Tribunal administratif Numéro 38837 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 décembre 2016 3e chambre Audience publique du 6 février 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38837 du rôle et déposée le 9 décembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain NORTH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 8 septembre 2016 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 février 2017 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2017 par Maître Alain NORTH, pour le compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jeannine DENNEWALD en sa plaidoirie à l’audience publique du 29 novembre 2017.
Par décision de l’associé unique de la société à responsabilité limitée …, ci-après désignée par « … », du 11 juin 2013, Monsieur … fut nommé … de ladite société.
Le 2 juin 2014, Monsieur … a acquis 25 des 100 parts sociales de … .
Aux termes d’un contrat du 24 juin 2014 intitulé « Contrat de travail à durée indéterminée », Monsieur … fut engagé en qualité de « … » par … en raison de 10 heures de travail hebdomadaires.
Le 5 février 2015, Monsieur … a démissionné de son mandat social de … et le 1er avril 2015, il a cédé l’intégralité des parts sociales détenues dans … .
1 … fut déclarée en état de faillite par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Diekirch, siégeant en matière commerciale, du … 2016, inscrit sous le numéro … du rôle.
En date du 23 mars 2016, Monsieur … déposa au greffe du tribunal d’arrondissement de et à Diekirch sa déclaration de créance définitive dans le cadre de cette faillite et demanda l’admission au passif privilégié d’une créance salariale à hauteur de …- € du chef d’arriérés de salaire pour les mois de juin 2014 à février 2015, hormis le mois de septembre 2014, du chef d’indemnité compensatoire pour congés non pris, du chef d’une indemnité de procédure, ainsi que du chef des intérêts courus à partir du 19 mars 2015 jusqu’au jour précédant le jugement déclaratif de faillite. Lors de l’audience de vérification des créances du 18 avril 2016, le curateur de …, ensemble avec le juge commissaire, ont admis la déclaration de créance de Monsieur … pour un montant de …- € au passif privilégié et pour un montant de …- € au passif chirographaire de la société faillie, étant précisé que le caractère privilégié des arriérés de salaire des mois de juin et de juillet 2014, ainsi que des intérêts légaux a été contesté par le curateur, contestations admises par Monsieur … le 21 avril 2016.
Par décision du 8 septembre 2016, le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi, ci-après désignés par « le directeur », respectivement par « l’ADEM », informa Monsieur … de l’impossibilité de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée, sur le fondement des considérations suivantes :
« […] Faisant suite à votre demande de remboursement dans l'affaire émargée, je me permets de vous informer qu'il ressort de l'examen du dossier que les dispositions de l'article L.126-1 du Code du Travail ne s'appliquent pas à Monsieur … .
En effet mes services ont constaté que l'intéressé a été nommé … de la société …. en date du 11 juin 2013 ce qui d'ailleurs est confirmé par le contrat signé en date du 24 juin 2014 et son affiliation auprès du Centre Commun de la Sécurité Sociale.
Dans la mesure où les autorisations d'établissement N° … ont été établies à son nom et considérant qu'il n'exerçait pas de fonction dissociable avec son mandat sociale auprès de la société, Monsieur … doit être considéré comme un des dirigeants de la société et non pas comme un travailleur salarié soumis à un lien de subordination.
Partant, il m'est impossible de réserver une suite favorable à la déclaration de créance introduite. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2016, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du directeur du 8 septembre 2016 portant rejet de sa demande en paiement des sommes garanties par l’article L. 126-1 du Code du travail.
Aucun recours au fond n’étant prévu en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce. Le tribunal est partant incompétent pour connaître du recours principal en réformation, mais compétent pour toiser le recours subsidiaire en annulation qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
2 A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision directoriale du 8 septembre 2016.
En droit, il soutient, tout d’abord, que la décision déférée devrait encourir l’annulation pour violation de l’autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal du travail d’Esch-
sur-Alzette du 11 mai 2015 ayant retenu l’existence d’un lien de subordination, dans son chef, à l’égard de … pour avoir condamné, sur base de son contrat de travail, ainsi que de ses fiches de salaire, cette dernière au paiement des montants déclarés dans le cadre de la faillite de la prédite société. Le jugement du 11 mai 2015, notifié aux parties, n’aurait, par ailleurs, pas fait l’objet d’appel.
A titre subsidiaire, le demandeur fait valoir avoir été soumis à un lien de subordination, dans le cadre de son travail au sein de …, de nature à lui conférer la qualité de travailleur salarié. Il expose ainsi que … aurait été créée le 13 février 2012 par Monsieur … qui en aurait été l’associé unique et le gérant administratif. Suite à la révocation du précédent gérant administratif le 11 juin 2013, Monsieur … aurait été nommé en son remplacement à la même date, mandat qu’il aurait occupé jusqu’à sa démission le 5 février 2015. Bien que le demandeur aurait acquis 25 des 100 parts sociales le 2 juin 2014 de la part de Monsieur …, il lui aurait restitué celles-ci le 1er avril 2015. Il donne finalement à considérer que le 14 juillet 2015, l’associé unique aurait cédé la moitié des parts sociales à Madame …, qui serait devenue, à la même occasion, la gérante administrative de …, la gérance technique ayant été assurée, depuis cette date, par Monsieur … . Sur base de ces considérations, le demandeur soutient que Monsieur … aurait été le responsable central et le bénéficiaire principal de …, exerçant le pouvoir de direction, ainsi que le contrôle sur celle-ci et la représentant à l’égard de tiers, du moins durant la période où Monsieur … aurait été … et associé minoritaire à hauteur de … %. Cette conclusion serait, par ailleurs, corroborée par le contrat de travail signé entre parties.
Dans un deuxième ordre de subsidiarité, le demandeur se prévaut du fait qu’il aurait exercé une fonction dissociable de son mandat social auprès de …, à savoir la mission de chef de chantier classique, en ce qu’il aurait été chargé d’assurer le suivi et le bon déroulement des chantiers de construction réalisés par celle-ci, son travail consistant notamment à se déplacer sur les chantiers en question pour dicter aux ouvriers les matériaux et les techniques de travail à utiliser, à « manager » le personnel, contrôler la conformité des travaux réalisés par rapport aux plans de construction, à gérer les stocks et à assurer le respect des délais. Cette circonstance ressortirait de son contrat de travail, conclu le 24 juin 2014, soit quasiment un an après sa nomination en tant que … de …, de ses fiches de salaire pour les mois de juin 2014 à février 2015, de son certificat de rémunération / de pension et de retenue d’impôt pour l’année 2015, de son certificat de travail du 17 mars 2015, ainsi que du jugement du tribunal du travail du 11 mai 2015 qui mentionne « […] Il explique s’être occupé du suivi des chantiers […] ». Dans le cadre de son mémoire en réplique, le demandeur verse encore une attestation testimoniale, établie le 21 mars 2017 par Monsieur … pour étayer son argumentation quant à l’existence d’une relation de travail avec … .
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours. Après avoir relevé, d’une part, que l’Etat serait tenu à procéder à un examen propre des créances lui soumises dans le cadre de l’article L.126-1 du Code du travail, et d’autre part, que le jugement du tribunal du travail du 11 mai 2015 ne serait pas revêtu de l’autorité de la chose jugée à son égard, dans la mesure où l’Etat n’aurait pas été parti à ce litige, il insiste sur le fait que le contrat de travail devrait correspondre à une fonction dissociable de celles découlant du mandat social et qui 3 devrait être caractérisée par un rapport de subordination entre le salarié et l’employeur. Or, étant donné que Monsieur … n’aurait été engagé, en tant que …, qu’en raison de 10 heures de travail par semaine, moyennant un salaire mensuel de …-€, et que la cessation des relations de travail aurait résulté de sa démission de son mandat social, l’intéressé n’aurait pas été lié à … par un contrat de travail dissociable de son mandat social.
L’article L.126-1 du Code du travail prévoit ce qui suit :
« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.
(2) Sont garanties jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.
(3) En cas de continuation des affaires par le curateur de la faillite, la garantie visée au présent article est applicable, dans les limites visées au paragraphe (2), aux créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié le jour de la résiliation du contrat de travail et celles résultant de la résiliation du contrat de travail.
(4) Pour l’application des dispositions des paragraphes qui précèdent, sont considérées les créances de salaire et d’indemnité, déduction faite des retenues fiscales et sociales obligatoires en matière de salaires.
(5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.
(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi.
Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances.
Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2).[…]. ».
Il s’ensuit qu’en cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit jusqu’au plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, c’est-à -dire jusqu’au sextuple du salaire social minimum, les créances des salaires et indemnités de toute nature 4 dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.
Il résulte de l’article L.126-1 précité du Code du travail que peuvent seules faire l’objet d’une prestation de garantie à charge du Fonds pour l’emploi les créances de nature salariale et que, conformément au paragraphe (6) du même article, les versements sont effectués sur base de relevés « vérifiés par » l’ADEM.
Dans ce contexte, le tribunal relève de prime abord que l’ADEM a non seulement le droit, mais l’obligation de vérifier en premier lieu l’existence de la qualité de salarié dans le chef du demandeur de la garantie salariale sollicitée1.
Sous peine de vider ledit texte de toute portée, il y a lieu de retenir de manière générale que l’administration est en droit de procéder à son propre examen des créances qui lui sont soumises. En revanche, dans l’hypothèse de refus par l'ADEM du paiement d'une créance dûment acceptée par le curateur et le juge-commissaire, la charge de la preuve du bien-fondé des motifs justifiant la décision de refus incombe à l'Etat, cette preuve étant à rapporter sur la toile de fond de l'examen, par le juge administratif, de l'existence et de l'exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision déférée, et de la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à la motiver légalement2.
Cette vérification doit se rapporter à l’examen de la justification de l’intervention du Fonds pour l’emploi qui a vocation, en cas de faillite, à se substituer à l’employeur en carence et qui bénéficie d’une subrogation dans les droits du salarié. Il en découle que l’administration est en droit de vérifier aussi la qualité de salarié de l’intéressé et donc l’existence d’une relation de travail entre celui-ci et le failli, en vertu de l’article L.126-1 du Code du Travail, paragraphe (1), disposant que ladite créance s’applique aux « créances résultant du contrat de travail ». Son application est dès lors plus particulièrement conditionnée par l’existence d’un contrat de travail, caractérisé par l’existence d’un lien de subordination.
Le tribunal précise ensuite que le contrat de travail s’analyse en une convention par laquelle une personne s’engage à mettre, moyennant une rémunération, son activité à la disposition d’une autre à l’égard de laquelle elle se trouve dans un rapport de subordination juridique. Un tel rapport de subordination requiert que le contrat place le salarié sous l’autorité de son employeur qui lui donne des ordres concernant l’exécution du travail, en contrôle l’accomplissement et en vérifie les résultats.
L’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination ou de la qualification qu’elles ont données à leurs conventions, mais des conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activité de la personne concernée. Ainsi, la preuve du contrat de travail peut résulter d’un ensemble d’éléments qui constituent des présomptions précises et concordantes faisant conclure à l’existence d’un lien de subordination3.
1 Cour adm., 18 mai 2006, n° 21111C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Travail, n° 18 et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 22 mai 2006, n° 20427 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Travail, n° 7 et les autres références y citées.
3 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Travail, n° 10 et les autres références y citées.
5 Le critère essentiel du contrat de travail est le lien de subordination – élément litigieux en l’espèce –, qui est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements d’un subordonné. Le lien de subordination n’exige cependant pas que l’employeur exerce sur le salarié une direction étroite et permanente, mais il suffit que le premier ait le droit de donner au second des instructions pour l’organisation et l’exécution du travail convenu. La qualification donnée par les parties à leur convention ou l’affiliation à la Sécurité Sociale peuvent constituer des présomptions en faveur de l’existence d’un contrat de travail, à moins d’être contredites par les autres éléments du dossier4.
Quant à l’incidence du jugement du tribunal du travail du 11 mai 2015, invoqué par le demandeur, force est de constater que l’autorité de la chose jugée dont il se prévaut est conditionnée en vertu de l’article 1351 du Code civil par la triple condition de l’identité d’objet, de cause et de personne. Or, étant donné qu’en la présente affaire la partie étatique n’était pas partie au jugement du tribunal du travail du 11 mai 2015, cette décision ne saurait lui être opposée. Le moyen afférent laisse partant d’être fondé.
Quant aux motifs de refus étatiques, il ressort des éléments du dossier que le demandeur a signé en date du 24 juin 2014 un contrat de travail à durée indéterminée, avec effet au même jour, précisant qu’il a été engagé en qualité de …, ledit contrat ayant été signé par le gérant administratif, en tant que représentant de l’employeur, et Monsieur …, en tant que salarié.
Il n’est pas non plus contesté, et cela résulte d’ailleurs des pièces soumises par le demandeur et du dossier administratif, que la déclaration de créance du demandeur a été acceptée par le juge commissaire et par le curateur à hauteur du montant déclaré, bien que le caractère privilégié des arriérés de salaire pour les mois de juin et de juillet 2014, ainsi que des intérêts sur salaire a été valablement contesté, de sorte que dans ce contexte, l’existence d’un contrat de travail n’a pas été remise en cause.
Cependant, en cas de refus par l'ADEM du paiement d'une créance dûment acceptée par le curateur et le juge-commissaire, tel que c’est le cas en l’espèce, il appartient à l’Etat de fournir la preuve du bien-fondé des motifs justifiant sa décision. En l’occurrence, l’Etat fait état d’une situation excluant un lien de subordination tiré du fait (i) que les autorisations d’établissement de … auraient été établies au nom du demandeur, (ii) que le demandeur détenait …% des parts sociales, et (iii) que son contrat de travail aurait précisé qu’il aurait été engagé en tant que … à hauteur de 10 heures de travail hebdomadaires, ledit contrat ayant pris fin avec sa démission de son mandat social.
La partie étatique doit partant, d’une part, établir la réalité de la situation juridique, respectivement de fait qu’elle allègue, et, d’autre part, justifier que celle-ci est de nature à conclure que, vu les circonstances de l’espèce, le demandeur aurait exercé un contrôle déterminant sur les activités de la société et n’aurait pas accompli de fonction distincte de son mandat social, de sorte que l’existence d’un lien de subordination, respectivement d’une convention de travail salarié serait inconcevable. Une fois cette preuve rapportée, il appartient cependant au demandeur d’établir que malgré la situation de contrôle légal ou de fait ainsi démontrée et excluant a priori l’existence d’un lien de subordination, qu’il se trouve en réalité 4 Cour d’appel, 20 mars 2014, Pas. 37, p. 246.
6 lié à la société par un contrat de travail caractérisé par un lien de subordination et correspondant à une convention réelle et sérieuse.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier et il n’est d’ailleurs pas contesté par le demandeur que celui-ci détenait du 2 juin 2014 au 1er avril 2015 … parts dans le capital social de … sur un total de 100 parts sociales, à côté de Monsieur …, détenant … parts.
Il s’ensuit que le capital social de la société litigieuse était majoritairement entre les mains de Monsieur …, le demandeur n’ayant eu qu’une participation minoritaire.
Il ressort encore des pièces du dossier administratif que pendant la période où Monsieur … était … de …, soit du 11 juin 2013 au 5 février 2015, celle-ci a été gérée par un gérant administratif, en l’occurrence Monsieur …, par ailleurs associé majoritaire, et par un …, étant encore relevé que le demandeur détenait les autorisations d’établissement du 24 juin au 11 décembre 2014.
Se pose dès lors la question de savoir si l’argumentation de la partie étatique fondée notamment sur l’existence d’un mandat social et la détention de parts, ainsi que des autorisations d’établissement, dont la réalité se trouve vérifiée au regard des pièces à la disposition du tribunal, est de nature à exclure l’existence d’un contrat de travail.
Si le cumul dans une même personne du mandat de gérant d’une société à responsabilité limitée ou d’administrateur d’une société anonyme et de la qualité de salarié n’est pas prohibé, il n’en reste pas moins que le contrat de travail doit rester une convention réelle et sérieuse. Au-delà de ce que le contrat de travail doit correspondre à des attributions techniques nettement dissociables de celles découlant du mandat, la subordination doit trouver sa véritable expression juridique dans les prérogatives de l’employeur envers le salarié, à savoir dans l’exercice d’un véritable pouvoir de contrôle et de direction du salarié5.
Concernant plus particulièrement les sociétés à responsabilité limitée, forme sociétaire que la société en faillite revêt en l’occurrence, ces dernières sont en principe administrées et gérées par un ou plusieurs gérants. Le gérant est le mandataire social chargé d’agir au nom de la société, dont il est le représentant légal et ce type de sociétés ne connaît en principe pas d’autre organe de gestion.
S’agissant des pouvoirs du demandeur en tant que gérant, il se dégage des statuts de …, figurant au dossier administratif, que celle-ci « est engagée par les signatures conjointes des deux gérants ».
Vu son mandat social et son pouvoir de signature conjoint avec le gérant administratif et vu qu’il détenait, par ailleurs, une participation, certes minoritaire, dans la société, le demandeur pouvait certes exercer une certaine influence sur la gestion de la société.
Néanmoins, le tribunal relève encore qu’eu égard à sa participation minoritaire dans le capital de la société, eu égard au fait que son pouvoir d’engager la société était dilué vu la présence d’un autre gérant, le demandeur n’ayant aucun pouvoir de signature individuel, et eu égard à la circonstance qu’il n’a détenu les autorisations d’établissement que pour une période très limitée d’à peine six mois, la situation juridique décrite par la partie étatique n’est pas 5 Cour adm. 16 juin 2011, n° 27974C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Travail, n° 12 et les autres références y citées.
7 telle à exclure ipso facto l’existence d’un contrat de travail caractérisé par un lien de subordination, qui, en présence, d’un mandat social devra se caractériser par l’exercice d’une fonction technique distincte.
Or, en l’espèce, le demandeur a à suffisance fourni des éléments permettant de conclure à l’existence d’une convention réelle, sans que la partie étatique n’ait, au-delà de son argumentation fondée sur la détention de parts sociales, l’émission des autorisations d’établissement au nom du demandeur et l’existence d’un contrat de travail de … ayant pris fin au moment de la démission du mandat social, soumis au tribunal des éléments permettant de mettre en doute l’existence d’un tel contrat de travail.
Il ressort en effet du contrat de travail signé par le demandeur que celui-ci a été engagé en qualité de ….
Il se dégage encore de l’attestation testimoniale produite par le demandeur, et dont le contenu et la forme n’ont pas autrement été contestés par la partie étatique, que le demandeur a effectivement travaillé sur des chantiers, en tant que chef de chantier, notamment en assurant le suivi et le bon fonctionnement des chantiers de …, en organisant les équipes de travail, en indiquant les matériaux à utiliser et en gérant les stocks, de manière à admettre qu’il exerçait une fonction technique distincte de celle de gérant.
S’il est vrai que, tel que cela a été retenu ci-avant, le demandeur aurait pu avoir une influence sur la gestion de la société, il n’en reste pas moins qu’au regard de la répartition du capital, le demandeur n’ayant eu qu’une participation minoritaire, et de la dilution du pouvoir décisionnel par le fait de l’exigence de la signature conjointe, ensemble avec le gérant administratif, qui était, pour le surplus l’associé majoritaire, des actes engageant la société en question, le pouvoir décisionnel du demandeur n’était pas prépondérant, de sorte que l’existence d’un lien de subordination à l’égard de Monsieur …, associé largement majoritaire et gérant administratif, ne peut être exclu du seul fait que le demandeur était titulaire des autorisations d’établissement, détenait une participation dans la société, respectivement a démissionné, conjointement, tant de son mandat social que de son activité salariée auprès de la société … .
Eu égard aux développements qui précèdent, le tribunal ne saurait suivre la conclusion de la partie étatique selon laquelle le demandeur aurait occupé, au sein de l’entreprise, une position telle qu’un lien de subordination serait exclu, étant donné que les éléments de preuve fournis par le demandeur, tels qu’analysés ci-avant, constituent des présomptions précises et concordantes faisant conclure à l’existence d’un lien de subordination. Il s’ensuit que c’est à tort que le directeur a refusé de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale déclarée par Monsieur … dans le cadre de la faillite de …, au motif de l’absence d’une relation de travail caractérisée par un lien de subordination. Par conséquent, la décision directoriale du 8 septembre 2016 encourt l’annulation.
La demande de Monsieur … tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure, au sens de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, d’un montant de ….- € est à rejeter, au motif que le demandeur ne prouve pas en quoi il serait inéquitable de laisser les frais non compris dans les dépens à sa charge.
8 Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, annule la décision du directeur de l’Agence pour le Développement de l’Emploi du 8 septembre 2016 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale déclarée par Monsieur … dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … et renvoie l’affaire devant le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi ;
rejette la demande de Monsieur … tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure au sens de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 février 2018 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 février 2018 Le greffier du tribunal administratif 9