Tribunal administratif N° 39477 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 avril 2017 2ème chambre Audience publique du 12 février 2018 Recours formé par Madame ….et consort, …., contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39477 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2017 par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …., née le …. à ….
(Cameroun), agissant en son nom propre et au nom et pour le compte de son enfant mineure …….., née le …. à …., toutes deux de nationalité camerounaise et demeurant actuellement ensemble à L-…., mars 2017 portant refus de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Alev Acer, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Madame le délégué du gouvernement Nancy Carier entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 novembre 2017.
Le 23 mai 2014, Madame ….introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Madame ….sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées le même jour par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux.
En date du 11 juin 2014, Madame ….fut auditionnée par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
Les 19 mai et 21 juin 2016, Madame ….fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 27 mars 2017, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame ….que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez déposée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 23 mai 2014.
Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire En mains le rapport du Service de la Police Judiciaire du 23 mai 2014.
Madame, il ressort dudit rapport que vous êtes entrée légalement dans l'Union européenne munie d’un visa « Schengen » émis par l’ambassade d’Italie à …. et valable du 17 janvier 2014 jusqu’au 25 février 2014.
Vous auriez quitté le Cameroun par voie aérienne en janvier 2014 accompagnée d'un homme, non autrement identifié, qui vous aurait retiré votre passeport. Vous ne pouvez pas donner d'indications quant à l'endroit où vous auriez séjourné depuis votre arrivée en Europe jusqu'au dépôt de votre demande de protection internationale au Luxembourg en date du 23 mai 2014.
Vous ne présentez aucun document d'identité, à part votre certificat de naissance.
Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d'entretien Dublin III du 11 juin 2014 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 19 mai et du 21 juin 2016 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
Madame, il ressort de votre entretien que vous auriez quitté le Cameroun à l’âge de 15 ans alors que vos parents auraient voulu que vous épousiez un ami de la famille après la naissance de votre premier enfant en 1998. Vous déclarez avoir refusé le mariage et vous être refugiée auprès de votre tante au ….. Cette dernière vous aurait par la suite forcée à épouser un dénommé « ….». Vos parents auraient été d'accord avec ce mariage suite au paiement d'une dote par la famille de votre mari.
Ensuite, vous déclarez qu'après la naissance de votre deuxième enfant vous auriez été victime de violences conjugales au ….. En 2009 vous auriez même perdu votre enfant en raison des violences subies. Dans ce contexte vous expliquez que la mère de votre mari vous aurait insultée régulièrement.
En 2010 vous seriez à nouveau retournée au Cameroun pour l'enterrement de votre père.
Dans ce contexte vous soulevez que votre mari vous aurait par la suite averti de ne pas retourner au …. et aurait demandé le divorce tout en vous accusant d'avoir fui le domicile conjugale et volé son argent. Vous expliquez que par la suite vous auriez été contactée par la police du Cameroun concernant votre divorce. Après cet incident vous auriez décidé de quitter le Cameroun en 2012 car vous n'auriez en outre pas réussi à trouver un emploi. Finalement, de retour au …. vous auriez fait connaissance d’un dénommé « …. », un ami de votre ex époux qui vous aurait proposé de venir en Europe en acceptant de travailler pour lui.
En ce qui concerne votre trajet vous expliquez qu'après avoir obtenu votre visa à l'ambassade italienne au …., vous auriez pris un vol ensemble avec « …. » de …. au …. à …. au Cameroun et de …. à Bruxelles en Belgique. Arrivée le 3 février 2014 en Belgique on vous aurait emmené dans une chambre où vous auriez été forcée à vous prostituer pendant trois mois. Un jour une personne non autrement identifiée serait venue et vous aurait libérée et conduite jusqu'au Luxembourg où vous seriez venue au ministère pour déposer votre demande de protection internationale. Le 14 août 2014 vous avez accouché au Luxembourg de votre fille ……..dont « …. » serait le père.
Enfin, il ressort du rapport d'entretien du 19 mai et du 21 juin 2016 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.
Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, votre demande de protection internationale est évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
Soulignons dans ce contexte que l'examen et l'évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.
1. Quant à la Convention de Genève Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.
Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 a) de la loi 18 décembre 2015, que ces actes sont d'une gravité suffisante au sens de l'article 42(1) de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.
Selon l'article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui craigne avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.
* En l’espèce il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amenée à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.
Avant tout autre développement vous indiquez que vous auriez été victime de violences conjugales, de prostitution forcée ainsi que de menaces. Or, ces faits se seraient déroulés au ….
et en Belgique, de sorte qu'ils ne sauraient être pris en compte dans l'examen de votre demande de protection internationale. En effet suivant l'article 2(f) de la loi de 2015, seuls les faits qui se sont déroulés dans le pays d'origine du demandeur de protection internationale c'est-à-dire en l'espèce le Cameroun sont à prendre en considération dans le cadre de l’évaluation de votre demande de protection internationale.
De plus, il convient de souligner que face à votre refus, d'épouser l'ami de votre père, vos parents n'auraient pas insisté et accepté que vous épousiez un autre homme. Notons également que le contact avec vos parents n'aurait jamais été rompu et que ces derniers auraient participé à votre vie de famille en gardant notamment vos enfants lors de vos séjours répétés au Cameroun. Il convient de souligner dans ce contexte que le fait que vous soyez à de nombreuses reprises retournée au Cameroun démontre que vous n'y auriez craint aucune persécution car une personne persécutée ne retourne pas volontairement dans son pays d'origine. En outre, en étant majeure aujourd'hui, il ne persiste aucune crainte future de persécution car vos parents ne pourraient dès lors plus prendre des décisions pour vous sans votre consentement.
Il convient de plus à mentionner que vous auriez pu retourner dans votre pays d'origine en quittant le …. au lieu de prendre la route pour l'Europe alors qu'il ressort clairement de vos dires que vous n'avez pas été victime et ne risquez pas d'être victime d'une quelconque persécution au Cameroun. Vous auriez aussi pu vous installer à …., la capitale du pays.
De plus notons qu'il semble évident que des raisons matérielles sous-tendent votre demande de protection internationale. Vous indiquez que : « Je voulais juste avoir un peu d'argent et de partir dans un autre pays et de laisser tout cela derrière mois. » (entretien p. 7/16) Or, des raisons économiques ne rentrent pas dans le cadre d'un motif de persécution prévu par la Convention de Genève et ne sauraient dès lors fonder une demande de protection internationale.
* En conclusion, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutée dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 42 et 43 de la loi précitée du 18 décembre 2015.
Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
2. Quant à la Protection subsidiaire L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 48 de la loi précitée du 18 décembre 2015, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez que vous auriez quitté votre pays d'origine en raison d'un prétendu mariage forcé et de prétendues violences conjugales qui auraient eu lieu au …. et de prétendue prostitution forcée par votre accompagnateur dénommé « …. » pendant trois mois en Belgique. A part de ces faits vous mentionnez être venue en Europe pour des raisons économiques.
Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.
* Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Cameroun, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2017, Madame ….a fait De int roduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 27 mars 2017 portant tout re fus de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans ce le même acte.
qui pré 1) Quant au recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 27 mars cèd 2017 portant refus d’une protection internationale e, les Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en c réon formation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, un tel dit rec i ours a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée, lequel recours est ons également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
per mett A l’appui de son recours, Madame ….expose tout d’abord avoir été victime d’un mariage ant forcé à l’âge de 15 ans et demi, suite à l’accouchement de son premier enfant. Ses parents a la uraient voulu la forcer à épouser un de leurs amis. Refusant une telle union, elle se serait sauvée a re u c …. où elle aurait vécu avec sa tante. Après quelques années, sa tante aurait arrangé un mariage e onn ntre elle et un dénommé « ….», également de nationalité camerounaise, qu’elle n’aurait c aiss ependant pas voulu épouser. Elle affirme à ce propos que son mariage aurait été « semé de v anc iolences conjugales » et qu’elle aurait perdu un enfant de ce fait. Lorsqu’en 2010 son père serait e dé du céd é, elle serait retournée au Cameroun pour assister à ses funérailles. A ce moment, son mari stat l’aurait menacée de mort et lui aurait interdit de retourner au ….. Elle n’aurait alors eu d’autre c ut hoix que de rester au Cameroun. Son époux l’aurait accusée auprès des autorités ….aises de lui a conf voir volé de l’argent et d’avoir abandonné le domicile conjugal, accusations suite auxquelles la éré poli ce camerounaise se serait rendue au domicile de sa grand-mère pour l’arrêter. Madame par ….précise qu’elle serait repartie au …., pour se présenter devant le tribunal chargé de la procédure la de divorce, qui aurait été initiée par son époux. Ce dernier l’aurait menacée pour qu’elle renonce a prot u partage des biens, ce qu’elle aurait fait devant le juge. Ce dernier n’aurait pas accepté son e re cti fus de procéder au partage des biens de la communauté et l’aurait informée qu’elle y aurait é on galement droit. Son ex-mari aurait alors continué à la menacer. Elle aurait craint qu’il ne mette sub ses menaces à exécution. Elle serait tout de même restée au …., estimant qu’elle aurait été plus sidi facilement repérable au Cameroun. Pendant cette période, elle aurait fait la connaissance d’un aire dénommé « …. », un ami de son ex-mari, qui lui aurait promis de l’emmener en Europe. Il aurait e ne ntrepris toutes les démarches pour sortir du pays. Cependant, une fois arrivés en Belgique, « sont ….
» l’aurait forcée à se prostituer pendant trois mois. Elle explique avoir pu s’échapper de la c pas hambre où elle aurait été enfermée grâce à l’aide d’un client, qui l’aurait transportée jusqu’au re L m uxembourg.
plie s.
En droit, la demanderesse sollicite la réformation de la décision déférée pour violation de la loi sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits, alors que la partie étatique aurait c Vot onclu à tort que les faits en question ne justifieraient pas dans son chef une crainte fondée de re pe rsécution, Madame ….donnant à considérer qu’une appréciation plus juste des éléments de la c de a m use aurait dû conduire le ministre à retenir l’existence de « persécutions intolérables » au sens and de l’article 1er section A de la Convention de Genève du 29 juillet 1951 relative au statut des e de prot 6 ecti on inte rnat réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, désignée ci-après par « la Convention de Genève », et de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015.
En affirmant qu’il n’existerait pas de définition unanimement acceptée du terme de « persécutions », la demanderesse, en se basant notamment sur les conclusions du Comité exécutif du Haut-Commissariat des Réfugiés et sur la doctrine en la matière, souligne qu’il y aurait lieu de retenir l’existence d’une persécution non seulement en cas de survenance d’un fait unique de grave maltraitance, mais également en présence d’un faisceau d’éléments, respectivement de comportements menaçants de nature à entraîner une crainte sérieuse dans le chef de celui qui les subit.
En ce qui concerne la preuve des faits avancés, la demanderesse se réfère à la position du Conseil de l’Europe du 4 mars 2004 selon laquelle, une fois que la crédibilité des déclarations du demandeur de protection internationale aurait été suffisamment établie, il ne serait pas nécessaire de chercher la confirmation détaillée des faits invoqués.
La demanderesse souligne ensuite qu’elle aurait subi des humiliations, des violences physiques, mentales et sexuelles de la part de son ex-mari, ainsi que des menaces de mort de la part de la mère de ce dernier, actes qui seraient à analyser comme étant des persécutions. Elle craindrait ainsi d’être à nouveau victime de persécutions de la part de son ex-mari, qui, précise-t-
elle, retournerait souvent au Cameroun où se trouverait sa propre famille bien qu’il résiderait au ….. Elle estime faire partie du groupe social des femmes et entrerait donc dans le champ d’application de la Convention de Genève.
Quant aux acteurs de persécutions, elle précise qu’étant victime d’une personne privée, elle prouverait à suffisance que les autorités de son pays ne pourraient lui offrir une protection face aux agissements de son ex-mari, de sorte qu’elle remplirait les critères de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015. Elle ajoute à ce propos que les autorités camerounaises seraient corrompues et cite un rapport de l’organisation « ….» qui démontrerait que la corruption serait un problème grave dans son pays d’origine et que celui-ci serait parmi les pays les plus corrompus du monde. Elle en conclut qu’il lui aurait été impossible, de ce fait, de requérir de l’aide auprès des autorités camerounaises.
Madame ….estime encore que les faits dont elle se prévaut devraient être considérés comme suffisamment graves pour lui permettre de bénéficier du statut de réfugié, sinon du statut conféré par la protection subsidiaire.
Elle réfute finalement la conclusion ministérielle selon laquelle elle pourrait bénéficier d’une fuite interne dans son pays d’origine, compte tenu de l’influence que son mari aurait, ce qui lui aurait permis de la retrouver « partout où elle [irait] », ce qu’il aurait réussi en corrompant les autorités camerounaises.
En ordre subsidiaire, la demanderesse explique que les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire seraient remplies dans son chef : elle fait valoir, en premier lieu, sa condition de femme pour souligner qu’en Afrique, être forcée à se marier et subir des violences domestiques seraient « normales », et en second lieu, qu’étant infectée du virus d’immunodéficience humaine (VIH), elle ne pourrait retourner dans son pays d’origine où elle n’aurait accès à aucun traitement en raison de sa situation financière. Elle précise qu’en tant que bénéficiaire d’un traitement de troisième ligne, elle ne pourrait pas arrêter son traitement sans que le virus ne se propage dans son corps. Les conséquences d’une interruption du traitement qu’elle suivrait actuellement au Luxembourg, si elle était amenée à retourner au Cameroun, constitueraient un risque grave et certain pour sa santé et pour son intégrité physique, sinon un danger de mort.
Dans la mesure où l’ensemble des conditions sous-tendant l’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire seraient remplies dans son chef, ce serait à tort que lesdits statuts lui auraient été refusés. Par réformation de la décision ministérielle sous analyse, il y aurait dès lors lieu de lui accorder le statut de réfugié, sinon celui conféré par la protection subsidiaire.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé. Après avoir repris en substance la décision ministérielle, il souligne que l’ex-mari de Madame ….résiderait de manière stable et continue au …. depuis 2003, et qu’ainsi elle ne risquerait pas de subir de persécutions au Cameroun. L’interdiction de retourner au …. qu’il aurait formulée à son égard lorsqu’elle se serait rendue dans son pays d’origine suite au décès de son père, conforterait cette analyse. Par ailleurs, la partie étatique relève qu’en ayant requis le divorce, qui aurait été prononcé en 2012, l’ex-mari de la demanderesse n’aurait plus aucune raison de la persécuter au Cameroun. Enfin, elle la suspecte d’avoir déposé une demande de protection internationale uniquement pour des raisons matérielles.
A titre liminaire, étant donné que le ministre n’a pas remis en cause la crédibilité du récit de la demanderesse, l’argument de cette dernière selon lequel elle n’aurait pas, au titre du bénéfice du doute, à prouver les faits relatés lors de son audition devant un agent du ministère, est à écarter pour défaut de pertinence.
Quant au fond, aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) » », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».
Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
l’Etat, ou des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…). ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte à viser une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté, respectivement ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions ou atteintes graves se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que la demanderesse avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’elle encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, le tribunal est amené à retenir qu’il ne ressort pas à suffisance des déclarations de la demanderesse, ni des explications de son litismandataire, ni des pièces produites en cause, qu’elle risque d’être victime de persécutions ou d’atteintes graves au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, en cas de retour dans son pays d’origine.
En effet, la demanderesse affirme avoir échappé à un mariage forcé lorsqu’elle avait une quinzaine d’années, mais qu’elle aurait été mariée de force à l’âge de vingt ans. Or, au vu de sa situation actuelle, à savoir son âge, le fait qu’elle soit mère de trois enfants, qu’elle soit indépendante économiquement des personnes qui l’ont poussée à se marier, c’est-à-dire de ses parents et de sa tante, en ce sens qu’elle pourrait ainsi subvenir à ses propres besoins sans avoir à vivre avec eux, amènent le tribunal à constater que Madame ….ne saurait manifestement faire état d’une crainte réelle et fondée de faire actuellement l’objet d’un mariage forcé en cas de retour au Cameroun. Cette analyse est, par ailleurs, renforcée par le fait que, lors de son refus d’épouser un ami de ses parents, ces derniers n’ont pas réellement opposé de résistance et ont même accepté qu’elle se rende au …..
En ce qui concerne les craintes de la demanderesse d’être victime de violences de la part de son ex-mari, s’il est certes regrettable que Madame ….ait eu à subir des maltraitances au ….
durant son mariage avec le dénommé « ….», le tribunal ne saurait cependant la suivre lorsqu’elle affirme qu’elle risquerait de subir, actuellement, les mêmes faits ou d’autres atteintes graves de sa part au Cameroun, étant donné que l’ex-mari de la demanderesse a été l’initiateur de la demande de divorce en 2010, qu’il lui a interdit de revenir au …. où il réside, que le divorce a été finalement prononcé en 2012, que Madame ….est, malgré les menaces qu’elle aurait reçues au Cameroun, retournée vivre au …. pendant deux années, et ce, sans être inquiétée par son ex-mari, avant d’entreprendre son voyage vers l’Europe, et que de surcroît, ce dernier vivait d’ores et déjà avec une autre femme au moment de la procédure de divorce. Dès lors, tous ces éléments conduisent le tribunal à retenir que la crainte de la demanderesse de faire l’objet de violences domestiques ou de représailles de la part de son ex-mari en cas de retour au Cameroun est hypothétique. La même solution doit être retenue à l’égard des menaces que la mère de son ex-
mari aurait proférées contre elle de 2010 à 2012, en raison de son refus de l’union de son fils avec la demanderesse, étant donné que la prédite union n’existe plus à ce jour.
En outre, quant au fait que la demanderesse soit infectée du VIH et qu’elle ne pourrait avoir accès aux soins médicaux ou à un traitement approprié au Cameroun, faute de moyens financiers, ceux-ci ne peuvent justifier l’octroi d’une protection internationale, les motifs médicaux et économiques étant effectivement exclus du champ d’application de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015.
En effet, ces motifs d’ordre médical et économique n’ont aucun lien avec les critères de fond tirés de la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social prévus à l’article 2 f) précité, définissant la notion de réfugié.
En outre, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c) « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il ressort du prédit article 48 que les traitements ou les sanctions doivent être « infligés », de sorte à induire une intervention humaine et excluent de son champ d’application l’éventualité d’atteintes graves lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable.
Il en résulte que la maladie ensemble la situation sanitaire et sociale du pays de destination, en l’occurrence le Cameroun, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire que cette situation aurait été infligée ou qu’elle résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Dans la mesure où la demanderesse ne démontre dès lors pas qu’elle risquerait de subir des persécutions ou des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine, elle ne saurait, ainsi, bénéficier ni du statut de réfugié ni du statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte que c’est à juste titre que le ministre a refusé de faire droit à sa demande de protection internationale. Le recours en réformation sous analyse encourt, par conséquent, le rejet.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 27 mars 2017 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient cependant de retenir que la demanderesse ne remplit pas les conditions pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, le ministre pouvait a priori valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.
A cet égard, la demanderesse renvoie aux développements contenus dans son recours contre le refus ministériel de lui accorder une protection internationale et en conclut qu’il existerait une impossibilité matérielle sinon morale de procéder à son retour contraint et forcé vers le Cameroun.
Elle expose encore que si les faits dont elle se prévaut n’entreraient pas dans le champ d’application de la Convention de Genève, elle devrait bénéficier de la protection subsidiaire, alors qu’un retour dans son pays d’origine aurait pour conséquence de la soumettre à un risque de traitement inhumain et dégradant dans son chef. Malgré une formulation vague de son moyen, le tribunal est amené, notamment au vu du risque de traitements inhumains et dégradants dont la demanderesse fait état, à conclure qu’elle a partant nécessairement visé l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », qui dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants ». A cet égard, le tribunal constate que, par le renvoi aux développements du recours dirigé contre la décision de refus de protection internationale, la demanderesse a invoqué, entre autres, son état de santé et les conséquences sur celui-ci d’un retour au Cameroun, notamment dans le volet concernant la protection subsidiaire.
Dans un cas similaire, la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », a retenu dans l’arrêt « Paposhvili c. Belgique » du 13 décembre 2016, notamment en son considérant 192, qu’ « (…) en cas d’éloignement de personnes gravement malades, le fait qui provoque le traitement inhumain et dégradant et engage la responsabilité de l’État de renvoi au regard de l’article 3 [de la CEDH], n’est pas le manquement par l’État de destination à disposer d’infrastructures médicales. N’est pas davantage en cause une quelconque obligation pour l’État de renvoi de pallier les disparités entre son système de soins et le niveau de traitement existant dans l’État de destination, en fournissant des soins de santé gratuits et illimités à tous les étrangers dépourvus du droit de demeurer sur son territoire. La responsabilité sur le terrain de la Convention qui se trouve engagée dans des cas de ce genre est celle de l’État de renvoi du chef d’un acte, en l’occurrence l’expulsion, qui aurait pour résultat d’exposer quelqu’un à un risque de traitement prohibé par l’article 3. ».
Le tribunal procède donc à l’analyse de l’affaire sous le même angle, à savoir, vérifier si le renvoi forcé de Madame ….vers le Cameroun, au vu de son état de santé, l’exposerait à un risque de traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH.
La Cour a précisé dans l’arrêt précité, notamment en son considérant 183, qu’ : « (…) il faut entendre par « autres cas très exceptionnels » pouvant soulever, au sens de l’arrêt N. c.
Royaume-Uni (§ 43), un problème au regard de l’article 3 [de la CEDH] les cas d’éloignement d’une personne gravement malade dans lesquels il y a des motifs sérieux de croire que cette personne, bien que ne courant pas de risque imminent de mourir, ferait face, en raison de l’absence de traitements adéquats dans le pays de destination ou du défaut d’accès à ceux-ci, à un risque réel d’être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie. La Cour précise que ces cas correspondent à un seuil élevé pour l’application de l’article 3 de la Convention dans les affaires relatives à l’éloignement des étrangers gravement malades. » et en son considérant 186 qu’ « (…) il appartient aux requérants de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure litigieuse était mise à exécution, ils seraient exposés à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3 (…) ».
Il appartient dès lors au demandeur de démontrer qu’il est gravement malade, qu’il n’existe pas de traitements adéquats dans son pays d’origine ou qu’il ne peut pas y avoir effectivement accès, et qu’il existe des motifs sérieux de penser qu’en cas d’éloignement forcé, -
ce qui serait possible au vu de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision refusant la protection internationale, qui est, en théorie, immédiatement exécutable 30 jours après que la décision soit devenue définitive -, il ferait face à un risque réel d’être exposé à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie.
La demanderesse fait valoir qu’étant infectée du VIH, l’arrêt de son traitement aurait des conséquences d’une extrême gravité et que l’absence de soins mettrait sans aucun doute sa vie en danger. Elle fait encore valoir qu’elle risquerait, en cas de retour forcé au Cameroun, une atteinte grave et certaine pour sa santé et pour son intégrité physique, sinon la mort, étant donné qu’elle ne pourrait plus continuer le traitement qu’elle suit régulièrement au Luxembourg, et que ce traitement serait difficilement voire impossible à obtenir dans son pays d’origine.
A l’appui de ses dires, elle verse un certificat médical du Docteur V. A. du 13 avril 2017, attestant qu’elle est suivie régulièrement pour une infection HIV-1, qu’elle est infectée d’un virus résistant à deux familles de médicaments et qu’elle nécessite donc un traitement de troisième ligne par « antiprotéases et antiintégrases » qui ne serait probablement pas, selon son médecin, disponible dans son pays d’origine.
A cet égard, elle cite plusieurs rapports, notamment un extrait du rapport de l’Organisation mondiale de la Santé intitulé « Number of people (all ages) living with HIV Estimates by country », un extrait d’un autre rapport de la même organisation intitulé « Number of deaths due to HIV/AIDS Estimates by country », un article du « Cameroon Tribune » du 27 septembre 2016 ayant pour titre « Prise en charge du VIH/Sida : 74 nouvelles unités », un article de « Médecins sans frontières » du 21 juillet 2016 intitulé « VIH : le prix des rétroantiviraux est en baisse, mais les traitement ‘de rattrapage’ restent hors de prix » et un article du site internet « www.237online.com » publié le 20 juin 2015 ayant pour titre « Cameroun – Accès aux soins :
Le rapport qui met à nu les magouilles et limites des centres de santé ».
Elle en déduit qu’au vu du traitement de troisième ligne qui lui serait nécessaire, du prix auquel il serait vendu dans son pays d’origine, du système social qui y serait quasi inexistant et du fait que les prix des médicaments dans les hôpitaux soient vendus à des prix élevés ne respectant aucune norme, elle ne pourrait pas poursuivre son traitement au Cameroun.
Elle insiste sur le fait que son traitement devrait se faire dans la continuité et que toute interruption, ce qui serait en l’espèce le cas si elle était amenée à retourner dans son pays d’origine, permettrait au virus du sida de se propager.
Le délégué du gouvernement affirme qu’en application de l’article 34 de la loi du 18 décembre 2015, l’ordre de quitter le territoire découlerait directement du rejet de la demande de protection internationale, de sorte qu’aucun reproche ne pourrait être fait au ministre pour avoir prononcé un tel ordre de quitter le territoire. Il ne prend pas position quant au risque de traitement inhumain et dégradant invoqué par la demanderesse.
Le tribunal constate qu’au vu des documents versés par la demanderesse, les antirétroviraux sont vitaux pour les personnes atteintes du VIH afin d’éviter que la maladie – mortelle - ne se propage. Il est incontestable qu’en l’absence de traitement, le VIH entraînera le sida, ce qui exposerait Madame ….à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé, entraînant des souffrances intenses et une réduction significative de son espérance de vie.
Par ailleurs, le médecin qui suit Madame ….a constaté qu’elle ne répondait pas aux traitements de première et de deuxième lignes et était ainsi obligée de se voir administrer un traitement de troisième ligne. Celui-ci est, selon « Médecins sans frontières », 18 fois plus cher qu’un traitement de première intention et 6 fois plus cher que celui de deuxième intention. Il ressort encore des documents versés par la demanderesse que le système social au Cameroun ne lui permettrait pas de bénéficier de ce traitement. Le prédit article du site internet « www.237online.com » révèle en effet que « (…) L’état de l’accès aux soins de santé au Cameroun est inquiétant. Principalement dans l’encadrement des personnes vivant avec la tuberculose, le VIH/Sida, et le paludisme. L’ONG Positive-Génération qui en fait le constat, vient de publier les résultats de plusieurs enquêtes menées dans les formations hospitalières du pays. Les résultats permettent de se rendre compte que lorsque les produits pharmaceutiques ne sont pas en rupture dans les hôpitaux, ils sont simplement vendus à un coût élevé ne respectant aucune norme. (…) », de sorte qu’en cas de retour au Cameroun, Madame …. ne pourrait très probablement pas avoir accès au traitement de troisième ligne, qui lui est primordial.
La CourEDH a précisé, encore dans le même arrêt, les obligations de l’Etat de renvoi, en l’occurrence des autorités luxembourgeoises, en son considérant 187, libellé comme suit :
« Lorsque [le demandeur produit les éléments prévus au considérant 186 précité], il incombe aux autorités de l’État de renvoi, dans le cadre des procédures internes, de dissiper les doutes éventuels à leur sujet. (…) L’évaluation du risque allégué doit faire l’objet d’un contrôle rigoureux (…) à l’occasion duquel les autorités de l’État de renvoi doivent envisager les conséquences prévisibles du renvoi sur l’intéressé dans l’État de destination, compte tenu de la situation générale dans celui-ci et des circonstances propres au cas de l’intéressé (…).
L’évaluation du risque tel que défini ci-dessus (…) implique donc d’avoir égard à des sources générales telles que les rapports de l’Organisation mondiale de la santé ou les rapports d’organisations non gouvernementales réputées, ainsi qu’aux attestations médicales établies au sujet de la personne malade. », ainsi qu’en son considérant 190, ainsi rédigé : « Les autorités doivent aussi s’interroger sur la possibilité effective pour l’intéressé d’avoir accès à ces soins et équipements dans l’État de destination. (…) ».
La partie étatique, que ce soit dans la phase précontentieuse ou contentieuse, est néanmoins restée complètement muette sur ce point.
La CourEDH a conclu, toujours dans l’arrêt « Paposhvili c. Belgique », que « (…) la Cour estime qu’en l’absence d’évaluation par les instances nationales du risque encouru par le requérant à la lumière des données relatives à son état de santé et à l’existence de traitements adéquats en …., les éléments d’information dont disposaient ces instances ne suffisaient pas à leur permettre de conclure qu’en cas de renvoi vers la …., le requérant n’aurait pas couru de risque concret et réel de traitements contraires à l’article 3 de la Convention (…) Il s’ensuit que, si le requérant avait été éloigné vers la …. sans évaluation de ces données, il y aurait eu violation de l’article 3. » (considérants 205 et 206).
Au vu des informations apportées par la demanderesse selon lesquelles elle est atteinte d’une maladie grave et n’aurait très probablement pas accès à un traitement effectif dans son pays d’origine, et du fait que la question n’a été nullement abordée par la partie étatique, de sorte que le risque encouru par Madame ….n’a pas fait l’objet d’une évaluation à la lumière des données relatives à son état de santé et à l’existence de traitements adéquats au Cameroun, telle que requise par la CourEDH, le tribunal est amené à retenir qu’en l’état actuel du dossier, il existe dans son chef un risque réel et concret qu’elle subisse des traitements inhumains et dégradants, contraires à l’article 3 de la CEDH.
Il s’ensuit que le recours en réformation pour autant qu’il est dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à déclarer comme étant fondé.
Etant donné que l’article 32 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives dispose que « Toute partie qui succombera sera condamnée aux dépens, sauf au tribunal à laisser la totalité, ou une fraction des dépens à la charge d’une autre partie par décision spéciale et motivée », force est de retenir, dans la mesure où le recours est fondé dans l’un de ses volets et non-fondé dans l’autre, qu’il y a lieu de laisser la moitié des frais à charge de la demanderesse et l’autre moitié à charge de l’Etat.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 27 mars 2017 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 27 mars 2017 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare justifié, partant dit que Madame ….n’est pas obligée de quitter le territoire dans un délai de trente jours ;
fait masse des frais et les impute pour moitié à l’Etat et pour moitié à la demanderesse.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 12 février 2018 par le vice-président, en présence du greffier assumé Vanessa Soares.
Vanessa Soares Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 février 2018 Le greffier assumé du tribunal administratif 16