Tribunal administratif N° 40755 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2018 2e chambre Audience publique extraordinaire du 21 février 2018 Recours formé par Monsieur …., Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120 L.29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 40755 du rôle et déposée le 12 février 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …., déclarant être né le …., à …. (Nigéria), et être de nationalité …, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 février 2018 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 février 2018 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Alev Acer, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 février 2018.
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En 2015, Monsieur …. fut placé en détention préventive pour infraction à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie. Il fut condamné par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle, rendu le 10 mars 2017.
Le 7 février 2018, la Cour d’appel de Luxembourg déclara l’appel de Monsieur ….
contre le prédit jugement du 10 mars 2017 partiellement fondé et ramena la peine initialement prononcée à quarante-deux mois d’emprisonnement, dont vingt-et-un avec sursis, et ce dernier fut libéré le même jour.
Encore le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », en s’appuyant en droit sur les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée la « loi du 29 août 2008 », prit un arrêté constatant son séjour irrégulier et lui enjoignit de quitter sans délai le territoire à destination du Nigéria, ou du pays qui lui aurait délivré un document de voyage en cours de validité ou dans lequel il serait autorisé à séjourner au motif qu’il ne serait pas en possession d’un passeport ou d’un visa en cours de validité, qu’il représenterait une menace pour l’ordre public, qu’il ne justifierait pas l’objet et les conditions du séjour envisagé, qu’il n’aurait pas de ressources personnelles suffisantes tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie, qu’il se serait maintenu sur le territoire au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée, qu’il ne serait pas en possession d’une autorisation de travail ou de séjour valable, et qu’il existerait en conséquence un risque de fuite dans son chef, tout en lui interdisant l’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.
Toujours le même jour, le ministre prit un second arrêté et le notifia à Monsieur …. en mains propres, ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question, afin de préparer l’exécution de la mesure d’éloignement. Ledit arrêté est fondé sur les motifs suivants :
« (…) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de retour du 7 février 2018 comportant une interdiction d’entrée sur le territoire ;
Vu les antécédents judiciaires le d’intéressé ;
Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Attendu que l’intéressé s’est maintenu sur le territoire au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Attendu que l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public ;
Attendu que l’intéressé évite ou empêche la préparation du retour et la procédure d’éloignement ;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne saurait être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».
Le 5 février 2018, les autorités luxembourgeoises ont contacté les autorités grecques afin d’avoir plus d’informations sur la situation de Monsieur …. et demander sa réadmission, suite au courrier que le litismandataire de ce dernier leur a adressé le 26 mai 2017 les informant qu’il serait marié avec une citoyenne de l’Union européenne résidant en Grèce et qu’il aurait également un permis de séjour dans ledit pays qui aurait expiré durant sa détention.
Une recherche effectuée dans le système européen d’empreintes digitales EURODAC effectuée le 9 février 2018 révéla, en outre, que Monsieur …. avait introduit une demande de protection internationale en Autriche le 3 août 2009, en Grèce le 16 avril 2010 et en Norvège le 21 octobre 2013.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date 12 février 2018, Monsieur …. a introduit un recours en réformation contre la décision ministérielle précitée du 7 février 2018.
Etant donné que l’article 123 (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation et qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, Monsieur …. fait valoir qu’avant de le placer en rétention, le ministre aurait eu connaissance du titre de séjour grec qu’il détenait et que ledit titre serait arrivé à expiration pendant son incarcération. Estimant qu’il pourrait légalement vivre en Grèce, - le retrait de sa carte de séjour n’étant qu’un élément matériel et le titre de séjour étant toujours valable, selon lui -, où se trouverait en outre son épouse, il aurait, de ce fait, sciemment adressé un courrier au ministre le 26 mai 2017 pour ne pas faire l’objet d’un placement en rétention à la fin de sa peine d’emprisonnement, et aurait demandé à être libéré pour pouvoir regagner volontairement le territoire grec. Il estime que le ministre, en le plaçant directement en rétention à sa libération du centre pénitentiaire, n’aurait pas effectué les diligences nécessaires, bien qu’il aurait eu à sa disposition toutes les informations le concernant neuf mois avant sa libération, afin de lui éviter cette privation de liberté qu’il estime injustifiée. Il considère que le ministre aurait ainsi commis un excès de pouvoir, une erreur manifeste d’appréciation, sinon une « inertie fautive ».
Le délégué du gouvernement estime, pour sa part, que la décision de placement en rétention serait justifiée en fait et en droit, de sorte que le demandeur serait à débouter de son recours. Il précise qu’une demande de réadmission aurait été envoyée aux autorités grecques en date du 5 février 2018. Les autorités luxembourgeoises seraient dans l’attente d’une réponse de ces dernières. Il cite, à cet égard, une jurisprudence de la Cour administrative dans laquelle il aurait été retenu que la condition de l’exécution du dispositif d’éloignement d’un étranger en séjour illégal avec suffisamment de diligences viserait essentiellement les diligences à entreprendre au cours de la rétention de l’intéressé, et non avant la prise de la décision de placement1.
Il ajoute qu’il n’appartiendrait pas au ministre de demander aux autorités grecques de demander le renouvellement du titre de séjour en lieu et place du demandeur, et qu’il aurait plutôt incombé à ce dernier d’accomplir les démarches pendant son incarcération, afin d’être en possession d’un titre de séjour grec valable. Il relève à cet égard que l’affirmation qu’il regagnerait le territoire grec de son propre chef ne serait pas suffisante, étant donné qu’il n’aurait pas de titre de voyage valable, ni d’autorisation d’entrée sur ledit territoire.
Enfin, il précise, à cet effet, que l’article 111 (4) de la loi du 29 août 2008 permettrait au ministre de saisir les autorités nigérianes au lieu des autorités grecques, et qu’il n’y aurait aucune disposition légale le contraignant à contacter celles-ci, mais qu’il l’aurait cependant fait en raison de la volonté du demandeur d’être éloigné vers la Grèce.
L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 dispose que : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 ou d’une demande de transit par voie aérienne en vertu de l’article 127 ou lorsque le maintien en zone d’attente dépasse la durée de quarante-huit heures prévue à l’article 119, l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger 1 Cour.adm., 1er mars 2016, n° 37573C du rôle.
en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».
Le prédit article 120 (1) permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
Il y a tout d’abord lieu de relever que le demandeur ne conteste pas être en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois, ne pas disposer de ressources suffisantes pour s’y maintenir et ne pas y avoir de domicile légal.
Il ressort en outre du dossier administratif que Monsieur …. était en possession d’une carte de résidence d’un membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne ayant expiré le 10 janvier 2017, d’un passeport nigérian arrivé à expiration le 4 novembre 2017, de sorte qu’il ne disposait d’aucun document d’identité ou de voyage en cours de validité au moment de son placement en rétention.
Au vu de la décision ministérielle de placement en rétention et en application de l’article 111 (3), point c), de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, ou s’il n’a pas de document d’identité ou de voyage en cours de validité, le ministre pouvait dès lors a priori valablement, sur base de l’article 120 (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement, Monsieur …. n’ayant d’ailleurs soumis au tribunal aucun élément probant permettant de renverser cette présomption de risque de fuite dans son chef.
En ce qui concerne les contestations du demandeur quant aux démarches que le ministre aurait dû effectuer pendant sa détention, le tribunal constate qu’il ressort des éléments du dossier administratif que le ministre a demandé aux autorités grecques des informations sur la situation administrative de Monsieur …. et sa réadmission. Le 7 février 2018, l’arrêt de la Cour d’appel de Luxembourg a ramené la peine de Monsieur …. à quarante-
deux mois d’emprisonnement dont vingt-et-un avec sursis.
Les autorités grecques n’ont pas encore répondu à la demande de leurs homologues luxembourgeois au jour du prononcé du présent jugement, selon les informations dont dispose le tribunal.
Si le demandeur affirme qu’il aurait averti le ministre par courrier du 26 mai 2017 afin qu’il puisse entreprendre les démarches nécessaires à son éloignement vers la Grèce, notamment demander des renseignements auprès des autorités dudit pays, et ainsi lui éviter d’être placé en rétention à sa sortie de prison - ce que le ministre aurait, le cas échéant, pu faire, depuis la réception dudit courrier, pour éviter une privation de liberté inutile -, il aurait néanmoins appartenu à Monsieur …. d’accomplir les formalités auprès des autorités de son pays d’origine afin de se voir délivrer un passeport valide et auprès des autorités grecques celles nécessaires à la délivrance d’un permis de séjour grec valable, ce qui lui aurait évité de se trouver dans la présente situation, dépourvu de tout document d’identité et de voyage valable, de sorte qu’au jour de sa libération, à savoir le 7 février 2018, le ministre pouvait, au vu du risque de fuite avéré dans le chef du demandeur, le placer au centre de rétention en vue de l’éloigner vers le pays dont il possède la nationalité, le Nigéria, ou vers celui où il dispose d’un titre de séjour, qui serait en l’occurrence la Grèce, selon les affirmations de Monsieur …..
Au vu des démarches concrètement déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, tributaire, à cet égard et à ce jour, de la réponse des autorités grecques, il y a lieu de conclure que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.
Le moyen fondé sur une absence de diligences suffisantes du ministre en vue d’organiser l’éloignement du demandeur est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Au vu des développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Hélène Steichen, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 21 février 2018, à 16.30 heures, par le vice-président, en présence du greffier assumé Vanessa Soares.
s.Vanessa Soares s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 février 2018 Le greffier assumé du tribunal administratif 5