Tribunal administratif N° 38849 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2016 2e chambre Audience publique du 1er février 2018 Recours formé par Monsieur (A), … (France), et par la société à responsabilité limitée (AA) SARL, Contern, contre une décision du ministre de l’Economie en matière d’autorisation d’établissement
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38849 du rôle et déposée le 13 décembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascal Peuvrel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à F-…, et de la société à responsabilité limitée (AA) SARL, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Economie du 26 mai 2016 refusant de faire droit à la demande d’autorisation d’établissement de ladite société ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 février 2017 ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 24 mars 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascal Peuvrel, préqualifié, pour compte des demandeurs ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marjorie Baija-Dabrowski, en remplacement de Maître Pascal Peuvrel, et Madame le délégué du gouvernement Nancy Carier en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 novembre 2017.
Le 20 avril 2016, Monsieur (A) introduisit, par le biais de la Chambre des métiers, une demande tendant à l’obtention d’une autorisation d’établissement pour le compte de la société à responsabilité limitée (AA) SARL, ci-après désignée par « la société (AA) », en vue de l’exercice des activités suivantes : activités et services commerciaux, décorateur d’intérieur, poseur, monteur et restaurateur d’éléments préfabriqués et de parquets.
Par courrier du 29 avril 2016, le ministre de l’Economie, ci-après désigné par « le ministre », s’adressa à la Chambre des métiers en les termes suivants :
1« (…) Je reviens par la présente à votre demande d’autorisation d’établissement référencée sous rubrique, qui a entre-temps fait l’objet de l’instruction administrative prévue à l’article 28 de la loi d’établissement du 2 septembre 2011.
Il en résulte que le dirigeant social, Monsieur (A), remplit la condition de qualification professionnelle légalement requise à l’article 3 de la loi d’établissement du 2 septembre 2011 pour l’exercice des métiers de décorateur d’intérieur et de poseur, monteur et restaurateur d’éléments préfabriqués et de parquets ainsi que pour l’exercice d’activités et de services commerciaux.
Cependant, l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines me signale que la société (BB) S.A dont Monsieur (A) (mat.: …) est le dirigeant n’est pas à jour avec le règlement des cotisations fiscales (TVA).
Or, les dispositions de l’article 4, 4. de la loi d’établissement du 2 septembre 2011 prévoient que :
«Art.4. L’entreprise qui exerce une activité visée à la présente loi désigne au moins une personne physique, le dirigeant, qui:
4. ne s’est pas soustrait aux charges sociales et fiscales, soit en nom propre, soit par l’intermédiaire d’une société qu’il dirige ou a dirigée.» Dans ces conditions, Monsieur (A) voudra se mettre en rapport avec cet organisme et me faire parvenir une attestation certifiant que tous les arriérés ont été payés et l’AED ainsi désintéressée ou la preuve d’un arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement des arriérés. (…) ».
Par courrier de leur litismandataire du 12 mai 2016, Monsieur (A) et la société (AA) soumirent des pièces supplémentaires au ministre, tout en lui demandant de procéder à la délivrance de l’autorisation d’établissement sollicitée.
Par courrier du 26 mai 2016, le ministre s’adressa comme suit audit litismandataire :
« (…) Par la présente, j’ai l’honneur de me référer à votre requête sous rubrique et plus particulièrement à votre lettre du 12 mai 2016 ainsi qu’aux pièces supplémentaires versées au dossier à cette occasion. Votre demande a fait entre temps l’objet d’une nouvelle instruction prévue à l’article 28 de la loi d’établissement du 2 septembre 2011.
Il en résulte que le dirigeant social, Monsieur (A), remplit la condition de qualification professionnelle légalement requise à l’article 3 de la loi d’établissement du 2 septembre 2011 pour l’exercice des métiers de décorateur d’intérieur et de poseur, monteur et restaurateur d’éléments préfabriqués et de parquets ainsi que pour l’exercice d’activités et de services commerciaux.
Au vu des explications fournies, il s’avère que celles-ci ne peuvent pas être acceptées, étant donné que la démission de Monsieur (A) de sa fonction de gérant ne m’a jamais été notifiée. En effet, jusqu’à ce jour, la qualification professionnelle permettant à la société d’exercer ses activités reposait toujours sur celle de Monsieur (A), qui est jusqu’à ce jour titulaire des autorisations d’établissement.
Par ailleurs, Monsieur (A) n’avait cédé ses parts sociales qu’il détenait dans la société (BB) S.A R.L. qu’au 29 janvier 2016.
Cependant, Monsieur (A) restait engagé en tant que salarié de la société jusqu’au 31 mai 2016.
Par conséquent, je vous informe qu’en l’absence de tout élément probant nouveau, je suis au regret de maintenir la décision du 29 avril 2016. (…) ».
Par courrier de leur litismandataire du 16 juin 2016, Monsieur (A) et la société (AA) introduisirent un recours gracieux à l’encontre du susdit courrier du ministre du 26 mai 2016.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2016, Monsieur (A) et la société (AA) ont fait introduire un recours en annulation à l’encontre de « (…) la décision du 26 mai 2016 portant refus de délivrer (…) l’autorisation d’établissement sollicitée (…) », étant précisé, à cet égard, que sur question afférente du tribunal à l’audience publique des plaidoiries, le litismandataire des demandeurs a confirmé que la société (AA) est à considérer, non pas comme intervenant volontaire, tel qu’affirmé erronément dans la requête introductive d’instance, mais comme partie demanderesse, le délégué du gouvernement n’ayant pas formulé de contestations à cet égard.
Dans la mesure où ni la loi du 2 septembre 2011 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel, ainsi qu’à certaines professions libérales, ci-après désignée par « la loi du 2 septembre 2011 », ni aucune autre disposition légale n’instaurent un recours au fond en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit en l’espèce.
Quant à la nature de l’acte déféré, le tribunal précise que c’est à juste titre que les demandeurs qualifient le courrier ministériel du 26 mai 2016 de décision de refus de délivrance de l’autorisation d’établissement sollicitée, étant donné que si, dans ce courrier, de même que dans celui du 29 avril 2016, le ministre n’a pas expressément déclaré refuser de faire droit à la demande d’autorisation d’établissement lui soumise, il en ressort néanmoins clairement que son intention était de soumettre la délivrance de ladite autorisation à la condition préalable de l’apurement des dettes fiscales de la société à responsabilité limitée (BB) SARL, ci-après désignée par « la société (BB) », de sorte à avoir implicitement, mais nécessairement exprimé son refus de faire droit à la demande dont il était saisi.1 Le recours en annulation dirigé à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 26 mai 2016 ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que contrairement à l’appréciation du ministre, Monsieur (A) n’aurait plus revêtu la qualité de dirigeant de la société (BB) au jour de l’introduction de la demande d’autorisation d’établissement, étant donné que sa démission de son mandat de gérant de ladite société, d’une part, aurait été acceptée par décision de l’associé unique de la même société lors de l’assemblée générale extraordinaire du 24 juillet 2014 et, d’autre part, aurait été publiée au registre de commerce et des sociétés, ci-après désigné par « le RCS », en date du 13 août 2014.
1 Voir, pour un cas similaire : Cour adm., 24 juillet 2013, n° 32031C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
Ils contestent l’argumentation du ministre selon laquelle ladite démission ne lui aurait pas été notifiée, en faisant valoir, d’une part, que le gérant d’une société à responsabilité limitée pourrait renoncer à son mandat par la simple notification de sa décision à la société, qu’une telle démission constituerait un acte unilatéral irrévocable, dont la validité ne serait pas subordonnée à une acceptation de la part de la société et qu’en l’espèce, la démission du demandeur aurait été avalisée par l’associé unique de la société (BB) lors de la susdite assemblée générale, à l’occasion de laquelle il aurait encore été pourvu à son remplacement, par la nomination de Monsieur (B) en tant que gérant unique et, d’autre part, que la démission en question aurait été publiée conformément aux dispositions de l’article 11bis de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales et de l’article 9 (4) de la loi modifiée du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises, de sorte à être pleinement opposable au ministre.
Les demandeurs réfutent l’argumentation du ministre selon laquelle Monsieur (A) aurait toujours été titulaire des autorisations d’établissement de la société (BB) lors de la prise de la décision déférée. A cet égard, ils font valoir que lesdites autorisations auraient été « (…) retirées (…) » de la société en question depuis au moins le 31 mars 2016, ainsi que cela se dégagerait d’un courrier électronique de la Chambre des métiers du 2 juin 2016.
Ils ajoutent que s’il est certes exact que le demandeur n’aurait cédé ses parts sociales dans la société (BB) qu’en date du 29 janvier 2016, il n’aurait pas été en mesure de procéder à une telle cession à une date antérieure, étant donné qu’il aurait été nécessaire de trouver un « (…) terrain d’entente financier (…) » avec son associé, les demandeurs donnant à considérer, dans ce contexte, que Monsieur (A) aurait dû introduire des poursuites judiciaires à l’encontre du cessionnaire, étant donné que celui-ci n’aurait pas procédé au paiement du prix de cession convenu. En tout état de cause, le ministre serait resté en défaut de préciser dans quelle mesure cet état de fait serait de nature à justifier le refus de l’autorisation d’établissement sollicitée, les demandeurs soulignant que Monsieur (A) n’aurait été qu’un associé minoritaire, alors qu’il n’aurait détenu que dix-neuf parts sociales.
Par ailleurs, les demandeurs contestent les développements du ministre selon lesquels Monsieur (A) aurait été salarié de la société (BB) jusqu’au 31 mai 2016, alors qu’il se dégagerait d’un courrier de licenciement avec préavis du 19 janvier 2016 qu’il aurait été licencié avec effet au 31 mars 2016. A cela s’ajouterait qu’il n’aurait « (…) plus remis les pieds dans [cette] société (…) » depuis le 31 janvier 2016.
Ainsi, le demandeur ne serait lié à la société (BB) ni en qualité de gérant, ni en qualité d’actionnaire, ni en qualité de salarié. Si ladite société accusait un retard de paiement de ses cotisations fiscales, il n’aurait eu aucune latitude pour y remédier, compte tenu de l’absence, dans son chef, de fonctions dirigeantes. Il s’ensuivrait que la décision déférée devrait encourir l’annulation.
Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs réfutent l’argumentation du délégué du gouvernement basée sur l’article 29 de la loi du 2 septembre 2011 et aux termes de laquelle Monsieur (A) aurait revêtu la qualité de dirigeant de la société (BB) jusqu’au 25 août 2016, date à laquelle il aurait notifié au ministre la cessation de son activité auprès de ladite société.
A cet égard, ils font valoir que si ledit article dispose certes que le départ du dirigeant devrait être notifié au ministre endéans un délai d’un mois, il ne prévoirait néanmoins aucune sanction en cas de défaut de notification. Plus particulièrement, l’article en question ne prévoirait ni expressément ni implicitement que la personne renonçant à ses fonctions de dirigeant conserverait cette qualité en l’absence d’une telle notification. Or, dans la mesure où les publications au RCS auraient une portée erga omnes, la démission de Monsieur (A) de son mandat de gérant de la société (BB) ayant fait l’objet d’une telle publication serait opposable tant au ministre qu’à n’importe quel autre tiers. Par ailleurs, les demandeurs donnent à considérer que suite à sa démission, Monsieur (A) n’aurait plus assuré effectivement et en permanence la gestion journalière de la société, de sorte que l’une des conditions cumulatives de la qualité de dirigeant, telles que ressortant de l’article 4 de la loi du 2 septembre 2011, n’aurait plus été remplie dans son chef. Les demandeurs soulignent encore que Monsieur (B), qui serait également titulaire d’autorisations d’établissement, aurait été nommé gérant unique en remplacement du demandeur, sans que le ministre n’ait manifesté la moindre opposition à cet égard. Il serait ainsi établi qu’au jour de l’introduction de la demande d’autorisation d’établissement au profit de la société (AA), Monsieur (A) n’aurait pas eu la qualité de dirigeant de la société (BB).
En outre, les demandeurs contestent que Monsieur (A) se serait soustrait aux charges fiscales et sociales pendant la période au cours de laquelle il aurait exercé des fonctions dirigeantes au sein de la société (BB), soit jusqu’au 13 août 2014. A cet égard, ils font valoir que cette dernière n’aurait aucune dette à l’égard du Centre commun de la Sécurité sociale, de sorte qu’il ne saurait être reproché à Monsieur (A) de s’être soustrait aux charges sociales.
Quant aux dettes de ladite société à l’égard de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines, telles que ressortant d’un relevé figurant au dossier administratif, les demandeurs font valoir que les arriérés de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) y mentionnés, à hauteur de … euros, concerneraient les années 2015 et 2016, au cours desquels le demandeur n’aurait plus exercé de fonctions dirigeantes au sein de la société (BB). S’il semble subsister des intérêts de retard non payés relatifs à l’année 2014, il n’en resterait pas moins qu’au cour de la période pendant laquelle Monsieur (A) aurait occupé la fonction de gérant unique de la société (BB), celle-ci n’aurait pas accumulé de dettes importantes auprès des créanciers publics. Les demandeurs ajoutent qu’en tant qu’associé, respectivement salarié de ladite société, Monsieur (A) n’aurait pas été en mesure d’exercer une quelconque influence significative sur ladite société, contrairement à l’argumentation afférente du délégué du gouvernement.
Finalement, les demandeurs réfutent les développements du représentant étatique quant à un défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef de Monsieur (A), en insistant sur le fait que ce dernier aurait assuré sa fonction de dirigeant avec la plus grande rigueur et le plus grand sérieux et que suite à sa démission, il n’aurait plus exercé d’influence significative sur la société, de sorte qu’il y aurait lieu de retenir que les autres dirigeants, à savoir Messieurs (B) et (C), auraient négligé la gestion journalière de la société en question.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
L’article 2 de la loi du 2 septembre 2011 définit sous son n° 15 la notion d’ « entreprise » comme étant « toute personne physique ou morale qui exerce, à titre principal ou accessoire, une activité économique visée à la présente loi ».
En l’espèce, il n’est pas contesté que les activités en vue de l’exercice desquelles la société (AA) avait demandé une autorisation d’établissement tombent dans le champ d’application de la loi du 2 septembre 2011, de sorte que la société demanderesse doit être qualifiée d’entreprise au sens de l’article 2 de ladite loi.
Aux termes de l’article 3 de la loi du 2 septembre 2011, « l’autorisation d’établissement requise au préalable pour l’exercice d’une activité visée par la présente loi est délivrée par le ministre si les conditions d’établissement, d’honorabilité et de qualification prévues aux articles 4 à 27 sont remplies ».
L’article 4 de la même loi précise les exigences à remplir par le dirigeant d’une entreprise dans les termes suivants : « L’entreprise qui exerce une activité visée à la présente loi désigne au moins une personne physique, le dirigeant, qui:
1. satisfait aux exigences de qualification et d’honorabilité professionnelles;
et 2. assure effectivement et en permanence la gestion journalière de l’entreprise;
et 3. a un lien réel avec l’entreprise en étant propriétaire, associé, actionnaire, ou salarié;
et 4. ne s’est pas soustrait aux charges sociales et fiscales, soit en nom propre, soit par l’intermédiaire d’une société qu’il dirige ou a dirigée ».
L’article 6 de la loi du 2 septembre 2011 précise le régime de la condition de l’honorabilité professionnelle dans les termes suivants :
« (1) La condition d’honorabilité professionnelle vise à garantir l’intégrité de la profession ainsi que la protection des futurs cocontractants et clients.
(2) L’honorabilité professionnelle s’apprécie sur base des antécédents du dirigeant et de tous les éléments fournis par l’instruction administrative pour autant qu’ils concernent des faits ne remontant pas à plus de dix ans.
Le respect de la condition d’honorabilité professionnelle est également exigé dans le chef du détenteur de la majorité des parts sociales ou des personnes en mesure d’exercer une influence significative sur la gestion ou l’administration de l’entreprise.
(3) Constitue un manquement privant le dirigeant de l’honorabilité professionnelle, tout comportement ou agissement qui affecte si gravement son intégrité professionnelle qu’on ne peut plus tolérer, dans l’intérêt des acteurs économiques concernés, qu’il exerce ou continue à exercer l’activité autorisée ou à autoriser.
(4) Par dérogation au paragraphe (3), constituent d’office un manquement qui affecte l’honorabilité professionnelle du dirigeant:
a) le recours à une personne interposée ou l’intervention comme personne interposée dans le cadre de la direction d’une entreprise soumise à la présente loi;
b) l’usage dans le cadre de la demande d’autorisation de documents ou de déclarations falsifiés ou mensongers;
c) le défaut répété de procéder aux publications légales requises par les dispositions légales relatives au registre de commerce et des sociétés ou le défaut de tenir une comptabilité conforme aux exigences légales;
d) l’accumulation de dettes importantes auprès des créanciers publics dans le cadre d’une faillite ou liquidation judiciaire prononcées;
e) toute condamnation définitive, grave ou répétée en relation avec l’activité exercée ».
En l’espèce, le tribunal constate qu’en substance, le ministre a refusé de faire droit à la demande d’autorisation d’établissement de la société (AA), au motif que le dirigeant de celle-
ci, Monsieur (A), se serait soustrait aux charges fiscales, au sens de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, étant donné que la société (BB), dont il serait le dirigeant, aurait des dettes à l’égard de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines.
Le tribunal relève ensuite que conformément à la jurisprudence constante des juridictions administratives selon laquelle l’administration peut fournir ou compléter la motivation d’une décision en cours d’instance contentieuse2, le délégué du gouvernement a, à travers ses mémoires en réponse et en duplique, fourni des motifs complémentaires à la base du refus ministériel d’accorder l’autorisation d’établissement sollicitée, tirés d’un défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef du demandeur.
A cet égard, outre un défaut répété de procéder aux publications légales requises, le délégué du gouvernement a reproché au demandeur d’être intervenu comme personne interposée dans la direction de la société (BB), dans la mesure où il serait resté titulaire de l’autorisation d’établissement de ladite société jusqu’au 25 août 2016, date à laquelle il aurait notifié la cessation de son activité au ministre, malgré le fait qu’il aurait déjà cessé de s’occuper de la gestion journalière de la société en question depuis sa démission de son mandat de gérant, respectivement depuis la publication de celle-ci.
Dans ce contexte, le tribunal précise que l’article 6 (4) de la loi du 2 septembre 2011 vise un certain nombre de comportements constituant d’office un manquement affectant l’honorabilité professionnelle du dirigeant de l’entreprise concernée, de sorte que, concernant ces manquements – parmi lesquels figurent, notamment, l’intervention comme personne interposée dans le cadre de la direction d’une entreprise soumise à ladite loi, ainsi que le défaut répété de procéder aux publications légales requises par les dispositions légales relatives au registre de commerce et des sociétés – le ministre ne dispose d’aucune marge d’appréciation.
Il est constant en cause que Monsieur (A) était titulaire des autorisations d’établissement de la société (BB) – ou du moins d’une partie de celles-ci – jusqu’au 31 mars 2016 au moins, date à laquelle le demandeur soutient que lesdites autorisations auraient été « (…) retirées (…) » de ladite société, en se prévalant, à cet égard, d’un courrier électronique de la Chambre des métiers, aux termes duquel celle-ci « (…) confirme que selon [sa] base de données, [les] autorisations [du demandeur] ne [seraient] plus dans la société (BB) (…) depuis le 31/03/2016 (…) », tout en avertissant le demandeur du fait qu’elle « (…) ne délivre pas d’attestation pour 2 Cour adm., 20 octobre 2009, n° 25738C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 83 et les autres références y citées.
la révocation d’autorisation d’établissement (…) » et en l’invitant à s’« (…) adresser au Ministère de l’Economie, Service des autorisations d’établissement. Département « Classes moyennes » pour essayer d’obtenir un document administratif qui prouve [qu’il ne serait] plus porteur d’autorisation dans la société (BB) (…) ».
Or, le tribunal constate que le demandeur est en aveu de ne plus avoir assuré effectivement et en permanence la gestion journalière de la société à partir de sa démission de son mandat de gérant en date du 24 juillet 2014, respectivement de la publication de celle-ci au RCS en date du 13 août 2014.
Cependant, cette démission et sa publication subséquente n’étaient pas de nature à l’affranchir de l’obligation d’assurer effectivement et en permanence la gestion journalière de l’entreprise, étant donné qu’au regard du droit d’établissement, cette obligation ne lui incombait, non pas en sa qualité de gérant, mais en sa qualité de titulaire desdites autorisations d’établissement, c’est-à-dire en tant que personne désignée par l’entreprise comme dirigeant lors de l’introduction de la demande d’autorisation d’établissement, conformément aux dispositions de l’article 4 de la loi du 2 septembre 2011. Dans ce contexte, le tribunal précise que le dirigeant désigné en application dudit article 4 n’est pas nécessairement le représentant légal de l’entreprise3. Il suffit, au contraire, que la personne concernée ait un lien réel avec l’entreprise en étant propriétaire, associé, actionnaire ou salarié. Ainsi, si le dirigeant, au sens de l’article 4, précité, de la loi du 2 septembre 2011, peut en même temps être le représentant légal de l’entreprise, la qualité de dirigeant ne dépend pas du mandat social de l’intéressé. Il s’ensuit que si le titulaire de l’autorisation d’établissement de l’entreprise, désigné par celle-ci en tant que dirigeant, en application dudit article 4, est en même temps le représentant légal de l’entreprise en question, il ne saurait se contenter de démissionner de son mandat social et de faire publier sa démission au RCS, lorsqu’il souhaite être déchargé de l’obligation d’assurer effectivement et en permanence la gestion journalière de l’entreprise lui incombant en tant que titulaire de l’autorisation d’établissement, mais il doit, en pareille hypothèse, notifier, respectivement faire notifier son départ au ministre, en application de l’article 29 de la loi du 2 septembre 2011, aux termes duquel « En cas de départ du dirigeant, le ministre ayant dans ses attributions les autorisations d’établissement doit en être informé dans le délai d’un mois.
(…) », afin que le ministre soit mis en mesure de procéder, le cas échéant, à la révocation de l’autorisation en question, notification à laquelle le demandeur n’a, en l’espèce, procédé qu’en date du 25 août 2016. Cette solution s’impose, en effet, afin que le but poursuivi par le législateur à travers l’article 4 (2) de la loi du 2 septembre 2011 – à savoir éviter que les objectifs de la procédure d’autorisation puissent être contournés par des personnes ne remplissant pas les exigences de qualification ou d’honorabilité professionnelles requises, en exigeant que la personne remplissant les conditions de qualification et d’honorabilité professionnelles soit également la personne qui s’occupe personnellement et de manière régulière et effective de la gestion journalière de l’entreprise4 – puisse être effectivement atteint.
Le tribunal déduit des considérations qui précèdent qu’en permettant à la société (BB) de continuer à disposer des autorisations administratives légalement requises en vue de l’exercice de ses activités, par le fait d’être resté titulaire desdites autorisations pendant la période postérieure à sa démission de son mandat de gérant et d’avoir ainsi mis à la disposition de ladite société sa qualification et son honorabilité professionnelles pendant la période concernée, sans assurer effectivement et en permanence la gestion journalière de la société et sans notifier son départ au ministre en temps utile, le demandeur est intervenu comme personne 3 Voir, à cet égard : Projet de loi n° 6158, commentaire des articles, p. 24.
4 Projet de loi n° 6158, commentaire des articles, p. 24.
interposée dans le cadre de la direction d’une entreprise soumise à la loi du 2 septembre 2011, au sens de l’article 6 (4) a) de cette loi.
Dès lors, étant donné qu’en vertu de cette dernière disposition légale, un tel comportement constitue un manquement affectant d’office l’honorabilité professionnelle de la personne concernée, sans que le ministre ne dispose, à cet égard, d’une marge d’appréciation, tel que relevé ci-avant, c’est à juste titre que la partie étatique a conclu au défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef de Monsieur (A).
Etant donné qu’en vertu des articles 3 et 4 (1) de la loi du 2 septembre 2011, le constat du défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef du demandeur est à lui seul de nature à justifier la décision ministérielle de refus de délivrance de l’autorisation d’établissement sollicitée, telle que déférée, le tribunal conclut que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser le bien-fondé des autres motifs de refus avancés par la partie étatique, dont notamment celui basé sur l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, cet examen devenant surabondant.
Au vu de l’issue du litige, la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500,- euros, en application de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, telle que formulée par les demandeurs, est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 2.500,- euros, telle que formulée par les demandeurs ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par:
Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 1er février 2018 par le vice-président, en présence du greffier assumé Vanessa Soares.
s.Vanessa Soares s.Françoise Eberhard 9