Tribunal administratif N° 38341 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 août 2016 1re chambre Audience publique du 29 novembre 2017 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, …, contre un arrêté du Conseil de gouvernement en matière de sites et monuments
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38341 et déposée le 12 août 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Gast Neu, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par ses gérants actuellement en fonctions, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro d’identité …, tendant à la réformation d’un arrêté du Conseil de gouvernement du 13 mai 2016 classant comme monument national l’immeuble sis à L-…, inscrit au cadastre de la Ville de Luxembourg, section … de …, sous le numéro …, au lieu-dit « …»;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 décembre 2016 par le délégué du gouvernement ;
Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Gast Neu au greffe du tribunal administratif en date du 13 janvier 2017 au nom de la société à responsabilité limitée …, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Didier Schönberger, en remplacement de Maître Gast Neu, et Madame le délégué du gouvernement Jeannine Dennewald en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 octobre 2017.
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Par le biais de courriers recommandés séparés du 29 septembre 2014, le ministre de la Culture, ci-après désigné par « le ministre », informa le bourgmestre de la Ville de Luxembourg, ainsi que Messieurs …, … et …, ci-après désignés par « les consorts … », en leur qualité de propriétaires de l’immeuble sis à L-…, inscrit au cadastre de la Ville de Luxembourg, section … de …, sous le numéro …, de son intention d’inscrire ledit immeuble à l’inventaire supplémentaire des monuments nationaux conformément à l’article 17 de la loi modifiée du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, ci-après « la loi du 18 juillet 1983 ».
Par arrêté ministériel du 4 mars 2015, l’immeuble en question fut inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments nationaux.
Par courrier recommandé du 23 avril 2015, les consorts … informèrent le ministre par l’intermédiaire de leur conseil qu’un dénommé …entendait se porter acquéreur de l’immeuble litigieux, ainsi que de leur décision de demander, pour le 25 mai 2015, une autorisation de démolir l’immeuble en question auprès de l’administration compétente.
Par courrier du 11 mai 2015, le ministre informa le mandataire des consorts … qu’il lui était impossible de marquer son accord avec une démolition de l’immeuble concerné au motif que celui-ci ferait partie du patrimoine architectural de la Ville de Luxembourg, de même que de sa décision d’engager une procédure de classement dudit immeuble comme monument national.
Par arrêté du 21 mai 2015, le ministre proposa « au classement comme monument national en raison de son intérêt historique, architectural et esthétique, la maison sise …, inscrite au cadastre de la commune de Luxembourg, section … de …, sous le numéro … ».
L’intérêt historique, architectural et esthétique de l’immeuble en question fut motivé comme suit :
« La maison sise …, est une villa urbaine, une maison de maître, qui a été construite en 1925.
La propriété se trouve sur le coin entre …et le …et est entourée par un muret muni d’un grillage métallique. L’emplacement de la maison sur le coin marque l’espace-rue de manière intéressante et présente un intérêt urbanistique non négligeable. Cette importance est renforcée par les espaces verts autour de la maison qui font partie de la propriété.
L’immeuble s’élève sur deux niveaux posés sur un socle et surmontés par une impressionnante et complexe toiture mansardée. La composition des façades ainsi que l’emplacement et la taille des ouvertures avec leurs encadrements en pierre sont différents de chaque côté, constituant néanmoins un ensemble harmonieux grâce à l’imposante toiture qui relie le tout. La porte d’entrée est couverte par un auvent en ferronnerie et en verre.
Par ses dimensions et son gabarit, l’immeuble en question s’intègre très bien dans l’ensemble urbanistique de … et fait partie du patrimoine bâti du quartier …. Par son âge et son architecture, il est un témoin authentique et caractéristique pour son époque de construction et du développement urbanistique de la Ville de Luxembourg.
Ainsi, la maison mérite d’être protégée et conservée en raison de son intérêt historique de même que pour ses qualités architecturales, urbanistiques et esthétiques. » Par courriers recommandés de leur litismandataire des 7, 11 et 19 août 2015, les consorts … s’opposèrent à ladite proposition de classement leur notifiée par courrier du 21 mai 2015.
Par courrier recommandé du 8 avril 2016, le ministre informa les consorts … qu’il maintenait sa décision de proposer le classement de l’immeuble litigieux comme monument national sur base des motifs et considérations suivants :
« […] le bâtiment remplit plusieurs des critères énumérés par l’article 1er, alinéa 1 de la loi du 18 juillet 1983, concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, à savoir :
- l’intérêt historique : âge de la bâtisse, témoin authentique de son époque de construction, - l’intérêt architectural et esthétique : physionomie du tissu urbain et expression architecturale du bâtiment.
De surcroît, l’arrêté ministériel reprend explicitement en quoi consiste l’intérêt public de protection et ce en mentionnant les critères historiques, architecturaux et esthétiques identifiés par les experts du Service des sites et monuments nationaux et ceux de la Commission des Sites et Monuments.
L’implantation de la maison marque sans aucun doute l’espace-rue à cet endroit.
L’entrée de la maison est tournée vers …et le portail d’entrée intégré dans le muret d’enceinte donne sur le coin créé par …et le …. Bien que le …n’ait été érigé qu’après la construction de la maison, des cartes historiques prouvent l’existence d’une ancienne rue débouchant sur …à côté de la maison en question. Ainsi, l’implantation de la maison au coin de deux rues a toujours existé et a toujours été un repère du lieu. Le tracé de l’ancienne rue était certes différent de celui de l’actuel …, mais son point de départ au niveau de …a été le même et la parcelle a donc été plus grande. D’ailleurs, le fait qu’il s’agisse d’une maison qui présente 3 façades libres et un pignon aveugle, montre que la situation de coin entre deux rues telle que décrite existait déjà à l’époque de construction. Un intérêt urbanistique paraît donc évident.
Le quartier de … a depuis longtemps été une banlieue prospère de la capitale et …est un des grands axes menant au centre-ville et possédant de nombreuses demeures importantes.
La typologie et l’implantation de la maison en retrait en tant que villa urbaine (« Vorortvilla ») rentre parfaitement dans ce contexte.
La maison ne constitue nullement un « élément perturbateur dans une zone d’urbanisation harmonieuse » comme vous le prétendez. Au contraire, elle est un moment fort et un témoin du passé illustre de cette avenue qui a connu depuis lors, malheureusement, beaucoup trop de transformations d’une qualité architecturale plutôt pauvre. L’implantation d’un immeuble d’une telle envergure joue un rôle important pour la sauvegarde du tissu historique de la ville de Luxembourg ainsi que pour son image.
Votre comparaison entre le jardin de la maison, qui est un espace privé délimité de la rue par un muret, avec le parc de …, qui est un espace public accessible à tout le monde, est erronée. Evidemment, le jardin ne sert pas de récréation publique. Le jardin a été conçu pour mettre en valeur la maison ; il constitue un élément visuel qui permet la respiration, donc un outil stratégique de toute une planification architecturale et urbanistique.
En ce qui concerne le soubassement, il est évident que la possession d’un tel élément ne justifie pas à lui seul le classement de l’immeuble. Il s’agit ici d’un fait qui montre à quel point l’immeuble s’intègre dans le tissu d’origine. Bien qu’il s’agisse de différentes typologies de maisons, elles sont nombreuses dans les alentours à posséder un « soubassement en bossage rustique » qui est donc un élément commun de cet endroit. Votre série de photos de maisons avoisinantes démontre très bien ce constat. Il en est de même pour les murets et grillages.
La maison en question est un témoin authentique de son époque de construction utilisant des matériaux typiques et adaptés. Il est tout à fait normal que la charpente d’une telle typologie de construction (villa d’habitation) ne soit pas en acier ! De plus, il n’a jamais été question de « caractère innovateur », mais bien de témoin authentique faisant partie du patrimoine bâti du quartier. Vu l’implantation, les dimensions et l’ampleur de la propriété on ne peut cependant certainement pas parler de « banal du quotidien ».
L’existence d’un pignon aveugle laisse en effet présager l’adossement d’un deuxième immeuble. Comme un classement n’exclut nullement une modernisation, les différentes parties pourront bénéficier de changements afin de les adapter aux besoins actuels, tout en conservant la substance bâtie et l’image de l’ensemble. Une analyse s’impose pour définir le degré d’intervention pour les différentes parties. Comme déjà annoncé, un architecte du Service des sites et monuments nationaux se tient à la disposition de vos mandants pour le développement d’un projet.
Cependant, il est à noter que la parcelle, qui était largement plus grande à l’époque, a déjà connu de nombreux morcellements, lotissements et défigurations par des constructions de moindre qualité architecturale, ce qui rend un tel adossement certes difficile.
La comparaison entre des cités ouvrières et la maison en question nous paraît curieuse et inappropriée en l’espèce. Il s’agit d’une tout autre typologie de construction qui remplit une autre fonction.
L’utilisation de différents matériaux n’est nullement une « situation hybride et non réfléchie », comme vous l’affirmez. Bien au contraire, chaque matériau est utilisé de manière pertinente et adaptée à ses propriétés mécaniques de sorte que chaque élément répond à une fonction bien précise. Il semble évident que la maison n’est pas entièrement en pierres de taille ou que la charpente n’est pas en béton. Cela serait irrationnel et n’aurait donc aucun sens. Matériaux d’origine signifie matériaux avec lesquels le bâtiment a été érigé au moment de sa construction. La plus grande partie de ces matériaux sont encore présents. Même si une maison présente un intérieur plus modeste et sobre, sans « stucs, sans peintures aux plafonds, sans lambris de qualité », cela n’enlève rien à la valeur patrimoniale de ce bien. […] » Par arrêté du 13 mai 2016, notifié aux intéressés par courriers recommandés du 19 mai 2016, le Conseil de gouvernement procéda au classement de l’immeuble litigieux. Cet arrêté a la teneur suivante :
« Art. 1er.- Est classée monument national la maison sise …, inscrite au cadastre de la commune de Luxembourg, section … de …, sous le numéro ….
Art. 2.- La présente décision est susceptible d’un recours au fond devant le Tribunal administratif de et à Luxembourg. Ce recours doit être intenté par ministère d’avocat dans les trois mois de la notification du présent arrêté au moyen d’une requête à déposer au secrétariat du Tribunal administratif.
Art. 3.- Le présent arrêté est transmis à Madame la Ministre de la Culture aux fins d’exécution. Copie en est notifiée aux propriétaires et à la Ville de Luxembourg pour information et gouverne. […]».
Par acte notarié du 18 juillet 2016, la société à responsabilité limitée …, ci-après désignée par « la société… », acquit l’immeuble litigieux.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 août 2016, la société… a fait introduire un recours en réformation contre l’arrêté du Conseil de gouvernement du 13 mai 2016 portant classement comme monument national de l’immeuble sis à L-…, ….
L’article 4 de la loi précitée du 18 juillet 1983 prévoit un recours au fond lorsque le propriétaire de l’immeuble classé s’est opposé endéans un délai de six mois à l’arrêté ministériel de proposition de classement émis au début de la procédure de classement. Dans la mesure où en l’espèce, les propriétaires de l’époque de l’immeuble litigieux se sont opposés dans ledit délai de six mois à la proposition de classement, un recours en réformation a valablement pu être introduit contre l’arrêté précité du Conseil de gouvernement du 13 mai 2016 classant l’immeuble litigieux comme monument national.
Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, la société demanderesse met tout d’abord en avant que l’arrêté litigieux reposerait sur l’avis de la commission des Sites et Monuments nationaux (« COSIMO ») du 21 mai 2015, sur celui du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 13 juillet 2015, sur l’arrêté ministériel du 21 mai 2015 proposant le classement de l’immeuble comme monument national, ainsi que sur le courrier du ministre du 8 avril 2016 en réponse aux courriers de contestation des anciens propriétaires dudit immeuble par rapport à la proposition de classement.
De ce fait, il y aurait lieu de considérer que l’arrêté ministériel litigieux serait fondé sur les points suivants :
- l’emplacement de la maison sur le coin de rue marquerait l’espace-rue de manière intéressante et présenterait un intérêt urbanistique non négligeable ;
- cette importance serait renforcée par les espaces verts autour de la maison qui font partie intégrante de la propriété ;
- l’immeuble s’élèverait sur deux niveaux posés sur un socle et surmontés par une impressionnante et complexe toiture mansardée ;
- la composition des façades, ainsi que l’emplacement et la taille des ouvertures avec leurs encadrements en pierre seraient différents de chaque côté, constituant néanmoins un ensemble harmonieux grâce à l’imposante toiture reliant le tout ;
- la porte d’entrée serait couverte par un auvent en ferronnerie et en verre;
- par ses dimensions et son gabarit, l’immeuble en question s’intégrerait très bien dans l’ensemble urbanistique de …et ferait partie du patrimoine bâti du quartier … ;
- par son âge et son architecture, il serait un témoin authentique et caractéristique pour son époque de construction et du développement urbanistique de la Ville de Luxembourg.
Or, la société demanderesse conteste formellement chacun des critères sur lesquels le ministre s’est fondé pour décider du classement de l’immeuble litigieux comme monument national.
En ce qui concerne tout d’abord le critère tenant à l’emplacement de la maison, elle fait valoir qu’un tel critère ne figurerait pas parmi ceux que le service des Sites et Monuments Nationaux (« SSMN ») aurait retenu comme permettant de considérer qu’un immeuble bâti mérite de bénéficier d’une mesure de conservation.
A cela s’ajouterait que, dans la mesure où en face de la maison litigieuse ne se trouveraient que des immeubles tout à fait communs, l’intérêt urbanistique de l’immeuble en cause serait plus que limité, ce d’autant plus que n’importe quel immeuble construit sur le même emplacement marquerait l’espace-rue de manière tout aussi intéressante.
La société demanderesse fait également remarquer que dans le courrier du 8 avril 2016 lui adressé en réponse à ses courriers de contestation de l’arrêté de proposition de classement, le ministre affirmerait que si l’implantation de la maison au coin des deux rues avait toujours existé, le tracé de l’ancienne rue aurait été différent de celui de l’actuel …. Or, comme ledit boulevard aurait été érigé bien après la maison litigieuse, la partie demanderesse en conclut que l’intérêt urbanistique ferait manifestement défaut.
Par ailleurs, l’immeuble en cause aurait été construit dans un contexte rural n’existant plus actuellement, la société demanderesse expliquant que les photographies versées à la photothèque de la Ville de Luxembourg montreraient que la propriété aurait touché un jardin d’horticulteurs.
La société demanderesse insiste encore sur le fait que la construction, en ce qu’elle est en retrait, ne conviendrait pas à un aménagement urbain et que l’immeuble aurait été construit en retrait d’une route nationale se dirigeant vers la capitale. Elle explique que l’urbanisme qui aurait été prôné par le gouvernement luxembourgeois aurait déjà exigé du temps de la forteresse, en zone urbaine, l’alignement des constructions et ce, dans le but d’éviter des coins et recoins peu sûrs et non hygiéniques. Or, comme la zone accueillant la construction litigieuse se serait située à l’époque en lointaine périphérie de la ville, cette obligation n’aurait pas été prescrite, la société demanderesse renvoyant, par ailleurs, à une étude urbaine du 23 janvier 2015 qui mettrait en exergue cette ouverture inesthétique dans le tissu urbain.
Elle en conclut que l’immeuble litigieux constituerait plutôt un élément perturbateur dans une zone d’urbanisation harmonieuse.
Pour ce qui est ensuite du renforcement de l’intérêt urbanistique de l’immeuble litigieux à travers la présence d’espaces verts, la société demanderesse donne à considérer que dans la mesure où ce point ne concernerait aucunement l’immeuble lui-même, il ne saurait motiver la conservation de celui-ci. A cela s’ajouterait qu’en raison de la taille du terrain, il y aurait toujours un espace libre, indépendamment du positionnement, de la taille ou de l’état général de l’immeuble.
La société demanderesse relève ensuite que, pour ce qui est de l’intérêt architectural et esthétique tiré de l’existence de deux niveaux posés sur un socle et surmontés par une toiture mansardée, qualifiée par le ministre d’impressionnante et de complexe, de nombreux autres immeubles dans le quartier … à Luxembourg répondraient à ce critère. A cela s’ajouterait que le principe de la toiture mansardée ne relèverait d’aucun particularisme permettant de considérer que l’immeuble rencontre un critère justifiant sa protection. De même, elle estime que le fait que l’immeuble soit constitué d’un soubassement ne s’analyserait aucunement en un argument pertinent étant donné que d’autres maisons et immeubles de la rue concernée et de celles adjacentes disposeraient d’un tel soubassement puisque la pratique d’élever un immeuble sur un soubassement en bossage rustique aurait été courante jusque dans les années 1950. Le ministre lui-même aurait d’ailleurs reconnu à travers son courrier du 8 avril 2016 l’absence d’intérêt de conservation de l’immeuble de ce point de vue.
La société demanderesse donne ensuite à considérer qu’en mettant en avant que même si la composition des façades, ainsi que l’emplacement et la taille des ouvertures avec leurs encadrements en pierre étaient différents de chaque côté, la maison devrait quand même s’analyser comme constituant un ensemble harmonieux par son imposante toiture, le ministre admettrait que l’immeuble ne relève pas d’un intérêt architectural particulier à l’exception de la toiture dont le seul critère retenu serait en fin de compte celui de son caractère imposant.
Or, elle estime que contrairement à ce qui serait retenu dans l’arrêté ministériel du 21 mai 2015, si la toiture avait des dimensions importantes, la cause en serait uniquement la taille de l’immeuble, la toiture en elle-même ne relevant pas d’un style, d’une rareté ou d’une originalité tels que la mise sous protection de l’immeuble serait justifiée.
Par ailleurs, la toiture dite imposante serait typique de l’architecture nordique adaptée au climat et se retrouverait d’ailleurs de manière fréquente dans le parc immobilier de la Ville de Luxembourg.
La société demanderesse estime ensuite que la toiture mansardée serait réalisée de manière ordinaire et ne constituerait en rien une nouveauté architecturale, de sorte que tant au niveau de sa structure que des matériaux utilisés l’immeuble n’apporterait aucune plus-value historique.
A cela s’ajouterait que l’analyse des façades et de l’intérieur de la maison permettrait de constater que des transformations importantes auraient été opérées de sorte que l’aspect original de l’immeuble n’aurait pas été conservé.
La société demanderesse fait encore valoir, d’une part, que la conception originale de la maison aurait déjà envisagé une densification de la parcelle et, d’autre part, que lorsque le gouvernement et la Ville de Luxembourg auraient autorisé la construction des immeubles aux boulevards Roosevelt, Royal, Prince Henri et Joseph II, ils auraient exigé la construction de villas et de maisons jumelées ou triplées à quatre façades.
Finalement, la société demanderesse met en avant que les alignements de corniches et les embrasures des fenêtres ne seraient pas aménagés avec précision, de sorte que la qualité architecturale de la maison serait plutôt moyenne.
En ce qui concerne ensuite la porte d’entrée couverte de la maison, la société demanderesse fait valoir qu’il n’y aurait rien de plus banal qu’un auvent en ferronnerie et en verre, de sorte que ce critère ne serait pas pertinent. A cela s’ajouterait que le verre de l’auvent aurait déjà été remplacé, de sorte que le seul élément original serait l’ossature de l’auvent qui pourrait éventuellement être déposé pour être conservé, sans toutefois être suffisant pour justifier le classement de l’immeuble.
La société demanderesse met ensuite en avant que l’intégration d’un immeuble dans l’ensemble urbanistique en raison de ses dimensions et de son gabarit ne ferait pas non plus partie des critères utilisés par le SSMN. Elle souligne, à cet égard, qu’un tel argument ne coïnciderait ni avec le critère de représentativité pour l’histoire politique, ni avec celui de l’illustration de l’histoire d’époques passées. A cela s’ajouterait que le seul fait qu’il puisse s’agir d’une bâtisse aux dimensions importantes ne serait pas un critère permettant de considérer l’immeuble comme présentant un intérêt suffisant pour en rendre désirable la conservation. Par ailleurs, il apparaîtrait que le critère d’intégration ne serait de toute façon pas rempli en l’espèce puisqu’il s’agirait du seul bâtiment du genre en vue au niveau du carrefour concerné.
Enfin, la société demanderesse conteste que l’immeuble litigieux puisse être considéré comme étant un témoin authentique et caractéristique pour son époque de construction et du développement urbanistique de la Ville de Luxembourg, alors qu’il serait établi qu’il ne représenterait aucunement un style ou une époque de façon exemplaire, ni même son paroxysme. Il s’agirait, en effet, d’une construction classique dépourvue d’une quelconque rareté ou authenticité.
Ainsi, elle relève que la composition des façades, l’emplacement et la taille des ouvertures dans les différents murs de façade ne seraient pas les mêmes, de sorte que l’immeuble ne pourrait être considéré ni de standard, ni d’uniforme, sans pour autant qu’il puisse en être déduit qu’il soit à considérer comme une originalité, tel un éclectisme au sens architectural du terme.
Elle ajoute que les matériaux utilisés, qui ne seraient pas d’origine, ne traduiraient ni l’harmonie, ni la hiérarchie de ceux-ci. Par ailleurs, l’intérieur de l’immeuble aurait été sujet à de nombreuses transformations ne présentant elles non plus aucun intérêt.
Il s’ensuivrait que l’immeuble litigieux ne relèverait pas d’une importance architecturale, ni ne serait-il un témoin particulier pour l’histoire nationale, locale, sociale, politique, religieuse, militaire, technique ou industrielle.
La société demanderesse en conclut que le ministre n’aurait pas établi de manière concrète dans quelle mesure l’immeuble représenterait, d’un point de vue architectural ou historique, le style ou l’époque de façon exemplaire.
Dans son mémoire en réponse, la partie étatique fait valoir que le bâtiment litigieux en raison du fait qu’il présenterait un intérêt historique, architectural et esthétique indéniable, remplirait plusieurs des critères énumérés à l’article 1er, alinéa 1er, de la loi du 18 juillet 1983.
Ces critères seraient plus particulièrement remplis en ce qui concerne tous les points contestés par la société demanderesse.
En ce qui concerne tout d’abord l’emplacement de la maison litigieuse, et notamment le reproche suivant lequel un tel critère ne figurerait pas expressément parmi les critères du SSMN, respectivement que n’importe quel autre bâtiment construit sur le même emplacement marquerait l’espace-rue de la même manière, la partie étatique donne à considérer que s’il était vrai que tout bâtiment marque l’espace-rue, il n’en resterait pas moins que, contrairement à l’immeuble litigieux, tous ne présenteraient pas un intérêt urbanistique à être préservés étant donné que tous les immeubles en place ne marqueraient pas l’espace-rue de manière positive, à savoir en valorisant le tissu urbain.
La partie étatique estime qu’au lieu de voir la maison comme une ouverture inesthétique ou comme un élément perturbateur, il faudrait plutôt la considérer comme un élément clé à cet endroit de la Ville de Luxembourg, voire un générateur d’identité et de mémoire du lieu. Ce serait aussi dans cette optique qu’il y aurait lieu de comprendre le terme de « respiration » au sens urbanistique, à savoir un changement de rythme, « une ouverture dans un entourage plutôt modèle par des architectures banales récentes ».
A cela s’ajouterait que même si le …n’avait été érigé qu’après la construction de la maison litigieuse, des cartes historiques prouveraient l’existence d’une ancienne rue débouchant sur …à côté de la maison en question, de sorte que l’implantation de celle-ci au coin de deux rues aurait toujours existé et aurait toujours été un repère du lieu. La partie étatique estime, par ailleurs, que le fait qu’il s’agisse d’une maison présentant trois façades libres et un pignon aveugle montrerait que la situation de coin entre deux rues telle que décrite aurait déjà existé à l’époque de la construction et que, de toute manière, au vu du fait qu’une grande partie de la ville aurait changé depuis la construction de la maison, ce serait la situation actuelle qu’il faudrait prendre en compte.
En ce qui concerne ensuite la présence d’espaces verts renforçant l’intérêt urbanistique, la partie étatique met en avant que la construction en retrait serait également un aménagement urbain et que de nombreux exemples se trouveraient dans les quartiers … et …, ainsi que sur le …. Ces immeubles seraient « exigés » en retrait et devancés par des jardinets et ce serait justement cette implantation qui distinguerait la villa urbaine de la villa mitoyenne.
La partie étatique met ensuite en avant que le volume impressionnant de la toiture mansardée qui résulterait notamment de sa pente, du plan irrégulier de la maison, de la partie élancée à croupes d’épis de faitage donnant l’impression d’une petite tour, représenterait clairement un élément esthétique mettant en valeur l’apparence de l’immeuble. A cela s’ajouterait que la toiture surmonterait une travée d’ouvertures se distinguant déjà par un bow-
window et un balcon. Si elle concède que la toiture ne constituerait pas une nouveauté architecturale, ce qui n’aurait d’ailleurs jamais été affirmée, il n’en resterait pas moins que la valeur historique d’un immeuble ne se résumerait pas que par des éléments innovateurs.
La partie étatique souligne ensuite que le ministre n’aurait jamais reconnu l’absence d’intérêt historique, architectural ou esthétique de l’immeuble, mais que, bien au contraire, ces intérêts auraient été énoncés et argumentés à de nombreuses reprises. Ainsi, la composition asymétrique des façades, qui irait de pair avec le plan irrégulier, serait un élément clé de la villa érigée à la fin du 19e siècle, début 20e siècle.
Elle met encore en avant que les critères de protection que le SSMN utilise ne seraient jamais tous remplis en même temps pour un même objet et qu’en l’espèce, il ne s’agirait pas du critère de représentation significative d’un style, mais du critère consistant à être caractéristique pour une époque de construction.
En ce qui concerne les matériaux et les techniques de construction utilisés pour l’immeuble litigieux, la partie étatique renvoie au contenu du courrier ministériel du 8 avril 2016.
Finalement, pour ce qui est des contestations de la société demanderesse concernant le caractère de témoin authentique et caractéristique de son époque de construction et du développement urbanistique de la Ville de Luxembourg, tel qu’il a été retenu dans le chef de l’immeuble litigieux, la partie étatique met en avant que l’éclectisme serait un style bien défini dans l’histoire de l’architecture et qu’il n’aurait pas été utilisé de manière correcte par la société demanderesse. En effet, elle estime que la maison en cause serait bien à considérer comme un témoin de l’histoire nationale, locale et sociale étant donné qu’il s’agirait d’un type de maison bien défini pour une certaine classe de la société. Elle serait, par ailleurs, un témoin pour cet endroit de la ville et de son passé, ainsi qu’un témoin national.
La partie étatique en conclut que d’un point de vue historique, architectural et esthétique la conservation de l’immeuble litigieux présenterait un intérêt public et que l’arrêté litigieux reprendrait d’ailleurs expressément en quoi consiste cet intérêt public de protection en mentionnant les critères historiques, architecturaux et esthétiques concernés.
Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse insiste sur le fait qu’il serait manifeste que n’importe quel bâtiment construit sur le terrain en cause marquerait l’espace-
rue. Ensuite, elle met en avant qu’il ressortirait des cartes topographiques versées par elle que non seulement l’immeuble litigieux ne marquerait pas le coin de deux rues, même anciennes, mais que, par ailleurs, ces cartes démontreraient que l’immeuble serait perdu dans cette zone d’habitation. Il se dégagerait également de la carte routière versée en cause que l’immeuble ne serait pas aligné par rapport aux autres immeubles bordant …, mais qu’il serait totalement en retrait par rapport à la suite d’immeubles le précédant. Il serait en réalité plutôt en alignement avec le …, ce qui ne conférerait par conséquent pas un caractère particulièrement historique à sa situation. A cela s’ajouterait que, contrairement à ce que soutient la partie étatique, l’immeuble litigieux n’aurait pas été construit dans l’optique de constituer le marquage du coin de l’ancienne rue débouchant sur …, puisque, tel que cela se dégagerait du dossier administratif, il ressortirait de la demande d’autorisation de bâtir déposée en 1925 que l’autorisation aurait compris comme condition particulière l’orientation de la façade par rapport à l’actuel …, alors en projet de construction sous le nom de « rue de la vallée projetée ».
Il serait dès lors faux d’affirmer que l’immeuble en question serait un repère du lieu, à savoir la jonction de la rue ayant existé avant la construction du …et …. Par ailleurs, les cartes topographiques des années 1907 et 1927 ne mettraient pas en exergue cette ancienne rue, de sorte que l’affirmation étatique suivant laquelle l’immeuble en cause se serait trouvé en alignement de la rue ayant préexisté au …serait formellement contestée. En renvoyant à la carte routière actuelle versée en cause, la société demanderesse ajoute que l’axe de regard de la maison en cause ne correspondrait pas à l’alignement des rues et que l’étude urbaine versée par elle fournirait des illustrations éloquentes de ce problème urbanistique.
Il s’ensuivrait que ce serait à tort que la partie étatique invoquerait le fait que la maison constituerait un élément clé à cet endroit de la Ville de Luxembourg, voire un générateur d’identité et de mémoire de lieu.
Ce serait également à tort que la partie étatique interpréterait les caractéristiques de l’immeuble comme autant d’éléments de valorisation alors qu’il ne s’agirait que du résultat de simples circonstances de fait. Plus particulièrement, l’existence de trois façades libres et d’un pignon aveugle ne relèverait pas d’une question de coin de rue mais du non achèvement d’un ensemble immobilier qui aurait dû comprendre la construction contre ce mur aveugle d’un autre immeuble. Ce serait pour cette raison que l’immeuble ne pourrait pas recevoir la qualification de villa ou de maison de maître, marquant l’échelon supérieur de l’échelle sociale, puisque pour ce faire, elle devrait être libre des quatre façades.
En se référant à un ouvrage du docteur …, la société demanderesse fait valoir que l’immeuble en cause ne recouperait aucune des caractéristiques mises en avant dans ledit ouvrage en ce qui concerne les villas.
A cela s’ajouterait que la partie étatique tenterait de comparer le retrait d’immeubles se situant dans les quartiers … et … ou du … avec celui en cause. Or, la société demanderesse met en avant que si pour les premiers, les immeubles étaient devancés de jardinets, ceux-ci auraient été aménagés en harmonie puisque lesdits jardins se présenteraient en continu le long des boulevards, tandis que l’immeuble en cause serait le seul à avoir un tel retrait sur …. Ce point de vue serait confirmé dans le même ouvrage du docteur ….
La société demanderesse insiste, par ailleurs, sur le fait que la réduction du terrain adjacent à celui de l’immeuble en cause démontrerait bien qu’il ne s’agirait en rien d’un ensemble harmonieux relevant d’un intérêt urbanistique, ce d’autant plus que si un tel intérêt devait avoir existé, la terrasse arrière n’aurait pas pu faire l’objet d’une modification en 1959, ni la cuisine ou l’entrée du garage n’auraient-elles pu être modifiées.
La société demanderesse insiste ensuite sur le fait que ce serait à tort que la partie étatique soutient que la valeur historique d’un immeuble ne se résumerait nullement que par des éléments innovateurs, étant donné que l’élément innovateur permettrait justement de justifier le classement d’un immeuble comme site national.
La société demanderesse est, par ailleurs, d’avis que la partie étatique se méprendrait d’un double point de vue en invoquant la composition asymétrique en tant qu’élément clé de la villa érigée à la fin du 19e, début du 20e siècle. En effet, elle estime, d’une part, que pour les raisons déjà mises en avant par elle, il ne pourrait pas s’agir d’une villa, mais que, par ailleurs, l’immeuble ne serait pas doté d’une asymétrie particulière, telle que caractérisée par exemple dans le style avant-gardiste d’immeubles conçus par l’architecte …qui aurait préconisé l’emploi de matériaux modernes, tels que le verre, le béton armé et l’acier.
Il serait également faux de prétendre que l’immeuble litigieux serait un témoin pour l’histoire nationale, locale et sociale. En effet, aucune personne connue n’y aurait habité, de même qu’aucun accord international n’y aurait été entériné, ni même un quelconque acte à connotation historique ne s’y serait produit. La partie étatique ne préciserait, par ailleurs, pas à quelle histoire sociale il serait fait référence. Le même constat s’imposerait en ce qui concerne l’intérêt public que la partie étatique met en avant en le rattachant à une vision historique, architecturale et esthétique.
La société demanderesse insiste encore sur le fait que le rapport de réunion de la COSIMO du 24 juillet 2014 poserait des affirmations sans contrepartie concrète en relevant que « l’emplacement de la maison sur le coin marque l’espace-rue de manière intéressante », respectivement floue en retenant que « par son âge et son architecture, [l’immeuble] est un témoin authentique et caractéristique pour son époque de construction et du développement urbanistique de la Ville de Luxembourg », sans préciser de quelle architecture il serait question ou en quoi l’immeuble serait un témoin de son époque.
La société demanderesse en conclut que ce ne serait pas parce que la maison litigieuse disposerait d’une toiture imposante qu’il faudrait automatiquement la classer en site national.
En l’espèce, force est au tribunal de constat qu’il est constant en cause que l’immeuble litigieux a été classé au motif qu’il présenterait un intérêt historique, architectural et esthétique digne de protection.
Aux termes de l’article 1er de la loi du 18 juillet 1983, « les immeubles, nus ou bâtis, dont la conservation présente au point de vue archéologique, historique, artistique, esthétique, scientifique, technique ou industriel, un intérêt public, sont classés comme monuments nationaux en totalité ou en partie par les soins du Gouvernement, (…). » Il s’ensuit que pour pouvoir faire l’objet d’un classement, les immeubles concernés doivent mériter d’être protégés, mérite qui se mesure par rapport à l’intérêt public que présente leur conservation1.
Plus particulièrement, le SSMN, dont l’une des missions consiste dans l’étude du patrimoine bâti, notamment par l’inventaire des immeubles dignes de protection à réaliser avec les communes, a mis en place un catalogue de critères devant être remplis par un immeuble pour pouvoir être considéré comme digne de protection, ce catalogue étant repris dans le document intitulé « La protection du patrimoine architectural par les plans d’aménagements généraux », librement consultable sur le site Internet du SSMN.
Lorsque le ministre propose un immeuble au classement comme monument national en raison de son intérêt historique, architectural et esthétique, tel que cela a été le cas en l’espèce, il doit en tout état de cause pouvoir justifier que la conservation de cet immeuble présente un intérêt public2.
Si le tribunal constate certes qu’en l’espèce, le ministre a proposé le classement de l’immeuble litigieux au motif que cet immeuble mériterait d’être protégé pour ses qualités architecturales et esthétiques, de même que pour son intérêt historique, la motivation à la base de la proposition de classement est une motivation par affirmation, essentiellement théorique et abstraite, laquelle n’a guère été concrétisée devant le juge administratif.
C’est ainsi qu’en mettant en substance en avant que l’immeuble litigieux, qu’il qualifie de villa urbaine ou de maison de maître construite en 1925 en utilisant des « matériaux typiques et adaptés », serait un témoin authentique de son époque de construction, le ministre est resté en défaut d’indiquer concrètement dans quelle mesure les particularités de l’immeuble litigieux présenteraient d’un point de vue architectural, historique ou esthétique un intérêt public justifiant son classement comme monument national. Si la partie étatique insiste dans le cadre du recours contentieux sur le fait que la maison litigieuse serait « bel et bien un témoin pour l’histoire nationale, locale et sociale » alors qu’il s’agirait « d’un type de maison bien défini pour une certaine classe de la société », de même qu’elle serait « un témoin pour cet endroit de la ville et de son passé ainsi qu’un témoin national », force est de constater que cette affirmation est également purement théorique, sans être corroborée par le moindre élément concret soumis au tribunal pouvant faire face aux contestations circonstanciées afférentes de la société demanderesse.
Il ne ressort tout d’abord pas des éléments à la disposition du tribunal dans quelle mesure l’immeuble litigieux serait à considérer comme un témoin de l’histoire nationale ou locale, en ce sens qu’il serait à considérer comme représentant la particularité d’un lieu précis qui le différencie des autres lieux de la région3.
Ensuite, si l’immeuble visé constitue certes un bâtiment présentant certaines caractéristiques du bâti bourgeois urbain de la période fin 19e - début 20e siècle et que du fait de sa date de construction il fait nécessairement - à l’instar de toutes les autres constructions de cet âge - partie du patrimoine bâti du quartier …, ces circonstances à elles seules ni 1 Trib. adm. 6 mai 2013, n°28589a du rôle, Pas. adm. 2017, V° Sites et monuments, n°24 et les autres références y citées.
2 ibidem 3 SSMN « La protection du patrimoine architectural par les plans d’aménagement généraux », page 11, point 12.
n’expliquent, ni ne justifient-elles le classement de cet immeuble en tant que monument national au sens de la loi.
En effet si, d’après les critères mis en place par le SSMN, les objets qui illustrent la vie de périodes passées et qui montrent l’histoire sociale sont dignes d’être conservés, encore faut-il toutefois que ces objets remplissent des critères d’authenticité plus importants s’ils ne remplissent pas déjà le critère de rareté4.
Or, en l’espèce, force est de constater qu’il n’est pas soutenu ni même allégué que l’immeuble litigieux constituerait un exemplaire représentatif d’un genre ou d’un type de construction qui se fait rare de nos jours et dont la perte entraînerait non seulement sa disparition, mais aussi la disparition du genre de bâti lui-même5. A cela s’ajoute que, face aux contestations de la société demanderesse tenant notamment aux transformations importantes qu’auraient subies les façades et l’intérieur de la maison, ni le ministre, ni le délégué du gouvernement ne précisent dans quelle mesure la substance originale de l’immeuble aurait été conservée, le ministre s’étant contenté de rencontrer les contestations de la société demanderesse à ce sujet en relevant de manière théorique dans son courrier du 8 avril 2016 que la maison litigieuse était un témoin authentique de son époque de construction « utilisant des matériaux typiques et adaptés » et que « la plus grande partie de ces matériaux [seraient] encore présents ».
Il ressort ensuite des explications de la société demanderesse non autrement énervées par la partie étatique, ainsi que des photographies versées en cause que l’immeuble litigieux doit s’analyser en une construction plutôt classique dont il ne se dégage pas, à première vue et en l’absence d’explications circonstanciées et documentées fournies par la partie étatique, qu’il s’agirait d’un témoin d’une époque déterminée ou bien d’un objet significatif d’un point de vue architectural. En effet, un objet est important d’un point de vue architectural ou historique soit s’il représente le style ou l’époque de façon exemplaire, soit s’il constitue le paroxysme ou l’exception de la période artistique en question. Ainsi, des objets qui représentent un progrès particulier pour leur époque ou les idées novatrices de leur période de construction6 répondent aux critères architecturaux et historiques justifiant leur classement.
Or, il y a lieu de relever que si le ministre et le délégué du gouvernement mettent en avant la composition des façades, ainsi que l’emplacement et la taille des ouvertures avec leurs encadrements en pierre, tout en admettant que tous ces éléments sont différents de chaque côté de l’immeuble litigieux, ils restent en défaut d’expliquer dans quelle mesure ces éléments, pris isolément ou de manière globale, peuvent être considérés comme reflétant une qualité architecturale ou historique justifiant le classement de l’immeuble. En effet, si, en architecture, le style éclectique, qui s’est manifesté entre les années 1890 et la fin des 1920, est par définition une tendance consistant à mêler des éléments empruntés à différents styles ou époques de l’histoire de l’art, encore faut-il préciser à quels styles ou époques de l’histoire de l’art les éléments composant un immeuble peuvent être rattachés, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Le tribunal relève ensuite qu’après avoir constaté que nonobstant leur aspect différent de chaque côté de la maison, la composition des façades, ainsi que l’emplacement et la taille des ouvertures de la maison avec leurs encadrements en pierre constitueraient néanmoins un ensemble harmonieux grâce à l’imposante toiture reliant le tout, le ministre a mis en avant 4 idem, page 9, point 8.
5 ibidem, page 6, point 3.
6 ibidem, page 6, point 2.
dans le cadre de l’arrêté de proposition de classement que l’immeuble s’élevait sur deux niveaux posés sur un socle et surmontés par une « impressionnante » et « complexe » toiture mansardée. Il a, par ailleurs, souligné que la porte d’entrée serait couverte par un auvent en ferronnerie et en verre. Il semble donc que, selon le ministre, les éléments rendant l’ensemble de la construction harmonieux sont en substance sa toiture mansardée imposante et l’auvent dont est ornée la façade. Or, ces deux éléments, s’ils mettent certes en valeur l’apparence de l’immeuble, sont manifestement insuffisants pour justifier à eux seuls le classement de l’immeuble litigieux d’un point de vue esthétique ou architectural. En effet, outre le fait que, mise à part la partie élancée à croupie de faitage donnant l’impression d’une petite tour, la toiture n’a, à première vue, rien d’exceptionnel, sa dimension étant nécessairement liée à la taille de l’immeuble, force est de constater qu’il ne ressort pas des éléments à la disposition du tribunal que ladite toiture relèverait d’un style ou d’une originalité architecturale particuliers par rapport à d’autres toitures mansardées de même style dont il n’est pas contesté qu’elles sont plutôt courantes. A cela s’ajoute que pour ce qui est de l’auvent ornant la façade, outre qu’il n’est pas contesté qu’à part l’ossature, les éléments le composant ne sont plus d’origine, ni le ministre, ni le délégué du gouvernement ne précisent concrètement l’intérêt dudit auvent d’un point de vue esthétique ou architectural.
Ensuite, s’il est vrai que suivant les critères mis en place par le SSMN, un immeuble peut présenter un intérêt urbanistique de nature à justifier son classement, encore faut-il que, pour ce faire, il témoigne du développement d’une ville ou d’un quartier et qu’il marque de son empreinte le développement de ce quartier7. Or, si en l’espèce, tel que l’a relevé le ministre, l’implantation de la maison litigieuse au coin de deux rues marque certes l’espace-
rue de manière intéressante aujourd’hui, il n’en reste pas moins qu’il ne ressort pas des éléments soumis au tribunal dans quelle mesure l’immeuble litigieux, ensemble la propriété sur laquelle il est implanté, hormis son caractère intéressant, puisse être considéré comme ayant marqué de son empreinte le développement du quartier …, respectivement celui de la Ville de Luxembourg, le seul fait qu’il s’agisse d’un immeuble marquant actuellement l’angle de rue formé par une avenue et un boulevard n’étant pas suffisant à cet égard. Si la partie étatique affirme que des cartes historiques prouveraient l’existence d’une ancienne rue débouchant sur …et ayant longé la maison litigieuse, pour arguer que l’implantation de la maison au coin de deux rues aurait toujours existé et aurait toujours été un repère du lieu, outre le fait que cette affirmation reste à l’état de pure allégation, il y a également lieu de relever qu’il ne se dégage pas de la carte topographique de l’année 1927 versée par la société demanderesse que la maison en question aurait toujours fait le coin entre …et une ancienne rue ayant débouché à côté de la maison litigieuse sur ladite avenue. A cela s’ajoute que cette argumentation de l’Etat est en contradiction avec l’extrait du registre aux délibérations du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 13 juillet 2015 figurant dans le dossier administratif et dont il ressort que l’autorisation de construire a été donnée notamment sous la condition particulière que « la » façade du futur immeuble soit orientée par rapport à la « rue de la vallée projetée », à savoir l’actuel …, de sorte qu’il ne saurait valablement être soutenu que l’immeuble litigieux a été construit dans l’optique de constituer le marquage du coin de l’ancienne rue débouchant sur …. A fortiori, l’affirmation ministérielle suivant laquelle l’implantation de la maison au coin de deux rues aurait toujours existé et aurait toujours été un repère du lieu reste à l’état de pure allégation.
Si, à travers son courrier du 8 avril 2016, le ministre a également mis en avant que le jardin entourant la maison litigieuse constituerait un élément visuel permettant la « respiration » et donc « un outil stratégique de toute planification architecturale et 7 ibidem, page 11, point 13.
urbanistique », force est de constater qu’il s’agit là aussi d’une affirmation tout à fait abstraite et non autrement corroborée, ce d’autant plus que, d’une part, il ne ressort notamment pas des éléments à la disposition du tribunal que, à l’instar notamment du quartier …, le quartier … aurait été urbanisé sur une idée de cité-jardin, c’est-à-dire en vue de mettre en place une zone résidentielle largement pourvue d’espaces verts, et que, d’autre part, il n’est pas non plus contesté que l’immeuble litigieux est le seul à disposer d’un retrait sur …, de sorte qu’il ne saurait être soutenu, en l’état actuel du dossier, que le quartier … se caractérise ou s’est caractérisé par l’existence d’un aménagement harmonieux d’immeubles devancés d’espaces verts.
Finalement, le seul fait que, de par ses dimensions et son gabarit, l’immeuble s’intégrerait très bien dans l’ensemble urbanistique de …n’est pas non plus à lui seul, en l’absence de critères tenant à l’intérêt historique, architectural ou urbanistique de l’immeuble, suffisant pour justifier son classement, alors qu’il existe d’autres outils, tels que les dispositions urbanistiques applicables au sein de la Ville de Luxembourg, pour s’assurer qu’une future construction sur le terrain litigieux s’intègre de manière harmonieuse dans le quartier existant.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de déclarer le recours en réformation tel qu’introduit par la société … justifié et par réformation d’annuler l’arrêté du Conseil de gouvernement du 13 mai 2016 décidant du classement comme monument national de l’immeuble sis à L-…, …, inscrit au cadastre de la Ville de Luxembourg, section … de …, sous le numéro …, au lieu-dit « …».
La société demanderesse a encore sollicité, pour autant que de besoin, une visite des lieux, demande à laquelle, compte tenu des conclusions dégagées ci-avant, il n’y a pas lieu de donner suite.
Finalement, la société demanderesse sollicite à travers le dispositif de la requête introductive d’instance l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.800.-
euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 relative à la procédure à suivre devant les juridictions administratives. Les conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge de la société demanderesse n’ayant pas été rapportées à suffisance comme étant remplies en l’espèce, il y a lieu de rejeter la demande.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation ;
au fond, le dit justifié ;
partant, dans le cadre du recours en réformation, annule l’arrêté du Conseil de gouvernement du 13 mai 2016 décidant le classement comme monument national de l’immeuble sis à L-…, …, inscrit au cadastre de la Ville de Luxembourg, section … de …, sous le numéro …, au lieu-dit « …» ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la société demanderesse ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 novembre 2017 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Olivier Poos, premier juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30/11/2017 Le Greffier du Tribunal administratif 16