Tribunal administratif N° 38915 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 décembre 2016 2e chambre Audience publique du 11 janvier 2018 Recours formé par Monsieur ….., ….. (France) contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de reconnaissance de qualifications professionnelles
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38915 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2016 par Maître François Moyse, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., demeurant à F-….., ….., tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 17 mai 2016 refusant de lui accorder « l’obtention de l’équivalence professionnelle en vue d’exercer la profession d’avocat au Grand-Duché de Luxembourg », ainsi que d’une décision du même ministre du 28 septembre 2016 l’ayant confirmée, sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé le 14 mars 2017 au greffe du tribunal administratif ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Giulia Jaeger, en remplacement de Maître François Moyse, et Madame le délégué du gouvernement Nancy Carier en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 novembre 2017.
En date du 23 mars 2016, Monsieur ….. introduisit auprès du ministère de la Justice une demande tendant à l’obtention d’« une équivalence afin qu[‘il] puisse [s]’inscrire à l’ordre des avocats à la cour» qui fut complétée par l’envoi de pièces supplémentaires en date du 5 avril 2016.
Par décision du 17 mai 2016, le ministre de la Justice, ci-après désigné par « le ministre », refusa la demande de Monsieur ….. dans les termes suivants :
« J’accuse bonne réception de votre demande en obtention d’une équivalence professionnelle au Luxembourg du 23 mars 2016 ensemble les pièces y annexées ainsi que des pièces supplémentaires que vous avez introduites en date du 5 avril 2016.
1Votre demande a été soumise à la commission prévue à l’article 9 de la loi du 19 août 1991 déterminant pour la profession d’avocat à la Cour, le système général de reconnaissance des qualifications professionnelles qui a émis un avis négatif.
Sur base des arguments développés en détail ci-dessous, j’ai décidé de refuser votre demande.
L’article 1er de la loi préqualifiée énonce les conditions pour la délivrance d’une équivalence professionnelle en conformité avec la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles telle que modifiée par la Directive 2013/55/UE du 20 novembre 2013 et plus précisément celle d’être détenteur d’un titre de formation dont il résulte qu’il remplit les conditions pour exercer la profession d’avocat dans un Etat membre de l’Union européenne.
Vous avez basé votre demande sur le fait que vous êtes détenteur d’un titre de formation qui vous autorise l’accès au barreau en France. Vous exposez que vous étiez en stage de Conseil juridique au moment, où la loi n°90-1259 du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques a décidé de substituer aux professions d’avocat et de conseil juridique celle d’une nouvelle profession dont les membres portent le titre d’avocat (article 1er).
L’article 24 de cette même loi a modifié l’article 50, point VI, alinéa 2ième de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 et a prévu une disposition transitoire qui disait ce qui suit :
« Les personnes en cours de stage à la date d’entrée en vigueur du titre Ier de la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques en vue de l’inscription sur une liste de conseils juridiques poursuivent leur stage selon les modalités en vigueur avant cette date. Elles sont dispensées, par dérogation au quatrième alinéa (3°) de l’article 11 et à l’article 12, du certificat d’aptitude à la profession d’avocat et du stage. » Or, cette disposition transitoire a cependant été supprimée par l’article 77 de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques.
Vous ne pouvez donc plus bénéficier de cette dispense de certificat d’aptitude à la profession d’avocat et vous ne disposez donc pas d’un titre de formation dont il résulte que vous remplissez les conditions pour exercer la profession d’avocat en France. (…) ».
Par courrier de son litismandataire de l’époque du 19 juillet 2016, complété par un courrier du 23 septembre 2016, Monsieur ….. fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision du 17 mai 2016, précitée, qui fut rejetée par décision du 28 septembre 2016 motivée comme suit :
« J’accuse bonne réception de votre recours gracieux daté au 19 juillet 2016 à l’encontre de la décision notée sous rubrique qui a retenu toute mon attention.
2 La demande de Monsieur ….. en obtention d’une équivalence professionnelle a été refusée au motif qu’il ne détient pas de titre de formation dont il résulte qu’il remplit les conditions pour exercer la profession d’avocat dans un Etat membre de l’Union européenne.
Vous basez votre recours sur l’argumentaire que Monseiur ….. disposait, en vertu de l’article 24 de la loi n°90-1259 du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, de la dispense du CAPA après l’achèvement de la formation de Conseil juridique et que ce droit constitue selon votre interprétation un droit acquis.
L’article 77 de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 ayant supprimé cette disposition transitoire, je ne partage pas votre analyse selon laquelle Monsieur ….. pourrait s’en prévaloir encore aujourd’hui afin d’obtenir l’accès à un barreau en France au motif qu’il s’agit d’un droit acquis.
Je vous confirme par la présente lettre ma décision de refus en obtention de l’équivalence professionnelle de votre mandant. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2016, Monsieur ….. a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 17 mai 2016 refusant de lui accorder « l’obtention de l’équivalence professionnelle en vue d’exercer la profession d’avocat au Grand-Duché de Luxembourg » ainsi que de la décision du même ministre du 28 septembre 2016 ayant confirmé, sur recours gracieux, la décision du 17 mai 2016.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en matière de reconnaissance des qualifications professionnelles, seul un recours en annulation a pu être introduit contre les décisions litigieuses. Il s’ensuit que le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
À l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base des décisions déférées. Plus particulièrement, Monsieur ….. expose qu’il serait titulaire de plusieurs diplômes en droit dont notamment une Maîtrise obtenue à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense en 1988 et qu’il aurait exercé les fonctions de « collaborateur salarié en qualité de Conseil juridique » dans quatre cabinets d’avocats entre 1990 et 1994, mais qu’il n’aurait jamais été inscrit sur la liste des Conseils juridiques, respectivement à un barreau français. Il fait valoir qu’en raison du fait que la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ci-après désignée par « la loi française du 31 décembre 1990 », unifiant les professions de conseil juridique et d’avocat dispensait du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) et du stage les personnes qui étaient le 1er janvier 1992 en cours de stage en vue d’une inscription sur une liste de conseils juridiques et qui poursuivaient leur stage selon les modalités en vigueur avant cette date, il aurait été dispensé de cette formalité depuis le 30 juin 1994 et ce malgré la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de 3certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques, ci-après désignée par « la loi française du 11 février 2004 », ayant supprimé la dispense accordée par la loi française du 31 décembre 1990. Monsieur ….. donne à considérer que le fait qu’il n’aurait pas immédiatement finalisé son inscription au barreau de Paris après l’achèvement de ses stages ne l’empêcherait pas de toujours bénéficier de son droit acquis depuis juin 1994 d’être dispensé du CAPA et du stage.
Il souligne à cet égard qu’il aurait déposé une demande d’inscription au barreau de Paris avec dispense de CAPA et de stage au courant des années 1994 et 1995, qui aurait cependant fait l’objet d’une décision d’ajournement. A l’appui de cette affirmation, il verse une attestation de Maître Bernard Cahen qui l’aurait assisté dans ses démarches d’inscription à l’ordre des avocats de Paris en 1994.
En droit, le demandeur reproche au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en interprétant l’article 77 de la loi française du 11 février 2004 supprimant la dispense du CAPA et du stage, préalablement introduite par la loi française du 31 décembre 1990, dans le sens qu’il ne pourrait actuellement plus bénéficier de la dispense en empiétant ainsi sur ses droits acquis. Il donne à considérer que la position adoptée par le ministre « mènerait à la situation absurde selon laquelle les avocats ayant bénéficiés de la dispense […] et exerçant leur profession depuis une douzaine d’années ne seraient plus autorisés à exercer leur profession et devraient, malgré leur expérience professionnelle, préparer le CAPA et poursuivre un nouveau stage » ce qui serait contraire à l’esprit de la loi et à l’intention du législateur français. Monsieur ….. insiste encore sur le fait qu’en application du droit français, il bénéficierait d’une dispense du CAPA et du stage et donc du droit d’exercer la profession d’avocat en France.
Le demandeur invoque ensuite une violation des articles 1er, alinéa 1er et 2, alinéa 8 de la loi du 10 août 1991 déterminant, pour la profession d’avocat, le système général de reconnaissance des qualifications professionnelles, ci-après désignée par « la loi du 10 août 1991 », étant donné qu’il disposerait de droits acquis lui permettant d’accéder à la profession d’avocat en France, « puisque la formation antérieure est considérée comme correspondant au niveau de la nouvelle formation requis dans l’Etat membre considéré ».
Monsieur ….. considère ensuite que la violation de la loi du 10 août 1991 constituerait ipso facto une violation de l’article 11 de la Constitution garantissant la liberté de l’exercice de la profession libérale.
Le demandeur conclut finalement à une violation de l’article 13 de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, ci-après désignée par « la directive 2005/36/CE », dans la mesure où cette disposition obligerait l’Etat à reconnaître les qualifications professionnelles d’un ressortissant d’un autre Etat membre de l’Union européenne et à lui accorder, sous condition qu’il dispose du titre de formation prescrit par cet autre Etat membre, une équivalence professionnelle lui permettant d’exercer la profession réglementée sur son territoire. Etant donné que la loi transposant cette directive, à savoir la loi du 10 août 1991, serait « mal appliquée », le demandeur pourrait directement se prévaloir des dispositions de la directive dont il remplirait, par ailleurs, les conditions de reconnaissance de qualification professionnelle.
4 Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours. Il fait valoir à titre principal que Monsieur ….. n’aurait à aucun moment rempli les conditions afin de bénéficier de la dispense du CAPA et du stage introduite par la loi du 31 décembre 1990, dans la mesure où il serait resté soumis aux dispositions du décret n° 72-670 du 13 juillet 1972 relatif à l’usage du titre de conseil juridique prévoyant à l’époque les conditions d’accès à la profession de conseil juridique, dont celle de l’exercice pendant trois ans au moins d’une activité professionnelle, condition que le demandeur ne remplirait pas. Il donne par ailleurs à considérer que les démarches accomplies en vue d’une inscription au barreau de Paris en 1994 se seraient soldées par une décision d’ajournement, de sorte qu’il n’aurait disposé à aucun moment d’un titre de formation lui donnant accès à un barreau en France.
A titre subsidiaire, le délégué du gouvernement fait valoir que dans la mesure où le demandeur n’aurait pas introduit de recours à l’encontre de la décision de refus d’inscription au barreau de Paris, il ne saurait actuellement plus se prévaloir de cette demande d’inscription afin de bénéficier de la dispense de CAPA et de stage.
Aux termes de l’article 1er de la loi du 10 août 1991 « Sans préjudice des autres conditions requises pour être inscrit au tableau des avocats, un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne qui est détenteur d’un titre de formation dont il résulte qu’il remplit les conditions pour exercer la profession d’avocat dans un Etat membre est admis à exercer au Luxembourg la profession d’avocat à la Cour (…) ».
L’article 2 de la même loi est rédigé comme suit : « On entend par titre de formation au sens de la présente loi tout diplôme, certificat ou autre titre ou tout ensemble de tels diplômes, certificats ou autres titres :
qui a été délivré par une autorité compétente dans un Etat membre de la Communauté Européenne, désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet Etat, dont il résulte que, conformément au paragraphe d) de l’article 11 de la Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, le titulaire a suivi avec succès un cycle d’études postsecondaires d’une durée minimale de trois ans, ou d’une durée équivalente à temps partiel, dans une université ou un établissement d’enseignement supérieur ou dans un autre établissement du même niveau de formation et, le cas échéant, qu’il a suivi avec succès la formation professionnelle requise en plus du cycle d’études postsecondaires, et dont il résulte que le titulaire possède les qualifications professionnelles requises pour accéder à la profession d’avocat dans cet Etat membre ou l’exercer, dès lors que la formation sanctionnée par ce diplôme ou autre titre a été acquise dans une mesure prépondérante dans la Communauté, ou dès lors que son titulaire a une expérience professionnelle de trois ans certifiée par l’Etat membre qui a reconnu un diplôme, certificat ou autre titre délivré dans un pays tiers (…).
En particulier, lorsque l’Etat membre a relevé le niveau de formation requis pour l’accès à la profession d’avocat ou son exercice, et que le titulaire du titre de formation qui a suivi la 5formation antérieure, qui ne répond pas aux exigences de la nouvelle qualification, bénéficie en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, de droits acquis lui permettant d’accéder à la profession d’avocat dans cet Etat membre ou de l’y exercer, la formation antérieure est considérée comme correspondant au niveau de la nouvelle formation requise dans l’Etat membre considéré ».
Il suit des dispositions précitées que l’une des conditions pour la reconnaissance des qualifications professionnelles est celle d’être détenteur d’un titre de formation dont il résulte que le demandeur remplit les conditions pour exercer la profession d’avocat dans un Etat membre de l’Union européenne, de sorte qu’il y a lieu de vérifier si Monsieur ….. remplit les conditions pour exercer la profession d’avocat en France.
Il est constant en cause que la loi française du 31 décembre 1990 modifiant la loi n° 71-
1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ci-
après désignée par « la loi française du 31 décembre 1971 », unifiant les professions d’avocat et de conseil juridique, a introduit plusieurs conditions d’accès à la profession d’avocat dont celle d’être titulaire du CAPA1 et celle d’effectuer un stage2. Cette même loi a prévu dans son article 24 modifiant l’article 50 de la loi française du 31 décembre 1971 que « Les personnes en cours de stage à la date d’entrée en vigueur [à savoir le 1er janvier 19923] poursuivent leur stage selon les modalités en vigueur avant cette date. Elles sont dispensées […] du certificat d’aptitude à la profession d’avocat et du stage. ». Les parties s’accordent également sur le fait que la loi française du 11 février 2004 a modifié la disposition ayant trait à la dispense précitée de façon à ce que plus que : « Les personnes qui à la date d’entrée en vigueur [de la loi du 31 décembre 1990, à savoir le 1er janvier 1992,] auront accompli l’intégralité de la durée du stage nécessaire pour l’inscription sur une liste de conseils juridiques sont dispensées […] du certificat d’aptitude à la profession d’avocat et du stage exigé avant l’entrée en vigueur [de la loi française du 11 février 2004] ».
Force est au tribunal de retenir que l’argumentation du demandeur tourne essentiellement autour de la prémisse que, du fait de la dispense du CAPA et du stage introduite par la loi française du 31 décembre 1990, il bénéficierait encore aujourd’hui d’un droit acquis lui donnant droit à l’accès à un barreau en France, malgré la suppression de la dispense par la loi française du 11 février 2004 par les personnes en cours de stage à la date d’entrée en vigueur de ladite loi du 31 décembre 1990.
Or, le tribunal est amené à constater que s’il est vrai qu’il ressort de l’article 4 de la loi du 19 juin 2009 ayant pour objet la transposition de la directive 2005/36/CE pour ce qui est a) du régime général de reconnaissance des titres de formation et des qualifications professionnelles, b) de la prestation temporaire de service ayant transposé, tout comme la loi du 10 août 1991 la directive 2005/36/CE en droit national, que la reconnaissance des qualifications professionnelles dans son Etat membre d’accueil permet au bénéficiaire d’accéder au Grand-Duché de Luxembourg à la même profession que celle pour laquelle il est qualifié dans l’Etat membre 1 Article 9 de la loi française du 31 décembre 1990 2 Article 10 de la loi française du 31 décembre 1990 3 Article 67 de la loi française du 31 décembre 1990 6d’origine et de l’y exercer dans les mêmes conditions que les nationaux, encore faut-il que le demandeur ait accès à la profession dans son pays d’origine.
Force est cependant au tribunal de relever que Monsieur ….. n’a rempli les conditions d’admission à un barreau en France ni en 1994 ni à la date des décisions déférées. En effet, il ressort de l’attestation de Maître Bernard Cahen du 21 septembre 2016 qu’il a assisté Monsieur ….. « dans le courant des années 1994/1995 » dans la préparation de son dossier en vue de l’inscription à l’ordre des avocats du barreau de Paris qui s’est cependant soldée par une décision d’ajournement. S’il est vrai qu’en 1994 Monsieur ….. aurait, le cas échéant, potentiellement pu bénéficier de la dispense de CAPA et de stage introduite par la loi française du 31 décembre 1990 en terminant son stage selon les modalités applicables avant l’entrée en vigueur de cette loi, encore aurait-il fallu qu’il ait été admis à un barreau en France avant la suppression de la dispense par la loi française du 11 février 2004 pour pouvoir valablement invoquer un droit acquis. En effet, s’il est vrai que le principe de non-rétroactivité d’une loi nouvelle se traduit par l’absence de remise en cause des conditions d’acquisition des droits nés avant l’entrée en vigueur de la loi4, il n’en reste pas moins que le demandeur ne saurait prétendre à un droit acquis5 de pouvoir bénéficier de la dispense que si « le fait acquisitif [à savoir en l’espèce l’inscription à un barreau français] s’est déjà réalisé et a donné naissance au droit litigieux, auquel cas la loi nouvelle [en l’espèce celle qui vient supprimer la dispense] ne saurait le remettre en cause sauf à rétroagir »6. En effet, comme Monsieur ….. n’est pas parvenu à s’inscrire à un barreau en France, aucun droit n’est né dans son chef et seule la loi en vigueur au jour où il naîtra le régira7, c’est-à-
dire qu’afin de pouvoir s’inscrire à un barreau en France il doit se conformer à la législation en vigueur au moment de l’inscription.
Ce constat est conforté par un échange de courriers électroniques du 22 avril, respectivement 3 mai 2016 entre le ministère de la Justice et le Conseil national des barreaux de France figurant au dossier administratif duquel il ressort que Monsieur ….. ne pourrait « plus bénéficier de cette dispense de certificat d’aptitude à la profession d’avocat afin de s’inscrire dans un barreau français ». Ce point a encore été confirmé par une prise de position du directeur du service de l’exercice professionnel du barreau de Paris du 28 février 2017 affirmant que « seules les personnes ayant présenté leur demande d’inscription à un barreau avant l’entrée en vigueur de la loi du 11 février 2004, ont pu se prévaloir des anciennes dispositions abrogées par cette nouvelle loi », de sorte que le tribunal est amené à admettre qu’afin d’accéder à un barreau en France Monsieur ….. devrait a priori remplir la condition d’avoir obtenu le CAPA, respectivement celle d’avoir suivi le stage. S’il est vrai que ce dernier courrier est postérieur aux décisions déférées et que dans la mesure où la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle a été prise, une pièce postérieure à la décision déférée ne saurait, en principe, être prise en considération dans le cadre d’un tel recours, il n’en reste pas moins qu’il en va autrement dans l’hypothèse où cette pièce se rapporte à une situation de fait ayant existé au 4 Jurisclasseur Civil Code, Art 2, Fasc 20, Application de la loi dans le temps, point 10, mis à jour : 29 août 2011.
5 défini comme celui qui existe « dans le patrimoine au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle et dont la validité ne peut être remise en cause » (Jurisclasseur Civil Code, Art 2, Fasc 10, Application de la loi dans le temps, point 6, mis à jour : 29 août 2011).
6 Jurisclasseur Civil Code, Art 2, Fasc 20, Application de la loi dans le temps, point 8, mis à jour : 29 août 2011.
7 Ibidem.
7jour de la prise de la décision en question, puisqu’elle peut affecter la légalité de la décision litigieuse, qui a alors, le cas échéant, été prise sur base d’une situation de fait erronée.8 Il s’ensuit que le tribunal tiendra compte de cette prise de position établie en date du 28 février 2017, bien qu’elle soit postérieure aux décisions déférées, étant donné qu’elle se rapporte à une situation de fait ayant existé au jour de la décision déférée, telle que documentée d’ores-et-déjà par l’échange de courriers électroniques entre le ministère de la Justice et le Conseil national de barreaux de France.
Il suit de ce qui précède qu’aucune erreur manifeste d’appréciation ne saurait être reprochée au ministre en ce qu’il a décidé que Monsieur ….. ne pourrait plus bénéficier de la disposition transitoire supprimée par la loi française du 11 février 2004.
Force est encore au tribunal de constater que l’argumentation du demandeur ayant trait à une violation de la loi et notamment de l’article 2 in fine de la loi du 10 août 1991 repose également sur la prémisse qu’il pourrait se prévaloir d’un droit acquis du fait de la disposition transitoire introduite par la loi française du 31 décembre 1990. Or, cette disposition, précitée, suppose cependant que celui qui s’en prévaut ait pu accéder à la profession d’avocat en vertu des dispositions antérieures avant que l’Etat membre ait relevé le niveau de formation, respectivement qu’il bénéficie de droits acquis lui permettant d’accéder à la profession d’avocat après l’augmentation du niveau de formation, ce qui n’est pas le cas dans le chef de Monsieur ….., tel qu’il découle des développements ci-avant, de sorte qu’il ne saurait se prévaloir ni de l’alinéa 1er, ni de l’alinéa 8 de l’article 2 de la loi du 10 août 1991.
Il s’ensuit que l’argumentation sous analyse est à rejeter.
La même conclusion s’impose au regard de la prétendue violation de l’article 11 de la Constitution du Grand-Duché de Luxembourg, respectivement de l’article 13, paragraphe 1er de la directive 2006/36/CE selon lequel « Lorsque, dans un Etat membre d’accueil, l’accès à une profession réglementée ou son exercice est subordonné à la possession de qualifications professionnelles déterminées, l’autorité compétente de cet Etat membre accorde l’accès à cette profession et son exercice dans les mêmes conditions que pour les nationaux aux demandeurs qui possèdent l’attestation de compétences ou le titre de formation qui est prescrit par un autre Etat membre pour accéder à cette même profession sur son territoire ou l’y exercer. », Monsieur ….. ne remplissant pas les conditions d’accès à la profession d’avocat dans son pays d’origine à défaut de titre de formation au sens de la loi, de sorte qu’aucune entrave à la liberté de l’exercice de la profession libérale, ni par ailleurs une mauvaise application des lois transposant la directive 2006/36/CE ne sauraient être reprochées au ministre, qui en matière d’accès à la profession d’avocat, est tenu de vérifier si le demandeur remplit les conditions inscrites aux dispositions normatives nationales et européennes pertinentes.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.
8 trib. adm. 8 juin 2015, n° 35102 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Recours en annulation, n° 25 8Compte tenu de l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de …..euros formulée par le demandeur sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour statuer sur le recours principal en réformation ;
reçoit en la forme le recours subsidiaire en annulation ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
déclare non fondée la demande en obtention d’une indemnité de procédure d’un montant de …..euros formulée par le demandeur ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 11 janvier 2018 par le vice-président, en présence du greffier assuméVanessa Soares.
s. Vanessa Soares s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 janvier 2018 Le greffier assumé du tribunal administratif 9