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18/10/2017 | LUXEMBOURG | N°38892

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 octobre 2017, 38892


Tribunal administratif N° 38892 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 décembre 2016 3e chambre Audience publique du 18 octobre 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38892 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 décembre 2016 par Maître Françoise NSAN-NWE

T, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mon...

Tribunal administratif N° 38892 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 décembre 2016 3e chambre Audience publique du 18 octobre 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38892 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 décembre 2016 par Maître Françoise NSAN-NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant, à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 novembre 2016 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 janvier 2017 ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 16 février 2017 autorisant les parties à déposer un mémoire supplémentaire ;

Vu le mémoire additionnel déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 mars 2017 par Maître Françoise NSAN-NWET au nom et pour le compte de Monsieur …;

Vu le mémoire additionnel du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 mai 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en sa plaidoirie à l’audience publique du 11 octobre 2017.

Le 21 septembre 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

1 En date du 8 octobre 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

En date du 26 avril 2016, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 22 novembre 2016, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « […] Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays natal, à savoir l'Irak, pour une raison bien précise, à savoir :

- Une prétendue tentative de recrutement forcé de la part de la milice al-Hashd al-

Shaabi :

Monsieur, il résulte de vos déclarations que l'élément déclencheur de votre demande de protection internationale aurait été une visite de la milice al-Hashd al-Shaabi en date du 21 août 2015.

Vous prétendez que deux prétendus membres de ladite milice se seraient rendus à votre domicile. Ces derniers se seraient informés sur votre situation familiale ainsi que celle de vos frères. Ils voulaient savoir si vous seriez mariés et si vous auriez des enfants. Etant donné que vous auriez été le seul célibataire parmi vos frères et que vous n'auriez pas d'enfants à charge, ils vous auraient ordonné de les joindre dans leur combat contre Daech dans la province de Ramadi. Ils vous auraient accordé deux jours de réflexion.

A leur retour, vous auriez manifesté votre réticence de les joindre dans le combat, du fait que vous n'auriez jamais dû combattre et que vous ne voudriez en aucun cas participer à la guerre.

Ils vous auraient répliqué que vous devriez bien connaître la fatwa de Sistani et que « si tu refuses, nous te considérons alors comme un apostat. Nous allons te donner un autre délai de 7 jours. Après 7 jours, soit tu viens combattre ou nous te réglerons ton compte » (p.4/8 du rapport d'entretien).

Le jour même, vous auriez pris la décision de ne plus rester en Irak. Vous seriez donc parti le 28 août 2015, avant que le délai de sept jours s'écoule.

Vous n'avez remis aucun document pour étayer vos dires.

Enfin, il ressort du rapport d'entretien du 26 avril 2016 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. […] ». Le ministre informa ensuite Monsieur … que sa demande de 2protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015.

Le ministre, tout en relevant que la milice AL-HASHD AL-SHAABI ne procéderait pas à des recrutements forcés, mais que ces recrutements pourraient, le cas échéant, se faire sur base de pressions sociales exercées par la famille ou les clans, retint que les raisons ayant amené Monsieur … à quitter son pays d’origine ne rentreraient pas dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désignées par « la Convention de Genève » et de la loi du 18 décembre 2015.

Le ministre estima encore qu’il serait parfaitement possible, en tant que sunnite, de résider à Bagdad et de s’installer dans les quartiers peuplés par des musulmans sunnites comme Al-Khadhra, Al-Jamia, Al-A’amiriya ou Al-Adel.

S’agissant finalement de la protection subsidiaire, le ministre conclut que Monsieur … ne ferait état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’il courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.

En conséquence, il constata que le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois était illégal et lui enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2016, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 22 novembre 2016 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 22 novembre 2016, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de son recours, Monsieur … expose dans un premier temps les faits et rétroactes à la base de la décision entreprise, en rappelant que son départ d’Irak aurait été motivé par la tentative de recrutement forcé de la part de la milice AL-HASHD AL-SHAABI.

En raison de son refus de rejoindre les rangs de cette milice, il risquerait de faire l’objet de représailles, respectivement d’être tué par cette dernière.

Au fond, il fait valoir, sur base de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, que malgré la pertinence de sa demande et la crédibilité de son récit, le ministre aurait rejeté, à tort, sa demande de protection internationale en affirmant que ses craintes ne 3relèveraient que d’une simple pression sociale de la part des milices afin de le forcer à combattre contre le groupe terroriste se nommant « L’Etat islamique ». Or, au regard des menaces de mort proférées à son encontre, il aurait légitimement pu craindre pour sa vie en Irak, ces menaces, fondées sur son appartenance religieuse de musulman sunnite, constituant, d’après le demandeur, une atteinte suffisamment grave au regard de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015. Le demandeur reproche encore au ministre de ne pas avoir analysé sa situation personnelle et de n’avoir pris sa décision que sur base de considérations générales.

Par ailleurs, les membres de la milice chiite AL-HASHD AL-SHAABI devraient être qualifiés d’acteurs, conformément à l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015.

Il réfute encore toute possibilité d’une fuite interne, dans la mesure où les différents quartiers de Bagdad proposés par le ministre en vue de sa relocation ne lui permettraient pas de vivre en sécurité dans son pays d’origine, en ce qu’il pourrait y être repéré par les militiens à sa recherche.

Dans son mémoire additionnel, le demandeur relate encore que, suite à son départ d’Irak en août 2015, sa famille aurait eu un incident violent avec des membres de la milice AL-HASHD AL-SHAABI qui, lors d’un contrôle, se seraient enquis sur son lieu de séjour et auraient agressé sa mère et ses frères, un de ses frères ayant même été blessé par balles.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé en ce qui concerne l’octroi du statut de réfugié à Monsieur ….

Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 :

« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

4 a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi: « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il 5s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Force est au tribunal de constater qu’en ce qui concerne la menace dont Monsieur … affirme avoir été victime de la part des membres de la milice AL-HASHD AL-SHAABI en août 2015, nonobstant la question de la gravité de ces faits, ainsi que de l’incident survenu en juillet 2016 après le départ de Monsieur … d’Irak et impliquant des membres de sa famille, ces faits n’ont pas pour toile de fond un des critères de la Convention de Genève, respectivement de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015. En particulier, il échet de retenir que l’instruction de la demande sous analyse ne permet pas de considérer que les menaces de mort, respectivement l’agression de la famille du demandeur auraient été fondées sur les croyances religieuses de ce dernier, respectivement sur son appartenance à un groupe social, mais plutôt sur la volonté de la milice AL-HASHD AL-SHAABI de recruter le plus grand nombre possible d’hommes célibataires, indifféremment de leurs croyances religieuses, pour lutter contre le groupe terroriste se nommant « L’Etat islamique » qui s’est implanté sur des territoires au nord de l’Irak, ainsi que sur le refus du demandeur de rejoindre les rangs de cette milice.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies dans le chef de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder à Monsieur … le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur estime que les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire seraient remplies dans son chef en relevant encore que la milice AL-HASHD AL-SHAABI devrait être qualifiée d’acteur d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de la demande de Monsieur … en obtention d’une protection subsidiaire, en soulignant que même si la situation en Irak manquerait de stabilité, ce dernier n’aurait pas démontré avoir subi des atteintes graves en Irak. Lors de l’audience publique des plaidoiries, la partie étatique s’est encore prévalue d’un arrêt C-465/07 de la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », du 17 février 2009 « Meki ELGAFAJI et Noor ELGAFAJI contre Staatssecretaris van Justitie » pour soutenir que la situation existant actuellement en Irak ne saurait être qualifiée de conflit armé interne présentant des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle et que le demandeur pourrait bénéficier de la possibilité d’une fuite interne à Bagdad.

Il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette 6personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que l’Irak est actuellement dans une situation de guerre civile entre plusieurs protagonistes, en l’occurrence les forces gouvernementales iraquiennes, des milices paramilitaires tant sunnites que chiites, ainsi que le groupement terroriste se nommant « l’Etat islamique » qui occupe une partie du territoire irakien. Ce conflit, perdurant depuis plusieurs années, suite à la chute du régime de Saddam HUSSEIN, se caractérise notamment par des affrontements entre les différents groupes armés en vue d’étendre leur emprise territoriale faisant de nombreux victimes civiles et par des attentats à la bombe et d’autres actes meurtriers perpétrés par le groupe terroriste se nommant « l’Etat islamique » sur l’ensemble du territoire irakien et visant tant les autorités officielles nationales que la population civile, ceci afin d’aviver les tensions intercommunautaires entre les personnes de confessions chiite et sunnite et d’affaiblir les autorités locales. Ces attaques, commises surtout dans les lieux publics, respectivement à proximité des infrastructures officielles, ont délibérément et sans discrimination pour cible la population civile et font à chaque fois plusieurs dizaines de morts et de blessés. Le degré de violence aveugle doit ainsi être considéré comme étant si élevé qu’un civil, du seul fait de sa présence sur le territoire iraquien, et en particulier à Bagdad, est exposé à des menaces graves et individuelles contre la vie ou sa personne, conformément aux enseignements de l’arrêt, précité, de la CJUE du 17 février 2009. Par ailleurs, les milices paramilitaires opérant sur le territoire irakien, bien que certaines sont affiliées aux autorités militaires et policières nationales pour les seconder dans leur mission, sont également à l’origine de violations des droits à l’homme à l’égard de la 7population irakienne, étant plus particulièrement relevé que certaines de ces milices procèdent à des enlèvements, à des exécutions extrajudiciaires de personnes, respectivement à des actes de torture sous prétexte que ces victimes sont soupçonnées d’être des terroristes1.

Au regard de ces constatations, le tribunal est amené de conclure qu’en cas de retour dans son pays d’origine, le demandeur est clairement exposé à faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle eu égard à la situation de conflit armé interne, tel que décrit ci-avant sévissant actuellement en Irak, le ministre sur lequel repose la charge de la preuve restant, par ailleurs, en défaut de rapporter la preuve de l’existence, dans le cadre des conditions ambiantes actuelles régnant en Irak, d’une région ou d’un quartier dans lequel le demandeur pourrait se réinstaller en toute sécurité, surtout à Bagdad qui est l’épicentre d’attaques terroristes faisant mensuellement plusieurs centaines de morts et de blessés, étant encore souligné d’une part que, bien que la situation dans certaines parties de l’Irak puisse être moins grave, surtout dans les parties désertiques, moins densément peuplées, ces zones se trouvent cependant également affectés par des attentats visant la population civile, bien que moins fréquents, et, d’autre part, qu’il n’est pas établi, en l’espèce, que ces régions soient matériellement accessibles pour le demandeur et qu’il puisse s’y réinstaller en toute sécurité2.

Outre que le fait que la présence d’un conflit armé exclut la possibilité de bénéficier d’une protection adéquate, il y a encore lieu de relever que les protagonistes des actes de violence aveugle en Irak sont tant les forces gouvernementales que des milices paramilitaires ainsi que le groupe terroriste se nommant « l’Etat islamique », de sorte qu’en l’état actuel de la situation en Irak, il n’y a pas lieu pour le demandeur de pouvoir espérer une protection au sens de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, dès lors que les autorités nationales sont elles-mêmes activement impliquées dans les exactions relevées plus en avant par le tribunal3.

Il s’ensuit qu’il y a lieu de conclure que le demandeur est confronté à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Au vu des développements qui précèdent, il y a lieu d’octroyer au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire.

2. Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Le demandeur expose que l’ordre de quitter le territoire devrait être réformé comme conséquence de la réformation du refus ministériel de lui octroyer le statut conféré par la protection internationale, cet ordre constituant encore une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », ainsi que des « instruments juridiques » visés par l’article 30, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015.

1 Trib. adm., 5 juillet 2017, n° 37908 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu 2 Ibidem.

3 Ibidem.

8 Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours contre l’ordre de quitter le territoire qui découlerait du rejet de la demande de protection internationale sous examen en faisant valoir que le demandeur serait resté en défaut d’établir qu’un retour en Irak entraînerait pour eux le risque de faire l’objet de traitements contraires à la CEDH, respectivement violerait le principe de non-refoulement.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur est fondé à se prévaloir du statut conféré par la protection subsidiaire et que la décision de refus de la protection internationale est à réformer en ce sens, il y a lieu de réformer l’ordre de quitter le territoire tel que contenu dans la décision ministérielle déférée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 22 novembre 2016 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef du demandeur ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation de la décision ministérielle déférée du 22 novembre 2016, accorde au demandeur le statut conféré par la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile pour exécution ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 22 novembre 2016 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation, dit que le demandeur ne doit pas quitter le territoire dans un délai de trente jours ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 octobre 2017 par :

9Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 octobre 2017 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 38892
Date de la décision : 18/10/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-10-18;38892 ?

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