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23/10/2017 | LUXEMBOURG | N°38424

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 octobre 2017, 38424


Tribunal administratif Numéro 38424 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er septembre 2016 1re chambre Audience publique du 23 octobre 2017 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 38424 du rôle et déposée le 1er septembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Cathy Arendt, avocat à la

Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de ...

Tribunal administratif Numéro 38424 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er septembre 2016 1re chambre Audience publique du 23 octobre 2017 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 38424 du rôle et déposée le 1er septembre 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Cathy Arendt, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de Madame …, épouse …, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 2 juin 2016 prise sur réclamation ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2016 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2017 par Maître Cathy Arendt pour compte de Monsieur … et de Madame …, épouse …, préqualifiés ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cathy Arendt et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Lou Thill en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 octobre 2017.

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En date du 20 juillet 2005, le bureau d’imposition Luxembourg 3 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit à l’égard de Monsieur …, imposé collectivement avec son épouse Madame …, un bulletin de l’impôt sur le revenu visant l’année fiscale 2003.

En date du 22 septembre 2010, le bureau d’imposition émit à l’égard des époux … un bulletin de l’impôt sur le revenu rectificatif pour la même année, portant la mention suivante :

« L’imposition diffère de la déclaration sur les points suivants Die Steuerfestsetzung weicht von der Erklärung ab wie folgt Rectification svt. Paragraphe 222(1)1. AO.

Revenus nets divers :

La réalisation de vos parts sociales détenues dans la … S. à r.l. déclenche des revenus au sens des articles 99bis et 100 LIR.

Revenu svt art. 99bis LIR (vente de 220 parts acquises en 2003) :

Prix de cession :

.- Euros Prix d’acquisition :

.- Euros Abattement svt. art 130 (4) LIR - Euros Plus-value imposable :

.- Euros Revenu svt. art. 100 LIR (vente de 440 parts acquises en 1993) Prix de cession :

.- Euros Prix d’acquisition réévaluée :.- Euros Abattement svt. art. 130 (4) LIR : .- Euros Plus-value imposable : .- Euros L’abattement svt. article 130 (4) LIR de 100.000 euros a été ventilé. » Par un courrier du 27 octobre 2010, les époux … ont introduit une réclamation contre ce bulletin rectificatif auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-

après désigné par « le directeur ».

Par une décision du 2 juin 2016, portant le numéro C 16245 du rôle, le directeur rejeta ladite réclamation comme étant non fondée dans les termes suivants :

« Vu la requête introduite le 28 octobre 2010 par les époux, le sieur … et la dame …, demeurant à L-… pour réclamer contre le bulletin rectificatif de l’impôt sur le revenu de l’année 2003, émis en date du 22 septembre 2010 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 228 AO) de la loi, qu’elle est partant recevable ;

Considérant que les réclamants font grief au bureau d’imposition d’avoir imposé les plus-values résultant de la vente de parts sociales détenues dans la société à responsabilité limitée « … » ; qu’ils aimeraient expliquer « de quelle manière les évènements se sont produits et qui ont conduit à une perception contradictoire, plus précisément en ce qui concerne l’écart du prix de vente relevant d’une cession de parts à et de la société … » ; que « Mon épouse et moi-même nous possédons de notre part la convention liant cette dernière société aux droits économiques réels. L’identification de ces personnes vous apportera les preuves et les raisons pour lesquelles nous avons agi ainsi. » ;

Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du réclamant, la loi d’impôt étant d’ordre public ;

qu’à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-

fondé ;

qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;

Considérant que le bureau d’imposition se prévalait du § 222, alinéa 1er, numéro 1 AO pour procéder à l’imposition d’un revenu provenant de la cession à titre onéreux de la participation importante dans la société à responsabilité limitée « … » en vertu des articles 99bis et 100 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) ;

Considérant que le § 171 AO confère au bureau d’imposition, ainsi qu’au directeur, statuant au contentieux, le pouvoir d’exiger de la part du contribuable la preuve de la réalité d’une situation financière ou d’une dépense et par conséquent le droit de demander les pièces y afférentes ou de solliciter des informations complémentaires, du moins lorsque, comme en l’espèce, une telle preuve peut être raisonnablement exigée de la part du contribuable alors surtout que ce dernier est soumis, en vertu des §§ 170 et 171 AO, à une obligation de collaboration avec le bureau d’imposition ;

Considérant que les réclamants n’ont jamais, même pas à ce jour, daigné produire « les preuves et les raisons pour lesquelles nous avons agi ainsi » ;

Considérant, pour le surplus et particulièrement eu égard au principe du réexamen intégral et d’office de l’imposition litigieuse (§§ 204, 243 et 244 AO), que l’imposition est conforme à la loi et aux faits de la cause et n’est d’ailleurs pas autrement contestée ;

Considérant qu’il y a dès lors lieu de confirmer l’imposition pour l’année litigieuse telle qu’effectuée par le bureau d’imposition ;

Par ces motifs, reçoit la réclamation en la forme ;

la rejette comme non fondée ».

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er septembre 2016, Monsieur … et Madame … ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du directeur du 2 juin 2016.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 21 mai 1931 telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », ci-après désignée par «AO », et de l’article 8, paragraphe 3 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par le contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur le mérite d’une réclamation de sa part contre un bulletin de l’impôt sur le revenu.

Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation.

Ledit recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de leur recours et en fait, les époux … exposent qu’au 1er janvier 2003 Monsieur … aurait détenu 385 parts sociales dans la société à responsabilité limitée … S.à r.l., ci-après désignée par « la société … ». Le 26 février 2003, Madame … et Madame … auraient chacune cédé à Monsieur … 110 parts sociales dans la même société, de sorte qu’à cette date, Monsieur … aurait été titulaire de … parts sociales dans la société ….

Le 10 mars 2003, il aurait cédé 385 de ces parts sociales à la société de droit des Iles Vierges Britanniques … Ltd, ci-après désignée par « la société … ».

Madame … de son côté aurait détenu 55 parts sociales dans la société ….

Suivant convention sous seing privé du 1er juillet 2003, Monsieur … aurait revendu les parts sociales qu’il détenait encore dans la société …, soit 220 parts, à la société à responsabilité limitée … S.à r.l., ci-après désignée par « la société … », pour un prix de ….- €.

Suivant une convention sous seing privé datée également du 1er juillet 2003, Madame … aurait revendu les 55 parts sociales qu’elle détenait dans la société … à la société … pour un prix de …. € Au 1er juillet 2003, la société … aurait cédé à la société … 385 parts sociales de la société … pour un prix de ….- €.

Tout en admettant avoir omis d’indiquer ces cessions de parts sociales dans leur déclaration fiscale pour l’année 2003, les époux … font valoir qu’il s’agirait d’un simple oubli et qu’ils n’auraient eu aucune intention frauduleuse. Après avoir rappelé la procédure ayant donné lieu à l’émission du bulletin rectificatif de l’année 2003 du 22 septembre 2010, ainsi que la décision prise par le directeur sous réclamation qui fait l’objet du présent recours, les époux … reprochent au bureau d’imposition de leur avoir imputé la totalité de la plus-value de la cession des 385 parts sociales détenues par la société … à la société ….

En droit, les époux … concluent de prime abord à l’annulation du bulletin d’imposition dans la mesure où la formalité substantielle tenant à l’information préalable en vertu du § 205 (3) AO n’aurait pas été effectuée, en faisant valoir que le courrier du 21 mai 2010 dont fait état l’administration des Contributions directes ne leur serait jamais parvenu.

Quant au fond, ils contestent le bien-fondé de l’imputation dans leur chef de la totalité de la plus-value relative à la vente de parts sociales détenues par un tiers, à savoir la société …. Ils donnent à considérer que l’impôt devrait être juste en ce sens que seul l’impôt légalement dû pourrait être réclamé au contribuable et uniquement à celui réunissant les faits constitutifs de la réalisation de la catégorie de revenus en cause.

En l’espèce, l’administration des Contributions directes ne fournirait aucun élément justifiant l’imposition dans leur chef de l’intégralité de la plus-value réalisée lors de la cession de parts sociales par la société … à la société …, en faisant valoir qu’ils ne seraient les bénéficiaires économiques de la société … qu’à hauteur de 15%, en renvoyant à cet égard à une pièce intitulée « convention fiduciaire » signée en mars 2003 dont il se dégagerait qu’eux-mêmes seraient les bénéficiaires économiques de la société … à hauteur de 15%, alors que Madame … en serait le bénéficiaire économique à hauteur de 85%.

En conséquence, ils n’auraient pas entièrement reçu le prix de vente des 385 parts sociales détenues par la société …, mais uniquement 15% de ce prix.

En se prévalant de l’article 4, paragraphe (1) de la loi modifiée du 4 novembre 1967 sur l’impôt sur le revenu (LIR), les demandeurs font valoir que pour qu’il puisse y avoir une recette, il faudrait qu’il existe un enrichissement effectif pour le contribuable, tout en soulignant que ce serait la mise à disposition, à savoir l’opération par laquelle le droit de disposer d’un bien économique est transféré d’une personne à l’autre, qui donnerait naissance aux recettes.

Or, il n’y aurait pas eu enrichissement dans leur chef s’agissant de la vente de la totalité des 385 parts sociales de la société … à la société …, mais uniquement à hauteur de 15%, de sorte que le calcul de l’administration des Contributions directes serait erroné.

Ils soulignent que la société … serait représentée pour toutes les démarches et opérations par un avocat du barreau de Luxembourg et qu’eux-mêmes ne seraient ni les représentants de cette société, ni les bénéficiaires de la totalité de la plus-value réalisée, la majeure partie de la plus-value ayant en effet bénéficié à un tiers.

Le principe d’ordre public de la détermination exacte des bases d’imposition obligerait les autorités fiscales à mettre tout en œuvre pour arriver à une imposition sur des bases correspondant le plus exactement possible à la réalité, ce qui n’aurait pas été fait en l’espèce, alors que l’administration aurait fondé son imposition sur des suppositions s’avérant inexactes.

Ils soulignent encore qu’ils n’auraient jamais été en mesure, avant l’émission du bulletin rectificatif, de présenter leurs explications alors que la lettre du 21 mai 2010 précitée ne leur serait jamais parvenue.

L’administration des Contributions n’aurait ainsi pas fait une application correcte du principe du droit fiscal suivant lequel les faits et actes juridiques devraient être interprétés et appréciés d’après les critères économiques.

Dans sa réponse, le délégué du gouvernement précise que les demandeurs auraient été informés du redressement opéré à travers un courrier du 21 mai 2010, réexpédié en date du 18 novembre 2010.

Il reproche aux demandeurs d’avoir essayé d’éluder le paiement d’impôts sur base des articles 99 et 100 LIR, en leur reprochant plus particulièrement de ne pas avoir exposé exactement les opérations de cessions de parts sociales ayant eu lieu.

En réalité, les cessions opérées seraient les suivantes :

- Vente en date du 26 février 2003 de 110 parts dans la société … par Madame … à Monsieur … pour la somme de.- € ;

- Vente en date du 26 février 2003 de 110 parts dans la société … par Madame … à Monsieur … pour la somme de.-€ ;

- Vente en date du 10 mars 2003 de 385 parts sociales dans la société … par Monsieur … à la société … pour un montant de.- € ;

- Vente en date du 16 août 2003 de 385 parts sociales dans la société … par la société … à la société … pour un montant de ….- € ;

- Vente en date du 1er juillet 2003 de 220 parts sociales dans la société … par Monsieur … à la société …, non pas pour un montant de ….- € tel que cela ressortirait de la convention afférente publiée au Mémorial, mais pour un montant de 174.600.- €, le délégué du gouvernement se référant à un extrait de compte de la société … au 31 décembre 2003 suivant lequel deux virements auraient été effectués, avec la mention : « … », de ….- € et de ….- €.

- Vente en date du 1er juillet 2003 de 55 parts sociales dans la société … par Madame … à la société … pour un montant de ….- €.

- Vente en date du 1er juillet 2003 de 77 parts sociales dans la société … par Monsieur … à la société ….

Le délégué du gouvernement estime que la vente des 385 parts sociales serait hautement suspecte étant donné que ces parts seraient cédées le même jour pour 35.035.- € entre Monsieur … et la société … pour ensuite être revendues 10 fois plus cher par cette société à la société ….

De même, le prix négocié par part sociale serait suspect en ce que le prix payé serait curieusement le même :

- Prix payé par part sociale par la société … à Monsieur … pour la cession de 220 parts sociales : … :220 = ….- € - Prix payé par part sociale par la société … à la société … pour la cession de 385 parts sociales : … :385 = ….- € - Prix payé par part sociale par la société … à Madame … pour les 55 parts sociales :

… :55 = ….-€.

Par ailleurs, une information importante aurait été éludée, à savoir la circonstance que les bénéficiaires économiques de la société … seraient les mêmes personnes que celles ayant cédé les parts sociales, à savoir les demandeurs à hauteur de 15%. Les 85% restants auraient été attribués à un bénéficiaire économique dénommé Madame … qui serait la mère de la demanderesse, tel que cela ressortirait d’une convention jointe au dossier fiscal et identifiant les bénéficiaires économiques de la société ….

En réalité, les parts sociales auraient tout aussi bien pu être vendues directement sans l’intermédiaire de la société …. Dans cette hypothèse, l’application des articles 99 et 100 LIR aurait toutefois été immédiate.

Pour l’administration des Contributions directes, ces opérations de vente de parts sociales en cascade seraient sans doute constitutives d’une fraude fiscale. Ce serait en conséquence de ce constat que le bureau d’imposition aurait mis en compte la somme de ….-

€ comme prix de réalisation aux fins de détermination de la plus-value imposable.

Le délégué du gouvernement souligne encore que l’administration aurait offert aux demandeurs la possibilité de s’expliquer, une entrevue ayant eu lieu le 4 juillet 2016 avec le directeur. Les informations fournies lors de cette entrevue n’auraient toutefois pas été de nature à justifier un redressement de la décision du 2 juin 2016.

Le délégué du gouvernement fait valoir qu’après vérification, il se serait avéré que Monsieur … aurait utilisé la structure offshore intermédiaire afin de dissimuler une plus-value réalisée sur la vente de parts sociales, les demandeurs n’ayant pas déclaré dans leur déclaration de l’impôt de l’année 2003 la réalisation de cette plus-value. Les opérations n’auraient dès lors être portées à la connaissance du fisc que parce que les services compétents auraient consulté les publications au Mémorial.

Les affirmations des demandeurs tendant à minimiser le fait d’avoir omis d’indiquer ces cessions de parts sociales ne seraient pas crédibles, alors que Monsieur … se qualifierait lui-même de gérant de fiduciaire, de sorte qu’il s’agirait, en l’espèce, d’un professionnel en la matière.

L’omission de déclarer ces plus-values ainsi que le montage artificiel opéré en l’espèce serait susceptible, d’après le délégué du gouvernement, de rentrer dans les dispositions des paragraphes 396 et suivants AO et le fisc aurait pu porter ces faits à la connaissance du procureur d’Etat, démarches qui n’auraient toutefois pas été faites puisque les faits seraient prescrits pénalement.

Sur base de toutes ces informations, le directeur aurait toutefois confirmé la décision du bureau d’imposition.

Dans leur réplique, les demandeurs insistent sur la considération qu’ils n’auraient jamais reçu le courrier du bureau d’imposition du 21 mai 2010, tout en faisant valoir que s’ils l’avaient reçu ils se seraient manifestés pour donner les informations requises et en précisant qu’ils auraient, de manière générale, eu de nombreux soucis quant à la réception du courrier puisque les services postaux de Capellen auraient de nombreux problèmes à cet égard. Ils n’auraient, en effet, pas réceptionné un certain nombre d’autres courriers.

S’agissant des opérations de cessions de parts, les demandeurs soulignent que l’ensemble des opérations auraient été publiées et seraient consultables publiquement, de sorte qu’ils n’auraient rien caché et leur intention n’aurait pas été celle d’éluder le paiement d’impôts sur base des articles 99 et 100 LIR.

Ils font valoir que leur omission d’indiquer la cession dans la déclaration fiscale pour l’année 2003 ne pourrait pas les priver de leurs droits et faire obstacle au bien-fondé de leur demande d’être imposés correctement et sur les montants effectivement touchés.

Les cessions de parts auraient, en effet, été effectuées dans le respect de la loi et auraient été authentifiées par un notaire et un avocat, Maître Thierry Reisch, qui aurait été présent lors de ces cessions. Toutes les publications officielles auraient été faites, de sorte qu’il n’y aurait eu aucune manœuvre dolosive ou intention frauduleuse dans leur chef.

Les demandeurs font encore valoir que, contrairement à l’affirmation de l’Etat, la cession des 385 parts sociales par Monsieur … à la société … et par cette société à la société … n’aurait pas été effectuée le même jour, mais le 10 mars 2003, respectivement le 1er juillet 2003.

S’agissant du prix de cession, les demandeurs donnent à considérer que la cession de parts sociales par Monsieur … à la société … aurait été faite pour le même prix que celui pris en compte dans le cadre des cessions opérées le 26 février 2003 par Madame …et Madame …, à savoir pour un prix d’environ 91.- € par part.

Par rapport à ces cessions, l’administration n’aurait soulevé aucune contestation, de sorte qu’il n’y aurait pas non plus de raison d’en soulever s’agissant de la cession par Monsieur … à la société ….

Ils expliquent ensuite que le prix de vente des parts sociales aurait été fixé selon les négociations entre le vendeur et l’acquéreur. En l’occurrence, la société … aurait été d’accord de racheter les parts pour un montant de ….- € par part.

Il ne serait, par ailleurs, pas suspect que le prix payé par part, à savoir la somme de ….- €, soit le même pour tous les vendeurs, à savoir Monsieur …, Madame … et Monsieur …, puisque les négociations entre la société … et les vendeurs auraient été menées ensemble et qu’il aurait été clair que la société … paie le même prix pour l’ensemble des parts qu’elle allait acquérir.

Les cessions de parts opérées en février et mars 2003 entre Monsieur … et les dames …et … et entre Monsieur … et la société … auraient été des ventes isolées, alors que le prix de cession opéré dans le cadre des cessions à la société … à hauteur de ….- € par part s’expliquerait par la circonstance que ces cessions se seraient situées dans le cadre d’une opération globale ayant permis à la société … d’entrer majoritairement dans le capital de la société … et de s’approprier le contrôle de celle-ci.

Il s’ensuivrait que les considérations de l’administration quant à la date et au prix de cession seraient à rejeter comme étant sans pertinence.

Quant aux montants à prendre en considération pour le calcul de l’imposition, les demandeurs estiment avoir été imposés pour des sommes ne rentrant pas dans la plus-value leur imposable.

En réalité, se poseraient deux problèmes distincts, à savoir, d’une part, la prise en considération erronée d’un montant de.- € résultant d’une cession de parts par Monsieur … et, d’autre part, l’imposition erronée dans leur chef de l’intégralité du prix de la cession de parts par la société ….

L’administration estimerait, en effet, à tort que la cession de 120 parts sociales par Monsieur … à la société … aurait été faite pour un montant de.- €, alors qu’en réalité ces parts auraient été vendues pour un montant de.- €, de sorte que seule cette somme serait à prendre en considération.

Les demandeurs expliquent que Monsieur … aurait vendu 77 parts sociales pour un montant de 46.585.- €, les demandeurs précisant ne pas être en possession de ce contrat de cession, mais qu’il pourrait être enjoint à la société … ou à Monsieur … d’en verser la copie.

Ils s’emparent toutefois d’un courriel, dans lequel Monsieur …, représentant la société …, ferait référence à des engagements de Monsieur … à l’égard de Monsieur …. Monsieur … aurait, en effet, eu un engagement personnel envers le demandeur et afin de régler cette dette, il aurait été convenu avec Monsieur … de rétrocéder une partie du prix de vente des 77 parts sociales vendues à Monsieur …, soit le montant de.-€, Monsieur … ayant touché le solde d’un montant de.- €. L’erreur aurait en effet été commise dans le libellé du chèque émise par la société ….

Le montant de ….- € ne devrait donc pas être inclus dans le calcul de l’imposition de la plus-value réalisée, les demandeurs faisant valoir que ce ne serait qu’au moment de prendre connaissance du mémoire en réponse du délégué du gouvernement et de consulter les pièces au greffe qu’ils auraient réalisé et compris que les ….- € avaient été englobés dans le prix de calcul du montant imposé comme s’il représentait une partie du prix de vente des parts sociales.

La somme de ….- € ne pourrait dès lors pas être imposée dans leur chef puisqu’il ne s’agirait pas de la contrepartie de parts cédées par eux, mais d’une cession d’une partie du prix des parts par Monsieur … à leur bénéfice en guise de remboursement d’une dette personnelle.

S’agissant de la deuxième erreur qu’aurait commise l’administration des Contributions directes, les demandeurs soulignent avoir soumis à l’administration la convention fiduciaire dont se dégagerait le bénéficiaire économique de la société …. Ils donnent à considérer que l’intervention de la société …, une société constituée bien avant son intervention dans l’opération et à une époque où il n’aurait pas été systématiquement suspect de faire intervenir une société offshore dans une telle cession de parts, n’aurait rien d’anormal ou d’illégal.

Cette société aurait été représentée par Maître Thierry Reisch dans le cadre des cessions de parts litigieuses et les ventes auraient été actées devant notaire.

Ils soulignent ne pas vouloir éluder le paiement de l’impôt, mais vouloir payer un impôt juste conformément à leur part de propriété, tout en mettant en avant que l’administration aurait actuellement connaissance de la convention fiduciaire signée par trois parties déclarant connaître chacune sa situation fiscale par rapport à cette convention et acceptant partant d’être chacune imposée dans son propre chef.

En substance, ils reprochent à l’administration de faire preuve d’un certain harcèlement en s’obstinant à poursuivre le recouvrement contre eux seuls malgré l’existence de la convention fiduciaire.

S’agissant de la remarque du délégué du gouvernement suivant laquelle Monsieur … serait un professionnel en la matière, les demandeurs font valoir que celui-ci serait comptable et que s’il avait certes pour mission la gestion de sociétés, il ne serait pas conseil fiscal. Ils donnent encore à considérer qu’ils n’auraient eu aucune intention de frauder et que les soupçons éveillés auprès de l’administration s’expliqueraient sans doute par une dénonciation faite par le dirigeant de la société … mécontent du fait qu’il n’avait pas réussi à faire passer avec les vendeurs des parts, dont eux-mêmes, un paiement différé du prix. Dans ce contexte, ils affirment encore que certaines des pièces du dossier fiscal auraient vraisemblablement été transmises à l’administration par la société …, tel que par exemple l’extrait de compte … au 31 décembre 2003, et estiment que les pièces seraient libellées de façon à mener en erreur.

La partie étatique n’a pas déposé de mémoire en duplique et, sur question afférente posée par le tribunal à l’audience des plaidoiries face aux nouveaux arguments et explications ainsi présentés par les demandeurs dans leur réplique, le délégué du gouvernement s’est limité à renvoyer aux écrits.

Il convient de prime abord de prendre position sur le moyen fondé sur une violation du § 205 (3) AO.

Le droit du contribuable d'être informé et entendu avant la prise d'une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers les informations par lui soumises à l’autorité compétente, doit être considéré comme un droit élémentaire face à l’administration fiscale, destiné à protéger les droits de la défense du contribuable.

S’il est vrai que ce principe ne se trouve pas formellement inscrit d’une manière générale dans l’AO, mais trouve son expression dans des dispositions en portant application dans certaines hypothèses, il n’en reste pas moins qu’il découle implicitement mais nécessairement des principes d’instruction inscrits au § 204 (1) AO1. Ce principe doit partant trouver application en l’espèce dans le cadre d’une procédure de rectification de bulletin d’impôt indépendamment de la question de savoir si le § 205 (3) AO, qui constitue une application particulière de ce principe, doit également être respecté avant l’émission de bulletins rectificatifs2.

Le § 205 (3) AO, disposant que « wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äußerung mitzuteilen », constituant donc une application particulière de ce principe, met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il décide de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration.

L’application de ce principe général a pour conséquence que sans une consultation appropriée du contribuable, il n’est pas possible d’asseoir correctement l’obligation fiscale du contribuable compte tenu de sa situation patrimoniale. A cet effet, le contribuable est appelé d’abord à indiquer les éléments et données qui lui sont demandés dans le cadre de la déclaration d’impôt. Cette obligation de collaboration du contribuable dans le cadre de l’établissement des bases d’imposition de son revenu a comme corollaire son droit d’être entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers sa déclaration, notamment lorsque cette « wesentliche Abweichung » en sa défaveur provient d’une divergence au sujet des informations et documents par lui communiqués au bureau d’imposition à travers sa déclaration d’impôt. Par contre, lorsque la divergence de vues mise en avant par le contribuable s’analyse en substance purement en une question d’application de la loi qui relève de la compétence du bureau d’imposition, le contribuable n'a pas droit à être entendu préalablement à l’établissement du bulletin d'imposition.

1 cf. notamment Tipke-Kruse, RAO, 1e édit., § 204, Anm. 14 ; Becker, Riewald, Koch, RAO, 1965, § 204, Anm.

6.

2 Cour adm. 29 juillet 2015, n° 35360C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Impôts, n° 680.

D’un autre côté, il est de principe que le droit d’information et de prise de position du contribuable ne doit pas aboutir à un formalisme excessif et que l’envergure des indications à fournir au contribuable doit être définie d’après les spécificités de chaque cas d’imposition.

En outre, les données qui sont déjà connues dans le cadre du cas d’imposition et notamment les informations fournies par le contribuable lui-même ne doivent pas faire l’objet d’une information préalable en vue d’une prise de position3.

Force est de constater qu’en l’espèce, l’Etat ne conteste pas son obligation d’information préalable dans le cas de l’espèce, mais se limite à affirmer l’avoir respectée, en renvoyant à un courrier du préposé du bureau d’imposition du 21 mai 2010, qui aurait été réexpédié aux demandeurs le 18 novembre 2010.

Les demandeurs contestant toutefois avoir reçu le courrier du 21 mai 2010, il appartient à l’Etat de fournir la preuve de l’expédition effective dudit courrier, preuve qui toutefois n’est pas rapportée en l’espèce, de sorte que la conclusion s’impose que les demandeurs ont été privés de leur droit d’être entendus préalablement à l’émission du bulletin rectificatif sur les points par rapport auquel le bureau entendait s’écarter de leurs déclarations.

Si les demandeurs reconnaissent certes avoir reçu le courrier du 21 mai 2010 à la suite de sa réexpédition le 18 novembre 2010, ce constat n’est pas de nature à réparer le vice afférent étant donné que le courrier en question n’est parvenu aux demandeurs que postérieurement à l’émission du bulletin d’imposition rectificatif, de sorte qu’il n’ont pas eu la possibilité de présenter leurs observations avant l’établissement du bulletin rectificatif litigieux et n’ont eu d’autre choix que d’introduire une réclamation afin de présenter leurs observations. Dans le même ordre d’idées, l’entrevue du 4 juillet 2016 avec le directeur invoquée par le délégué du gouvernement n’est pas non plus de nature à réparer le vice tenant à un défaut d’information préalable, puisque l’entrevue a eu lieu après la décision du directeur.

A cet égard, il convient de relever que si certes la rectification de l’imposition est à voir devant le contexte d’un manquement par les demandeurs à leur devoir de collaboration en ce sens qu’ils ont omis de faire état de la plus-value réalisée par les cessions de parts litigieuses dans le cadre de leur déclaration de l’impôt de l’année 2003, le respect par l’Etat de son obligation d’information préalable est pourtant essentiel dans la mesure où, plus particulièrement au regard des contestations soulevées par les demandeurs, un débat préalable utile aurait pu être mené quant aux éléments factuels visant le quantum de la plus-value et le bénéficiaire de celle-ci.

Le tribunal relève encore que s’il est vrai que les demandeurs ont été informés à travers un courrier du bureau d’imposition du 20 mars 2008, se référant au § 205 (3) AO, de son intention de procéder à une imposition rectificative en relation avec la réalisation des parts sociales dans la société …, le détail du redressement tel qu’il se dégage du décompte joint au courrier daté du 20 mars 2008 diverge néanmoins par rapport à l’imposition actuellement litigieuse, en ce sens que, s’agissant de la cession des 220 parts sociales, un prix de cession de 174.600.- € a été retenu à travers le bulletin d’imposition, alors que suivant le décompte joint au courrier précité du 20 mars 2008, un prix de cession de l’ordre de ….- € seulement a été pris en considération. Il s’agit justement de ce différentiel que les 3 cf. Hübschmann, Hepp, Spitaler, RAO, § 205, Anm. 9 ; Becker, Riewald, Koch, RAO, 1965, § 204, Anm. 6.

demandeurs ont contesté dans leur réplique, en expliquant que ce serait pour la première fois en consultant le dossier administratif versé avec le mémoire en réponse qu’ils se seraient rendus compte de ce point de l’imposition, sans que l’Etat n’ait d’ailleurs pris position par rapport à leurs contestations afférentes dans un mémoire en duplique, ni d’ailleurs à l’audience des plaidoiries sur question afférente du tribunal. De même, le prix de cession des 385 parts et 55 parts pris en compte par l’administration est passé de la somme de …,- € suivant le décompte joint au courrier du 20 mars 2008 à la somme de ….- € suivant le bulletin d’imposition. Dès lors, le courrier du 20 mars 2008 figurant au dossier administratif, d’ailleurs non invoqué par la partie étatique, est insuffisant pour valoir information préalable au sens du § 205 (3) AO.

Il se dégage dès lors des développements qui précèdent que le § 205 (3) AO n’a pas été respecté par le bureau d’imposition.

Dans la mesure où le § 205 (3) AO consacre une formalité destinée à protéger les intérêts des contribuables, elle doit être considérée comme substantielle et le non-respect de cette disposition doit entraîner l’annulation du bulletin émis au terme de la procédure d’instruction ainsi viciée4.

Le recours est partant justifié et la décision directoriale du 2 juin 2016 est à réformer en ce sens que la réclamation aurait dû être déclarée justifiée et le bulletin rectificatif précité annulé pour violation par le bureau d’imposition de son obligation d’information préalable des demandeurs, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner plus en avant les autres moyens présentés.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours principal en réformation recevable ;

au fond le déclare justifié, partant réforme la décision du directeur du 2 juin 2016 en ce sens que la réclamation introduite le 27 octobre 2010 est à déclarer justifiée et le bulletin rectificatif de l’impôt sur le revenu de l’année 2003 émis le 22 septembre 2010 est à annuler et renvoie le dossier devant le directeur pour exécution ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 octobre 2017 par :

Annick Braun, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Alexandra Castegnaro, premier juge, 4 Cour adm. 14 juillet 2015, n° 35428C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Impôts, n° 668.

en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23.10.2017 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 38424
Date de la décision : 23/10/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-10-23;38424 ?

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