l’encontre de Monsieur …, partant le rejette ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 mars 2018 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, attaché de justice, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7/3/2018 Le Greffier du Tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 39552
Date de la décision : 07/03/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-03-07;39552 ?

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