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11/12/2017 | LUXEMBOURG | N°40307

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 décembre 2017, 40307


Tribunal administratif Numéro 40307 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2017 2e chambre Audience publique du 11 décembre 2017 Recours formé par Monsieur …..et consorts, …..

contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40307 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 octobre 2017 par Maît

re Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembo...

Tribunal administratif Numéro 40307 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2017 2e chambre Audience publique du 11 décembre 2017 Recours formé par Monsieur …..et consorts, …..

contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40307 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 octobre 2017 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à …. (Kosovo), et de sa compagne, Madame ….., née le .…. à ….., agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs ….., née le ….. à ….. (Serbie), et ….. ….., née le ….. à Luxembourg, tous de nationalité kosovare, demeurant actuellement à L-….., ….., tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 11 octobre 2017 ayant déclaré leur nouvelle demande en obtention d’une protection internationale irrecevable aux termes de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 novembre 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 décembre 2017.

Le 11 juillet 2011, Monsieur ….., et sa compagne, Madame ….., accompagnés de leur enfant mineur ….., introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Ils furent définitivement déboutés de leur demande de protection internationale par arrêt de la Cour administrative du 14 mai 2013, inscrit sous le numéro 32019C du rôle.

Monsieur …..et Madame ….. introduisirent alors une demande en obtention d’un sursis à l'éloignement en raison de l’état de santé de cette dernière, ce qu’ils obtinrent jusqu’au 22 novembre 2013.

Par décision du 28 novembre 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration refusa de prolonger ledit sursis, refus qui fut confirmé par jugement du tribunal administratif du 12 janvier 2015, inscrit sous le numéro 34129 du rôle.

Le 5 août 2015, Monsieur …..introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié, qui fut refusée par décision du 8 octobre 2015 du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », demande dont ils furent définitivement déboutés par arrêt de la Cour administrative du 18 mai 2017, inscrit sous le numéro 39089C du rôle.

Le 29 août 2016, le ministre émit à leur encontre des arrêtés leur interdisant l'entrée sur le territoire pour une durée de trois ans et ordonnant leur placement en rétention, qui leur furent notifiés seulement le 20 mars 2017.

Monsieur ….., Madame ….., accompagnés de leurs enfants mineurs ….. et ….. ….., ci-

après désignés par « les consorts …..», furent rapatriés de force au Kosovo en date du 22 mars 2017.

Le 3 octobre 2017, les consorts ….., revenus au Luxembourg, introduisirent une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère ».

Le même jour, Monsieur …..fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux sur son identité et celle de sa famille et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 9 octobre 2017, Monsieur …..et Madame ….. furent entendus par un agent du ministère sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

Par décision du 11 octobre 2017, notifiée à Monsieur …..par remise en mains propres le lendemain, le ministre rejeta cette nouvelle demande pour être irrecevable en application de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015, ladite décision étant libellée comme suit :

« (…) Il ressort de votre dossier que vous avez déposé des premières demandes de protection internationale le 11 juillet 2011 qui ont été rejetées par décision ministérielle du 4 juin 2012. Monsieur, vous avez évoqué à la base de votre première demande qu'en 2003, lorsque vous vous seriez trouvé à la sortie de votre village pour téléphoner, des personnes albanaises inconnues se seraient arrêtées avec une voiture et vous auraient demandé de monter dans la voiture. Vous auriez refusé et le chauffeur vous aurait alors frappé avec la porte de la voiture. Il vous aurait à nouveau incité à monter dans la voiture et vous auriez refusé. Vous dites qu'une voiture serait passée et les deux individus vous auraient donné un coup au nez avant de partir. Par ailleurs, ils vous auraient menacé. Vous auriez consulté un médecin et ensuite vous auriez déclaré les faits à l'unité de la KFOR. Vous indiquez que vous auriez aussi déclaré les faits à la police kosovare et celle-ci vous aurait emmené à l'hôpital de …… Selon vos dires, la police vous aurait promis de faire tout leur possible pour trouver les coupables mais il n'y aurait pas eu de suite.

Vous déclarez que vous auriez revu ces personnes quelques fois en ville et elles vous auraient poussé et craché dessus. De même, elles auraient poussé votre concubine.

Il ressort de vos dires que deux mois avant votre arrivée au Luxembourg en 2011, une voiture de marque BMW se serait arrêtée devant vous et les occupants vous auraient fait signe qu'ils allaient vous tuer. Votre concubine aurait eu peur et elle serait tombée. Vous auriez alors pris un bus prévu pour les serbes pour rentrer chez vous et vous n'auriez pas porté plainte. Depuis, votre concubine prendrait des calmants.

Une vingtaine de jours après, vous auriez été menacé avec un couteau par un des individus. Vous dites que vous auriez réussi à vous enfuir et vous auriez immédiatement alerté la police. Les agents de police vous auraient parlé en albanais et encouragé à partir.

Madame, vous avez confirmé les dires de votre concubin. Vous ajoutez que vous ne pourriez pas circuler librement.

Depuis votre mariage religieux, vous auriez été menacée quatre ou cinq fois.

Enfin, vous précisez que seulement des albanais travailleraient dans les hôpitaux au Kosovo et vous n'auriez pas osé y aller.

Madame, Monsieur, vous avez été définitivement déboutés de vos demandes de protection internationale par arrêt de la Cour Administrative du 14 mai 2013 (N°32019C du rôle), confirmant le jugement du Tribunal Administratif du 16 janvier 2013 (N°30778 du rôle), aux motifs que « les évènements vécus par les appelants dans leur pays d'origine et invoqués à l'appui de leur demande de protection internationale ne sont pas suffisants pour répondre à la définition de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social.

En effet, concernant l’incident survenu en 2003, les premiers juges ont retenu à bon droit, d’une part, que Monsieur … a pu bénéficier d’une protection dans la mesure où le médecin traitant a informé l’unité de la KFOR de l’agression et où il a lui-même eu la possibilité de s’adresser à la police kosovare qui l’a emmené à l’hôpital et lui a promis de tout faire en vue de retrouver ses agresseurs, et, d’autre part, qu’une absence de protection adéquate assurée par les autorités du pays d’origine contre des agressions d’agents non étatiques conformément à l’article 28 c) de la loi du 5 mai 2006 ne découle pas de la simple affirmation non autrement précisée des appelants qu’aucune investigation n’aurait été menée.

Les premiers juges ont encore judicieusement abouti à la même conclusion en ce qui concerne la menace proférée à l’égard des appelants deux mois avant leur arrivée au Luxembourg par des personnes à bord d’un véhicule et celle perpétrée une vingtaine de jours plus tard à l’égard de Monsieur … par un individu muni d’un couteau, en ce qu’il se dégage des déclarations des appelants qu’ils n’ont pas déposé de plainte suite à la première menace et que, suite au dépôt de leur plainte après la deuxième menace et des affirmations des policiers parlant albanais les ayant encouragés à partir de leur pays d’origine, les appelants n’ont pas entrepris des démarches pour dénoncer ce comportement répréhensible auprès des autorités supérieures. La Cour rejoint partant les premiers juges dans leur conclusion qu’il ne se dégage pas à suffisance de droit et de fait à partir des faits d’ordre personnel invoqués par les appelants que les autorités kosovares seraient dans l’impossibilité ou ne voudraient pas intervenir afin de les protéger contre les actes décrits par eux, étant rappelé que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Quant au fait que par la suite, les prédits agresseurs de Monsieur … auraient bousculé les appelants, voire les auraient poussés, et leur auraient craché dessus quand ils les auraient croisés en ville, à défaut par les appelants de faire des indications plus exactes quant à la fréquence de ces agissements, les premiers juges sont à confirmer en ce qu’ils ont dénié à ces agissements un caractère suffisamment grave pour tomber dans le champ d’application de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006.

Pour le surplus, les premiers juges ont encore justement relevé que la situation générale au Kosovo a évolué les dernières années vers une amélioration de la sécurité, allant de pair avec une diminution des crimes à l’encontre de membres des communautés minoritaires, pour en déduire qu’il y a de bonnes raisons de croire que des agressions en raison de leur origine ethnique susceptibles d’atteindre le degré de gravité d’une persécution ne se reproduiront pas. De même, ils ont pu se référer aux explications de la partie étatique, non utilement contredites par les appelants, que la police kosovare est multiethnique dans la municipalité de …, dont sont originaires les appelants, et qu’il est possible de porter plainte contre des agents de police ayant abusé de leur pouvoir auprès de l’inspection de la police du Kosovo qui est l’organe compétent pour toute plainte envers les membres des forces de l’ordre, fonctionnant d’ailleurs de matière effective, tel que cela ressort de sources d’organismes internationaux citées par le délégué du gouvernement en première instance. » Suite à ce jugement, vous avez demandé en date du 12 juin 2013, un sursis à l'éloignement en invoquant votre état de santé, Madame, alors que vous seriez sous traitement régulier pour « PTSD, attaques de panique et d'une symptomologie dépressive réactionnelle » (Certificat médical du Dr …..). Cette demande vous a été accordée et vous avez bénéficié d'un sursis à l'éloignement valable jusqu'au 22 novembre 2013. Votre demande de prolongation du sursis à l'éloignement du 24 octobre 2013 a été refusée en date du 28 novembre 2013. Ce refus a été confirmé par jugement du Tribunal Administratif du 12 janvier 2015 (N° 34129 du rôle).

Monsieur, en date du 5 août 2015, vous avez introduit une demande en obtention d'une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié. Par décision du 8 octobre 2015, cette demande a été rejetée pour être irrecevable. Un recours contre cette décision a été introduit en date du 18 décembre 2015. Une requête en institution d'une mesure provisoire a été introduite le 16 septembre 2016 et rejetée par ordonnance du 27 septembre 2016 (N°38484 du rôle). Finalement, le Tribunal Administratif a rendu un jugement en date du 13 janvier 2017, rejetant le recours contre le refus d'une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié pour ne pas être fondé. L'appel introduit en date du 10 février 2017 contre le jugement précité a été rejeté par la Cour Administrative, qui confirme le jugement du Tribunal Administratif.

Madame, Monsieur, vous avez à plusieurs reprises refusé le retour volontaire vers votre pays d'origine. Finalement, en date du 22 mars 2017, vous avez été rapatriés de force et une interdiction d'entrée sur le territoire pour une durée de trois ans vous a été notifiée.

Le 3 octobre 2017, vous avez introduit des nouvelles demandes de protection internationale.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 3 octobre 2017 duquel il ressort que vous auriez quitté le Kosovo en date du 1er octobre 2017. Contre paiement de 1500 euros, un passeur vous aurait tous conduits directement jusqu'au Luxembourg.

Monsieur, il ressort de votre entretien du 9 octobre 2017 que vous avez quitté votre pays d'origine pour les mêmes raisons que celles qui vous ont poussé à quitter le Kosovo en 2011: «Le problème est le même. J'ai ses [sic] problèmes avec les mêmes personnes dont j'ai parlé lors de la première demande d'asile » (p.2 du rapport d'entretien du 9 octobre 2017).

Après avoir été menacé à ….. par les mêmes personnes albanaises qui vous auraient menacé en 2003, vous auriez de nouveau porté plainte auprès de la police à qui vous auriez décrit ces «albanais » à plusieurs reprises. La police serait venue presque chaque jour à votre domicile à ….. pour savoir si vous aviez encore des problèmes avec ces individus. Selon vos dires, la police ne pourrait pas incarcérer ces personnes « parce que ce sont des albanais » (p.3 du rapport d'entretien du 9 octobre 2017). Alors que vous déclarez juste avoir rencontré des problèmes en vous rendant à ….., vous dites que « tant que ces six personnes avec lesquelles j'ai des problèmes sont en liberté et ne sont pas incarcérées, je ne peux pas vivre au Kosovo » (p.3 du rapport d'entretien du 9 octobre 2017).

Madame, vous confirmez les dires de votre époux.

Madame, Monsieur, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, vos demandes de protection internationale sont irrecevables au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau relatifs à l'examen visant à déterminer si vous remplissez les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d'une protection internationale.

En effet, il s'agit dans un premier temps de constater que vous faites état des mêmes soucis et du même sentiment général d'insécurité concernant votre vécu au Kosovo que ceux exposés dans le cadre de vos premières demandes de protection internationale. Vous dites clairement que « Le problème est le même. J’ai ses [sic] problèmes avec les mêmes personnes dont j'ai parlé lors de la première demande d'asile » (p.2 du rapport d'entretien du 9 octobre 2017).

Il s'ensuit que l'élément clé vous ayant conduit à quitter une nouvelle fois le Kosovo et à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg, a déjà été traité et toisé dans le cadre de votre première demande de protection internationale, de sorte que votre sentiment d'insécurité basé sur exactement les mêmes motifs, ne saurait manifestement pas être perçu comme un élément nouveau, augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions pour bénéficier d'une protection internationale, tel que prévu par l'article 32 de la loi du 18 décembre 2015.

Par conséquent, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, vos demandes de protection internationale sont irrecevables. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2017, les consorts …..ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du ministre du 11 octobre 2017, par laquelle leur nouvelle demande en obtention de la protection internationale a été déclarée irrecevable.

Etant donné que l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en annulation en matière de nouvelles demandes déclarées irrecevables, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation dirigé contre la décision du ministre du 11 octobre 2017, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de leur recours et en fait, les consorts …..soutiennent qu’après avoir été déboutés par la Cour administrative de leur première demande de protection internationale introduite le 11 juillet 2011, ils seraient retournés au Kosovo et y auraient tenté de reconstruire leur vie. Pendant les quelques mois de leur séjour dans leur pays d’origine, ils auraient été victimes de diverses agressions par des Albanais, de pressions et n’auraient pu circuler librement. Après avoir été menacés de mort et étant, selon eux, dans l’insécurité et la crainte constante d’être harcelés, persécutés, menacés de mort et de subir des violences physiques et mentales de la part des Albanais, ils auraient décidé de quitter le Kosovo.

En droit, les consorts …..estiment que la décision attaquée devrait être annulée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits. Ils considèrent que les prédits faits n’auraient pas été pris en compte par le ministre, bien qu’ils augmenteraient de manière significative la probabilité qu’ils remplissent les conditions requises pour l’obtention d’un des statuts conférés par la protection internationale. Ils donnent ainsi à considérer qu’ils auraient dû obtenir le statut de réfugié compte tenu des menaces proférées par des Albanais à leur égard en raison de leur appartenance à l’ethnie serbe de religion orthodoxe, ce qui les auraient obligés à vivre « presque en cachette ». Les demandeurs précisent qu’ils auraient, à chaque incident impliquant lesdits Albanais, requis une protection auprès de la police kosovare, qui n’aurait rien entrepris. Ils en concluent que l’Etat kosovar ne serait pas apte à leur garantir une sécurité suffisante. Les consorts …..ajoutent à ce propos que le système judiciaire ne fonctionnerait pas, qu’une résolution du Parlement européen du 14 juin 2017 dresserait un tableau chaotique de l’Etat kosovar, que la situation au Kosovo ne répondrait pas aux critères d’un État démocratique et que partant ce pays ne serait pas à considérer comme un pays sûr. Ils invoquent encore à cet égard un article intitulé « Une indépendance contestée et incomplète, et une souveraineté limitée : un État sans État » du 25 juin 2015 publié sur le site internet www.ritimo.org relatant de la criminalité et de la corruption qui règneraient au Kosovo.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, et que ces derniers feraient état des mêmes soucis et du même sentiment général d’insécurité que ceux exposés lors de leur première demande de protection internationale. Ils seraient ainsi à débouter de leur recours.

A titre liminaire, quant aux faits invoqués à l’appui de la demande de protection internationale des consorts ….., le tribunal relève que les demandeurs soutiennent dans leur requête introductive d’instance avoir subi des agressions. Or, au cours de son audition, Monsieur …..a précisé à la question de l’agent « Ces personnes vous ont-elles agressé physiquement ? » que « On ne s’est pas bagarrés, mais ils me menaçaient de m’assassiner. »1. Madame ….. n’a pas non plus fait état de tels actes. Le tribunal est dès lors amené à ne pas tenir compte des éléments fondamentalement nouveaux produits par les demandeurs dans leur requête, à savoir les agressions qu’ils auraient subies, qui se trouvent être contredits par les déclarations de Monsieur …… Quant au fond, l’article 28 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (…) le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: (…) d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une 1 Page 3 du rapport d’audition de Monsieur ….. du 9 octobre 2017.

protection internationale », à moins que, comme prévu à l’article 32 de la même loi, « les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale », hypothèse dans laquelle l’examen de la demande est poursuivi, « à condition que le demandeur a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse ».

Le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est ainsi conditionné par la soumission d’éléments qui, d’une part, doivent être nouveaux et, d’autre part, doivent augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur devant par ailleurs avoir été dans l’incapacité - sans faute de sa part - de se prévaloir de ces nouveaux éléments au cours de la procédure précédente, en ce compris la procédure contentieuse.

Il y a lieu de souligner que ce droit ne constitue pas une sorte de « troisième instance », mais une exception - soumise à des conditions d’ouverture strictes - à l’autorité de chose jugée dont est revêtue la procédure contentieuse antérieure, respectivement à l’autorité de chose décidée dont est revêtue la première décision de refus de protection internationale.

Il appartient dès lors au ministre d’analyser les éléments nouveaux soumis en cause par le demandeur afin de vérifier le caractère nouveau de ces éléments ainsi que leur susceptibilité d’augmenter de manière significative la probabilité que ce dernier remplisse les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre de la précédente procédure, laquelle doit, aux termes de l’article 32 (1) de la loi du 18 décembre 2015, avoir fait l’objet d’une décision finale.

Il est constant, en l’espèce, que les demandeurs se sont définitivement vu refuser la protection internationale en date du 14 mai 2013.

La demande introduite par les consorts …..le 3 octobre 2017 doit dès lors être considérée comme constituant chronologiquement une nouvelle demande au sens de l’article 32 (1) précité.

Etant donné qu’après le refus définitif de protection internationale, les consorts …..sont retournés au Kosovo où ils ont été menacés de mort à deux reprises, et qu’ils ont présenté ces faits à la base de la prédite nouvelle demande, ceux-ci doivent également être considérés comme étant des faits nouveaux.

Toutefois, le tribunal ne saurait admettre que ces faits présentés par les demandeurs lors de leurs entretiens au ministère du 9 octobre 2017 soient à considérer comme augmentant de manière significative la probabilité qu’ils remplissent les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

En effet, le tribunal relève que la première demande des consorts …..était basée essentiellement sur le fait que des Albanais non autrement identifiés menaçaient Monsieur …..sans raison apparente et ont tenté à une reprise de l’enlever, ainsi que les menaces de mort et l’absence de liberté de circulation. La prédite demande ayant été rejetée par le ministre, sa décision du 4 juin 2012 est à présent revêtue de l’autorité de chose décidée pour avoir été confirmée par la Cour administrative, dans son arrêt du 14 mai 2013, précité. Après avoir été rapatriés de force au Kosovo en mars 2017 et déposé une nouvelle demande de protection internationale en octobre 2017, les demandeurs invoquent actuellement les mêmes motifs que ceux à la base de leur première demande, à savoir le sentiment d’insécurité générale suite aux menaces reçues à deux reprises, lorsque Monsieur …..se rendait au centre-ville de ….., par des Albanais non identifiés et l’absence de liberté de circulation. Ils invoquent également le fait que la police se serait rendue « presque chaque jour »2 chez eux pour leur demander s’ils avaient toujours des problèmes avec lesdits Albanais, suite aux plaintes déposées à leur encontre, et que l’une de leurs filles n’arrivait pas à s’adapter à l’école kosovare après avoir passé plusieurs années au Luxembourg.

Or, ces faits sont dénués de la gravité requise pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécutions ou d’atteintes graves et il se dégage des déclarations des demandeurs que leur demande de protection internationale est avant tout motivée par des considérations de convenance personnelle, telles que le fait de préférer revenir au Luxembourg où ils ont passé plusieurs années au lieu de tenter de s’établir dans une autre région de leur pays d’origine et le fait que l’une de leurs filles n’arrivait pas à s’adapter au système éducatif kosovar.

Ainsi, les faits à la base de la nouvelle demande de protection internationale ne peuvent pas être considérés comme augmentant de manière significative la probabilité que les demandeurs remplissent les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Il en résulte que la demande des consorts …..a valablement pu être déclarée irrecevable en application de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par les consorts …..est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 11 décembre 2017 par le vice-président, en présence du greffier assumé Vanessa Soares.

s.Vanessa Soares s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 décembre 2017 Le greffier assumé du tribunal administratif 2 Page 3 du rapport d’audition de Monsieur ….. du 9 octobre 2017.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 40307
Date de la décision : 11/12/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-12-11;40307 ?

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