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02/10/2017 | LUXEMBOURG | N°38942

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 octobre 2017, 38942


Tribunal administratif N° 38942 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 janvier 2017 2e chambre Audience publique du 2 octobre 2017 Recours formé par Madame …, Luxembourg contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38942 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2017 par Maître Pascale Petoud, avocat à la

Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née ...

Tribunal administratif N° 38942 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 janvier 2017 2e chambre Audience publique du 2 octobre 2017 Recours formé par Madame …, Luxembourg contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 38942 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2017 par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Zimbabwe), de nationalité zimbabwéenne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 2 décembre 2016 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 février 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pascale Petoud et Madame le délégué du gouvernement Jeannine Dennewald en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 juin 2017 ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Pascale Petoud et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 juin 2017, à laquelle l’affaire avait été refixée pour continuation des débats.

Le 7 avril 2015, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommée ci-

après la « loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Madame … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Le 17 avril 2015, Madame … fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en 1vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Le 17 août 2016, elle fut encore entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 2 décembre 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame … que sa demande avait été refusée comme non fondée. Cette décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez déposée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 7 avril 2015.

Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 7 avril 2015.

Il ressort dudit rapport que vous seriez entrée légalement dans l’Union européenne, à l’aide d’un visa « Schengen » valide du 3 au 30 mars 2015.

D’après les informations issues de la base de données EURODAC, vous avez déposé deux demandes en obtention d’une protection internationale, dont une en Grande Bretagne le 15 décembre 2008 et une en Suisse le 12 mars 2015.

Vous présentez un passeport valide.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d’entretien Dublin III du 17 avril 2015 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 17 août 2016 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre de demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez vécu ensemble avec vos frères et parents dans leurs résidences respectives à Bulawayo et à Kariba. Vous indiquez en outre avoir fait vos études secondaires au Zimbabwe avant d’enchainer avec des études universitaires que vous avez faites dans votre pays d’origine ainsi qu’au Royaume Uni. Vous auriez étudié le « business management » à l’université de Londres, où vous auriez séjourné de 2002 à 2010.

Vous auriez en outre suivi des cours en stylisme au Zimbabwe et au Royaume Uni. Quant à votre parcours professionnel, il convient de soulever que vous auriez fondé votre propre société de mode « Chic Trends » à Londres, pour laquelle vous auriez même confectionné vos propres collections dès votre retour au Zimbabwe. Votre emploi principal aurait tout de même été celui de responsable marketing auprès de Younique International «a small company that was doing a lot of health care. » (entretien, p. 2/8) En ce qui concerne les raisons de votre fuite vous évoquez des problèmes qui auraient 2commencé en janvier/février 2015 et seraient dus à votre engagement pour la vice-présidente du Zimbabwe Madame …. Dans ce contexte, vous précisez que vous auriez été la couturière de Madame …, qui aurait été limogée par le président zimbabwéen … en décembre 2014.

Suite à cet remaniement vous auriez été arrêtée à deux reprises par les membres du « Central Intelligence Organisation » (CIO). Ces derniers vous auraient détenue au poste de police à Kariba pour recueillir des informations sur Madame … pour pouvoir justifier l’arrestation de cette derrière. Lors de votre première arrestation fin janvier, les agents se seraient limités à vous interroger sur votre relation avec Madame …, tandis qu’ils vous auraient maltraité et menacé de vous torturer lors de la deuxième détention début février. Cette détention aurait duré trois jours. Vous déclarez à propos de cet interrogatoire que : « It wasn’t a normal conversation; they were banging on the table and trying to intimidate me. I wasn’t responding to their questions, and they kicked me with their feet. They also threatened to torture me with electrical means.» Après ces arrestations et les menaces des membres du CIO vous auriez décidé de préparer votre départ du Zimbabwe. Le prétendu assassinat de votre cousin … aurait conforté votre décision.

Quant à votre parcours vers l’Europe, vous expliquez que vous auriez quitté votre pays d’origine via l’Afrique du Sud et que vous auriez pris un avion ralliant l’Afrique du Sud à l’Europe. Etant donné que vous auriez eu des visas pour les différentes destinations vous n’auriez rencontré aucun problème lors de votre voyage. Avant de quitter vous auriez déposé votre fille de dix-huit ans chez une copine qui l’aurait prise en charge pendant votre absence.

Enfin, il ressort du rapport d’entretien du 17 août 2016 qu’il n’y a plus d’autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.

Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, votre demande de protection internationale est évaluée par rapport aux conditions d’obtention du statut de réfugié et de celles d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Soulignons dans ce contexte que l’examen et l’évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu’il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.

1. Quant à la Convention de Genève Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.

Rappelons à cet égard que l’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 a) de la loi 18 décembre 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42(1) de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

3 Selon l’article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s’applique à toute personne qui craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

En l’espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amené à quitter votre pays d’origine n’ont pas été motivées par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi. En effet, les faits qui vous auraient poussé à quitter le Zimbabwe, notamment votre détention aux fins d’interrogatoires suite au limogeage de la vice-présidente du «Zimbabwe African National Union — Patriotic Front » (ZANU PF) Madame … ne sauraient être considérés comme actes de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951.

1.1 Appartenance à un parti politique En premier lieu, l’autorité ministérielle tient à souligner qu’il ne saurait en l’espèce être retenu que vous soyez persécuté pour des motifs politiques bien que vous faites état d’un lien qui existerait entre vous et la vice-présidente Madame …. En effet, vous déclarez clairement que « I was never à member of any political party» et que vous n’auriez jamais parlé avec Madame … de son travail politique alors que votre seule relation aurait été de nature purement professionnelle. Rappelons qu’une telle relation commerciale avec un responsable politique de haut niveau ne saurait en soi suffire pour établir dans le chef d’un demandeur de protection internationale l’existence d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute, le fait que vous déclarez que votre père, qui serait un membre actif du parti d’opposition « Movement for Democratic Change » (MDC), aurait été l’un des conseillers dans le « politburo » de Madame …, à ce stade un membre affiché du ZANU PF.

Cette déclaration est considérée comme peu probable, surtout si on prend en compte la rupture du gouvernement de coalition entre le MDC et le ZANU PF suite aux élections de 2013. Cet élément, votre description plutôt vague de Madame … et le fait que vous ne disposez que d’informations très lacunaires sur les majeurs développements politiques au Zimbabwe remettent en cause votre prétendue relation avec Madame … et ébranlent l’essence de votre récit. Le fait que Madame … essayerait de former une alliance avec le MDC de … après avoir créé son propre parti oppositionnel, ne saurait invalider ce constat.

1.2 Emprisonnements et maltraitances En ce qui concerne vos déclarations quant à des prétendues maltraitances subies au cours d’un entretien avec la police il convient premièrement de rappeler que le fait d’être entendu par la police voire d’être placé en garde à vue est une procédure totalement légitime et légale de sorte que ce simple fait ne saurait constituer une persécution.

Deuxièmement, il convient de noter que si les maltraitances dont vous faites état étaient avérées elles seraient certes condamnables mais ne constitueraient pas non plus une persécution car le comportement fautif d’un seul policier n’est pas représentatif pour toute 4l’institution.

De plus, il est de jurisprudence constante que « des chicaneries quotidiennes par les autorités de police et les coups infligés lors d’un contrôle de police constituent des pratiques certes condamnables, mais ne sont pas d’une gravité telle qu’ils justifient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève ». (TA - 7 octobre 1998 - 10719 et TA - 14 octobre 1998 -10556) 1.3 Craintes de persécution En ce qui concerne vos allégations que votre gouvernement pourrait vous faire disparaitre en cas de retour au Zimbabwe, il convient de souligner qu’en l’absence d’une quelconque preuve pour le prétendu risque de vous faire convoquer et emprisonner par le CIO est plutôt à considérer comme une crainte hypothétique. Or, une crainte hypothétique ne saurait constituer une persécution au sens de la Convention de Genève alors qu’elle traduit un sentiment général d’insécurité. Ceci est d’autant plus vrai que Madame … a créé un nouveau parti politique depuis votre départ du pays et s’oppose depuis ouvertement contre le régime ….

1.4 Assassinat de votre cousin En ce qui concerne le prétendu assassinat de votre cousin … l’autorité ministérielle est plutôt amené de caractériser cet élément comme un fait non personnel. Or, vous restez en défaut d’étayer un lien entre le traitement de votre cousin qui aurait été un activiste politique et des éléments liés à votre personne vous exposant à des actes similaires. Il n’est par ailleurs pas établi que le prétendu assassinat de votre cousin serait liée à sa race, à sa religion, à sa nationalité, à son appartenance à un certain groupe social ou à ses convictions politiques de sorte qu’on ne saurait conclure qu’il existe une persécution au sens de la Convention de Genève dans votre chef. Le fait que vous déclarez lors de votre entretien auprès des autorités suisses que la plupart des membres de votre famille serait de simples membres du parti gouvernemental soutient ce constat.

Relevons qu’en vertu de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, le ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine, il n’y a aucune raison de craindre d’être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu’il est raisonnable d’estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d’une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d’origine, une existence conforme à la dignité humaine.

Selon les lignes directrices de l’UNHCR, l’alternative de la fuite interne s’applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu’en termes de sécurité.

En l’espèce, il ressort à suffisance de vos dires, que vous n’auriez à aucun moment essayé de vous réinstaller au sein de votre pays ou de déménager dans la capitale Harare.

Ainsi, il n’est pas établi en l’espèce que vous n’auriez pas pu recourir vous-même à une réinstallation au sein de votre pays d’origine. Ainsi, étant donné votre âge, votre sexe et votre parfaite condition pour vous adonner à des activités rémunérées, vous n’établissez pas de 5raisons suffisantes pour lesquelles vous n’auriez pas été en mesure de profiter d’une possibilité de fuite interne à l’intérieur de votre pays. De plus, il convient de soulever que votre métier de couturière et vos études universitaires devraient vous permettre de trouver facilement un emploi vous permettant de subvenir à vos besoins.

Ajoutons à cet égard que les problèmes dont vous faites état n’ont qu’un caractère local, ce que vous indiquez clairement dans vos déclarations, et que la situation dans laquelle vous ont placé les mesures infligées n’a pas atteint une telle ampleur que vous ne pouviez vous y soustraire qu’en fuyant à l’étranger.

Compte tenu des constatations qui précèdent concernant les conditions générales dans cette partie du pays et votre situation personnelle, force est de retenir que les critères du paragraphe 2 de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire sont clairement remplis.

En conclusion, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d’être persécutée dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 42 et 43 de la loi précitée du 18 décembre 2015.

Les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

2. Quant à la Protection subsidiaire L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 de la loi précitée du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez que vous auriez été emprisonnée et maltraitée alors que les autorités seraient à la recherche d’informations sur Madame … pour laquelle vous auriez travaillé en tant que couturière.

Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire. En effet, les faits invoqués à l’appui de votre demande ne nous permettent pas d’établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré 6par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Zimbabwe, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2017, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 2 décembre 2016 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de la décision ministérielle du même jour portant ordre de quitter le territoire.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », ayant abrogé et remplacé la loi du 5 mai 2006, prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, ainsi que contre l’ordre de quitter de territoire prononcé dans ce contexte, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, pris en son double volet.

Quant à la recevabilité du recours, le tribunal relève qu’à l’audience publique des plaidoiries du 19 juin 2017, le litismandataire de la demanderesse a fait valoir que ce serait à tort que le délégué du gouvernement a affirmé dans son mémoire en réponse que la décision déférée aurait été notifiée à Madame … le 5 décembre 2015, en soutenant, à cet égard, que le courrier de notification de ladite décision aurait été envoyé à une adresse erronée et que par courrier du 15 mars 2016, la nouvelle adresse de sa mandante aurait été portée à la connaissance du ministère. Dans la mesure où la problématique ainsi évoquée par ledit litismandataire a une incidence directe sur la recevabilité ratione temporis du recours, au regard des dispositions des articles 12 (3) et 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal a procédé à la refixation de l’affaire à l’audience publique du 26 juin 2017, afin de permettre aux parties de prendre position, pièces à l’appui, quant à cette question.

Dans un courrier adressé au tribunal le 21 juin 2017, le délégué du gouvernement a expliqué que conformément à la fiche d’élection de domicile signée par Madame … le 8 avril 2015, le courrier portant notification de la décision déférée à l’intéressée aurait été envoyé au domicile élu de celle-ci, en l’occurrence le Foyer Don Bosco, sis à L-1511 Luxembourg, 162b, avenue de la Faïencerie. A ce courrier du 21 juin 2017 étaient joints ladite fiche d’élection de domicile, de même qu’un relevé des envois recommandés du ministère, aux termes duquel ledit courrier aurait été remis à la poste le 2 décembre 2015.

Dans un courrier adressé au tribunal le 26 juin 2017, le litismandataire de la demanderesse a fait valoir que Madame … aurait changé d’adresse en janvier 2016, sans préjudice quant à la date exacte, ce dont elle aurait immédiatement informé le ministère. A cet égard, en se prévalant du susdit courrier de sa part du 15 mars 2016, ledit litismandataire a souligné que le ministère aurait connaissance de la nouvelle adresse de sa mandante depuis au moins cette date et que cette nouvelle adresse figurerait aussi dans un courrier qu’il aurait adressé au ministère le 28 novembre 2016. En soulignant que le courrier de notification de la 7décision déférée aurait été envoyé à la mauvaise adresse et aurait été retourné au ministère le 7 décembre 2016 avec la mention « n’habite pas/plus à l’adresse indiquée », et en se prévalant de deux jugements du tribunal administratif des 16 janvier 2002 et 29 janvier 2003, portant les numéros 15455 et 15682 du rôle, aux termes desquels aucun délai ne pourrait courir lorsque le facteur n’aurait pas laissé, respectivement remis à une personne se trouvant à l’adresse indiquée par le destinataire d’une notification par courrier recommandé ou résultant des déclarations officielles, le pli recommandé en question, alors que dans pareille hypothèse, ledit destinataire serait dans l’impossibilité de prendre connaissance de l’existence et du contenu de la décision, le litismandataire de Madame … a conclu que la décision déférée n’aurait pas été valablement notifiée à sa cliente, de sorte que la partie étatique ne saurait se prévaloir des dispositions de l’article 12 (3) de la loi du 18 décembre 2015.

A l’audience publique des plaidoiries du 26 juin 2017, à laquelle l’affaire avait été refixée pour continuation des débats, le litismandataire de la demanderesse a renvoyé au contenu de son courrier, précité, du même jour.

Le délégué du gouvernement a fait valoir que la loi du 18 décembre 2015 aurait remplacé l’obligation de notification au domicile élu indiqué par le demandeur de protection internationale, telle que prévue par la loi du 5 mai 2006, par l’obligation d’une notification à la résidence habituelle du demandeur. Dans la mesure où le courrier de notification de la décision déférée, envoyé à l’adresse du domicile élu indiqué par la demanderesse, aurait été retourné au ministre, celui-ci aurait dû s’enquérir quant à la résidence habituelle de la demanderesse, ce qu’il n’aurait cependant pas fait, de sorte que l’envoi dudit courrier n’aurait pas eu pour effet de faire courir le délai de recours contentieux d’un mois à compter de la notification, tel que prévu par l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015.

Même si les parties se sont ainsi, en principe, accordées sur l’absence de notification valable de la décision déférée, il appartient néanmoins au tribunal de trancher la question de la recevabilité ratione temporis se trouvant ainsi dans les débats, s’agissant d’une question d’ordre public.

A cet égard, le tribunal relève que la demanderesse a déposé sa demande de protection internationale le 7 avril 2015, sous l’empire de l’ancienne loi du 5 mai 2006, laquelle prévoyait, en son article 6 (8), que « Le demandeur a l’obligation d’élire domicile au pays pour les besoins de la procédure d’asile. Il a l’obligation de communiquer le domicile élu au ministre dans les cinq jours suivant le dépôt de sa demande de protection internationale.

Toute modification du domicile élu doit être communiquée au ministre contre récépissé.

(…) » et, en son article 6 (9), que « Le demandeur a l’obligation d’accepter toute communication du ministre à son domicile élu. Sans préjudice d’une notification à personne, toute notification est réputée valablement faite trois jours après l’envoi au domicile élu, sous pli recommandé à la poste. ».

C’est en application de cet article 6 (8) que Madame … a, en date du 8 avril 2015, informé le ministre de son élection de domicile au Foyer Don Bosco, sis à L-1511 Luxembourg, 162b, avenue de la Faïencerie.

Il est constant en cause que c’est à cette adresse que le courrier recommandé portant notification de la décision litigieuse a été envoyé.

8Or, au jour de l’envoi de ce courrier, en l’occurrence en date du 2 décembre 2016, la loi du 5 mai 2006 avait été abrogée et remplacée par celle du 18 décembre 2015.

L’article 12 (3) de ladite loi prévoit ce qui suit :

« Le demandeur est tenu de faire dans les huit jours suivant l’introduction de sa demande de protection internationale une déclaration d’arrivée auprès de la commune dans laquelle il établit sa résidence habituelle. Tout changement de résidence à l’intérieur de la commune ou le transfert de la résidence habituelle dans une autre commune, doit être déclaré auprès de la commune de la nouvelle résidence.

Pour les besoins de la procédure, le demandeur peut élire domicile auprès de son mandataire et communiquer le domicile élu au ministre. Toute modification du domicile élu doit être communiquée au ministre contre récépissé.

Le demandeur devra accepter de recevoir toute communication au lieu de sa résidence habituelle ou, le cas échéant, au domicile élu. Sans préjudice d’une notification à personne, toute notification est réputée valablement faite trois jours après l’envoi sous pli recommandé à la poste soit au lieu de la résidence habituelle soit au domicile élu.

A défaut de résidence habituelle connue ou d’élection de domicile, le demandeur est réputé avoir élu domicile au ministère et le ministre procède à une notification par affichage public. (…) ».

A défaut de dispositions transitoires figurant dans la loi du 18 décembre 2015, ce sont ces dispositions qui régissent la notification de la décision déférée et non pas celles de l’article 6 de la loi du 5 mai 2006.

En vertu de l’alinéa 3 de l’article 12 (3) de la loi du 18 décembre 2015, la notification est réputée valablement faite à l’expiration d’un délai de trois jours à compter de l’envoi sous pli recommandé à la poste soit au lieu de la résidence habituelle du demandeur, soit au domicile que ce dernier a, le cas échéant, élu auprès de son mandataire, peu importe que ledit envoi ait ou non pu être remis au destinataire.

S’il est exact qu’il ne se dégage pas des éléments soumis au tribunal que la demanderesse ait fait une élection de domicile auprès de son mandataire, conformément à l’article 12 (3), alinéa 2 de la loi du 18 décembre 2015, se pose encore la question de savoir si le courrier de notification de la décision déférée a été envoyé à la résidence habituelle de la demanderesse, au sens dudit article 12 (3). Dans l’affirmative, la notification serait réputée valablement faite le 5 décembre 2016, de sorte que le délai de recours contentieux d’un mois à compter de la notification, tel que prévu par l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015, aurait expiré le 5 janvier 2017 et que, dès lors, le recours de Madame …, déposé au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2017 serait à déclarer irrecevable pour cause de tardiveté.

Etant donné que l’alinéa 1er de l’article 12 (3) impose expressément au demandeur de protection internationale de faire dans les huit jours suivant l’introduction de sa demande de protection internationale une déclaration d’arrivée auprès de la commune dans laquelle il établit sa résidence habituelle et de déclarer tout changement de résidence à l’intérieur de la commune ou le transfert de la résidence habituelle dans une autre commune auprès de la commune de la nouvelle résidence, le tribunal retient qu’en principe, la résidence habituelle 9du demandeur à laquelle le courrier de notification doit être envoyé pour déclencher la présomption de notification prévu à l’article 12 (3), alinéa 3 de la loi du 18 décembre 2015 est celle que le demandeur a déclarée en dernier lieu auprès de l’une des communes du pays.

Quant à la sanction du non-respect de cette obligation de déclaration, il y a lieu de se référer à l’article 12 (3), alinéa 4 de la loi du 18 décembre 2015, qui prévoit que dans l’hypothèse de l’absence tant d’une élection de domicile auprès du mandataire du demandeur de protection internationale que d’une résidence habituelle connue de l’intéressé, le demandeur est réputé avoir élu domicile au ministère et le ministre procède à une notification par affichage public.

En l’espèce, la partie étatique, à laquelle il incombe de prouver que les circonstances de fait déclenchant la présomption de notification de l’article 12 (3) de la loi du 18 décembre 2015 sont remplies, n’a ni allégué ni a fortiori prouvé que Madame … aurait, à un moment quelconque, déclaré auprès de la commune de Luxembourg avoir sa résidence habituelle au Foyer Don Bosco.

Au contraire, il ressort du courrier, précité, du délégué du gouvernement du 21 juin 2017 que le courrier de notification de la décision déférée a été envoyé au Foyer Don Bosco, non pas parce que la demanderesse aurait fait une telle déclaration ou parce qu’elle y résiderait effectivement et notoirement de manière habituelle, mais au motif qu’elle y aurait élu domicile, en application de l’article 6 (8) de la loi abrogée du 5 mai 2006.

Dans ces circonstances et compte tenu du fait, d’une part, qu’un domicile élu d’une personne ne correspond pas nécessairement au lieu de sa résidence habituelle et, d’autre part, qu’il est constant en cause qu’au jour de l’envoi du courrier de notification de la décision litigieuse, Madame … ne résidait plus au Foyer Don Bosco depuis plusieurs mois, circonstance dont le ministre a été informé par courriers du litismandataire de l’intéressée des 15 mars et 28 novembre 2016, aux termes desquels elle demeurerait à L-1140 Luxembourg, 30, route d’Arlon, le tribunal retient que le courrier de notification de la décision déférée n’a pas été envoyé à la résidence habituelle de Madame …, au sens de l’article 12 (3) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que l’envoi dudit courrier n’a pas eu pour effet de déclencher la présomption de notification prévue par cette dernière disposition légale.

Etant donné qu’il ne ressort ainsi pas des éléments à la disposition du tribunal que le délai de recours contentieux d’un mois à compter de la notification de la décision, tel que prévu par l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015, aurait expiré avant le dépôt de la requête introductive d’instance au greffe du tribunal administratif, le recours en réformation est, à défaut d’autres moyens d’irrecevabilité, à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en reprenant, en substance, ses déclarations faites dans le cadre de son audition par un agent du ministère en date 17 août 2016, telles que résumées dans la décision litigieuse, reproduite in extenso ci-avant.

En droit, la demanderesse reproche au ministre d’avoir fait une appréciation erronée de ses déclarations, qui seraient pourtant claires et précises, étant donné qu’il se dégagerait de son récit que les deux arrestations dont elle aurait fait l’objet de la part de membres de la « Central Intelligence Organisation », ci-après désignée par « la CIO », seraient en relation directe avec les liens qu’elle aurait entretenus avec l’ancienne vice-présidente du Zimbabwe, Madame …, de sorte que ces arrestations seraient à qualifier d’actes de persécution.

10 Par ailleurs, elle soutient que ce serait à tort que le ministre aurait remis en cause l’existence d’une motivation politique gisant à la base des actes invoqués à l’appui de sa demande et, de manière plus générale, la crédibilité de son récit, au motif qu’elle n’aurait jamais été membre d’un parti politique et qu’elle ne disposerait que d’informations lacunaires sur les majeurs développements politiques au Zimbabwe. A cet égard, elle insiste sur le fait que son audition n’aurait pas pu avoir lieu le 2 septembre 2015, tel que prévu initialement, compte tenu de la fragilité de son état de santé tant physique que mentale, la demanderesse expliquant, à cet égard avoir été hospitalisée à compter du 16 juillet 2015 et être atteinte du VIH. Eu égard à son état de faiblesse et de vulnérabilité, elle aurait, par courrier de son litismandataire du 3 septembre 2015, demandé aux autorités luxembourgeoises d’utiliser le procès-verbal d’audition réalisé dans le cadre d’une précédente demande de protection internationale déposée en Suisse, afin de statuer sur sa demande introduite au Luxembourg.

Malgré l’état de grande vulnérabilité dans lequel elle se serait trouvée lors de son audition par un agent du ministère en date du 17 août 2016, elle se serait efforcée de répondre aux questions lui posées pour faire avancer son dossier. Or, aucune question précise quant aux événements politiques majeurs au Zimbabwe ne lui aurait été posée à cette occasion, de sorte qu’il ne saurait lui être reproché d’avoir des connaissances lacunaires sur de tels événements.

Elle ajoute que le fait, pour un demandeur de protection internationale, de ne pas appartenir à un parti politique ne permettrait pas de conclure que les faits invoqués à l’appui de sa demande ne reposeraient pas sur des motifs politiques. En effet, il se dégagerait de la jurisprudence des juridictions administratives que la notion d’opinions politiques, au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, viserait, non seulement les opinions politiques réelles de la personne concernées, mais aussi celles qui lui seraient imputées par les auteurs des faits invoqués. Elle précise que Madame … lui aurait recommandé de ne pas divulguer les informations dont elle aurait pris connaissances dans le cadre de son travail, au motif qu’il s’agirait d’informations politiquement sensibles, et qu’elle n’aurait pas été questionnée à ce sujet par l’agent en charge de son audition, de sorte qu’elle aurait été d’avis qu’il ne serait pas dans son intérêt d’évoquer la teneur desdites informations.

La demanderesse insiste ensuite sur le fait que les arrestations arbitraires, ainsi que le traitement lui réservé au cours de celles-ci, qui seraient assimilables à des actes de torture, seraient d’une gravité suffisante au regard de l’article 42 (2) de la loi du 18 décembre 2015.

Elle souligne qu’il se dégagerait des rapports internationaux versés en cause qu’au Zimbabwe, les personnes identifiées, à tort ou à raison, comme opposantes au régime du président … feraient l’objet d’enlèvements et d’actes de torture, qu’il s’agirait de violences ciblées et organisées et que ces pratiques se seraient intensifiées dans le passé récent. En outre, la demanderesse réfute l’argumentation de la partie étatique selon laquelle les personnes associées, à tort ou à raison, à Madame … par les autorités zimbabwéennes ne seraient pas davantage en danger que Madame … elle-même, étant donné que celle-ci aurait créé un parti politique s’opposant ouvertement au régime en place. A cet égard, la demanderesse fait valoir que la presse ferait état de menaces sérieuses contre la vie de Madame … émanant de ses opposants politiques, en ce compris le régime en place.

Quant à l’assassinat de son cousin, Madame … soutient que même si les circonstances de la disparition de ce dernier ne sont pas totalement claires, elles seraient néanmoins de nature à faire craindre aux membres de sa famille de subir le même sort. Dans ce contexte, la demanderesse insiste sur le fait que le drame serait survenu peu après que sa famille se serait dispersée suite à l’irruption des forces de l’ordre dans la maison familiale.

11Par ailleurs, la demanderesse conteste l’argumentation de la partie étatique selon laquelle elle aurait pu recourir à une fuite interne, notamment, à Harare, en faisant valoir que dans la mesure où elle aurait été interpellée chez elle, soit à 350 kilomètres de la capitale, rien n’empêcherait la CIO de venir la chercher à un autre endroit, en ce compris à Harare, où serait établi le siège du pouvoir.

A l’appui de sa demande tendant à l’octroi de la protection subsidiaire, la demanderesse invoque, en substance, les mêmes motifs que ceux invoqués à l’appui de sa demande tendant à l’obtention du statut de réfugié, tout en se prévalant des articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme relative à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », ainsi que de la jurisprudence des juridictions administratives. Elle reproche encore au ministre d’avoir violé les dispositions de l’article 37 (3) et (4) de la loi du 18 décembre 2015, au motif qu’il aurait rejeté sa demande de protection subsidiaire, sans vraiment vérifier si les faits invoqués par elle répondent aux conditions prévues par la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée et, plus particulièrement, du reproche tiré de la violation de l’article 37 (3) et (4) de la loi du 18 décembre 2015, au motif que le ministre aurait rejeté la demande de protection subsidiaire de Madame …, sans vraiment vérifier si les faits invoqués par elle répondent aux conditions prévues par la loi du 18 décembre 2015, le tribunal constate que dans sa décision du 2 décembre 2016, le ministre a indiqué que le récit de la demanderesse ne contiendrait pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’elle courrait un risque réel de subir les atteintes graves prévues à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, en renvoyant, à cet égard, à la motivation détaillée fournie à l’appui de sa décision de refus d’octroi d’un statut de réfugié, aux termes de laquelle, notamment, (i) le récit de la demanderesse ne serait pas crédible, (ii) sa crainte de faire l’objet d’actes de violence de la part de la CIO serait hypothétique et (iii) les agissements qu’elle aurait d’ores et déjà subis ne répondraient pas à l’exigence de gravité légalement requise. Dans ces circonstances, le tribunal retient qu’il ne saurait valablement être reproché au ministre de ne pas avoir vérifié si les conditions légales d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire sont remplies dans le chef de l’intéressée, de sorte que l’argumentation sous examen est à rejeter.

En ce qui concerne les contestations de la partie étatique quant à la crédibilité du récit de la demanderesse, le tribunal relève que le juge administratif, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du 12doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.1 Le tribunal ne partage pas les doutes de la partie étatique quant à la crédibilité du récit de la demanderesse. En effet, contrairement à ce que soutiennent tant le ministre que le délégué du gouvernement, les déclarations de Madame … selon lesquelles son père aurait été un conseiller au sein du « politbüro » de Madame … ne sont pas nécessairement en contradiction avec la rupture du gouvernement de coalition entre le MDC et le ZANU PF survenue suite aux élections de 2013, étant donné, d’une part, qu’il ressort de l’article de presse cité à cet égard par le ministre que cette rupture n’a été annoncée par le président zimbabwéen, …, qu’en septembre 2013 et, d’autre part, que si Madame … a déclaré que l’administration de Madame … l’aurait contactée au motif que son père, un membre actif du MDC, aurait travaillé au sein du « politbüro », elle a néanmoins précisé que cela se serait déroulé « somewhere in 2013 », soit, le cas échéant, à un moment où le gouvernement de coalition entre le MDC et le ZANU PF était encore en place, étant encore précisé qu’il ne peut pas être totalement exclu que dans le cadre de ce gouvernement de coalition, des membres du MDC aient été amenés à conseiller des mandataires politiques affiliés au ZANU PF. Par ailleurs, quant à l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle Madame … se serait contredite en ce qu’elle aurait affirmé, d’un côté, qu’elle aurait rencontré Madame … en 2013 et qu’elle aurait travaillé pour elle pendant deux ans et demi et, de l’autre côté, qu’elle aurait vu Madame … pour la dernière fois en septembre ou en octobre 2014, le tribunal retient que cette prétendue contradiction n’est pas, à elle seule, de nature à ébranler la crédibilité du récit de la demanderesse dans son ensemble, étant donné qu’il ressort clairement de l’audition de Madame … que ses déclarations quant au moment auquel l’administration de Madame … est entrée en contact avec elle s’analysent en une estimation de sa part et qu’elle ne se rappelait plus de la date exacte à laquelle ces événements ont eu lieu, la demanderesse ayant, en effet, déclaré « (…) I would say the vice-president’s office came to me somewhere in 2013 (I don’t remember the date) (…) ». Par ailleurs, le simple fait que Madame … n’ait pas été en mesure d’indiquer l’âge exact de Madame …, étant donné qu’elle a déclaré qu’elle serait « (…) in her 60s, 70s (…) », alors qu’elle serait aujourd’hui âgée de 61 ans, n’est pas non plus de nature à ébranler la crédibilité du récit de Madame … dans son ensemble et il en est de même en ce qui concerne la circonstance selon laquelle, avant le dépôt de sa demande de protection internationale au Luxembourg, la demanderesse avait déjà déposé une telle demande en Angleterre en date du 15 décembre 2008 et en Suisse le 12 mars 2015, ce d’autant plus qu’il ressort des pièces figurant au dossier administratif que dans le cadre de cette dernière demande de protection internationale, la demanderesse a invoqué les mêmes faits que ceux dont elle s’est prévalu à l’appui de sa demande présentée au Luxembourg. En outre, quant à l’argumentation de la partie étatique selon laquelle la demanderesse ne disposerait que d’informations très lacunaires sur les événements politiques majeurs au Zimbabwe, le tribunal constate que la partie étatique est restée en défaut de faire état d’une question afférente de l’agent en charge de l’audition de Madame … à laquelle celle-ci n’aurait pas répondu de manière assez détaillée. Les déclarations de la demanderesse étant, au contraire, globalement cohérentes et plausibles, le tribunal retient que les contestations de la partie étatique quant à la crédibilité de son récit ne sont pas fondées et que, dès lors, ledit récit doit être considéré comme étant avéré.

1 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2017, V° Etrangers, n° 123 et les autres références y citées.

13Il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

« a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire 14effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Les parties sont en désaccord quant à la question de savoir si les agissements dont la demanderesse a fait l’objet de la part de membres de la CIO sont motivés par les opinions politiques de la demanderesse, au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015.

A cet égard, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 43 (1) e) de la loi du 18 décembre 2015, « la notion d’opinions politiques recouvre, en particulier, les opinions, les idées ou les croyances dans un domaine lié aux acteurs de la persécution potentiels, ainsi qu’à leurs politiques et à leurs méthodes, que ces opinions, idées ou croyances se soient ou non traduites par des actes de la part du demandeur », l’article 43 (2) de la même loi précisant encore que « Lorsque le ministre évalue si un demandeur craint avec raison d’être persécuté, il est indifférent qu’il possède effectivement la caractéristique liée à la race, à la religion, à la nationalité, à l’appartenance à un certain groupe social ou aux opinions politiques à l’origine de la persécution, pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’acteur de persécution. ».

Or, force est au tribunal de constater qu’il ressort des déclarations de la demanderesse que les agissements de la CIO n’ont pas été motivés par les opinions politiques réelles ou supposées de l’intéressée, ni, de manière générale, par l’un des motifs de persécutions visés par l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, mais par la volonté du gouvernement en place d’obtenir des informations sur la personne de Madame …, dont la demanderesse serait susceptible de disposer en sa qualité d’ancienne couturière de celle-ci.

15Ces agissements ne sont, dès lors, pas de nature à établir l’existence, dans le chef de la demanderesse, d’une crainte fondée de persécutions, de sorte qu’ils ne sauraient justifier l’octroi du statut de réfugié.

Quant à l’assassinat du cousin de la demanderesse, le tribunal relève que s’il est exact que des persécutions subies par une personne autre que le demandeur de protection internationale peuvent établir une crainte fondée de persécutions dans le chef de ce dernier, à condition que le demandeur puisse établir l’existence, dans son chef, d’un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières, la demanderesse n’a, en l’espèce, pas fait état de telles circonstances particulières, étant donné qu’il ressort de ses propres déclarations qu’elle ignore les raisons exactes de cet assassinat2, de sorte que la crainte de persécutions qu’elle en déduit a un caractère purement hypothétique. Cet événement n’est, dès lors, pas non plus de nature à justifier l’octroi du statut de réfugié.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à juste titre que le ministre a refusé de faire droit à la demande de Madame … tendant à l’octroi du statut de réfugié.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 2 Rapport d’audition de Madame … du 17 août 2016, p. 5 : « I don’t know anything about his death, about the reason (…) ».

16décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’absence, à l’heure actuelle, d’un conflit armé au Zimbabwe et dans la mesure où la demanderesse n’allègue pas risquer la peine de mort dans son pays d’origine, il y a seulement lieu de vérifier si les difficultés dont elle fait état peuvent être qualifiées d’exécution, de torture ou de traitements, respectivement de sanctions inhumains ou dégradants.

Le tribunal retient que tel n’est pas le cas en ce qui concerne les deux arrestations d’une durée de quelques jours, ainsi que les menaces de mort et de torture et les actes de violence – lesquels se sont traduits par des coups de pieds n’ayant pas causé de blessures à l’intéressée – dont la demanderesse a fait l’objet au cours de ces arrestations, étant donné que si ces agissements sont certes condamnables, ils ne sont cependant pas d’une gravité suffisante à cet égard et ne sauraient, dès lors, à eux seuls justifier l’octroi de la protection subsidiaire.

Par ailleurs, compte tenu du fait, d’une part, que lors de chacune des arrestations dont elle a fait l’objet, les agents de la CIO l’ont libérée après quelques jours, alors qu’elle n’a pas pu leur donner d’informations utiles sur la personne de Madame … et, d’autre part, qu’il est constant en cause que celle-ci a désormais créé son propre parti s’opposant ouvertement au régime en place, sans qu’il ne se dégage des éléments soumis au tribunal qu’elle ait, depuis lors, fait l’objet de représailles concrètes – l’article de presse versé en cause par la demanderesse, intitulé « …’s life in danger, family fears for a similar Solomon … death incident », publié le 28 avril 2015 sur le site internet www.myzimbabwe.co.zw, ne faisant état que de craintes de représailles exprimées par les membres de la famille de l’intéressée, basées sur le fait que (i) des individus, dont des membres de la CIO, auraient été observés en train de rôder autour de sa ferme et (ii) son mari serait décédé en 2011 dans un incendie s’étant déclaré à cette même ferme dans des circonstances mystérieuses –, le tribunal retient que la demanderesse n’a pas rapporté la preuve qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle encourrait un risque suffisamment réel et actuel de subir des actes atteignant le niveau de gravité exigé par l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, en raison de son passé de couturière de Madame … au cours des années 2013 et 2014.

Quant à l’assassinat du cousin de Madame …, le tribunal relève que s’il est exact que des atteintes graves subies par une personne autre que le demandeur de protection internationale peuvent établir une crainte fondée de persécutions dans le chef de ce dernier, à condition que le demandeur puisse établir l’existence, dans son chef, d’un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières, la demanderesse n’a, en l’espèce, pas fait état de telles circonstances particulières, étant donné qu’il ressort de ses propres déclarations qu’elle ignore les raisons exactes de cet assassinat3, de sorte que la crainte de subir des atteintes graves qu’elle en déduit a un caractère purement hypothétique.

Cet événement ne saurait, par conséquent, pas non plus justifier l’octroi de la protection subsidiaire.

3 Rapport d’audition de Madame … du 17 août 2016, p. 5 : « I don’t know anything about his death, about the reason (…) ».

17 Au vu de ces développements, le tribunal conclut que c’est à juste titre que le ministre a refusé d’accorder à la demanderesse le statut conféré par la protection subsidiaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

En l’espèce, la demanderesse sollicite en premier lieu la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de rejet de sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale sous analyse, de sorte qu’il a a priori pu assortir sa décision d’un ordre de quitter le territoire.

En ordre subsidiaire, la demanderesse fait exposer que l’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation au motif qu’il violerait de manière autonome l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ainsi que l’article 3 de la CEDH. Elle cite à l’appui de son moyen la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme aux termes de laquelle l’éloignement serait proscrit dès lors qu’il existerait un risque de subir un traitement inhumain et dégradant, qui peut même résulter de facteurs objectifs indépendants des autorités ou du droit interne de l’Etat d’origine et qui n’est pas conditionné par l’existence d’une intention discriminatoire.

Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ce moyen.

18Il convient de rappeler que si l’article 3 CEDH, auquel renvoie l’article 129, précité, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement – telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé à la demanderesse pour quitter le Luxembourg – relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour au Zimbabwe, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence dans le chef de la demanderesse de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 CEDH,4 le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi de la demanderesse dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 CEDH.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal ne saurait remettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

4 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.

19Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 2 décembre 2016 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 2 décembre 2016 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 2 octobre 2017 par le vice-président, en présence du greffier Goreti Pinto.

s. Goreti Pinto s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 octobre 2017 Le Greffier du Tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 38942
Date de la décision : 02/10/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-10-02;38942 ?

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