Tribunal administratif N° 37143 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 novembre 2015 1re chambre Audience publique du 3 janvier 2018 Recours formé par la commune de …, …, contre une décision du ministre de l’Environnement en matière de protection de la nature
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37143 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 novembre 2015 par Maître Georges Pierret, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la commune de …, établie à L-…, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Environnement du 10 août 2015 portant refus de lui accorder l’autorisation sollicitée pour « la réparation d’un chemin rural au lieu-dit « … » sur le territoire de la commune de … » ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 février 2016 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Georges Pierret déposé au greffe du tribunal administratif le 4 mars 2016 pour compte de la commune de …, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er avril 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle déférée Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pierre Medinger, en remplacement de Maître Georges Pierret, et Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 novembre 2016 ;
Vu le résultat de la visite des lieux au lieu-dit « … » sur le territoire de la commune de … à laquelle il a été procédé en présence des parties, qui ont été entendues en leurs observations respectives, le mardi, 17 janvier 2017 à 10.30 heures ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Pierre Medinger, en remplacement de Maître Georges Pierrret, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 novembre 2017.
1Par courrier du 14 avril 2015, l’administration des Services techniques de l’agriculture (« ASTA ») adressa au ministère du Développement durable et des Infrastructures, département de l’Environnement, au nom et pour compte de la commune de …, ci-après désignée par « la commune », une demande tendant à se voir accorder, dans le cadre de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après désignée par « la loi du 19 janvier 2004 », l’autorisation pour la « réparation d’un chemin rural glissé sur une longueur de 125 m2 au lieu-dit «… » à … ».
Par décision du 10 août 2015, le ministre de l’Environnement, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :
« […] En réponse à votre requête du 14 avril 2015 par laquelle vous sollicitez pour le compte de l’Administration communale de … l’autorisation pour la réparation d’un chemin rural au lieu-dit « … » sur le territoire de la commune de …, j’ai le regret de vous informer qu’en vertu de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, je ne saurais réserver une suite favorable au dossier.
En effet, le site sur lequel les travaux sont planifiés se trouve dans la zone protégée « … ».
Le projet soumis prévoit d’importants travaux de terrassement en cette zone protégée.
De plus, la demande d’autorisation ne tient pas compte d’une installation de chantier ni d’une aire de stockage nécessaire aux travaux prévus. Vu l’absence d’une place de dépôt à proximité du site ainsi que l’exiguïté du chemin d’accès, la réalisation du chantier s’avérerait probablement très difficile et risquerait d’entraver la nature du site.
Le règlement grand-ducal du 20 avril 1993 déclarant zone protégée la réserve forestière du « … » englobant des fonds sis sur le territoire de la commune de … prévoit en son article 3 que dans la zone protégée sont interdits entre autre :
- l’enlèvement de plantes appartenant à la flore indigène ;
- la destruction de haies, de bosquets, d’arbres solitaires ou d’autres habitats naturels ;
- les travaux de terrassement, notamment le dépôt et l’extraction de matériaux ;
- l’aménagement et l’exploitation de dépotoirs de déchets ou dépôts de matériaux ;
- la circulation motorisée à l’exception de celle requise pour l’exploitation agricole ou forestière ;
- la construction ;
- le changement d’affectation des sols.
Les travaux projetés sont donc contraires à l’article 3 du règlement grand-ducal du 20 avril 1993 précité.
Le site est également classé en zone NATURA 2000 (Région Moselle supérieure …).
Il se trouve dans une zone à risque permanent de glissement dû à l’exploitation de gypse durant la moitié du siècle dernier. Les anciennes galeries et tunnels ont provoqué des affaissements et fragilisé la falaise. Ainsi des biotopes spécifiques sont créés qui hébergent de nombreuses plantes et animaux rares (chauves-souris).
2 A noter la présence de plusieurs spécimens de la fougère scolopendre (langue de cerf) sur le site même du chantier ainsi que la fréquentation du hibou grand-duc dans la réserve naturelle.
Partant, les travaux projetés ne sont contraires non seulement à l’article 3 du règlement grand-ducal du 20 avril 1993 précité mais également à l’article 17 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 ainsi qu’aux objectifs de l’article 1er et à l’article 56 de la loi précitée. […] Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 novembre 2015, la commune a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 10 août 2015 refusant de délivrer l’autorisation sollicitée.
Conformément aux dispositions de l’article 58 de la loi du 19 janvier 2004, un recours au fond est prévu à l’encontre des décisions du ministre ayant l’environnement en ses attributions, statuant en vertu de ladite loi, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai et de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, la commune explique qu’elle aurait fait soumettre au ministre un projet visant à réparer sur une surface de 125m2, une longueur de 34 mètres et une largeur de 3,40 à 3,80 mètres, un chemin rural au lieu-dit « … » à …, endommagé suite à un glissement de terrain. Le coût total des travaux envisagés s’élèverait, suivant devis, à un montant TTC de … euros. Elle précise que ledit projet aurait reçu l’aval technique de l’ASTA dès le 5 mai 2015 et qu’une note explicative du projet aurait été jointe par l’ASTA à la demande présentée le 14 avril 2015 au ministre.
La commune précise, à cet égard, qu’il se dégagerait de la note en question que le chemin rural se trouverait dans une zone à risque permanent de glissement dont le dernier en date aurait eu lieu en 2013. Comme le chemin aurait de nouveau glissé après une réparation provisoire en automne 2014, la commune aurait été d’avis qu’une solution plus durable qu’un seul reprofilage en béton asphaltique s’imposerait, une telle solution devant consister plus particulièrement à rétablir le chemin à l’emprise actuelle par un remblaiement en couches alternatives.
La commune explique finalement qu’en raison de l’état du chemin, les viticulteurs de la commune de … devraient actuellement faire un détour important pour accéder à leurs parcelles.
En droit, la commune fait tout d’abord valoir qu’il se dégagerait d’une lecture combinée des articles 1er, alinéa 3, et 6 de la loi du 19 janvier 2004, ainsi que de l’article 38 de ladite loi, que celle-ci aurait organisé un système d’autorisation et non pas d’interdiction ipso jure de toute construction en zone verte. En effet, dans la mesure où tout projet se matérialisant par des actes d’exécution matériels aurait un impact sur le terrain sur lequel il est réalisé, les dispositions de la loi du 19 janvier 2004 ne devraient pas être interprétées comme interdisant automatiquement tout projet de nature à affecter à court terme l’environnement existant, sous peine de paralyser toute activité humaine. Les dispositions de la loi du 19 janvier 2004 seraient donc à appliquer au cas par cas en fonction des 3caractéristiques propres du projet, ainsi que des mesures envisagées pour, en définitive, préserver les objectifs légaux poursuivis.
La commune explique qu’en l’espèce, le projet litigieux viserait à procéder à la réfection d’un chemin rural ayant existé au jour du classement du site concerné en zone protégée par le règlement grand-ducal du 20 avril 1993 déclarant zone protégée la réserve forestière du « … » englobant des fonds sis sur le territoire de la commune de …, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 20 avril 1993 », ainsi qu’en zone Natura 2000 par le règlement grand-ducal du 6 novembre 2009 portant désignation des zones spéciales de conservation (ZSC), ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 6 novembre 2009 ».
Elle estime, dans ce contexte, que si l’article 3 du règlement grand-ducal du 20 avril 1993, d’un côté, interdisait les travaux de terrassement et notamment le dépôt et l’extraction de matériaux, il autoriserait, de l’autre côté, expressément la circulation motorisée requise pour l’exploitation agricole et forestière, de sorte qu’il devrait être admis que la réfection des voies d’accès utilisées pour l’exploitation agricole ou forestière devrait pouvoir être autorisée.
La commune fait, par ailleurs, valoir que la notice explicative jointe à sa demande d’autorisation mentionnerait expressément les difficultés rencontrées par les exploitants viticoles pour accéder à leurs parcelles depuis qu’il leur était impossible d’emprunter le chemin à réparer. Il se dégagerait encore de cette notice que, mis à part un apport limité de concassé, les travaux de terrassement envisagés seraient de faible ampleur et que les matériaux déblayés seraient en fait réutilisés pour le remblaiement et le réaménagement du talus, de sorte qu’il ne saurait être question d’extraction de matériaux à proprement parler.
A cela s’ajouterait que le site ne serait pas vidé de sa substance biologique qui serait, en effet, réutilisée, de sorte que seul son éventuel excédent serait évacué, les déblais excédentaires à évacuer étant évalués, suivant devis, à quelques 20 m3, ce qui serait, selon l’avis de la commune, insignifiant.
La commune expose ensuite que le but premier des voies de communication et de leurs abords serait celui de garantir la circulation sécurisée des personnes et des marchandises. A cette fin, les règles techniques relatives à la sécurité routière et au bon fonctionnement des infrastructures devraient être respectées en tout temps et celles-ci ne pourraient jamais être remises en cause. Plus particulièrement, lorsqu’il y aurait un conflit entre un tel impératif technique de sécurité publique et une contrainte écologique, ce serait toujours le premier qui devrait prévaloir.
En effet, sa responsabilité, en tant que garante de la sécurité des usagers de son réseau routier, serait inscrite à l’article 1er de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité de l’Etat et des collectivités publiques, ainsi qu’aux articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil.
Ces exigences légales devraient en tout état de cause primer sur les restrictions réglementaires s’imposant à la zone protégée actuellement litigieuse.
Sur base des considérations qui précèdent et dans la mesure où la sécurité publique et la hiérarchie des normes autoriseraient le projet de réparation du chemin rural en cause, la commune est d’avis que le refus d’autorisation du ministre ne pourrait être légitimement fondé sur la seule interdiction de terrassement contenue dans le règlement grand-ducal invoqué par le ministre.
4En ce qui concerne ensuite le motif de refus fondé sur la contrariété des travaux planifiés par rapport à l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004, ainsi qu’aux objectifs de cette loi, la commune met en avant qu’à partir du moment où l’intervention envisagée ne serait pas de nature à porter une atteinte significative à la conservation du sol, du sous-sol, de la flore ou du milieu naturel en général, elle ne violerait pas l’article 1er de la loi du 19 janvier 2004.
En l’espèce, la commune est d’avis que la faible importance de l’action de réparation de voirie projetée, en ce qu’elle couvrirait une surface totale de 125 m2, sans agrandir ni dénaturer le chemin rural actuel, ne pourrait légitimement être considérée comme étant de nature à avoir un impact significatif sur le milieu naturel du site concerné, ce d’autant plus que l’ouvrage envisagé ne serait que temporaire.
A cela s’ajouterait que du fait même que le ministre n’ait pas sollicité de la part de la commune qu’elle joigne une étude d’incidence à sa demande, il devrait être considéré comme ayant accepté l’absence d’impacts significatifs du projet sur la zone concernée.
En ce qui concerne plus particulièrement le motif de refus fondé sur l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004 qui interdit de réduire, de détruire ou de changer les biotopes, ainsi que la détérioration des habitats de l’annexe 1 et des habitats des espèces des annexes 2 et 3 de ladite loi, la commune donne à considérer que le critère de protection des biotopes ne reposerait sur aucune définition précise ou concrète des attentes environnementales qu’il y aurait lieu de satisfaire.
Il faudrait en tout état de cause admettre que le projet litigieux ne serait pas de nature à affecter significativement la zone dans laquelle il s’insère.
Finalement, la commune insiste sur le fait que le ministre resterait en défaut de justifier et de documenter l’existence sur le site concerné par les travaux d’un des types d’habitats de l’annexe 1 de la loi du 19 janvier 2004. Faute d’habitat adéquat, il y aurait lieu d’admettre qu’a fortiori, les espèces de l’annexe 2 de la loi du 19 janvier 2004 susceptibles d’être abritées par l’un des habitats visés, seraient également absentes.
Par ailleurs, si l’annexe 2 faisait certes référence à quatre types de chauve-souris, il n’en resterait pas moins que celles-ci n’utiliseraient la route que comme couloir de vol, de sorte à exclure que leur habitat soit impacté par le projet de réparation du chemin litigieux.
Ensuite, la seule espèce de chauve-souris visée par le plan national pour la protection de la nature serait le … dont la seule colonie de reproduction se trouverait sur le territoire de la commune de …, donc loin du site litigieux.
Pour ce qui est du Hibou Grand-Duc, celui-ci affectionnerait plus particulièrement les falaises près des plans d’eau comme habitat et sa période de reproduction se situerait en mars-avril. Il s’ensuivrait que le site concerné par les travaux ne serait pas à privilégier comme susceptible d’abriter, même à proximité, le nid d’un Hibou Grand-Duc que lesdits travaux pourraient déranger, ce d’autant plus que les travaux pourraient de toute façon être réalisés en dehors de la période de niche.
Finalement, la commune insiste sur le fait que pour ce qui est de l’installation du chantier et d’une aire de stockage de matériel nécessaires aux travaux projetés, l’article 9 de la loi du 19 janvier 2004 prévoirait que le stationnement de roulottes, de caravanes et de 5mobilhomes est permis sur les chantiers à caractère temporaire, pour la durée des travaux. A cela s’ajouterait qu’il serait évident que la chaussée pourrait être utilisée en amont pour l’entreposage du matériel puisqu’elle serait fermée à la circulation pendant les travaux. Il résulterait, par ailleurs, du cahier des charges que toutes les mesures de précaution seraient prises pour sauvegarder les lieux.
La commune en conclut qu’il ne ferait aucun doute que l’article 12 de loi du 19 janvier 2004 prévoirait que même lorsque la zone concernée abrite un type d’habitat à protéger, respectivement une espèce prioritaire, des raisons de sécurité publique pourraient à elles seules justifier l'autorisation de réaliser le projet.
Dans son mémoire en réponse, la partie étatique met tout d’abord en avant que le présent litige porterait non pas sur un réseau routier, mais sur un petit chemin rural faisant la jonction des vignobles de … de part et d’autre de la frontière française et étant utilisé par des vignerons luxembourgeois qui exploitent leurs vignobles en France pour court-circuiter le réseau routier existant.
A l’endroit prévu pour la réparation, respectivement pour la reconstruction du chemin existant, celui-ci passerait à travers une forêt classée réserve naturelle. Il résulterait plus particulièrement des cartes topographiques versées en cause que ledit chemin aurait été réalisé après 1989 et qu’il ne s’agirait pas du seul accès aux vignobles situés en France.
La partie étatique explique ensuite que là où le chemin s’est affaissé se serait anciennement situé un pont qui n’aurait jamais été carrossable mais qui aurait complété un petit chemin piétonnier en terre battue.
Elle ajoute que si le litismandataire de la commune invoquait dans le cadre de la procédure contentieuse des raisons tenant à la sécurité publique pour justifier la demande d’autorisation litigieuse, celle-ci, respectivement la note explicative l’ayant accompagnée, n’aurait jamais mentionné de telles raisons, en ce qu’elle aurait seulement indiqué que les viticulteurs de … seraient actuellement obligés de faire un grand détour pour accéder à leurs parcelles en France. Les parcelles ne seraient dès lors pas inaccessibles, mais pourraient bien être rejointes par le biais du réseau routier. Il s’ensuivrait que les travaux projetés ne pourraient être considérés comme étant requis pour des impératifs de sécurité ou d’inaccessibilité, mais qu’ils seraient requis pour des raisons de commodité des vignerons.
Quant au fond, la partie étatique explique que l’endroit devant accueillir les travaux litigieux serait situé dans la réserve forestière « … » qui a été déclarée zone protégée d’intérêt national par règlement grand-ducal du 20 avril 1993 et qui, en tant que telle, englobe des fonds sis sur le territoire de la commune de … conformément aux articles 27 à 30 de la loi du 11 août 1982 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.
La partie étatique met ensuite en avant que le projet en cause serait contraire à plusieurs des interdictions prescrites à l’article 3 du règlement grand-ducal du 20 avril 1993 en relation avec la zone protégée en cause.
Ainsi, contrairement à ce que soutient la commune, les travaux projetés dépasseraient les simples travaux d’entretien, de réparation ou de rénovation, de sorte à devoir être qualifiés de nouvelle construction interdite dans la zone protégée. Il se dégagerait, en effet, des plans et de la note explicative de l’ASTA que lesdits travaux dépasseraient le simple reprofilage 6asphaltique et qu’il aurait été décidé de rétablir l’emprise actuelle du chemin par un remblaiement en couches alternatives. Il résulterait également du devis versé en cause qu’en tout 180 tonnes de nouveau matériel devraient être déployés sur une longueur de 34 mètres, donc environ 5 tonnes de nouveau matériel par mètre.
Ensuite, alors même que l’article 3 du règlement grand-ducal du 20 avril 1993 interdirait les travaux de terrassement et notamment le dépôt et l’extraction de matériaux, il résulterait de la demande d’autorisation que des travaux de terrassement seraient prévus. A cela s’ajouterait que pour respecter les dispositions du règlement grand-ducal du 20 avril 1993, il faudrait que le matériel soit entreposé sur le chemin même et sur une partie du chemin se situant en dehors de la réserve naturelle. Or, la partie étatique est d’avis qu’au vu de l’exiguïté du chemin, il semblerait difficile, voire impossible de réaliser le chantier sans déposer du matériel à côté de ce chemin.
A cela s’ajouterait qu’au vu des travaux prévus sur les accotements, une destruction au moins partielle de la fougère scolopendre, une espèce non seulement indigène, mais protégée, dont serait bordé le chemin serait inévitable. Or, l’article 3 du règlement grand-
ducal du 20 avril 1993 interdirait l’enlèvement de plantes appartenant à la flore indigène.
Finalement, la partie étatique met en avant qu’outre la circulation par des engins de chantier, interdite par le règlement grand-ducal du 20 avril 1993, l’emploi du chemin par des vignerons luxembourgeois pour accéder à leurs vignobles en France serait également interdit par ce même règlement qui ne mentionnerait pas les exploitations viticoles.
La partie étatique en conclut que les travaux projetés seraient contraires à l’article 3 du règlement grand-ducal du 20 avril 1993 et que ce serait partant à bon droit que le ministre aurait refusé l’autorisation litigieuse.
A titre subsidiaire et pour le cas où le tribunal devait estimer que les travaux projetés étaient autorisables, la partie étatique donne à considérer que ces travaux seraient projetés dans un habitat de l’annexe 1 de la loi du 19 janvier 2004 et qu’ils auraient un impact sur le système racinaire des arbres de l’habitat qui sont limitrophes au chemin, de sorte à être contraires à l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004.
Dans son mémoire en réplique, la commune conteste tout d’abord que le chemin litigieux n’aurait été réalisé qu’après l’année 1989 et qu’à l’endroit de son affaissement se serait anciennement situé un pont non carrossable alors qu’il résulterait des pièces qu’elle verse aux débats que ledit chemin aurait déjà été tracé sur la carte topographique des lieux en 1966, et qu’il aurait fait l’objet de diverses réparations, d’empierrements et de bitumage durant les années 1953 à 1964. Par ailleurs, il n’existerait aucun pont ayant fait la transition avec un chemin piétonnier au lieu concerné par le glissement de chaussée.
Il s’ensuivrait que le chemin, asphalté, existerait comme tel au moins depuis les années 1955-1960 et que, par conséquent, les textes prohibant des nouvelles constructions dans cette zone protégée ne seraient pas d’application.
La commune fait ensuite valoir que l’affirmation étatique suivant laquelle le chemin litigieux traverserait la forêt …, classée réserve naturelle, serait pour le moins audacieuse puisqu’il ressortirait des photographies versées en cause que ledit chemin longerait une route principale ainsi que le chemin de fer, tous deux situés en contrebas. Le chemin se trouverait 7dès lors en lisière de forêt à proximité de nuisances bien plus importantes que le seul passage de quelques tracteurs de vignerons.
Enfin, la commune conteste l’affirmation étatique suivant laquelle le projet de réparation du chemin affaissé ne serait pas requis pour des raisons de sécurité publique. Elle met à cet égard en avant, d’une part, que ce chemin communal, carrossable et asphalté depuis plus d’un demi-siècle, serait utilisé par les exploitants des forêts et vignobles qui devraient donc pouvoir exercer leur activité en toute sécurité. Elle ajoute que le seul classement de la forêt … en réserve naturelle n’aurait pas interdit l’utilisation de ce chemin puisque la circulation motorisée y aurait été expressément accordée pour les exploitations agricoles et forestières. Par ailleurs, elle met en avant que l’interdiction faite aux vignerons d’accéder à ce chemin, emporterait pour ceux-ci l’obligation de faire un détour de quelques 6 kilomètres avec leurs tracteurs et machines, par le biais d’une voie principale de type chemin repris. Or, la dangerosité pour la circulation routière de convois agricoles ou viticoles circulant à très faible allure sur des routes principales, serait susceptible d’être écartée par l’emprunt du chemin litigieux.
En droit, la commune insiste sur le fait qu’au vu de l’existence de longue date du chemin litigieux, les travaux y projetés ne sauraient être analysés comme emportant une nouvelle construction interdite par le règlement grand-ducal du 20 avril 1993. Elle estime que la seule nouveauté résiderait dans la volonté de réaliser une réparation plus durable et emportant de ce fait la réalisation d’un terrassement pour stabiliser tant le talus que le chemin.
Ensuite, en ce qui concerne les travaux de terrassements prohibés invoqués par la partie étatique, la commune met en avant qu’il résulterait des articles 27 et 31 de la loi du 11 août 1982 en exécution desquels a été pris le règlement grand-ducal du 20 avril 1993 que le législateur n’aurait pas entendu interdire toute activité dans les zones protégées mais qu’il aurait voulu limiter celles-ci afin d’atteindre les objectifs de protection et de conservation de la nature.
Elle ajoute que l’article 7 de la loi du 19 janvier 2004 qui est venue abroger la loi du 11 août 1982 prévoirait que « dans la zone verte, sont soumis à autorisation du Ministre l’ouverture de minières, sablières, carrières ou gravières ainsi que l’enlèvement de terre végétale sur une superficie dépassant un are, et le dépôt de déblais d’un volume dépassant 50m3 ». Or, à la consultation du site internet du ministère de l’Environnement apparaîtrait une présentation « power-point » de la loi du 19 janvier 2004 qui donnerait à l’article 7 de ladite loi le titre de « les travaux de terrassements ». Elle en conclut qu’il faudrait en déduire que les travaux de terrassements excédant une superficie d’un are et le dépôt de déblais d’un volume dépassant 50m3 seraient soumis à autorisation du ministre lorsqu’ils sont exécutés en zone verte. En effet, selon la commune, le législateur aurait nécessairement voulu permettre la réalisation de travaux de faible ampleur, même en zone verte, puisque de tels travaux s’avéreraient toujours indispensables à l’exercice d’activités agricoles, sylvicoles et viticoles autorisées en zone verte.
La commune estime en tout état de cause qu’il appartiendrait au tribunal de refuser d’appliquer la disposition du règlement grand-ducal du 20 avril 1993 interdisant tout terrassement, pour admettre qu’en l’espèce, l’intervention projetée est d’une ampleur contenue et conforme aux minima visés à l’article 7 de la loi du 19 janvier 2004 et qu’elle 8constitue une intervention liée à l’exercice des activités agricoles et similaires autorisées en zone verte.
En effet, il s’agirait bien, en l’espèce, de la réparation d’un chemin communal sur une longueur de 34 mètres pour une superficie totale de travaux de 125 m2. La surface des travaux de terrassement, ne concernant que le virage affaissé et le talus en contrebas, serait bien inférieure au maximum d’un are fixé par la loi et le volume des déblais serait inférieur au maximum autorisé de 50 m3.
En ce qui concerne ensuite l’interdiction d’enlever des plantes appartenant à la flore indigène, la commune fait valoir qu’outre le fait qu’une visite des lieux permettrait de constater qu’au lieu de l’ouvrage projeté, le spécimen de la fougère scolopendre ne serait pas présent, l’objectif de conservation de ce spécimen ne serait pas entravé par la seule réparation du chemin sur une longueur de 34 mètres.
Finalement, pour ce qui est de l’interdiction de la circulation motorisée dans la zone litigieuse, la commune conteste l’interprétation restrictive de la partie étatique suivant laquelle la circulation motorisée serait uniquement autorisée en relation avec les exploitations agricoles ou forestières en faisant valoir que l’exploitation viticole constituerait nécessairement une activité agricole ou à tout le moins une activité parente pour l’exercice de laquelle la circulation motorisée devrait également être autorisée.
Dans son mémoire en duplique, la partie étatique explique que les limites de la zone protégée d’intérêt national … seraient clairement définies par le règlement grand-ducal du 20 avril 1993, dont l’article 2 énumérerait expressément les fonds sur lesquels la zone est instaurée. La parcelle portant le numéro … sur laquelle les travaux sont projetés figurerait parmi celles énumérées à cet article. A cela s’ajouterait que la carte topographique annexée au règlement grand-ducal du 20 avril 1993 montrerait que le chemin sur lequel sont planifiés lesdits travaux se trouve dans la zone protégée en question.
Ensuite, la partie étatique insiste sur le fait que tant l’article 31 de la loi du 11 août 1982, que l’article 44 de la loi du 19 janvier 2004 démontreraient clairement l’intention du législateur de vouloir interdire ou réduire certaines activités dans les zones protégées. Elle ajoute que l’article 7, qui aurait trait de façon générale à la zone verte, ne saurait mettre en échec les servitudes imposées dans les zones protégées d’intérêt national dans un but de préservation desdites zones.
Or, il se dégagerait des pièces versées par la commune que le chemin se serait déjà effondré dans les années 1950/1960 et que la configuration des lieux se prêterait mal à la réalisation d’un tel chemin.
Ensuite, il résulterait des mêmes pièces que les travaux projetés dépasseraient les simples travaux d’entretien ou de réparation et qu’ils ne sauraient en conséquence être qualifiés de travaux de faible ampleur, mais qu’il s’agirait d’une reconstruction d’un chemin abîmé.
Comme les interdictions prévues dans le règlement grand-ducal du 20 avril 1993 concernant les constructions et les travaux de terrassements seraient de nature restrictive, le ministre ne pourrait pas y déroger d’un point de vue légal.
9Il est constant en cause qu’en date du 14 avril 2015, la commune a fait adresser au ministre une demande visant à se faire autoriser à procéder à la réparation d’un chemin rural au lieu-dit … sur le territoire de la commune de ….
En comparant la carte topographique versée à l’appui de la demande litigieuse avec celle annexée au règlement grand-ducal du 20 avril 1993, il s’en dégage que le chemin rural sur lequel sont planifiés les travaux pour lesquels la commune a sollicité une autorisation ministérielle traverse la réserve forestière du … qui a été classée en tant que zone protégée par ledit règlement grand-ducal. Cet état de fait, s’il semble être remis en cause pour la première fois par la commune dans son mémoire en réplique, n’a d’ailleurs été contesté ni dans le cadre de la requête introductive d’instance, ni lors de la visite des lieux qui a eu lieu le 17 janvier 2017, de sorte à devoir être considéré comme étant constant en cause.
Il y a ensuite lieu de relever que la décision ministérielle litigieuse par le biais de laquelle le ministre a refusé l’autorisation sollicitée par la commune pour procéder à des travaux sur le chemin rural litigieux est motivée principalement par la contrariété des travaux projetés par rapport à l’article 3 du règlement grand-ducal, précité, du 20 avril 1993 qui énumère les activités interdites dans la zone protégée du ….
Avant tout autre progrès en cause, le tribunal relève, à cet égard, qu’il se dégage du libellé même du règlement grand-ducal en question du 20 avril 1993 que celui-ci tire sa base légale de la loi du 11 août 1982 et plus particulièrement des articles 27 à 32 de celle-ci. Or, d’après l’article 70 de la loi précitée du 19 janvier 2004, ladite loi du 11 août 1982 a été abrogée, sans aucune réserve ou restriction.
Il n’en demeure pas moins qu’un règlement légalement pris survit à la loi dont il procède en cas d’abrogation de celle-ci, dès lors qu’il trouve un support suffisant dans la législation postérieure qui témoigne de la volonté persistante du législateur à régir selon des options similaires la matière dans le cadre de laquelle est intervenu le règlement en question et que le règlement n’est pas inconciliable avec des dispositions de la nouvelle loi.
En l’espèce, il se dégage à la fois du texte de la loi précitée du 19 janvier 2004 et de ses travaux préparatoires que la nouvelle loi tend à renforcer la protection de la nature et des ressources naturelles par rapport à la loi abrogée du 11 août 1982. Dans ce contexte, un règlement grand-ducal comme celui du 20 avril 1993, qui a déclaré zone protégée la réserve forestière du …, trouve dès lors une base légale suffisante dans la nouvelle loi1.
Au vu des considérations qui précèdent et dans la mesure où, tel que relevé ci-avant, en l’espèce, il est constant en cause que le site sur lequel sont envisagés les travaux litigieux est situé dans une zone protégée par le règlement grand-ducal du 20 avril 1993, ledit règlement grand-ducal précité du 20 avril 1993 doit trouver application en l’espèce.
Par ailleurs, si le chemin litigieux se trouve également dans une zone verte, il n’en demeure pas moins que les servitudes imposées dans une zone protégée au sens de la loi, à savoir une zone qui est une aire clairement délimitée comprenant un objectif de protection d’élément naturels distinctement cadrés2, ne sauraient être mises en échec par les dispositions 1 Trib. adm. 7 juillet 2015, n°34723 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Lois et règlements, n°92 et les autres références y citées.
2 Voir : article 3, alinéa 1, point a) de la loi du 19 janvier 2004 et Trib. adm. 2 octobre 2013, n° 30741 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Environnement, n° 95 et les autres références y citées.
10générales concernant la protection de la nature et notamment celles régissant les zones vertes, telles que définies au niveau des différentes communes à travers l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004, qui ne sont précisément pas, sur toute leur étendue, des zones protégées au sens de la loi.
Aux termes de l’article 3 du règlement grand-ducal du 20 avril 1993 : « Dans la zone protégée sont interdits :
- la capture ou la mise à mort d’animaux sauvages non classés comme gibier, notamment des oiseaux ;
- l’enlèvement de plantes appartenant à la flore indigène ;
- la destruction de haies, de bosquets, d’arbres solitaires ou d’autres habitats naturels ;
- les travaux de terrassement, notamment le dépôt et l’extraction de matériaux ;
- l’aménagement et l’exploitation de dépotoirs de déchets ou dépôts de matériaux ;
- la circulation motorisée à l’exception de celle requise pour l’exploitation agricole ou forestière ;
- la circulation à cheval ;
- la circulation à pied en dehors des sentiers balisés ;
- la construction ;
- le changement d’affectation des sols ;
- toutes formes d’exploitation forestière intensive telle que la monoculture de résineux ou la coupe rase de peuplements forestiers. ».
L’article 4 dudit règlement grand-ducal précise que « Les dispositions énumérées à l’article 3 ne s’appliquent pas aux mesures prises dans l’intérêt de la conservation et de la gestion de la réserve naturelle proprement dite notamment l’exploitation dirigée de végétaux destinée à assurer la pérennité des biocénoses existantes. Ces mesures sont toutefois soumises à l’autorisation du ministre ayant dans ses attributions la protection de la nature et des ressources naturelles. » Tel que cela ressort de la décision ministérielle litigieuse ainsi que de la motivation complémentaire fournie en cours de procédure contentieuse, le ministre a refusé les travaux projetés au motif qu’ils seraient contraires à plusieurs des interdictions prescrites à l’article 3 du règlement grand-ducal du 20 avril 1993. Il s’agirait, en effet, contrairement à ce que soutient la commune, non pas de simples travaux de réfection ou d’entretien d’un chemin existant, mais d’une construction, prohibée par l’article 3, précité. A cela s’ajouterait que le projet engloberait des travaux de terrassement qui seraient également interdits en zone protégée. Les travaux projetés entraîneraient, par ailleurs, une destruction au moins partielle de plantes appartenant à la flore indigène. Finalement, comme la circulation motorisée serait uniquement autorisée à des fins d’exploitation agricole ou forestière, l’emploi du chemin par des vignerons pour rejoindre leurs vignobles serait également interdit.
A la lecture des articles 3 et 4 du règlement grand-ducal du 20 avril 1993, il se dégage qu’un certain nombre d’activités, dont « les travaux de terrassement » et « la construction » -
à l’exception des mesures prises dans l’intérêt de la conservation et de la gestion de la réserve naturelle proprement dite -, sont interdites dans ladite zone protégée, le libellé même du texte excluant tout pouvoir d’appréciation du ministre à cet égard.
11En ce qui concerne une éventuelle atteinte à la beauté du paysage ou à l’environnement des activités projetées dans une zone protégée, il convient de relever que l’examen de l’impact environnemental éventuel d’un projet, opéré sur base de l’article 56 de la loi du 19 janvier 2004, notamment par rapport aux critères inscrits à l’article 1er de la même loi, n’intervient qu’après la vérification de la conformité du projet à l’affectation de la zone devant accueillir le projet. En d’autres termes, lorsque l’activité projetée n’est pas conforme à la zone devant l’accueillir, elle doit être refusée, sans que le ministre compétent n’ait à apprécier, au-delà du constat de la non-conformité, l’éventuel l’impact environnemental du projet, le ministre n’ayant dans cette hypothèse, tel que relevé ci-avant, pas d’autre option que de refuser purement et simplement l’autorisation sollicitée.
Dans la mesure où les parties sont en désaccord quant à la qualification à donner aux travaux projetés, il appartient tout d’abord au tribunal, avant d’analyser l’éventuel impact environnemental des travaux projetés, de vérifier si les travaux en cause sont de par leur nature autorisables dans la zone protégée en cause et ce, plus particulièrement au regard de l’article 3 du règlement grand-ducal du 20 avril 1993.
Force est, à cet égard, de constater que l’article 3, précité, doit être lu en combinaison avec l’article 31 de la loi du 11 août 1982, dont il tire sa base légale, et aux termes duquel :
« Le règlement grand-ducal déclarant une partie du territoire zone protégée pourra imposer au propriétaire ou au possesseur immobilier les charges et grever les fonds des servitudes suivantes :
- interdiction ou restriction du droit de chasse et de pêche, interdiction de la capture d’animaux non classés comme gibier et de l’enlèvement de plantes ;
- interdiction ou restriction d’activités telles que fouilles, sondages, terrassements, extractions de matériaux, utilisation des eaux ;
- interdiction du droit de circuler ou restriction de ce droit ;
- interdiction de la divagation d’animaux domestiques ;
- interdiction du droit de construire ou restriction de ce droit, réglementation de l’emploi de pesticides ;
- interdiction du changement d’affectation des sols. […] » Suivant l’exposé des motifs à la base du projet de loi concernant la protection de l’environnement naturel3 et le commentaire des articles4, la volonté des auteurs dudit projet de loi a plus particulièrement été celle de permettre que certaines parties du territoire présentant un intérêt particulier à être protégées en raison de la variété et de la qualité de leur milieu naturel soient déclarées zones protégées et ce, en soumettant dans ces zones les activités de l’Homme pouvant causer des préjudices à l’environnement naturel à des restrictions sévères.
3 Projet de loi concernant la protection de l’environnement naturel, n°2463, exposé des motifs, page 2, commentaires des articles, ad article 29.
4 idem, commentaires des articles, ad article 29.
12Or, tel que relevé ci-avant, l’article 3 du règlement grand-ducal du 20 avril 1993, qui a été pris en exécution de l’article 31 de la loi du 11 août 1982, précité, énumère les activités humaines qui sont interdites dans la zone protégée concernée parmi lesquelles figure « la construction ». Dans la mesure où ledit article interdit de manière générale « la construction », il y a lieu de retenir qu’il utilise la notion de construction tant au sens d’une action qu’au sens du résultat d’une telle action.
Il y a, à cet égard, lieu de relever que le sens premier de la notion de construire, lat.
construere, de struere « disposer, ranger », est celle de « bâtir, suivant un plan déterminé, avec des matériaux divers »5, le sens de la notion de bâtir étant d’« élever sur le sol, à l’aide de matériaux assemblés »6, et la notion de construction se définit comme « édifice ou ouvrage en maçonnerie, tels que maisons, murs, fosses d’aisances, forges, fourneaux, puits, aqueducs etc. »7 ou comme « Tout assemblage solide et durable de matériaux, quelle que soit sa fonction »8. Des synonymes de la notion de construction sont notamment les notions d’« assemblage », d’« édification » ou d’« érection »9.
En ce qui concerne plus particulièrement l’action de construire, il convient de retenir que les notions de construire ou de construction sont caractérisées dans leur acceptation commune par l’idée d’assembler ou de constituer solidement, sans cependant requérir systématiquement l’incorporation de l’ouvrage au sol, la notion de construction visant concrètement l’édification d’un ouvrage durable et solide10.
Pour ce qui est de la deuxième signification de « construction », à savoir le résultat de l’action de construire, sont visées au premier chef les constructions immobilières11, c’est-à-
dire les « bâtiments » au sens de l’article 518 du Code civil, à savoir toutes les constructions résultant de l’assemblage de matériaux reliés ensemble artificiellement de façon durable et incorporés au sol par des fondations12.
Dès lors, il convient de retenir, conformément aux principes dégagés ci-avant, que la notion de construction est à interpréter comme le résultat d’un assemblage de matériaux, reliés de manière durable et solide, le cas échéant incorporé au sol, ou à tout le moins relié ou adhérant au sol, les critères pour déterminer l’existence d’une telle construction résidant partant dans les dimensions de l’édifice, les matériaux employés et son caractère de durabilité ou de permanence.
En l’espèce, il ressort de la note explicative annexée à la demande d’autorisation litigieuse que les travaux projetés, consistant à « rétablir le chemin à son emprise actuelle par un remblaiement en couches alternatives », seront réalisés comme suit :
« Le présent projet comprend 4 phases principales.
La première phase prévoit l’aménagement du fossé en bord de lisière et la réalisation de la traversée jusqu’en dehors de la zone de glissement, pour assurer l’évacuation des eaux.
5 Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, page 453.
6 Le Nouveau Petit Robert, op.cit. page 203.
7 G. Bonnefoy, Code Perrin ou dictionnaire des constructions, douzième édition, 1925, Paris, imprimerie et librairie générale de jurisprudence.
8 Le petit dicobat, dictionnaire général du bâtiment, 1994, éditions arcature.
9 Le Nouveau Petit Robert, op.cit, V° construction.
10 En ce sens Trib. adm. 14 novembre 2011, n° 27588, confirmé par arrêt du 7 juin 2012, n° 29650C.
11 Voir Cass. fr. 14 décembre 1956, D.1957, 87.
12 Voir CA Paris, 25 avril 1951, D.1951, 518 13En deuxième phase, le terrassement du niveau de travail sera fait sur une longueur de 34 m.
En troisième phase, le terrassement et le remblaiement seront réalisés consécutivement du début de la partie à réparer jusqu’à la fin sur une longueur de 27 m. Le terrassement devant se faire jusqu’en dessous du plan de glissement pour stabiliser le talus et le chemin. Le remblaiement se fait par système sandwich, qui se compose de couches alternatives de 30 cm de hauteur de concassé de carrière et de HF, compactées et enveloppées par un géotextile. Le déblai sera ensuite déposé et réparti sur le talus, puisqu’il n’y a pas beaucoup de place de main d’œuvre pour les engins de chantier.
En quatrième et dernière phase, le coffre de 35 cm de concassé de carrière 40/100, 15 centimètres de concassé de carrière 0/45 et de deux couches de béton asphaltique de 2x5 cm (0/16 EF3 + 0/12 EF2) seront réalisés.
Pour finir, le rétablissement du talus à la chaussée sera réalisé.
Les déblais seront, si possible, laissés et repartis sur place pour l’aménagement des alentours. L’excédent sera transporté sur une décharge.
Le projet s’étend sur une surface de 125m2 et une longueur de 34 m, dont la largeur varie de 3,40 à 3,80 m. Le chemin sera rétabli aux dimensions originales. […] » S’il est vrai que les travaux projetés ne seront réalisés que sur une partie d’un chemin existant qui doit être rétabli en ses dimensions originales, il n’en demeure pas moins que le projet litigieux est destiné à être réalisé par l’aménagement d’un fossé non existant à l’heure actuelle, de même que par le biais du déplacement d’importantes quantités de matériaux en vue d’incorporer des pierres concassées sur une profondeur de 90 cm, respectivement à l’endroit de la fissure large de 3 mètres, et de réaliser un coffre de 50 cm de pierres concassées et de deux couches de béton asphaltique de 10 cm au total, le tout sur une surface de 125m2 et sur une longueur de 34 mètres. Il s’agit dès lors d’un ouvrage qui est constitutif d’un assemblage artificiel de plusieurs matériaux (deux sortes de concassés et béton asphaltique) destinés à durer et à être incorporés solidement au sol et au sous-sol qui doit être considéré comme constituant une construction interdite par l’article 3 du règlement grand-
ducal du 20 avril 1993.
Il s’ensuit que le ministre n’avait pas d’autre option que de refuser purement et simplement l’autorisation sollicitée, et ce, indépendamment de l’absence ou de l’existence éventuel d’un impact environnemental des travaux litigieux sur le site en cause.
Cette conclusion n’est pas ébranlée par les considérations tenant aux obligations en termes de sécurité publique mises en avant par la commune.
En effet, il y a tout d’abord lieu de relever, à l’instar de la partie étatique, que de telles considérations n’ont pas été avancées à l’appui de la demande d’autorisation qui faisait uniquement état de ce qu’en raison de l’état du chemin litigieux, les vignerons devraient actuellement faire un détour pour accéder à leurs vignobles. Il est, à cet égard, constant en cause, pour ne pas être contesté, que les vignobles ne sont pas accessibles uniquement par le biais du chemin litigieux, mais que les vignerons peuvent emprunter le réseau routier quitte à faire un détour, étant encore relevé que les développements de la commune visant à mettre en avant le danger que constitueraient les convois agricoles ou viticoles sur une route principale restent à l’état de pure allégation, les problèmes invoqués témoignant davantage de problèmes de commodité se posant dans le chef des vignerons concernés concrètement en l’espèce.
14 Le tribunal relève ensuite qu’il est vrai que l’article 3 du règlement grand-ducal du 20 avril 1993 interdit dans la zone protégée toute circulation motorisée à l’exception de celle requise pour l’exploitation agricole et forestière, de sorte que les chemins passant par ladite zone doivent pouvoir être utilisés par les engins requis pour les besoins de l’exploitation agricole et forestière, ce qui implique également que leur état doit permettre une telle utilisation. Si en l’espèce, la partie étatique estime que l’interdiction de la circulation motorisée s’appliquerait également aux engins viticoles parce que l’article 3 ne viserait que la circulation motorisée requise pour l’exploitation agricole et forestière, force est toutefois de constater, outre le fait que l’usage du chemin en question par les vignerons ne semble jamais avoir été remis en question, que l’exploitation viticole doit être considérée comme étant assimilable à l’exploitation agricole dans la mesure où il s’agit d’une activité de production de denrées se prêtant à la consommation et à la transformation et provenant de la culture de vignes, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que la circulation motorisée requise pour l’exploitation viticole est permise dans la zone protégée litigieuse au même titre que celle pour l’exploitation agricole.
Ensuite, il ressort des explications non contestées de la commune, ainsi que de la note explicative de l’ASTA, que depuis le classement en zone protégée, une réparation provisoire, ayant consisté en un simple reprofilage en béton asphaltique du chemin, a été réalisée en automne 2014 et ce, suite au dernier glissement en date du chemin, qui s’est produit en été 2013. Or, il ne ressort pas des éléments à la disposition du tribunal ni des développements de la partie étatique que la régularité desdits travaux de réparation ait été remise en question par le ministre.
Même s’il peut légitimement se poser la question de savoir si d’un point de vue écologique, il n’est effectivement pas plus opportun de préconiser une solution plus durable du type de celle proposée actuellement par la commune, au lieu de procéder à des réfections moyennant un reprofilage asphaltique qui sont par nature plus provisoires, il n’en reste pas moins que rien ne s’oppose, a priori, à ce que la commune continue à procéder à une remise en état moins invasive du chemin pour permettre non seulement l’usage du chemin litigieux par les personnes et engins y habilités, mais également pour garantir la sécurité de ses usagers, quitte à devoir le réparer à intervalles réguliers.
Au vu des l’ensemble des considérations qui précèdent, le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.
La commune de … sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de … euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qui est toutefois à rejeter au vu de l’issue du litige.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
15rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la commune de … ;
condamne la commune de … aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 janvier 2018 par :
Annick Braun, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Alexandra Castegnaro, premier juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3/1/2018 Le Greffier du Tribunal administratif 16