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11/10/2017 | LUXEMBOURG | N°38240

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 octobre 2017, 38240


Tribunal administratif Numéro 38240 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juillet 2016 3e chambre Audience publique du 11 octobre 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38240 du rôle et déposée le 26 juillet 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Danièle WAGNER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à

…, tendant à l’annulation d’une décision du 25 avril 2016 du directeur de l’Agence pour ...

Tribunal administratif Numéro 38240 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juillet 2016 3e chambre Audience publique du 11 octobre 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38240 du rôle et déposée le 26 juillet 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Danièle WAGNER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à …, tendant à l’annulation d’une décision du 25 avril 2016 du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société anonyme …;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2016 ;

Vu le courrier déposé au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2017 par lequel Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déclare avoir repris le mandat pour Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Max MULLER, en remplacement de Maître Charles KAUFHOLD, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 septembre 2017.

Le 16 avril 1998, Monsieur … signa un contrat de travail à durée indéterminée avec la société anonyme …, ci-après désignée par « …», avec effet au 1er avril 1998.

… fut déclarée en état de faillite par un jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du … 2015.

En date du 22 décembre 2015, Monsieur … déposa au greffe du tribunal d’arrondissement de Luxembourg une déclaration de créance dans le cadre de cette faillite et demanda l’admission au passif d’une créance salariale à hauteur de … € du chef d’arriérés de salaire pour les mois de mars, octobre et décembre 2014 et de janvier à mai 2015, des indemnités provenant de la survenance de la faillite, des trois mois précédents la faillite et d’une indemnité correspondant à la moitié du préavis légal.

En date du 15 avril 2016, une partie de la créance fut admise au passif privilégié de la faillite à hauteur de …€ et l’autre au passif chirographaire de la faillite à hauteur de …€.

Par une décision du 25 avril 2016, le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi, ci-après désignés par « le directeur », respectivement par « l’ADEM », informa … de l’impossibilité de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée, sur le fondement des considérations suivantes :

« […] Faisant suite à votre déclaration de créance dans l’affaire émargée, je me permets de vous informer que les dispositions de l’article L.126-1. du Code du travail ne s’appliquent qu’aux seuls travailleurs salariés.

Or, l’instruction du dossier a révélé que vous occupiez au sein de la société … la fonction d’administrateur-délégué, alors que « La société se trouve engagée par la signature conjointe de deux administrateurs ou par la seule signature de l’administrateur-délégué ».

En outre, il a été constaté que vous étiez titulaire de l’autorisation d’établissement délivrée par le Ministère de l’Économie et qu’elle n’était valable que si la gérance était assurée par vous.

Au vu des responsabilités et obligations qui découlent directement d’une telle autorisation, vous ne pouvez pas être considéré comme un travailleur salarié.

Ainsi, en tant que dirigeant, vous devez veiller à assurer personnellement et de manière effective la direction des affaires quotidiennes de la société. Vous devez signer ou contresigner tous les actes de gestion quotidienne engageant la société, ce que les statuts de la société et les décisions subséquentes des organes directeurs devraient nécessairement prévoir. Vous devez assumer la responsabilité d’éventuels manquements ayant mené ou contribué à mener la société à la liquidation judiciaire ou à la faillite.

Il s’ensuit que vous ne pouvez pas être considéré comme salarié ordinaire mais comme un dirigeant de la société et que vous n’exercez pas une fonction distincte et dissociable de celle découlant du mandat social et qu’un lien de subordination fait défaut, de sorte que je suis dans l’impossibilité de faire libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2016, … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du directeur du 25 avril 2016.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce. Le recours en annulation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur explique tout d’abord qu’il aurait travaillé en tant qu’ingénieur auprès de … où il aurait assumé, pendant un certain temps, également la fonction d’administrateur-délégué. Il aurait toutefois déposé son mandat social en date du 26 mai 2015, étant donné qu’il ne se serait plus trouvé en mesure d’accomplir cette tâche, faute de transparence concernant la situation financière, et suite à quoi il aurait été licencié avec préavis jusqu’au 1er décembre 2015. Etant donné que … aurait été déclarée en état de faillite le … 2015, il aurait déposé une déclaration de créance du chef d’arriérés de salaire et de l’indemnité égale à 50% des mensualités se rapportant au délai de préavis auquel il aurait pu prétendre, laquelle aurait été acceptée le 15 avril 2016.

En droit, le demandeur fait valoir qu’au moment de la survenance de la faillite, il aurait uniquement exercé sa fonction d’ingénieur au sein de … et que l’existence d’un lien de subordination serait corroborée par la résiliation de son contrat de travail en date du 1er juin 2015. Il souligne que même avant le dépôt de son mandat social, il n’aurait disposé d’aucun pouvoir déterminant sur les activités de la société …, toute l’activité financière ayant été gérée par Monsieur …, qui n’aurait fourni la moindre information relative à la situation financière à ses collaborateurs.

Il souligne ensuite que le cumul entre un mandat social et un contrat de travail ne serait pas exclu par la loi luxembourgeoise, dans la mesure où l’administrateur exercerait une fonction technique distincte des fonctions exercées en vertu de son mandat social, et précise à cet égard qu’il aurait été en charge de la coordination des chantiers et de l’élaboration de projets, tâches relevant de sa fonction d’ingénieur et partant de sa qualité de salarié. Il ajoute qu’il n’aurait jamais pu exercer son mandat social en raison du fait que Monsieur … aurait pris toutes les décisions importantes concernant les activités de la société …, de sorte que la décision du directeur de l’ADEM devrait être annulée.

Le délégué du gouvernement pour sa part explique que le … 2005 une deuxième société, à savoir la société anonyme …, dénommée ci-après « … », aurait été constituée, société de laquelle … aurait également été administrateur et administrateur-délégué, et dont les actions auraient été libérées à …% par un apport en nature consistant en … actions de la société …. Il indique à cet égard que … aurait été titulaire de …% des actions de la catégorie « B » de la société … .

Il ajoute que le 1er octobre 2006, un avenant à son contrat de travail aurait été signé par le demandeur et la société …, suivant lequel les conditions de son contrat de travail seraient reprises à …% par elle et resteraient avec …% liées à la société …. Depuis le 1er janvier 2009, le demandeur aurait encore parallèlement été affilié auprès du Centre Commun de la Sécurité Sociale en tant qu’indépendant et en tant que salarié de la société ….

… aurait également mis ses autorisations d’établissement à disposition des deux sociétés.

En droit, la partie étatique conteste tout lien de subordination dans le chef de … à l’égard de la société …, dont il aurait été le dirigeant, et ceci en raison de plusieurs éléments.

En effet, sa rémunération aurait augmenté de façon significative sans modification de son contrat de travail, de sorte qu’il ne serait pas établi que cette rémunération aurait été perçue au titre d’un travail salarié. De plus, …et la société … seraient à considérer comme un même employeur, dans la mesure où la dernière semblerait, par apport d’actions, avoir absorbé la première et en raison du fait que l’avenant au contrat de travail de … n’aurait pas été signé par la société …. Le demandeur aurait encore perçu sa rémunération auprès de la société … à titre d’indépendant et n’aurait pas déposé de déclaration de créance dans le cadre de la faillite de ladite société. Or, comme …et la société … auraient été une même entité, le demandeur ne pourrait pas être considéré comme indépendant dans l’une des sociétés et comme salarié dans l’autre des sociétés.

La partie étatique souligne encore l’attitude passive du demandeur envers son employeur concernant le paiement tardif et incomplet de ses salaires, ainsi qu’au regard de son licenciement en raison du dépôt de son mandat social. Le demandeur n’aurait pas non plus contesté la décision d’octroi des indemnités de chômage pour travailleur indépendant de l’ADEM du 12 avril 2016, et aurait, par ce fait, accepté la perception d’indemnités de chômage inférieures à celles perçues en tant que salarié.

L’article L.126-1 du Code du travail dispose :

« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.

(2) Sont garanties jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.

(3) En cas de continuation des affaires par le curateur de la faillite, la garantie visée au présent article est applicable, dans les limites visées au paragraphe (2), aux créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié le jour de la résiliation du contrat de travail et celles résultant de la résiliation du contrat de travail.

(4) Pour l’application des dispositions des paragraphes qui précèdent, sont considérées les créances de salaire et d’indemnité, déduction faite des retenues fiscales et sociales obligatoires en matière de salaires.

(5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.

(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi.

Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances.

Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2).[…]. » Il s’ensuit qu’en cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit jusqu’au plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, c’est-à-dire jusqu’au sextuple du salaire social minimum, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.

Dans ce contexte, force est au tribunal de conclure de prime abord que l’ADEM a non seulement le droit, mais l’obligation de vérifier en premier lieu l’existence de la qualité de salarié dans le chef du demandeur de la garantie salariale sollicitée1, de sorte que l’acceptation, comme en l’espèce, d’une créance par le juge commissaire et par le curateur ne s’oppose en principe pas à un refus du directeur de libérer les fonds nécessaires à la garantie salariale.

En effet, il résulte de l’article L.126-1 précité du Code du travail que peuvent seules faire l’objet d’une prestation de garantie à charge du Fonds pour l’emploi les créances de nature salariale et que, conformément au paragraphe (6) du même article, les versements sont effectués sur base de relevés « vérifiés par » l’ADEM. Sous peine de vider ledit texte de toute portée, il y a lieu de retenir que l’administration est en droit de procéder à son propre examen des créances qui lui sont soumises.

Cette vérification doit se rapporter à l’examen de la justification de l’intervention du Fonds pour l’emploi qui a vocation, en cas de faillite, à se substituer à l’employeur en carence et qui bénéficie d’une subrogation dans les droits du salarié. Il en découle que l’administration est en droit de vérifier aussi la qualité de salarié de l’intéressé et donc l’existence d’une relation de travail entre celui-ci et le failli, en vertu de l’article L.126-1 du Code du Travail, paragraphe (1), disposant que ladite créance s’applique aux « créances résultant du contrat de travail ». Son application est dès lors plus particulièrement conditionnée par l’existence d’un contrat de travail, caractérisé par l’existence d’un lien de subordination.

Le contrat de travail s’analyse en une convention par laquelle une personne s’engage à mettre, moyennant une rémunération, son activité à la disposition d’une autre à l’égard de laquelle elle se trouve dans un rapport de subordination juridique. Un tel rapport de subordination requiert que le contrat place le salarié sous l’autorité de son employeur qui lui donne des ordres concernant l’exécution du travail, en contrôle l’accomplissement et en vérifie les résultats.

Il n’est pas contesté, et cela résulte d’ailleurs des pièces soumises au tribunal, que la déclaration de créance a été acceptée par le juge commissaire et par le curateur à hauteur de …€ et de …€, de sorte que dans ce contexte, l’existence d’un contrat de travail n’a pas été remise en cause.

Dans ces circonstances, en cas de refus par l’ADEM du paiement d’une créance dûment acceptée par le curateur et le juge commissaire, tel que c’est le cas en l’espèce, la charge de la preuve du bien-fondé des motifs justifiant la décision de refus incombe à l’Etat, cette preuve étant à rapporter sur la toile de fond de l’examen, par le juge administratif, de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision déférée, et de la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à la motiver légalement2.

1 Cour adm., 18 mai 2006, n° 21111C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Travail, n° 18, et les autres références y citées.

2 Voir trib. adm., 22 mai 2006, n° 20427 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Travail, n° 7 et les autres références y citées.

Ainsi, il appartient à l’Etat, ayant refusé la prise en charge de la créance pourtant acceptée par le curateur et le juge commissaire, de fournir la preuve du bien-fondé des motifs justifiant sa décision. En l’occurrence, l’Etat faisant état d’une situation excluant un lien de subordination tiré de la qualité du demandeur d’administrateur délégué à la gestion journalière de la société …, ainsi que du fait d’être titulaire de l’autorisation d’établissement de ladite société, il lui appartient partant d’établir, d’une part, la réalité de la situation juridique, respectivement de fait qu’il allègue, et, d’autre part, de justifier que celle-ci est de nature à conclure que, vue les circonstances de l’espèce, le demandeur a exercé un contrôle déterminant sur les activités de la société, de sorte que l’existence d’un lien de subordination est inconcevable. Une fois cette preuve rapportée, il appartient, le cas échéant, au demandeur d’établir que, malgré la situation de contrôle légal ou de fait ainsi démontrée et excluant, a priori, l’existence d’un lien de subordination, il se trouve en réalité liée à la société par un contrat de travail caractérisé par un tel lien de subordination qui, en présence d’un mandat social, devra se caractériser par l’exercice d’une fonction technique distincte.

En l’espèce, force est au tribunal de constater qu’il ressort d’une publication au Mémorial C – N° … du … 2009, p. … que Monsieur …a été, lors de l’assemblée générale ordinaire du 28 novembre 2008, nommé administrateur et administrateur délégué à la gestion journalière de la société …, ensemble avec Monsieur … et jusqu’à l’assemblée statuant sur les comptes de l’exercice 2010. Il ressort ensuite d’une publication au Mémorial C – N° … du … 2010, p. … que les mandats de Monsieur …ont été, lors de l’assemblée générale ordinaire du 17 septembre 2010 prorogés pour un terme de six ans. Le demandeur ne conteste, par ailleurs, pas avoir rempli ces fonctions, mais indique qu’au moment de la survenance de la faillite, à savoir le … 2015, il n’aurait plus eu cette qualité en raison de sa démission en date du 26 mai 2015.

A cet égard, il ressort des pièces soumises à l’appréciation du tribunal, que … a, par courrier recommandé du 26 mai 2015 et réceptionné par …en date du 28 mai 2015 déposé avec effet immédiat son mandat d’administrateur délégué.

Toutefois, et même à admettre que … n’avait plus la qualité d’administrateur délégué de …au jour du prononcé du jugement déclaratif de faillite le … 2015, il n’en reste pas moins qu’il a eu cette qualité pendant une partie de la période à laquelle se rapporte sa créance salariale faisant l’objet du présent litige, à savoir les arriérés de salaire de l’année 2014, admis au passif chirographaire de la société à hauteur de …€, ainsi que les arriérés de salaire de mars à mai 2015, admis au passif privilégié à hauteur de …€, de sorte que c’est a priori à juste titre que le directeur de l’ADEM a confronté le demandeur avec l’existence dudit mandat social.

S’agissant des pouvoirs du demandeur au sein de … avant sa démission en date du 28 mai 2015, il se dégage d’une publication au Registre de Commerce et des Sociétés, que la société : « se trouve engagée par la signature conjointe de deux administrateurs ou par la seule signature de l’administrateur délégué ».

S’y ajoute qu’il n’est pas contesté en cause, et il se dégage encore des éléments du dossier administratif que … a été le détenteur de l’autorisation d’établissement délivrée par le ministère des Classes moyennes en date du 22 avril 2009, autorisation ayant indubitablement mis le demandeur dans une position de force.

Or, si le demandeur détenait effectivement l’autorisation d’établissement et était effectivement administrateur délégué de … jusqu’au 28 mai 2015, il convient cependant de retenir, d’un côté, que le simple fait que l’autorisation d’établissement ait été octroyée à la société sous condition que le demandeur assure la direction effective de la société n’est pas incompatible avec un statut de salarié, étant donné qu’une telle hypothèse est expressément prévu à l’article 4, point 3, de la loi modifiée du … 2011 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales et, de l’autre côté, que le cumul dans une même personne du mandat d’administrateur d’une société anonyme et de la qualité de salarié n’est pas prohibé dans la mesure où le contrat de travail correspond à des attributions techniques nettement dissociables de celles découlant du mandat, de sorte que la situation juridique décrite par la partie étatique n’est pas, à elle seule, de nature à exclure ipso facto l’existence d’un lien de subordination, qui en présence d’un mandat social devra se caractériser par l’exercice d’une fonction technique distincte.

Il y a encore lieu de souligner que le pouvoir décisionnel de … était dilué. En effet, il résulte des propres déclarations du demandeur qu’il a détenu …% des actions de la catégorie « B » de la société …, c’est-à-dire …% de l’intégralité des actions de ladite société, les autres actions ayant été détenues par Monsieur … et Monsieur …. Etant donné que, et comme l’a d’ailleurs souligné à juste titre la partie étatique, les actions de la société … ont été libérées à concurrence de …% par un apport en nature consistant en … actions de …et que celle-ci a été, de ce fait, du moins partiellement absorbée par la société …, il échet de conclure que … exerçait également un certain pouvoir décisionnel sur la société ….

En revanche, il ressort des éléments du dossier qu’en date du 16 avril 1998, le demandeur a signé un contrat de travail à durée indéterminée avec … avec effet au 1er avril 1998 et que le contrat de travail porte la mention qu’il a été engagé en tant que « Ingénieur ».

De même, il échet de relever que des éléments, telles l’affiliation à la sécurité sociale, l’existence de fiches de salaire, éléments ressortant du dossier soumis au tribunal, constituent des présomptions précises et concordantes faisant conclure à l’existence d’un contrat de travail, caractérisé par l’existence d’un lien de subordination.

En ce qui concerne ensuite l’existence d’une fonction technique distincte de son mandat social dans le chef du demandeur et partant d’un lien de subordination, le tribunal est amené à retenir que la partie étatique ne lui a pas soumis des éléments concrets permettant de les mettre en doute.

En effet, s’il est certain que la rémunération constitue un élément nécessaire du contrat de travail, le fait de se voir augmenter son salaire sans modification du contrat de travail, ainsi que le fait d’avoir accepté un paiement tardif et incomplet de certains salaires ne permet pas, ipso facto, de conclure à l’absence d’un lien de subordination dans le chef du demandeur. Il en est de même en ce qui concerne l’attitude « passive » reprochée au demandeur au regard de son licenciement et de la décision d’octroi des indemnités de chômage pour travailleur indépendant, les raisons de d’une telle attitude, mis à part le fait d’avoir déjà le 15 octobre 2015 signé un contrat de travail auprès d’un nouveau employeur, ne se dégageant pas des éléments du dossier et ne sont pas non plus susceptibles de s’expliquer exclusivement par l’absence d’une fonction technique distincte et dissociable du mandat social de ….

Finalement, l’affirmation, selon laquelle … et la société … seraient à considérer comme un même employeur, de sorte que le demandeur ne pourrait pas être considéré comme indépendant dans l’une et comme salarié dans l’autre est à rejeter, étant donné que, et comme retenu ci-avant, le cumul dans une même personne du mandat d’administrateur d’une société anonyme et de la qualité de salarié n’est pas prohibé, à partir du moment où le contrat de travail est à qualifier de convention réelle et sérieuse, qu’il doit correspondre à des attributions techniques nettement dissociables de celles découlant du mandat et que la subordination doit trouver sa véritable expression juridique dans les prérogatives de l’employeur envers le salarié, à savoir dans l’exercice d’un véritable pouvoir de contrôle et de direction à l’égard du salarié3, éléments, dont la partie étatique est, en vertu du principe du renversement de la charge de la preuve retenu ci-avant, resté en défaut d’établir l’absence.

S’il est vrai que tel que cela a été retenu ci-avant, l’influence du demandeur dans la gestion de la société est indéniable, il n’en reste pas moins qu’au regard de la répartition du capital, le demandeur n’ayant eu qu’une participation minime, et de la dilution du pouvoir décisionnel, son pouvoir décisionnel n’était pas prépondérant. A cela s’ajoute que la partie étatique est restée en défaut de rapporter la preuve de l’absence d’une fonction technique distincte, dissociable de son mandat social, dans le chef du demandeur, de sorte que l’existence d’un lien de subordination, ne peut être exclue.

Le tribunal est dès lors amené à conclure que c’est à tort que le directeur a dénié au demandeur l’existence d’un contrat de travail caractérisé par un lien de subordination, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que le demandeur exerçait, à côté de son mandat social, une fonction technique distincte, caractérisée par un lien de subordination.

Il s’ensuit que la décision déférée encourt l’annulation.

En ce qui concerne la demande en allocation d’une indemnité de procédure de …€ sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives formulée par le demandeur, il y a lieu de conclure, qu’étant donné que la partie étatique conteste tant le principe que le montant de cette demande, et que le demandeur omet de prouver en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge exclusive les frais exposés par lui dans la présente instance, il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, annule la décision du directeur de l’Agence pour le Développement de l’Emploi du 25 avril 2016 refusant de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale déclarée par Monsieur … dans le cadre de la faillite de la société … et renvoie le dossier devant ledit directeur en prosécution de cause ;

déboute le demandeur de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

3 Cour adm., 16 juin 2011, n° 27974C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Travail, n° 12 et les autres références y citées.

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 octobre 2017 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 octobre 2017 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 38240
Date de la décision : 11/10/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-10-11;38240 ?

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