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05/12/2017 | LUXEMBOURG | N°39048

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 décembre 2017, 39048


Tribunal administratif N° 39048 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 janvier 2017 3e chambre Audience publique du 5 décembre 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39048 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 janvier 2017 par Maître Frank WIES, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né ...

Tribunal administratif N° 39048 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 janvier 2017 3e chambre Audience publique du 5 décembre 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39048 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 janvier 2017 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant, à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 décembre 2016 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 mars 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Catherine WARIN, en remplacement de Maître Frank WIES, et Madame le délégué du gouvernement Jeannine DENNEWALD en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 novembre 2017.

Le 16 septembre 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

En date du 5 octobre 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

1En date du 15 mars 2016, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 30 décembre 2016, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « […] Monsieur, il se dégage de votre entretien que vous auriez quitté l'Irak à cause des évènements énumérés ci-dessous:

- Monsieur, vous déclarez qu'en 2003, un inconnu « m'a visé avec son pistolet et m'a tiré dans le dos » et « m'a frappé avec le pied dans le visage » en criant « la mort au partisans de Saddam » (page 6/12). Vous indiquez que suite à ces agressions, vous auriez été hospitalisé pendant à peu près deux mois. En quittant l'hôpital de Yarmouk, vous auriez trouvé refuge auprès de votre père à Diyala. Vous énoncez que « je suis resté là-bas jusqu'au 4/09/2004 » (page 7/12) pour ensuite quitter définitivement l'Irak en direction de la Syrie. Monsieur, vous affirmez que vous seriez de formation « officier » et que vous auriez été un des gardes du corps de Saddam Hussein.

- En 2007 : vous argumentez que votre frère … aurait été enlevé et ceci « à cause de moi et de mon frère qui se trouve ici (ndlr: au Luxembourg)» (page 8/12). Vous citez que votre frère …, vivant actuellement au Luxembourg, aurait jadis travaillé comme interprète pour les américains. Enfin, vous ajoutez que votre père aurait été frappé et que votre frère … est parti dans une autre commune et puis il a été porté disparu » (page 8/12). Vous rajoutez que durant cette période « quelqu'un d'inconnu a fait exploser le local de mon père » (page 9/12).

- En 2008: vous affirmez que vous seriez retourné à Diyala en Irak, « après que le gouvernement avait combattu AL Qaeda » (p.8112).

- En 2014: vous déclarez qu'« après l'arrivée de Daesh à Mossul et après à Anbar » votre commune de Diyala, située à la frontière avec l'Iran et peuplée de majorité sunnite, aurait été considérée comme « des communes pro-Saddam et pro-Daesh » (page 4/12). Vous ajoutez qu'il y aurait eu « des blocus ainsi que des enlèvements » (page 4/12) dans le quartier en question.

- En juin 2015: vous prétendez que vous auriez trouvé une lettre de menace de la part de la milice Al Haq, « accrochée sur ma porte » (page 4/12). Vous montrez une photo de ladite menace à l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes.

- En juillet 2015 (25/07/2015) : vous signalez que vous auriez reçu une menace par téléphone : « ils ont menacé mes enfants » (page 4/12). Le contenu dudit message aurait été le suivant : « soit je me présente chez nous, soit on enlève tes enfants » (page 5/12). Selon vos dires, « ils voulaient que je me présente à leur base à peu près .5 km de chez nous pour me tuer » (page 5/12). En outre, vous citez que vous auriez récemment contacté votre famille qui réside toujours dans la commune de Diyala apprenant par la même qu' « ils les ont attaqué +A 5 fois » et notamment « tout le village » (page 5/12).

2Enfin, vous révélez que vous n'auriez pas signalisé les évènements survenus en 2015 à la police étant donné que « la police ce sont les milices » (page 7/12).

Pour étayer vos dires, vous avez déposé les documents suivants :

- un rapport médical …, daté du 20 novembre 2015 ;

- un badge ainsi que deux cartes de travail à votre nom ;

- une photo de la menace proférée par la milice Al Haq ;

- plusieurs documents médicaux irakiens non traduits ;

- un document de I'UNHCR au nom de Monsieur …, né le … à …, de nationalité irakienne.

Enfin, il ressort du rapport d'entretien du 15 mars 2016 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. […] ».

Le ministre informa ensuite Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015.

Le ministre estima en effet que les faits invoqués par Monsieur … à l’appui de sa demande de protection internationale, ne revêtiraient pas un degré de gravité suffisant pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève » et de la loi du 18 décembre 2015. Il retint plus particulièrement que les craintes de persécution de Monsieur … en tant qu’ancien employé au service du parti BAAS et de l’ancien dictateur Saddam HUSSEIN, bien qu’il aurait été blessé par des coups de feu tiré par un inconnu ayant nécessité plusieurs mois d’hospitalisation en 2003, ne seraient pas fondées. Il considéra, à ce sujet, d’une part, que le simple fait d’avoir servi de son propre gré, un homme, voire un parti politique, ne serait pas une condition suffisante pour l’octroi du statut de réfugié, et, d’autre part, que ces faits seraient trop éloignés dans le temps, surtout que la situation par rapport à ces collaborateurs du régime dictatoriale aurait changé depuis une dizaine années dans le sens qu’ils auraient fait l’objet d’une réintégration dans la société irakienne. S’agissant de l’enlèvement du frère de Monsieur …, le ministre mit en doute la réalité de cet événement, en l’absence de preuves concrètes fournies par celui-ci, tout en faisant valoir qu’il s’agirait d’un fait non-personnel et que Monsieur … serait resté en défaut d’établir dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières. Le ministre rajouta, par ailleurs, que la commune de Diyala, de laquelle Monsieur … serait originaire, ne serait plus sous les emprises du groupement terroriste se nommant « l’Etat islamique » depuis décembre 2014, suite à la progression de l’armée irakienne, soutenue par des milices armées et les peshmergas kurdes, de sorte que l’affirmation de Monsieur … que cette commune serait « pro-Saddam et pro-Daesch » ne serait plus d’actualité. Quant aux menaces proférées à l’encontre de Monsieur … par courrier et par voie téléphonique de la part de la milice Al-Haq, le ministre releva tout d’abord qu’il se serait prévalu, dans le cadre de son audition, d’une photo d’un message de menace trouvé sur internet, de sorte qu’il devrait être considéré comme ayant menti, respectivement dissimulé la vérité sur un point primordial de son récit qui ne serait partant pas crédible dans son intégralité. Même à supposer que les menaces seraient avérées, ces faits seraient à qualifier d’infractions de droit commun, commis par des personnes privées et punissables selon la loi 3irakienne. Dans la mesure où Monsieur … ne se serait pas adressé aux autorités irakiennes pour solliciter une protection de leur part contre les agissements des personnes privées, il ne serait pas établi que ces autorités ne seraient pas capables, respectivement disposées à lui offrir une protection, de sorte que les menaces proférées à son égard par la milice Al-Haq ne pourraient pas justifier l’octroi du statut de réfugié.

Le ministre retint encore que Monsieur … n’aurait présenté aucune raison valable pour justifier son impossibilité de s’installer dans une autre partie de son pays d’origine afin d’échapper aux difficultés y rencontrées. Il estima plus particulièrement que Monsieur …, en tant que sunnite, pourrait parfaitement résider dans différents quartiers de Bagdad majoritairement habités par des personnes de confession sunnite. Le ministre se prévalut encore du retour volontaire en Irak de demandeurs de protection internationale ayant renoncé à leur demande, respectivement ayant été déboutés en Belgique et en Finlande pour étayer sa thèse quant à la possibilité d’une fuite interne en Irak.

S’agissant finalement de la protection subsidiaire, le ministre conclut que Monsieur … ne ferait état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’il courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.

En conséquence, il constata que le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois était illégal et lui enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2017, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 30 décembre 2016 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 30 décembre 2016, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

Après avoir rappelé les faits et rétroactes à la base de la décision litigieuse, Monsieur …, musulman sunnite, reproche en premier lieu au ministre, en ce qui concerne le refus d’octroi du statut de réfugié, une erreur manifeste d’appréciation pour avoir reproduit une image faussée de la situation en Irak par rapport à ses craintes de persécution. Ainsi le ministre aurait, à tort, considéré que les faits survenus en Irak en 2003, à savoir les coups de feu tirés sur lui par une personne inconnue et ayant conduit à son hospitalisation pendant plusieurs mois, de même que l’enlèvement de son frère en 2007 auraient constitués des motifs pour se voir octroyer un statut de protection internationale, alors même que son objectif, en relatant ces incidents aurait été d’expliquer son passé, ainsi que les tragiques subies par sa famille en Irak. Il insiste sur le fait que son départ d’Irak en 2015 et le dépôt subséquent de la demande de protection internationale litigieuse auraient été exclusivement motivés, d’une 4part, par la situation sécuritaire régnant dans la province de Diyala dont il est originaire, et, d’autre part, par les menaces reçues de la part de la milice Al-Haq. Quant à la situation sécuritaire existant dans sa province d’origine, il soutient que les éléments sur lesquels le ministre se serait basé pour rendre la décision déférée, ne seraient plus d’actualité et erronés, en invoquant un article de presse du journal « Le Monde » du 20 juillet 2015 et intitulé « En Irak, l’EI menace à nouveau la région-clé de Diyala », selon lequel la région en question connaîtrait toujours des affrontements entre les autorités irakiennes et des membres du groupement terroriste se nommant « l’Etat islamique », ainsi que des extraits du rapport de l’organisation « Amnesty International » de janvier 2017 et intitulé « Iraq : Turning a blind eye » qui fait état d’incidents de la part de miliciens chiites à l’égard de la population sunnite vivant à Diyala. Sur base du même rapport, le demandeur conteste encore l’argumentation ministérielle consistant à mettre en doute la crédibilité de son récit, en ce qui concerne la réalité des menaces proférées à son encontre par des membres de la milice Al-Haq, la présentation, lors de son audition, d’une lettre de menace de ladite milice imprimée à partir d’un site internet, n’ayant été effectuée que dans le but d’établir la teneur exacte des termes utilisés par la milice Al-Haq à son égard. Ce serait, par ailleurs, à tort, que le ministre aurait considéré qu’il devrait pouvoir bénéficier, d’une part, d’une protection des autorités irakiennes contre les menaces proférées à son encontre, au motif que le rapport 2015/2016 de l’organisation « Amnesty International » intitulé « La situation des droits humains dans le monde » ferait état de dysfonctionnements graves au niveau des autorités judiciaires irakiennes, en ce que des juges, des avocats, ainsi que des membres du personnel judiciaire auraient été la cible d’assassinats et d’attaques imputables au groupement terroriste se nommant « l’Etat islamique », ainsi qu’à d’autres milices armées. Il rajoute que le fait que des demandeurs de protection irakiens, dans d’autres Etats-membres de l’Union européenne, auraient demandé, respectivement demanderaient à retourner volontairement dans leur pays d’origine, ne serait pas pertinent pour déterminer la situation sécuritaire y régnant, tel que cela aurait été confirmé par un jugement du 26 octobre 2016 du tribunal administratif, inscrit sous le n° 38146 du rôle. Le demandeur conteste finalement toute possibilité de fuite interne dans son chef en se prévalant de la prise de position de l’UNHCR du 14 novembre 2016 et intitulée « UNHCR position on returns to Iraq » qui considère qu’il serait inapproprié de refuser l’octroi d’un statut de protection internationale à des ressortissants irakiens sur le fondement de l’existence d’une possibilité de fuite interne.

Il estime dès lors que ce serait à tort que le ministre lui aurait refusé le statut de réfugié et il conclut à la réformation de la décision sous analyse.

Le délégué du gouvernement rétorque que ce serait à bon droit que le ministre aurait refusé l’octroi du statut de réfugié à Monsieur …. A l’appui de ses conclusions, il réitère les développements du ministre quant à la réintégration des employés du dictateur irakien déchu, ainsi que des membres du parti politique de ce dernier, quant à la situation régnant à Diyala, quant aux menaces proférées à l’encontre du demandeur, quant à la disponibilité d’une protection de la part des autorités irakiens et quant à l’existence d’une possibilité de fuite interne, tout en citant les mêmes rapports que le ministre.

Le délégué du gouvernement conclut ainsi au rejet du recours sous analyse en ce qui concerne l’octroi du statut de réfugié.

Il y a, tout d’abord, lieu de relever que le ministre a mis en cause la crédibilité du récit de Monsieur … sur base du seul élément que ce dernier, au lieu de verser l’original du message contenant la menace accroché à sa porte par la milice Al-Haq, se serait contenté de produire un message imprimé à partir d’un site internet. Force est cependant de constater, 5d’une part, que si le ministre a effectivement mis en doute la réalité des menaces proférées à l’encontre du demandeur, il a néanmoins procédé à une analyse au fond pour rejeter la demande de protection internationale de celui-ci, et, d’autre part, que les conclusions étatiques se limitent à mettre en avant le fait que le message contenant la menace original n’aurait pas été soumis au ministre, sans cependant fournir davantage d’éléments permettant au tribunal de mettre en doute la réalité des menaces proférées à l’égard du demandeur. Eu égard au fait que les rapports invoqués par le demandeur dans le cadre du présent litige démontrent que des milices armées opèrent en Irak de la manière décrite par celui-ci et que le demandeur n’a pas tenté de passer sous silence le fait qu’il s’agissait en l’occurrence d’un message imprimé à partir d’un site internet, son objectif, tel que précisé dans la requête introductive d’instance, ayant été d’établir la teneur exacte des propos menaçants, le tribunal est amené à retenir que les faits invoqués par le demandeur sont considérés comme avérés.

Il convient ensuite de rappeler qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 :

« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », 6et aux termes de l’article 40 de la même loi: « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

A titre liminaire, il y a lieu de relever que le demandeur a, de manière explicite, précisé dans le cadre de son recours contentieux n’avoir fait état, lors de son audition du 15 7mars 2016, des incidents survenus en 2003, lors desquels il a été blessé par des coups de feu tirés sur lui par une personne inconnue et ayant conduit à son hospitalisation pendant plusieurs mois, respectivement en 2007 où son frère a été enlevé, pour expliquer son passé et les événements tragiques déjà subis par sa famille. Ces faits n’ont pas été invoqués en tant que motifs à l’appui de sa demande de protection internationale, de sorte que le tribunal ne les prendra pas en considération dans l’examen du bien-fondé de la décision ministérielle déférée.

Il ressort des déclarations du demandeur, telles qu’actées dans son rapport d’audition, que les faits principaux, qui l’ont amené à quitter son pays d’origine, s’inscrivent sur une toile de fond religieuse, et sont de ce fait a priori susceptibles de tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève, le demandeur ayant en effet expliqué faire l’objet de menaces de mort, respectivement d’enlèvement de ses enfants par une milice chiite, à savoir la milice Al-Haq, et ce, en raison de sa confession sunnite1.

Quant à la gravité des faits mis en avant par le demandeur, il échet de constater que celui-ci s’est vu, d’une part, adresser un avertissement écrit de la part de la milice Al-Haq, avertissement duquel il ressort que « […] Ceux qui collaborent avec Daesh on vous connaît et la prochaine fois ce ne sera pas un avertissement, on va couper la tête et on va l’envoyer à votre mère »2, et, d’autre part, menacé de l’enlèvement de ses enfants s’il refusait de se présenter à la base de ladite milice3, le demandeur, craignant d’y être tué, a décidé de quitter seul son pays d’origine. Une telle menace de mort, respectivement d’enlèvement présente indéniablement une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, alors que l’intégrité physique, voir la vie-même du demandeur et de sa famille sont mises en cause. Il y a encore lieu de rajouter que les déclarations de Monsieur … quant à la manière de procéder de la milice Al-Haq se trouvent corroborées par le rapport de l’organisation « Amnesty International », susmentionné, de janvier 2017 qui fait état de disparitions forcées, d’enlèvements, d’assassinats respectivement d’actes de torture à l’égard d’hommes de confession sunnite, tel que le demandeur, dans la province d’origine de ce dernier.

Au vu de ce qui précède, il existe un risque réel et sérieux d’atteinte à la vie de Monsieur … en cas de retour en Irak.

Finalement en ce qui concerne la possibilité pour le demandeur de prétendre à une protection adéquate des autorités irakiennes, respectivement la possibilité de fuite interne, il y a lieu de relever que l’Irak se trouve actuellement dans une « situation de guerre civile et terroriste » caractérisée par une collusion entre les forces gouvernementales irakiennes et les milices paramilitaires. Lesdites milices, ainsi que le groupe terroriste se nommant « l’Etat islamique » ont en effet commis des crimes de guerre ainsi que d’autres violations du droit international humanitaire et atteintes flagrantes aux droits humains. Ainsi, le groupe terroriste se nommant « l’Etat islamique » a perpétré des homicides s’apparentant à des exécutions contre ceux qui s’opposaient à son contrôle et contre des civils qui fuyaient les territoires dont il s’était emparé, ses membres ayant violé et soumis à d’autres actes de torture des femmes qu’ils avaient capturées, se sont servis de civils comme boucliers humains, respectivement ont utilisé des enfants soldats. De plus, des membres de milices ont exécuté sommairement, soumis à des disparitions forcées et à des actes de torture des civils qui fuyaient le conflit, et ont détruit des habitations et autres biens civils. Par ailleurs, des milliers de personnes 1 Pages 4 et 5 du rapport d’audition de Monsieur … du 15 mars 2016.

2 Page 4 du rapport d’audition de Monsieur … du 15 mars 2016.

3 Page 5 du rapport d’audition de Monsieur … du 15 mars 2016 8soupçonnées de liens avec le groupe terroriste se nommant « l’Etat islamique » ont été maintenues en détention sans jugement4.

Il y a lieu de retenir que dans le contexte décrit ci-avant, on ne saurait valablement reprocher au demandeur de ne pas avoir sollicité l’aide des autorités irakiennes, lesquelles sont elles-mêmes activement impliquées dans les exactions relevées plus en avant par le tribunal, et ce d’autant plus qu’au vu de la présence du conflit armé en Irak, la possibilité de bénéficier d’une protection adéquate, au sens de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, est en tout état de cause exclue5.

Etant donné, d’une part, que le demandeur est de confession sunnite, et, d’autre part, que les membres du groupe terroriste se nommant « l’Etat islamique », de même que les milices paramilitaires, ont commis des attentats-suicides et d’autres attaques meurtrières dans tout le pays, sans discrimination ou visant délibérément des civils, et ce indépendamment de leur confession, dont un certain nombre ont été tués ou blessés, lesdites attaques ayant été menées dans des marchés très fréquentés et dans d’autres lieux publics, le tribunal n’est pas en mesure, au vu des éléments versés en cause et eu égard à la situation de conflit armé interne sévissant actuellement en Irak de conclure que le demandeur, au regard de ses origines tant géographique que confessionnelle, puisse bénéficier d’une fuite interne, le ministre sur lequel repose la charge de la preuve restant, en effet, en défaut de rapporter l’existence, dans le cadre des conditions ambiantes actuelles en Irak, d’une région ou d’un quartier de la capitale iraquienne dans lequel le demandeur pourrait se réinstaller en toute sécurité.

Il résulte des développements qui précèdent, en l’état actuel d’instruction du dossier et des moyens échangés de part et d’autre et sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant, que Monsieur … prétend à juste titre à la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef, de sorte que la décision déférée encourt la réformation en ce sens.

L’analyse de la demande subsidiaire en obtention de la protection subsidiaire et du refus afférent du ministre devient, au vu de la conclusion dégagée ci-avant, surabondante.

2. Quant au recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un tel recours a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2) précité de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visés les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

4 Trib. adm. du 20 mars 2017, n°37763 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

5 Ibidem.

9En l’espèce, le demandeur sollicite la réformation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif que la décision portant refus de reconnaissance d’une protection internationale devrait être réformée. A titre subsidiaire, il soutient que l’ordre de quitter le territoire litigieux violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, dans la mesure où un retour en Irak l’exposerait à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours en affirmant que l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois serait la conséquence automatique de la décision de refus de la protection internationale sous examen, en précisant encore que le demandeur serait resté en défaut de prouver qu’un retour en Irak entraînerait pour lui des traitements contraires à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur est fondé à se prévaloir du statut de réfugié et que la décision de refus de la protection internationale est à réformer en ce sens, il y a lieu de réformer l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle déférée.

Partant, le recours en réformation est à accueillir pour être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 30 décembre 2016 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation de la décision ministérielle du 30 décembre 2016, accorde à Monsieur … le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et renvoie en conséquence le dossier devant le ministre compétent ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation, dit que Monsieur … ne doit pas quitter le territoire endéans 30 jours ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 décembre 2017 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, 10 en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 décembre 2017 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 39048
Date de la décision : 05/12/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-12-05;39048 ?

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