Tribunal administratif N° 38979 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 janvier 2017 4e chambre Audience publique du 6 février 2018 Recours formé par Monsieur …, (Népal) et la société à responsabilité limitée … SARL contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38979 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2017 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité népalaise, demeurant à …, et la société à responsabilité limitée … SARL, représentée par ses gérants actuellement en fonction, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro … et ayant son siège social à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 10 novembre 2016 portant rejet de leur demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour en vue d’une activité salariée dans le chef de Monsieur Basant Kumar …;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 avril 2017 ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 8 mai 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh pour le compte de ses mandants, préqualifiés ;
Vu l’ordonnance du président de la quatrième chambre du 15 mars 2017 rejetant la requête tendant à l’abréviation des délais d’instruction ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 novembre 2017.
Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique fixée pour la continuation des débats.
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1En date du 30 mars 2016, Monsieur …, de nationalité népalaise, fit introduire auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministère », une demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour en vue d’une activité salariée, en faisant état d’un poste de « cuisinier très expérimenté en cuisine indienne et himalayenne» auprès de la société à responsabilité limitée … SARL, ci-après désignée « la société … », tout en joignant divers documents dont notamment, un certificat délivré le 17 février 2016 par l’Agence pour le Développement de l’Emploi (ADEM) autorisant ladite société « à recruter une personne de son choix, sans préjudice des dispositions de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration pour le poste [sus-visé] » et une copie du contrat de travail conclu entre ladite société et Monsieur … pour un travail hebdomadaire de 40 heures en qualité de cuisinier.
Suite à un avis négatif de la commission consultative pour travailleurs salariés du 12 juillet 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à la demande susvisée de Monsieur … et de la société … par décision du 10 novembre 2016, libellée comme suit :
« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une autorisation de séjour temporaire en qualité de travailleur salarié conformément à l'article 42 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration qui m'est parvenue en date du 30 mars 2016.
J'attire votre attention sur le fait que l'octroi de l'autorisation de séjour est subordonné à la condition prévue par l'article 42, paragraphe (1), point 2. de la loi du 29 août 2008 précitée.
L'autorisation de séjour ne peut être accordée que si l'exercice de l'activité visée sert les intérêts économiques du pays.
Cette condition s'apprécie en fonction des besoins économiques du pays et plus précisément des besoins spécifiques du marché du travail. Force est cependant de constater que votre dossier ne renseigne pas davantage sur une future intégration durable dans le marché de l'emploi luxembourgeois étant donné que le domaine spécifique dans lequel vous êtes spécialisé, à savoir la cuisine indienne et himalayenne, constitue une branche bien limitée du secteur de la restauration. Votre activité en tant que « cuisinier très expérimenté en cuisine indienne et himalayenne » ne ramène en effet pas de savoir-faire apportant un avantage compétitif pour le secteur de l'activité visée.
Par ailleurs, force est de constater que votre dossier ne renseigne pas sur les raisons pour lesquelles votre embauche serait justifiée pour l'activité de votre employeur alors que ce dernier dispose de cuisiniers pour garantir le bon fonctionnement de son entreprise ; les raisons pour l'embauche d'un cuisinier supplémentaire n'étant pas établies ni motivées.
Partant il n'est pas établi en quoi l'activité salariée visée sert les intérêts économiques du pays de sorte que la condition énoncée à l'article 42 paragraphe (1) point 2 de la loi précitée n'est pas remplie.
2A titre subsidiaire, il n'est pas prouvé que vous remplissez les conditions afin de pouvoir bénéficier d'une autorisation de séjour dont les différentes catégories sont fixées à l'article 38 de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée.
Par conséquent, la commission consultative pour travailleurs salariés a, en date du 12 juillet 2016, émis un avis négatif quant à la délivrance d'une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié dans votre chef, avis auquel je me rallie.
Au vu de ce qui précède, l'autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié vous est refusée sur base de l'article 101, paragraphe (1), point 1 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l'immigration. ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2017, Monsieur … et la société … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 10 novembre 2016.
Etant donné que l’article 113 la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 », par renvoi à l’article 109 de la même loi, prévoit un recours en annulation en la présente matière, le tribunal est valablement saisi pour connaître du recours en annulation qui, par ailleurs, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui du recours, les demandeurs exposent les faits et rétroactes à la base de la décision déférée.
En droit, ils estiment remplir l’ensemble des conditions d’octroi d’une autorisation de séjour en vue d’une activité salariée, telles que prévues par l’article 42 de la loi du 29 août 2008.
S’agissant plus particulièrement de la condition inscrite au paragraphe (1), point 1. dudit article, selon laquelle il ne doit pas être porté préjudice à la priorité d’embauche dont bénéficient certains travailleurs, ils se prévalent d’un certificat émis à cet égard par l’ADEM le 19 février 2016. Quant à la condition prévue à l’article 42, paragraphe (1), point 2. de la loi précitée, ils font valoir que « l’exercice de l’activité de cuisinier [servirait] les intérêts économiques du pays, en raison du fait que Monsieur … contribuera aux impôts et aux charges relevant de la sécurité sociale bénéficiant ainsi à l’économie du pays ». Ils invoquent encore divers certificats de travail établissant que le travail de Monsieur … aurait donné entière satisfaction à ses employeurs, de sorte à en déduire qu’il disposerait des qualifications professionnelles requises pour l’exercice de l’activité de « cuisinier spécialisé dans la cuisine indienne, tandoori et himalayenne, et maîtrisant les langues anglaise et hindou ». S’agissant du motif de refus suivant lequel l’embauche de Monsieur … ne serait pas justifiée pour l’activité de la société …, les demandeurs sont d’avis qu’« il n’appartien[drait] pas au [demandeur] de prouver que son employeur a[urait] besoin des services d’un cuisinier spécialisé en cuisine indienne, tandoori et himalayenne, la seule preuve du contrat de travail [devrait] suffire », étant donné que « le [demandeur] a[urait] été engagé en qualité de salarié et non pas en tant qu’indépendant, et ne saurait être impliqué dans la gérance du restaurant dans lequel il travaille ». Ils soulignent que la société … entendant ouvrir un nouveau restaurant indien à … et …, serait à la recherche d’un cuisinier, ce qui justifierait l’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié dans le chef du demandeur 3pouvant être déplacé sur un autre lieu de travail, à la discrétion de son employeur, selon les termes de son contrat de travail. Enfin, les demandeurs soulignent qu’aucune société commerciale n’engagerait une personne si elle n’en tirait pas un bénéfice financier. À cet égard, les demandeurs renvoient encore aux travaux parlementaires à la base de la loi du 29 août 2008 et plus particulièrement à l’avis du Conseil d’Etat du 20 mai 2008, à l’avis de la Chambre des métiers du 28 mars 2008 et à l’avis de la Chambre de commerce du 27 février 2008. Ils font ensuite valoir que le motif de refus avancé par le ministre serait discrétionnaire et irait au-delà de l’intention du législateur étant donné que la loi n’aurait pas prévu comme condition de délivrance d’une autorisation pour travailleur salarié, le critère d’une future intégration durable dans le marché de l’emploi luxembourgeois, ni n’aurait envisagé la considération qu’une main-d’œuvre peu qualifiée n’amènerait pas de savoir-faire apportant un avantage compétitif au Luxembourg.
Ils donnent encore à considérer que l’autorisation de travail ne serait, dans un premier temps, délivrée que pour la durée d’un an et serait ensuite renouvelable pour deux années. Ils estiment qu’une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié délivrée pour une telle durée ne nécessiterait pas d’apporter des renseignements quant à une future intégration durable dans le marché de l’emploi. Ils se prévalent enfin d’une violation de l’article 11, paragraphe (6) de la Constitution, au motif que la décision litigieuse entraverait la liberté de commerce. À cet égard, ils font valoir qu’un poste de travail au sein d’une société commerciale, servant partant les intérêts économiques de cette société, aurait nécessairement pour objectif de servir ceux du pays.
Ils en concluent que l’occupation d’un poste de cuisinier spécialisé dans la cuisine indienne, tandoori et himalayenne au sein d’un restaurant exploité par une société commerciale n’aurait d’autre but que de faire des bénéfices. Par voie de réplique, les demandeurs font valoir que « le salarié qui [se serait] vu délivr[er] un titre de séjour en qualité de travailleur salarié, ne [serait] pas spécialement lié par son employeur, car il [serait] libre à tout moment de travailler pour un autre employeur exerçant le même domaine d’activité. L’hypothétique nouvel employeur ne [serait] soumis à aucun contrôle ministériel par la loi, tout repose[rait] sur le premier employeur qui souhaite engager le salarié. Pour des raisons qui [seraient] personnelles au ressortissant de pays tiers s’étant vu octroy[er] une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié, du jour au lendemain, celui qui a permis à un salarié d’obtenir une autorisation de travail, [devrait] accepter que son salarié démissionne pour une société concurrente, mettant le premier employeur dans une situation inconfortable ». Par voie de dispositif de leur mémoire en réplique, ils invitent le tribunal de céans à saisir la Cour Constitutionnelle de la question de savoir, en substance, si un employeur qui s’est vu délivrer une autorisation d’embauche pourrait (i) se voir entraver dans l’exercice de ses activités par le prescrit de l’article 42, paragraphe (1) point 2 de la loi du 29 août 2008 et (ii) se voir opposer un refus d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié à un ressortissant de pays tiers dans les conditions précitées sans que cela ne soit considéré comme une violation de l’article 11 (4) et (6) de la Constitution.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ces moyens, ainsi qu’au rejet du recours.
Force est de constater que les contestations soulevées par les parties à l’instance, pertinentes pour la solution du présent litige, tournent en substance autour de la question de l’interprétation à donner à l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 selon lequel l’exercice de l’activité visée doit servir les intérêts économiques du pays, et de celle de savoir si le ministre a pu à juste titre retenir que cette condition n’était pas remplie en l’espèce, les autres conditions imposées par ledit article n’étant pas litigieuses en la cause.
4 Aux termes de l’article 42 de la loi du 29 août 2008, « (1) L’autorisation de séjour et l’autorisation de travail dans les cas où elle est requise, sont accordées par le ministre au ressortissant de pays tiers pour exercer une activité salariée telle que définie à l’article 3, après avoir vérifié si, outre les conditions prévues à l’article 34, les conditions suivantes sont remplies:
1. il n’est pas porté préjudice à la priorité d’embauche dont bénéficient certains travailleurs en vertu de l’article L. 622-4, paragraphe (4) du Code du travail ;
2. l’exercice de l’activité visée sert les intérêts économiques du pays;
3. il dispose des qualifications professionnelles requises pour l’exercice de l’activité visée;
4. il est en possession d’un contrat de travail conclu pour un poste déclaré vacant auprès de l’Agence pour le développement de l’emploi dans les formes et conditions prévues par la législation afférente en vigueur. (…) ».
L’octroi, à un ressortissant d’un Etat tiers, d’une autorisation de séjour en vue de l’exercice d’une activité salariée est partant, en sus des conditions prévues par l’article 34 de la loi du 29 août 2008, soumis aux conditions cumulatives selon lesquelles, premièrement, il ne soit pas porté préjudice à la priorité d’embauche dont bénéficient certains travailleurs, deuxièmement, l’exercice de l’activité visée serve les intérêts économiques du pays, troisièmement, la personne concernée dispose des qualifications professionnelles requises pour l’exercice de l’activité visée et, quatrièmement, l’intéressé soit en possession d’un contrat de travail conclu pour un poste déclaré vacant auprès de l’ADEM dans les formes et conditions prévues par la législation afférente en vigueur, la deuxième condition étant seule litigieuse en l’espèce.
Il se dégage d’un arrêt de la Cour administrative du 28 juin 2016, inscrit sous le numéro 37493C du rôle, ayant réformé le jugement du 11 janvier 2016, n° 36417 du rôle, invoqué par les demandeurs, que l’interprétation faite par le tribunal en première instance de la condition posée au point 2 du paragraphe 1er de l’article 42 de la loi du 29 août 2008 et telle qu’elle est aussi préconisée par les parties demanderesses dans la présente affaire, réduirait cette condition à zéro et impliquerait que celle-ci ne présenterait aucune valeur ajoutée par rapport aux trois autres conditions cumulatives mentionnées à cette disposition. Après avoir relevé qu’une telle analyse constituerait un non-sens, la Cour administrative a retenu qu’il conviendrait de donner à cette condition un sens adéquat dans le contexte donné en ayant égard à la fois à la ratio legis et au but que le législateur entendait atteindre en exprimant cette condition, pour conclure que les intérêts économiques du pays visés par la condition litigieuse seraient à lire, eu donc égard à la ratio legis et au but de la législation mise en place, comme recouvrant également la nécessité d’un contrôle certain par le ministre compétent en matière d’immigration à l’entrée sur le territoire d’un ressortissant d’un pays tiers au biais d’une autorisation de travail, la Cour ayant ensuite vérifié, dans le cadre du recours en annulation ouvert en la présente matière, si le ministre a, le cas échéant, dépassé sa marge d’appréciation.
5Au regard de l’interprétation ainsi faite par la Cour administrative de l’article 42, paragraphe (1), point 2 de la loi du 29 août 2008, le tribunal est amené à retenir que l’argumentation des demandeurs selon laquelle la condition inscrite à cette disposition serait nécessairement remplie dès lors qu’en tant que société commerciale elle engage du personnel, est à rejeter comme étant non fondée.
Le tribunal est encore amené à retenir que le critère suivant lequel l’exercice de l’activité doit servir les intérêts économiques du pays, est à interpréter en ce sens qu’une activité salariée revêt un intérêt économique pour le pays lorsqu’il existe sur le marché du travail un besoin avéré de main d’œuvre dans le secteur d'activité correspondant à la formation du demandeur d’un titre de séjour en qualité de travailleur salarié.
Ainsi, le fait pour le ministre d’avoir apprécié cette condition par rapport au marché de l’emploi luxembourgeois n’est pas sujet à critique, étant donné que ce n’est que s’il existe effectivement une pénurie de travailleurs dans un certain domaine de spécialité sur le marché de l’emploi que l’engagement d’un ressortissant de pays tiers répondant à ces qualifications est susceptible de servir les intérêts économiques du pays1.
Il convient encore d’examiner, dans le cadre du recours en annulation dont est saisi le tribunal, la légalité du motif de refus avancé par le ministre, fondé sur le constat que la fonction que Monsieur … entend occuper ne servirait pas aux intérêts économiques du pays, appréciés par rapport aux besoins spécifiques du marché de travail tels que mis en avant par le ministre, celui-
ci ayant retenu par ailleurs qu’une intégration durable dans le marché de l’emploi luxembourgeois ne se dégagerait pas du dossier, étant donné que le domaine spécifique dans lequel il serait spécialisé, à savoir la cuisine indienne et himalayenne, constituerait une branche bien limitée du secteur de la restauration et que son activité en tant que « cuisinier très expérimenté en cuisine indienne et himalayenne » ne ramènerait pas de savoir-faire apportant un avantage compétitif pour le secteur de l’activité visée et ceci d’autant plus qu’il ne ressortirait pas de son dossier les raisons pour lesquelles son embauche serait justifiée pour l’activité de son employeur au regard du fait que ce dernier disposerait déjà de cuisiniers pour garantir le bon fonctionnement de son entreprise, de sorte que les raisons pour l’embauche d’un cuisinier supplémentaire ne seraient ni établies ni motivées.
Il convient encore de relever que dans le cadre d'un recours en annulation, le juge n'est pas, comme en matière de réformation, appelé à refaire l’acte en substituant son appréciation à celle de l’auteur de la décision administrative entreprise en ayant égard à des éléments d’opportunité autant que de légalité, son pouvoir se confinant à contrôler si, eu égard à la situation en fait et en droit ayant existé au moment où il a statué, l’auteur de la décision n’a pas commis une erreur en droit et, dans la mesure où il dispose d'un pouvoir discrétionnaire, il n’est pas sorti de sa marge d'appréciation.
La situation à prendre en compte est celle existant objectivement au moment où l’auteur de la décision administrative a statué. Le juge de l’annulation ne saurait prendre en considération 1 trib. adm. 22 mars 2017, n° 37393 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu 6ni des éléments de fait, ni des changements législatifs ou réglementaires s’étant produits postérieurement à la prise de la décision2.
Force est au tribunal de relever en la cause que c’est à juste titre que le délégué du gouvernement a observé que si la demande d’autorisation de séjour fut certes introduite par la société …, au nom de laquelle le certificat d’embauche fut, par ailleurs, délivré, il n’en demeurerait pas moins tel qu’il a été confirmé par l’ordonnance présidentielle du 15 mars 2017 que c’est bien la société à responsabilité limitée … SARL et non la demanderesse qui avait souhaité obtenir une abréviation des délais d’instruction en raison du fait que c’est elle qui avait en réalité prévu d’engager le demandeur et qu’il y aurait eu urgence à évacuer le présent recours au motif qu’elle se serait trouvée dans une situation de difficultés financières, étant encore observé que tant le ministre que la partie gouvernementale ont relevé que la demanderesse disposerait de cuisiniers en suffisance pour garantir le bon fonctionnement de son entreprise.
Il s’ensuit que cet aveu de la part des parties demanderesses confirme le ministre dans son argumentation suivant laquelle l’engagement de Monsieur … ne sert pas les intérêts économiques de la société … mais ceux d’une autre société, appartenant certes au même groupe mais n’ayant cependant entrepris aucune démarche d’embauche auprès de l’ADEM.
Dans ces conditions, le tribunal est amené à retenir, par analogie avec la jurisprudence de la Cour administrative précitée, qu’en refusant l’autorisation de séjour pour travailleur salarié à Monsieur … sur le fondement du constat que l’occupation de celui-ci ne répond pas à des besoins économiques du pays et plus spécifiquement à des besoins du marché du travail en raison de l’absence de besoin de main d’œuvre dans le chef de la demanderesse, le ministre n’a pas dépassé sa marge d’appréciation.
Il s’ensuit que le ministre a a priori valablement pu refuser l’autorisation litigieuse sur base de la considération que la condition inscrite au point 2 du paragraphe (1) de l’article 42 de la loi du 29 août 2008, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner plus en avant les autres contestations soulevées par les demandeurs et plus particulièrement celles tenant à une future intégration durable dans le marché de l’emploi.
S’agissant ensuite du moyen fondé sur une violation de l’article 11, paragraphe (6) de la Constitution et de l’article 11, paragraphe (4) et (5) de la Constitution, il y a lieu de rappeler que l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle dispose que :
« Lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle.
Une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle estime que :
une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement ;
la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement ;
la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet. (…) ».
2 Cf. Cour adm. 11 février 2014, n° 33597C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
7 En principe, par application de l’article 6, alinéa 1er, de la loi du 27 juillet 1997, la connaissance des questions de constitutionnalité de normes législatives appartient exclusivement à la Cour constitutionnelle. Ce n’est que si une des exceptions prévues à l’article 6, alinéa 2, de la même loi, est donnée, qu’une juridiction peut se dispenser de poser une question de conformité à la Constitution, à savoir si elle estime a) qu’une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement, b) que la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement, et c) que la Cour constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet.
Encore que l’article 6, alinéa 2, de la loi du 27 juillet 1997 dispose qu’une juridiction est dispensée de saisir la Cour constitutionnelle d’une question de constitutionnalité si elle « estime » qu’une des trois exceptions y énoncées est donnée, il ne s’agit en l’occurrence pas d’un droit discrétionnaire, mais il faut que l’exception soit avérée.
Or, en l’espèce, l’article 11, paragraphe (6) de la Constitution dispose que « la loi garantit la liberté du commerce et de l’industrie, l’exercice de la profession libérale et du travail agricole, sauf les restrictions à établir par le pouvoir législatif ». Ainsi que cela a été relevé à juste titre par la partie étatique, cette disposition prévoit expressément comme réserve à la liberté de commerce y consacrée, la possibilité pour la loi d’y apporter des restrictions, de sorte que le refus d’autorisation litigieux, fondé sur une disposition légale soumettant l’exercice d’une occupation salariée d’un ressortissant de pays tiers, et partant son occupation par un employeur, à certaines conditions, n’est pas contraire à l’article 11, paragraphe (6) de la Constitution, étant encore relevé que ces conditions ne sont pas non plus de nature à porter atteinte au droit au travail et aux droits des travailleurs visés à l’article 11, paragraphes (4) et (5) de la Constitution, tel qu’invoqué par les demandeurs. Au vu des considérations qui précèdent, le moyen afférent est partant à rejeter pour être manifestement infondé. Pour cette même raison, il n’y a pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle de la question soulevée par les demandeurs quant à la compatibilité des restrictions prévues à l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 et celles des articles précités de la Constitution au motif que la question de la conformité dudit article à la norme constitutionnelle est dénuée de tout fondement, étant observé que le certificat d’embauche indique de manière explicite qu’il est délivré sans préjudice des dispositions de la loi du 29 août 2008.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens, que le recours sous analyse est rejeté comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
8 Ainsi jugé par :
Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge Paul Nourissier, premier juge, et prononcé à l’audience publique du 6 février 2018 en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 février 2018 Le greffier du tribunal administratif 9