Tribunal administratif N° 40330 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 novembre 2017 2e chambre Audience publique extraordinaire du 1er décembre 2017 Recours formé par Monsieur ….., ….., contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 40330 du rôle et déposée le 2 novembre 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Denise Parisi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le ….. à ….. (Tunisie), de nationalité tunisienne, alias ….., né le ….., alias ….., né le ….., alias ….., né le ….., alias ….., né le ….., alias ….., né le ….., alias ….., né le ….., alias ….., né le ….., alias ….., né le ….., alias ….., né le ….., alias ….., né le ….., alias ….., né le ….. à ….. (Lybie), alias ….., né le ….. à ….., actuellement retenu au Centre de rétention de Luxembourg, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 octobre 2017 de le transférer vers l’Italie comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 novembre 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch en sa plaidoirie à l’audience publique du 27 novembre 2017.
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Le 27 septembre 2017, Monsieur ….., alias ….., alias ….., alias ….., alias ….., alias ….., alias ….., alias ….., alias ….., alias ….., alias ….., ci-après désigné par « Monsieur ….. », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur ….. fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Le lendemain, il fut entendu ainsi que par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
Par décision du 28 septembre 2017, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur ….. à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg.
Par décision du 9 octobre 2017, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre plaça Monsieur ….. en rétention.
Le 11 octobre 2017, le ministre contacta les autorités allemandes aux fins de la reprise en charge de Monsieur ….. sur base de la recherche effectuée dans la base de données EURODAC, demande qui fut refusée en date du 13 octobre 2017 au motif que les autorités italiennes auraient accepté de reprendre en charge Monsieur ….. le 25 juillet 2017.
Le 13 octobre 2017, le ministre contacta les autorités italiennes aux fins de la reprise en charge de Monsieur ….., ce qu’elles acceptèrent en date du 17 octobre 2017.
Par le biais d’une décision du 18 octobre 2017, notifiée à l’intéressé par remise en mains propres le 23 octobre 2017, le ministre informa Monsieur ….. de sa décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III.
Le même jour, le service de la police judiciaire fut chargé d’organiser le transfert de Monsieur ….. vers l’Italie.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 novembre 2017, inscrite sous le numéro 40330 du rôle, Monsieur ….. a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 18 octobre 2017.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, inscrite sous le numéro 40331 du rôle, Monsieur ….. a fait introduire un recours tendant à voir ordonner une mesure provisoire, afin qu’il soit sursis à l’exécution de son transfert vers l’Italie jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond, requête qui a été rejetée par ordonnance du président du tribunal administratif du 15 novembre 2017.
En vertu de l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en annulation contre une décision de transfert. Dès lors, le recours en annulation sous examen est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, Monsieur ….. fait valoir qu’il ne pourrait pas être transféré en Italie, étant donné qu’il n’y aurait pas déposé de demande de protection internationale. Il affirme qu’il aurait un « document d’identité » néerlandais valable jusqu’au 20 septembre 2018 et qu’en application de l’article 12 du règlement Dublin III, il devrait être transféré vers les Pays-Bas.
Le délégué du gouvernement conclut quant à lui au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens. Il estime qu’il ressortirait des éléments du dossier que le demandeur aurait déposé une demande de protection internationale en Italie en 2011 et qu’en tout état de cause, l’absence de dépôt en bonne et due forme d’une telle demande n’équivaudrait pas à un critère d’exclusion de la responsabilité d’un Etat membre pour le traitement de ladite demande introduite dans un autre Etat membre. Il signale encore que l’article 12 du règlement Dublin III ne serait pas applicable alors que le demandeur ne serait pas en possession d’un titre de séjour néerlandais mais d’un simple récépissé de dépôt de demande de protection internationale aux Pays-Bas.
Aux termes de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale. ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, il décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18 (1) d) du règlement Dublin III sur lequel le ministre s’est basé prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (…) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23,24,25, et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre. ».
Il ressort des recherches effectuées dans la base de données EURODAC que les empreintes digitales du demandeur ont été enregistrées en Italie le 7 décembre 2011, en Suisse le 24 avril 2012, en Allemagne les 21 et 26 juin 2017 et aux Pays-Bas le 19 septembre 2017.
Il ressort également du dossier administratif que les autorités italiennes ont accepté de reprendre en charge ce dernier le 17 octobre 2017, de sorte qu’elles se sont reconnues responsables de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …… Le tribunal relève que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application des prédits articles 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 18 (1) d) du règlement Dublin III, au motif que le Luxembourg ne serait pas compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Monsieur ….., et que cette responsabilité incomberait à l’Italie, Etat dans lequel il a été enregistré en date du 7 décembre 2011, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg et de le transférer vers l’Italie.
En ce qui concerne l’affirmation non autrement étayée du demandeur selon laquelle il n’aurait pas déposé de demande de protection internationale et qu’en conséquence le règlement Dublin III ne lui serait dès lors pas applicable, celle-ci est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence du demandeur et de rechercher lui-
même les moyens juridiques ainsi que les articles du règlement Dublin III qui disposeraient en ce sens, et qui auraient pu se trouver à la base de ses affirmations.
Afin d’être complet, le tribunal précise que les affirmations du demandeur sont contredites par le résultat de la recherche effectuée dans la base de données EURODAC, de laquelle il ressort qu’il a effectivement déposé une demande de protection internationale le 7 décembre 2011 en Italie, information qui est en outre confirmée par le fait que les autorités italiennes ont accepté de le reprendre en charge sur base de l’article 18 (1) d) de loi du 18 décembre 2015, qui vise notamment la reprise en charge du demandeur de protection internationale par l’Etat membre qui l’a précédemment débouté.
En ce qui concerne l’article 12 du règlement Dublin III dont Monsieur ….. demande l’application en affirmant qu’il disposerait d’un « document d’identité » néerlandais, cet article vise, comme son titre l’indique, la délivrance de titres de séjour ou de visas.
Il y est prévu que : « 1. Si le demandeur est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.
2. Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d’un autre État membre en vertu d’un accord de représentation prévu à l’article 8 du règlement (CE) n°810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas. Dans ce cas, l’État membre représenté est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. (…) ».
Le titre de séjour est défini à l’article 2, point l), du règlement Dublin III comme étant « (…) toute autorisation délivrée par les autorités d’un État membre autorisant le séjour d’un ressortissant de pays tiers ou d’un apatride sur son territoire, y compris les documents matérialisant l’autorisation de se maintenir sur le territoire dans le cadre d’un régime de protection temporaire ou en attendant que prennent fin les circonstances qui font obstacle à l’exécution d’une mesure d’éloignement, à l’exception des visas et des autorisations de séjour délivrés pendant la période nécessaire pour déterminer l’État membre responsable en vertu du présent règlement ou pendant l’examen d’une demande de protection internationale ou d’une demande d’autorisation de séjour ».
Etant donné que la pièce dont le demandeur se prévaut a été délivrée par les autorités néerlandaises le 20 septembre 2017, soit le lendemain du dépôt de sa demande de protection internationale à Ter Apel aux Pays-Bas, qu’il ressort des recherches effectuées par la partie étatique que « (…) During the registration procedure, you sign your asylum application. A Foreign Nationals Identity Document type W is requested for you (…) », qu’il est précisé à propos de ce document que « It is not a residence permit. Nor is it a border-crossing document (passport) », et que sur le document délivré à Monsieur ….., alias ….., il est précisément indiqué qu’il s’agit d’un document de type W, il y a lieu d’en conclure qu’il ne s’agit pas d’un titre de séjour au sens de l’article 2, point l), du règlement Dublin III précité, mais d’un document de séjour délivré pour la seule période nécessaire pour déterminer l’État membre responsable en vertu du règlement Dublin III.
Il s’ensuit que l’article 12 du règlement Dublin III n’est pas applicable, de sorte que le moyen y afférent est à écarter pour être non fondé.
C’est dès lors à bon droit que le ministre a pris la décision litigieuse.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
quant au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 1er décembre 2017, par le vice-président, en présence du greffier assumé Vanessa Soares.
s.Vanessa Soares s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er décembre 2017 Le greffier assumé du tribunal administratif 5