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25/09/2017 | LUXEMBOURG | N°37638

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 septembre 2017, 37638


Tribunal administratif N° 37638 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 mars 2016 2e chambre Audience publique du 25 septembre 2017 Recours formé par Monsieur …..et consorts, …., …. (Allemagne) et ….

contre une décision du ministre de l’Intérieur, contre une décision du conseil communal de la Ville de Luxembourg et contre une décision du conseil communal de la Ville de Luxembourg en matière de plan d’aménagement général

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37638 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 mar

s 2016 par Maître Martine Lamesch, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocat...

Tribunal administratif N° 37638 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 mars 2016 2e chambre Audience publique du 25 septembre 2017 Recours formé par Monsieur …..et consorts, …., …. (Allemagne) et ….

contre une décision du ministre de l’Intérieur, contre une décision du conseil communal de la Ville de Luxembourg et contre une décision du conseil communal de la Ville de Luxembourg en matière de plan d’aménagement général

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37638 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2016 par Maître Martine Lamesch, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom  de Monsieur ….., demeurant à L-….,  de Madame ….., demeurant à L-….,  de Madame ….., demeurant à L-…. et de Monsieur ….., demeurant à D-….,  ainsi que de la société à responsabilité limitée ….., établie et ayant son siège social à L-

….., représentée par son gérant actuellement en fonctions, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …., tendant à l’annulation 1) d’une décision du ministre de l’Intérieur du 23 novembre 2015 portant approbation d’une délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 13 juillet 2015 portant adoption d’un projet de modification ponctuelle du plan d’aménagement général de la Ville de Luxembourg relatif aux « ensembles sensibles » et ayant déclaré recevables mais non fondées leurs réclamations introduites à l’encontre de cette délibération, 2) de ladite délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 13 juillet 2015 et 3) d’une délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 26 janvier 2015 « approuvant provisoirement » ledit projet de modification ponctuelle du plan d’aménagement général de la Ville de Luxembourg ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura Geiger, en remplacement de 1l’huissier de justice Carlos Calvo, demeurant à Luxembourg, du 14 mars 2016, portant signification de ce recours à l’administration communale de la Ville de Luxembourg, établie à L-1648 Luxembourg, 42, place Guillaume II, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2016 par la société anonyme Arendt & Medernach S.A., avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, représentée par Maître Christian Point, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2016 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2016 par la société anonyme Arendt & Medernach S.A., préqualifiée, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2016 par Maître Martine Lamesch, au nom des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2016 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 octobre 2016 par la société anonyme Arendt & Medernach S.A., au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions et la « décision » attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Gilles Dauphin, en remplacement de Maître Christian Point, Maître Martine Lamesch et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 avril 2016.

Lors de sa séance publique du 26 janvier 2015, le conseil communal de la Ville de Luxembourg, ci-après désigné par « le conseil communal », fut saisi par le collège des bourgmestre et échevins de la Ville de Luxembourg, ci-après désigné par « le collège des bourgmestre et échevins », en vertu de l’article 10 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, désignée ci-après par « la loi du 19 juillet 2004 », d’un projet de modification ponctuelle du plan d’aménagement général (« PAG ») de la Ville de Luxembourg – consistant en une extension de la « zone protégée » des « ensembles sensibles » et en une modification de l’article C.7 de la partie écrite dudit PAG, intitulé « Les ensembles sensibles » –, projet à l’égard duquel le conseil communal émit son accord.

Par courrier de leur litismandataire du 4 mars 2015, Monsieur ….., en sa qualité de propriétaire de l’immeuble sis à ….., Madame ….., en sa qualité de propriétaire de l’immeuble sis à ….., Madame ….. et Monsieur ….., en leur qualité de propriétaires de l’immeuble sis à ….., ainsi que la société à responsabilité limitée ….., en sa qualité de propriétaire de l’immeuble sis à ….., 2tous les cinq étant ci-après désignés par « les consorts ….. », firent soumettre au collège des bourgmestre et échevins des objections à l’encontre dudit projet de modification ponctuelle du PAG de la Ville de Luxembourg.

Lors de sa séance publique du 13 juillet 2015, le conseil communal décida d’adopter ledit projet de modification ponctuelle du PAG de la Ville de Luxembourg, « (…) sauf à avoir procédé à la levée du classement en ensemble sensible en ce qui concerne les immeubles …. et l’immeuble sis …. ainsi que l’immeuble sis …. (…) ».

Par courrier de leur litismandataire du 30 juillet 2015, les consorts ….. firent introduire auprès du ministre de l’Intérieur, ci-après désigné par « le ministre », des réclamations à l’encontre de ladite délibération du conseil communal.

Par décision du 23 novembre 2015, notifiée au litismandataire des consorts ….. par courrier daté au 2 décembre 2015 et expédié le 9 décembre 2015, le ministre approuva ladite délibération du conseil communal du 30 juillet 2015 et déclara recevables mais non fondées les réclamations introduites à l’encontre de ladite délibération, dont celles des consorts …… Ladite décision ministérielle est libellée comme suit :

« (…) Je vous informe par la présente que j’approuve sur la base de l’article 18 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, la délibération du 13 juillet 2015 du conseil communal portant adoption du projet de modification, parties écrite et graphique, des "ensembles sensibles", article C.7, du plan d’aménagement général de la Ville de Luxembourg, que vous m’avez transmise aux fins d’approbation.

Les réclamations présentées par Madame ….., Maître Martine Lamesch au nom et pour le compte de Monsieur ….., Madame ….., Madame ….. et la société …., par Maître Martine Lamesch au nom et pour le compte des consorts …., par Maître Martine Lamesch au nom et pour le compte de Madame …., par Monsieur et Madame …., par Monsieur et Madame …., ainsi que par …. et Monsieur …., sont recevables en la forme mais non-fondées.

Les réclamations précitées contestent la modification de la partie écrite projetée en ce qu’elle vise le classement de leurs terrains en "ensembles sensibles", selon l’article C.7 de la partie écrite du plan d’aménagement général.

Or, force est de constater que le projet de modification a été élaboré en conformité avec les lois et règlements et que la procédure d’adoption décrite aux articles 10 à 18 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain a entièrement été respectée.

Qui plus est, le projet a été élaboré en conformité avec les dispositions de la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux.

En effet, il suffit qu’un des critères énoncés à l’article 1 de la loi précitée est valable pour un immeuble, pour qu’’il puisse être classé au sens de la loi.

Il y a également lieu de mentionner que les inégalités de traitement sont inhérentes à la nature de tout plan d’aménagement et qu’elles ne contreviennent pas au principe de l’égalité devant la loi si les différences de traitement sont objectivement justifiées.

3Finalement, en ce qui concerne la prétendue contrariété de la modification au droit de propriété, force est de constater qu’aucune atteinte disproportionnée au droit de propriété n’a été commise par les autorités communales.

En effet, dans un arrêt du 28 avril 2015 de la Cour administrative (CA numéro 35396C du rôle), celle-ci a confirmé que « En effet, le droit de propriété est garanti par l’article 16 de la Constitution qui prohibe l’expropriation autrement que pour cause d’utilité publique et moyennant juste indemnité. La Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 26 septembre 2008 (n° 00046 du registre), a retenu qu’un changement dans les attributs de la propriété qui est à tel point substantiel qu’il prive le propriétaire de ses aspects essentiels peut constituer une expropriation. A la lumière de cet arrêt, la Cour constate que s’il est vrai que l’appelante se trouve restreinte dans l’usage de propriété, alors qu’il ne lui est pas permis, ….., de démolir l’immeuble de sa propriété, … , n’entrave cependant pas les attributs du droit de propriété d’une manière telle que la limitation opérée puisse être qualifiée d’équivalente à une expropriation. … ». (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2016, les consorts …..

ont fait introduire un recours tendant à l’annulation (i) de la décision du ministre du 23 novembre 2015 portant approbation de la délibération du conseil communal du 13 juillet 2015 portant adoption dudit projet de modification ponctuelle du PAG de la Ville de Luxembourg et ayant déclaré recevables, mais non fondées leurs réclamations introduites à l’encontre de ladite délibération (ii) de la délibération en question du conseil communal du 13 juillet 2015 et (iii) de la délibération du conseil communal du 26 janvier 2015 « approuvant provisoirement » ledit projet de modification ponctuelle du PAG.

I. Quant à la compétence Les décisions sur les projets d’aménagement, lesquelles ont pour effet de régler par des dispositions générales et permanentes l’aménagement des terrains qu’ils concernent et le régime des constructions à y ériger, ont un caractère réglementaire. La décision d’approbation du ministre, intervenue après réclamation de particuliers, comme c’est le cas en l’espèce, participe au caractère réglementaire de l’acte approuvé1, étant entendu que le caractère réglementaire ainsi retenu s’étend également au volet de la décision litigieuse ayant statué sur les réclamations introduites par les demandeurs, intervenue dans le processus général de l’élaboration de l’acte approuvé.

Conformément à l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », seul un recours en annulation est susceptible d’être introduit contre un acte administratif à caractère réglementaire. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en annulation introduit à l’encontre des actes déférés, étant précisé que les contestations de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, ci-après désignée par « l’administration communale », quant au caractère décisionnel de la délibération du conseil communal du 26 janvier 2015 ont davantage trait à la recevabilité du recours afférent qu’à la compétence du tribunal pour en connaître, de sorte qu’elles seront analysées dans ce contexte.

II. Quant à la loi applicable à la procédure d’adoption de la modification ponctuelle du PAG 1 Cour adm., 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Actes réglementaires, n° 46 et les autres références y citées.

4 A titre liminaire, le tribunal est amené à préciser que la loi du 19 juillet 2004 a été modifiée à plusieurs reprises et une dernière fois, avant l’adoption des actes déférés, par une loi du 14 juin 2015, publiée au Mémorial A, n° 113 du 17 juin 2015 et entrée en vigueur le 21 juin 2015. Selon les dispositions transitoires figurant à l’article 108 de la loi du 19 juillet 2004, telle que modifiée par la loi du 17 juin 2015, « (1) Les plans ou projets d’aménagement général fondés sur la loi modifiée du 12 juin 1937 concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations importantes en vigueur au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi doivent faire l’objet d’une refonte complète conformément à la présente loi. (…) ». En attendant la mise en œuvre de la refonte du PAG, l’article 108bis de la même loi prévoit que « (1) Les plans ou projets d’aménagement général fondés sur la loi du 12 juin 1937 précitée peuvent être modifiés et complétés ponctuellement conformément à la procédure d’approbation prévue par les articles 10 à 18 de la présente loi, sans que l’élaboration d’une étude préparatoire ne soit nécessaire. (…) ». En l’espèce, il est constant que les actes déférés portent sur une modification ponctuelle du PAG de la Ville de Luxembourg, n’ayant pas encore fait l’objet d’une refonte au sens de l’article 108 de la loi du 19 juillet 2004 et étant partant fondé sur la loi modifiée du 12 juin 1937 concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations importantes, ci-après désignée par « la loi du 12 juin 1937 ». Il s’ensuit que la procédure d’adoption de la modification ponctuelle du PAG de la Ville de Luxembourg tombe sous l’application de la loi du 19 juillet 2004 dans sa version telle que modifiée par la loi du 14 juin 2015.

III. Quant à la recevabilité L’administration communale soulève l’irrecevabilité du recours tendant à l’annulation de la délibération du conseil communal du 26 janvier 2015 « approuvant provisoirement » le projet de modification ponctuelle du PAG, au motif, en substance, de l’absence de caractère décisionnel de ladite délibération. A cet égard, elle fait valoir que le système des adoptions provisoire et définitive du projet d’aménagement général, auxquelles le conseil communal aurait procédé avant la prise d’effet des modifications apportées à la loi du 19 juillet 2004 par la loi du 28 juillet 2011 portant modification de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain (…), ci-après dénommée « la loi du 28 juillet 2011 », aurait, du fait de ces modifications, été remplacé par une adoption unique du projet par ledit conseil intervenant au terme des consultations prévues par la loi. Désormais, la procédure ne débuterait plus par un avis de la commission d’aménagement sollicité par le collège échevinal, mais, aux termes de l’article 10 de la loi du 19 juillet 2004, par un accord donné à ce dernier par le conseil communal pour entamer la procédure d’adoption du PAG en lançant l’enquête publique et en sollicitant les avis requis. A ce stade de la procédure, le conseil communal ne disposerait pas encore d’un dossier complet et le PAG ne serait pas encore figé.

L’administration communale en déduit, en substance, que ce vote du conseil communal, que les demandeurs entendent déférer au tribunal, ne serait pas un acte susceptible de recours, en ce qu’il n’établirait aucune norme générale et impersonnelle et qu’il ne s’agirait que d’une étape dans la procédure d’adoption du PAG.

Les demandeurs réfutent ce moyen d’irrecevabilité, en faisant valoir que la délibération litigieuse du conseil communal constituerait la première étape du processus d’élaboration et d’adoption du PAG et qu’en déclenchant la procédure, elle produirait par elle-même des effets juridiques. S’il est exact que le projet d’aménagement général pourrait encore subir des modifications par la suite, il n’en resterait pas moins qu’à ce stade de la procédure, ledit projet existerait déjà et qu’à défaut de réclamations ou d’observations de la part de la commission d’aménagement, il serait adopté en sa teneur initiale. Dès lors, ladite délibération constituerait un acte administratif de nature à faire grief.

5 L’acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux doit constituer une véritable décision de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-

même des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de celui qui réclame. N’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision.2 Dans un arrêt du 15 décembre 2016, portant le numéro 38139C du rôle, la Cour administrative a précisé la nature juridique du vote du conseil communal prévu par l’article 10 de la loi du 19 juillet 2004 et qui serait à qualifier d’approbation provisoire du projet, selon les demandeurs. Dans l’arrêt en question, la Cour administrative, après avoir relevé qu’avant la prise d’effet des modifications apportées à la loi du 19 juillet 2004 par celle du 28 juillet 2011, les PAG étaient soumis à la « (…) procédure classique d’adoption et d’approbation (…) en deux temps (…)[, qui] comprenait d’abord un vote provisoire par le conseil communal contre lequel des objections étaient ouvertes, elles-mêmes vidées par le même conseil communal à travers le vote définitif, contre lequel des réclamations pouvaient être introduites devant le ministre de l’Intérieur qui, dans le cadre de ses attributions de tutelle d’approbation, était amené à vider les réclamations ainsi portées devant lui, et à approuver ou non le PAG, de sorte à revêtir une double casquette à ce sujet. (…) », et après avoir précisé que dans le cadre de cette procédure classique « (…) le conseil communal, en adoptant provisoirement un projet de PAG, avait en quelque sorte fait sien le projet d’une manière effective en l’adoptant à un premier stade, quitte à ce que des objections puissent être formulées relativement à cette première adoption communale (…) », a constaté que cette procédure avait été modifiée par ladite loi du 28 juillet 2011. Ainsi, l’article 10 prévoit, dans sa version modifiée, que le conseil communal délibère sur le projet d’aménagement général, tel qu’il lui est présenté par le collège des bourgmestre et échevins, ensemble avec l’étude préparatoire, le rapport de présentation ainsi que, le cas échéant, le rapport sur les incidences environnementales, et qu’en cas de vote positif, le collège des bourgmestre et échevins peut lancer les différentes procédures de consultation.

L’article 14, quant à lui, prévoit, dans sa version modifiée, que le projet d’aménagement général ensemble avec toutes les pièces mentionnées à l’article 10 est soumis au conseil communal avec l’avis de la commission d’aménagement et, le cas échéant, avec l’avis du ministre ayant dans ses attributions l’environnement, le rapport sur les incidences environnementales, les réclamations et les propositions de modifications du collège des bourgmestre et échevins. Le conseil communal peut ensuite approuver le projet tel que présenté ou y apporter des modifications issues des propositions de la commission d’aménagement, de l’avis émis par le ministre de l’Environnement ou encore des observations et objections présentées. Enfin, le conseil communal peut renvoyer le dossier devant le collège des bourgmestre et échevins – qui est tenu de recommencer la procédure prévue aux articles 10 et suivants – lorsqu’il entend apporter d’autres modifications au projet d’aménagement général.

A partir d’une lecture combinée des articles 10 à 14 de la loi du 19 juillet 2004, tels que résultant de la modification du 28 juillet 2011, la Cour administrative est arrivée à la conclusion que le vote du conseil communal prévu à l’article 10, alinéa 2 de la loi du 19 juillet 2004, dans sa version applicable depuis la modification par la loi du 28 juillet 2011, n’est plus comparable à l’adoption provisoire du PAG – prévue par l’ancienne version dudit article – et ne peut dès lors plus être analysé en adoption du projet de plan, mais en une sorte de mise sur orbite dudit projet, respectivement en un feu vert donné au collège échevinal pour procéder aux consultations 2 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par Cour adm. 19 février 1998, n° 10263C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Actes administratifs, n° 57 et les autres références y citées.

6prévues aux articles 11 et 12 de la même loi. La Cour a encore retenu que l’opération visée à l’article 14 consiste en règle générale dans l’adoption unique et définitive par le conseil communal du projet de PAG qui devient le PAG adopté par l’organe compétent de la commune.

Cette adoption peut se faire soit sous la forme originale, soit, dans la majorité des cas, sur les modifications opérées par le conseil communal compte tenu des consultations menées.

C’est, dès lors, à tort que les demandeurs qualifient d’approbation provisoire le vote positif émis par le conseil communal le 26 janvier 2015, en application de l’article 10, alinéa 2 de la loi du 19 juillet 2004, étant donné qu’aux termes dudit arrêt de la Cour administrative, le vote en question n’est plus comparable à l’adoption provisoire du PAG, respectivement du projet de modification du PAG, à laquelle le conseil communal procédait sous l’empire de la loi du 19 juillet 2004, dans sa version antérieure à la modification intervenue par la loi du 28 juillet 2011, dans la mesure où il ne constitue qu’une « (…) mise sur orbite [du] projet (…) », respectivement un « feu vert » que le conseil communal donne au collège échevinal pour continuer la procédure et pour procéder aux consultations prévues aux articles 11 et 12 de la loi du 19 juillet 2004, après avoir constaté que le projet est suffisamment élaboré à cette fin.

Or, une telle « mise sur orbite », respectivement un tel « feu vert », qui n’emporte aucune adoption ou approbation du projet de modification ponctuelle du PAG, mais qui traduit le seul constat du conseil communal que le projet est suffisamment élaboré pour que le collège échevinal puisse continuer la procédure, ne fait que préparer l’adoption ultérieure de cette modification ponctuelle, sans être susceptible de produire par elle-même, respectivement par lui-

même des effets juridiques sur la situation personnelle ou patrimoniale des administrés, de sorte à constituer, non pas un acte administratif de nature à faire grief, mais un simple acte préparatoire ne pouvant, en tant que tel, faire l’objet d’un recours contentieux.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à déclarer irrecevable pour autant qu’il vise la délibération du conseil communal du 26 janvier 2015.

Quant aux deux autres volets du recours, l’administration communale conclut à l’irrecevabilité de ceux-ci, pour autant qu’ils concernent l’immeuble sis au numéro …., qui ferait partie du secteur protégé du …. et du …. et qui ne serait, dès lors, pas affecté par les décisions déférées.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs admettent que ledit immeuble ne serait pas affecté par les décisions litigieuses et demandent au tribunal de leur en donner acte, sinon de déclarer irrecevable le recours dans le chef des propriétaires concernés, pour défaut d’intérêt à agir.

Pour justifier d’un intérêt à agir il faut pouvoir se prévaloir de la lésion d’un intérêt personnel dans le sens que la réformation ou l’annulation de l’acte attaqué confère au demandeur une satisfaction certaine et personnelle.3 Etant donné qu’il est constant en cause que l’immeuble sis à ….. n’est pas affecté par les décisions du conseil communal du 13 juillet 2015 et du ministre du 23 novembre 2015, l’annulation de ces décisions n’est pas susceptible de conférer au propriétaire de cet immeuble, à savoir Madame ….., une satisfaction certaine et personnelle, de sorte que cette dernière ne 3 Trib. adm., 22 octobre 2007, n° 22489 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 8 et les autres références y citées.

7dispose d’aucun intérêt à agir à l’encontre des susdites décisions et que, dès lors, son recours est à déclarer irrecevable de ce chef.

Pour les surplus, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

IV. Quant au fond Le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt de l’administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent.

Les moyens tirés de l’incompétence des auteurs des décisions déférées, de l’absence de base légale et d’une violation de l’article 16 de la Constitution étant intimement liés, le tribunal les traitera de manière regroupée.

(1) Quant aux moyens tirés de l’incompétence, de l’absence de base légale et d’une violation de l’article 16 de la Constitution Après avoir exposé les faits et rétroactes gisant à la base des décisions déférées, les demandeurs soutiennent que celles-ci devraient encourir l’annulation pour dépassement des compétences attribuées au conseil communal et au ministre. En effet, en classant leurs immeubles en « zone protégée – ensembles sensibles », les autorités communales et de tutelle se seraient arrogées la compétence de décider de ce qui appartiendrait au patrimoine culturel, alors qu’en vertu de la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 1983 », cette compétence appartiendrait au gouvernement en conseil, tandis que les autorités communales devraient protéger le patrimoine culturel ainsi délimité et en assurer le respect. Par ailleurs, en vertu de l’article 34 de la loi du 18 juillet 1983, les secteurs sauvegardés, dont feraient partie les « secteurs protégés des ensembles sensibles », devraient être créés et délimités par arrêté grand-

ducal, à prendre sur avis du Conseil d’Etat, lorsque ces zones présenteraient un caractère archéologique, historique, artistique, esthétique, scientifique, technique ou industriel de nature à justifier la conservation, la restauration et la mise en valeur de tout ou partie d’un ensemble d’immeubles. Si les conseils communaux peuvent faire des propositions en vue d’un classement d’immeubles en « secteur sauvegardé », la décision finale devrait être prise par arrêté grand-

ducal. Les demandeurs ajoutent que les articles 34 et 36 de la loi du 18 juillet 1983 disposeraient que des règlements grand-ducaux devraient être pris en vue de leur exécution. Ainsi, ces articles constitueraient indéniablement la base légale permettant de créer des secteurs sauvegardés, tels que ceux des « ensembles sensibles », et prévoiraient que de tels secteurs devraient être définis par des arrêtés et règlements grand-ducaux. Cette procédure n’aurait pas été respectée en l’espèce, de sorte que les décisions déférées seraient à annuler.

Les demandeurs soutiennent ensuite que s’il ressort de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 que l’un des objectifs de l’aménagement communal serait celui de garantir le respect du patrimoine culturel, cette disposition légale ne constituerait pas une base légale suffisante pour permettre aux autorités communales de classer des immeubles en « zone protégée – ensembles sensibles ». En soulignant qu’en vertu de l’article 4 de la loi du 18 juillet 1983, les décisions de classement d’un immeuble en tant que monument national, respectivement celles d’inscription d’un immeuble à l’inventaire supplémentaire relèveraient de la compétence exclusive du gouvernement et qu’aux termes de l’article 34 de la même loi, des secteurs sauvegardés 8pourraient être créés par arrêté grand-ducal, sur avis du Conseil d’Etat et sur proposition soit du ministre de la Culture, soit des conseillers communaux, les demandeurs font valoir que ledit article 2 devrait être interprété dans le sens que les secteurs sauvegardés, ainsi que les immeubles classés en tant que monument national, respectivement inscrits à l’inventaire supplémentaire devraient être renseignés comme tels par les PAG communaux. Si l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 concernant le contenu du plan d’aménagement général d’une commune, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 », pris en exécution de l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004, prévoit certes la possibilité de créer des « secteurs protégés de type «environnement construit » », qui constitueraient les parties du territoire communal qui comprendraient des immeubles ou parties d’immeubles dignes de protection et qui répondraient à un ou plusieurs des critères y listés, et si ledit article 33 dispose que ces secteurs seraient soumis à des servitudes spéciales de sauvegarde et de protection définies dans la PAG, l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004 ne constituerait néanmoins pas une base légale suffisante pour conférer au conseil communal la compétence de créer des secteurs protégés et de définir les servitudes en résultant, de sorte que le susdit article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 serait illégal et ne saurait trouver application pour avoir dépassé la base légale habilitante. De ce fait, les servitudes de sauvegarde et de protection édictés par le PAG en application de cette disposition réglementaire seraient, elles aussi, illégales.

Les demandeurs font encore valoir que les servitudes en question imposeraient des restrictions importantes au droit de propriété, de sorte à toucher à une matière réservée à la loi, en vertu de l’article 16 de la Constitution, tout en soulignant que le « (…) principe de la sécurité juridique et des droits acquis (…) » n’aurait pas été respecté en l’espèce, étant donné que des attributs essentiels du droit de propriété leur auraient été enlevés. Ils insistent sur le fait que les matières réservées à la loi par la Constitution ne sauraient faire l’objet d’une « (…) exécution générale (…) » par règlement grand-ducal, respectivement communal. La loi devrait tracer les grands principes en n’abandonnant au pouvoir réglementaire que la mise en œuvre du détail. Les demandeurs soutiennent que ces principes n’auraient pas été respectés en l’espèce, dans la mesure où les servitudes grevant leurs immeubles ne seraient définies ni par la loi du 19 juillet 2004, ni par le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, ni, par ailleurs, par le PAG, contrairement aux exigences de l’article 33, précité, dudit règlement grand-ducal, ce qui les placerait dans l’incertitude la plus complète quant aux limites de leur droit de disposer de leur bien comme ils l’entendraient et les rendraient dépendants, sous ce rapport, du bon vouloir des autorités communales. Les demandeurs donnent encore à considérer qu’il serait d’usage que les autorités communales ne délivreraient pas d’autorisation de démolir des immeubles classés en « zone protégée – ensembles sensibles » et exigeraient le maintien des constructions existantes.

Or, d’après le PAG actuellement en vigueur, ils seraient en droit d’ériger un immeuble à huit étages « (…) plus un retrait (…) », ce qui ne serait plus possible du fait du classement litigieux de leurs immeubles, au cas où une démolition leur serait refusée, au motif, par exemple, qu’une intégration harmonieuse et esthétiquement valable de l’édifice dans l’ensemble de la rue ne serait plus donnée, et qu’ils se verraient dans l’obligation de maintenir en l’état les constructions existantes, du moins quant à leur aspect extérieur. Dans ces circonstances, le classement en question, adopté sans aucune base légale, leur causerait un préjudice énorme.

Les demandeurs insistent sur le fait que ni l’article 2 ni l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004 ne pourraient être interprétés comme constituant une base légale habilitant les autorités communales à réglementer une matière touchant au droit de propriété et lui enlevant des attributs essentiels. En effet, ces articles ne seraient pas clairement libellés et n’autoriseraient pas une restriction aussi incisive au droit de propriété. Plus particulièrement, ils n’attribueraient pas expressément compétence aux organes communaux pour définir des secteurs sauvegardés et pour effectuer l’inventaire et le classement des sites et monuments nationaux. L’instrument du PAG 9serait donc détourné pour contourner les dispositions de la loi du 18 juillet 1983, qui seraient plus protectrices des droits des administrés, en ce qu’elles prévoiraient une indemnisation du préjudice leur causé, le cas échéant, par un classement d’un immeuble effectué en application de ladite loi, de même qu’une notification individuelle d’un tel classement, avec communication des motifs gisant à sa base.

Si le tribunal devait conclure « (…) qu’il existe[rait] une habilitation (…) », celle-ci serait trop générale et donc prohibée, étant donné que la loi ne tracerait pas les grands principes quant au type de protection accordé aux immeubles classés en « zone protégée – ensembles sensibles » et quant aux servitudes leur pouvant être appliqués. Par ailleurs, ni le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 ni le PAG lui-même ne préciseraient ces servitudes. Les demandeurs en déduisent une violation flagrante du droit de propriété, qui serait « (…) soumis à un arbitraire total (…) ».

Dans ce contexte, ils insistent sur le fait que le classement litigieux restreindrait fortement leur droit de propriété, alors que toute entrave à ce droit, qui serait constitutionnellement protégé, devrait être prévue par une loi. Ils font encore valoir qu’à travers leur PAG, les autorités communales auraient seulement le pouvoir de définir des zones et d’arrêter l’utilisation du sol, mais non pas celui de retirer des droits aux propriétaires d’immeubles d’ores et déjà bâtis et existants ou d’affecter la substance de leur droit de propriété. Ils ajoutent qu’interdire par des servitudes la démolition ou le changement d’affectation d’un immeuble, et a fortiori faire dépendre ces servitudes d’une définition au cas par cas en fonction du libre arbitre des autorités locales, sans possibilité d’indemnisation aucune, ne serait pas digne d’un Etat de droit.

En conclusion, les demandeurs demandent au tribunal de retenir « (…) que la disposition réglementaire figurant à l’article 33 précité ne dispose[rait] pas d’une base légale suffisante sinon qu’elle a[urait] dépassé sa base légale habilitante sinon qu’il y a[urait] violation de la disposition qu’il ne [pourrait y] avoir d’habilitation générale dans les matières réservées à la loi par la Constitution (…) ».

En outre, en se prévalant d’un arrêt de la Cour administrative du 12 janvier 2012, portant le numéro 29080C du rôle, ainsi que d’un jugement du tribunal administratif du 11 février 2013, portant le numéro 28990 du rôle, confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 4 juillet 2013, portant le numéro 32210C du rôle, les demandeurs soutiennent que tant qu’un PAG n’aurait pas encore fait l’objet d’une refonte complète sur base de la loi du 19 juillet 2004, les règlements d’exécution de cette loi, dont notamment celui du 28 juillet 2011, seraient inapplicables, de sorte que le conseil communal n’aurait eu « (…) ni base légale ni aucune compétence (…) » pour procéder au classement litigieux de leurs immeubles.

Les demandeurs font encore valoir que l’article 57 de la loi du 12 juin 1937, aux termes duquel « Le règlement communal pourra désigner des voies ou places où les constructions nouvelles et les reconstructions doivent, par rapport au style, à la hauteur, au gabarit, à la couleur et à l’emploi des matériaux, répondre à des conditions déterminées en concordance avec l’aspect de l’ensemble du quartier. (…) », ne saurait être interprété comme autorisant le classement d’immeubles en « zone protégée – ensembles sensibles » impliquant des servitudes urbanistiques contraignantes. A titre subsidiaire, ils soutiennent que la délégation résultant de cette disposition légale serait trop générale et accorderait la compétence de définir les servitudes au conseil communal, alors qu’une telle réglementation devrait être édictée par le biais d’un règlement grand-

ducal fixant les détails d’exécution. Or, un tel règlement grand-ducal n’aurait pas été adopté, de sorte que l’article C.7 de la partie écrite du PAG, qui préciserait les servitudes découlant du classement d’un immeuble en « zone protégée – ensembles sensibles », ne reposerait sur aucun fondement juridique, sinon dépasserait le cadre légal en exécution duquel il aurait été pris, de sorte à être entaché d’illégalité. Les demandeurs insistent sur le fait qu’un règlement communal ne saurait 10pallier à l’absence d’un règlement grand-ducal. Ainsi, la hiérarchie des normes prévue par les articles 36 et 76 de la Constitution n’aurait pas été respectée.

Les demandeurs concluent que dans la mesure où le classement de leurs immeubles en « zone protégée – ensembles sensibles », ainsi que le libellé de l’article C.7. de la partie écrite du PAG seraient dépourvus de base légale, sinon dépasseraient la base légale habilitante, sinon violeraient le principe de la hiérarchie des normes, le tribunal devrait procéder à l’annulation de la modification des parties écrite et graphique du PAG, sinon l’écarter en application de l’article 95 de la Constitution.

Tant le délégué du gouvernement que l’administration communale concluent au rejet de ces moyens ayant trait, en substance, à une incompétence des autorités communale et de tutelle en matière de protection du patrimoine culturel, à un défaut de base légale et à une violation de l’article 16 de la Constitution.

Après avoir précisé que le PAG de la Ville de Luxembourg, voté en 1993 et amendé en 1996, prévoirait sept types de « zones protégées », élaborées conformément à la loi du 12 juin 1937, que parmi ces zones figurerait celle des « ensembles sensibles » et que la modification litigieuse du PAG se limiterait à une extension de cette dernière zone, le délégué du gouvernement fait valoir que s’il est vrai qu’en vertu de la loi du 18 juillet 1983, le gouvernement en conseil serait habilité à classer en tant que monument national la totalité ou une partie des immeubles, nus ou bâtis, dont la conservation présenterait, du point de vue archéologique, historique, esthétique, scientifique, technique ou industriel, un intérêt public, il n’en resterait pas moins que les communes auraient une compétence propre pour assurer la protection de leur patrimoine architectural et urbain. En effet, dans le cadre tant de la loi du 12 juin 1937 que de celle du 19 juillet 2004, le législateur aurait expressément reconnu aux autorités communales le pouvoir de frapper certains immeubles de servitudes urbanistiques en vue de leur préservation, le délégué du gouvernement se prévalant plus particulièrement des articles 52 de la loi du 12 juin 1937 et 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004. Ainsi, la protection communale à travers la création d’« ensembles sensibles » et de « secteurs protégés » constituerait le plus souvent une protection des façades, des volumes et des gabarits, de sorte à être assimilable à une mesure de protection esthétique, tandis que la protection nationale à travers un classement comme monument national ou par une inscription à l’inventaire supplémentaire s’analyserait plutôt en une protection du patrimoine (« Denkmalschutz ») à proprement parler. S’il est vrai que l’article 34 de la loi du 18 juillet 1983 prévoit la création de secteurs dits « secteurs protégés » par arrêté grand-ducal pris sur avis du Conseil d’Etat et sur proposition, soit du ministre, soit des communes intéressées, rien n’empêcherait les autorités communales de déterminer dans le cadre de leurs PAG des zones de protection du patrimoine culturel. Le délégué du gouvernement conclut que les demandeurs opéreraient une confusion entre les différentes autorités compétentes en matière de protection du patrimoine.

Il soutient encore que l’argumentation des demandeurs ayant trait à l’illégalité de l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 serait à écarter pour défaut de pertinence, étant donné, d’une part, que les autorités communales n’auraient, en l’espèce, pas créé de « secteur protégé de type « environnement construit », au sens de la disposition réglementaire en question, mais auraient procédé à une modification du champ d’application de servitudes urbanistiques antérieurement adoptées sur base de la loi du 12 juin 1937 et, d’autre part, qu’il ressortirait de l’arrêt, précité, de la Cour administrative du 12 janvier 2012 que les PAG adoptés sur base de ladite loi de 1937 et n’ayant pas encore fait l’objet d’une refonte complète sur base de la loi du 19 juillet 2004, tels que celui de la Ville de Luxembourg, ne seraient pas soumis aux règlements 11d’exécution de cette dernière loi, dont celui du 28 juillet 2011, de sorte que la disposition réglementaire critiquée par les demandeurs ne serait pas applicable en l’espèce.

Quant à l’argumentation des demandeurs selon laquelle les autorités communales auraient empiété sur les pouvoirs du législateur, au motif que le droit de propriété serait une matière réservée à la loi, le délégué du gouvernement fait valoir que si les réglementations d’urbanisme peuvent tomber sous le coup de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », elles échapperaient à l’empire de l’article 16 de la Constitution, qui ne viserait que la privation de la propriété, sauf si elles opèrent un changement dans les attributs de la propriété qui serait substantiel à ce point qu’elles priveraient la propriété de ses aspects essentiels. Or, cette dernière hypothèse ne serait pas vérifiée en l’espèce, étant donné que si l’usage du droit de propriété des demandeurs a certes été limité par les décisions déférées, en ce qu’il ne leur serait désormais plus permis de démolir leurs immeubles pour les remplacer par des constructions nouvelles, cette restriction ne serait pas disproportionnée, de sorte qu’aucune atteinte au droit de propriété, tel que garanti par l’article 16 de la Constitution ne serait vérifiée en l’espèce. Par ailleurs, il ressortirait de la jurisprudence des juridictions administratives que les limitations à l’usage du droit de propriété seraient appelées à découler soit de la loi, soit de la réglementation communale d’urbanisme, telle qu’encadrée par la loi. L’argumentation des consorts ….. ayant trait à l’illégalité de l’article C.7 de la partie écrite du PAG, au motif d’un dépassement de sa base légale habilitante, serait, dès lors, à rejeter.

Quant au moyen tiré de l’incompétence des autorités communales pour procéder au classement des immeubles des demandeurs en « zone protégée – ensembles sensibles », l’administration communale soutient, dans son mémoire en réponse, que la loi du 18 juillet 1983 et la réglementation d’urbanisme auraient des objectifs et des perspectives différents, étant donné que ladite loi viserait la protection du patrimoine culturel, notamment, par la conservation et la restauration des immeubles présentant un caractère archéologique, historique, artistique, esthétique, scientifique, technique ou industriel, tandis que la réglementation urbanistique et, plus particulièrement, l’article 57 de la loi du 12 juin 1937, auraient pour objet et pour finalité la protection du caractère harmonieux de l’architecture urbaine. Par ailleurs, les droits et obligations des propriétaires découlant respectivement de la loi du 18 juillet 1983 et de la réglementation urbanistique seraient distincts, étant donné qu’en vertu de l’article C.7.2. de la partie écrite du PAG, le classement d’un immeuble comme faisant partie des « ensembles sensibles » impliquerait une obligation de respecter l’alignement, le parcellaire et les marges de reculement latérales existants et de s’assurer d’une intégration harmonieuse des constructions dans l’ensemble des constructions voisines existantes, tandis qu’un classement d’un immeuble en tant que monument national impliquerait une interdiction de destruction, une autorisation préalable du Ministre de la Culture pour tous travaux, de même qu’une surveillance de ces travaux. L’administration communale en déduit que le classement litigieux des immeubles des demandeurs comme faisant parties des « ensembles sensibles » ne serait pas comparable à une inscription à l’inventaire supplémentaire des sites et monuments nationaux, au sens de la loi du 18 juillet 1983, tel que soutenu par les demandeurs. Dans le même ordre d’idées, la zone des « ensembles sensibles » ne pourrait être assimilée à un « secteur sauvegardé », au sens de la loi du 18 juillet 1983, dans la mesure où il ressortirait de l’article 34 de celle-ci que les « secteurs sauvegardés » correspondraient à des secteurs présentant un caractère archéologique, historique, artistique, esthétique, scientifique, technique ou industriel de nature à justifier la conservation, la restauration et la mise en valeur selon un plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur.

Ainsi la loi du 18 juillet 1983 et la réglementation d’urbanisme pourraient s’appliquer indépendamment, voire cumulativement. Dans ce dernier cas de figure, chaque autorité agirait dans sa propre sphère de compétence, de sorte que sur base de la loi du 12 juin 1937, 12respectivement de celle du 19 juillet 2004, le conseil communal pourrait décider de classer des immeubles comme faisant partie d’un « secteur protégé », respectivement des « ensembles sensibles », indépendamment d’une protection de ces mêmes immeubles sur base de la loi du 18 juillet 1983.

Par ailleurs, l’administration communale conclut au rejet, pour défaut de pertinence, de l’argumentation des demandeurs selon laquelle, d’une part, ni l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004 ni le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 ne sauraient constituer des bases légales suffisantes pour conférer la compétence au conseil communal de créer des « ensembles sensibles » et, d’autre part, ledit règlement grand-ducal serait illégal, en faisant valoir que les décisions litigieuses ne reposeraient pas sur ces dispositions légale et réglementaire, mais sur la loi du 12 juin 1937, l’administration communale se prévalant, à cet égard, du susdit arrêt de la Cour administrative du 12 janvier 2012, ainsi que d’un arrêt de la Cour administrative du 28 avril 2015, portant le numéro 35396C du rôle.

Quant à l’argumentation des demandeurs selon laquelle l’article 57 de la loi du 12 juin 1937 ne pourrait autoriser le classement d’immeubles comme faisant partie des « ensembles sensibles » et aux développements des consorts ….. ayant trait à l’absence de règlement grand-

ducal d’exécution de cette dernière disposition légale, l’administration communale invoque le principe de l’autonomie communale, inscrit à l’article 107 de la Constitution, aux termes duquel « (…) les communes gèr[e]nt par leurs organes (…) leurs intérêts propres (…) », et fait valoir que parmi ces intérêts propres des communes figurerait l’aménagement du territoire communal.

En se prévalant de la jurisprudence des juridictions administratives, elle soutient que ce principe, ensemble la loi du 12 juin 1937, constitueraient une base légale suffisante pour permettre au conseil communal d’édicter des règles spécifiques destinées à sauvegarder certains ensembles architecturaux. Dès lors, et dans la mesure où l’adoption du PAG et du règlement sur les bâtisses se ferait suivant des procédures strictes prévues par la loi et sous le contrôle des autorités de tutelle, ainsi que des instances juridictionnelles, la prise d’un règlement grand-ducal d’exécution n’aurait pas été nécessaire, de sorte que le moyen tiré d’un défaut de base légale, respectivement d’un dépassement du cadre légal prévu devrait encourir le rejet.

Quant à l’argumentation des demandeurs selon laquelle le droit de propriété serait une matière réservée à la loi, en vertu de l’article 16 de la Constitution, l’administration communale soutient que cet article ne viserait que la privation du droit de propriété, en d’autres termes, l’expropriation. Or, contrairement à celle-ci, la réglementation de l’usage de la propriété ne ferait pas partie des matières réservées à la loi. En se prévalant de la jurisprudence des juridictions administratives, ainsi que de l’article 544 du Code civil, elle soutient que le droit de propriété ne serait pas général et absolu et pourrait être restreint par la réglementation urbanistique. Elle cite encore l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 octobre 2013, portant le numéro 00101 du registre, dans le cadre duquel la Cour aurait consacré la possibilité pour un PAG d’imposer des servitudes urbanistiques, sous condition qu’elles répondent à une finalité d’intérêt général. L’administration communale ajoute que dans la mesure où les demandeurs n’auraient pas rapporté la preuve que les restrictions apportées à leur droit de propriété seraient telles qu’elles seraient équivalentes à une expropriation, il ne serait pas établi que le classement litigieux de leurs immeubles porterait une atteinte disproportionnée à leur droit de propriété.

Dans ce contexte, elle conteste les développements des demandeurs selon lesquels ce classement impliquerait une interdiction de démolir les immeubles concernés, en se prévalant des articles C.03 et C.7.2. de la partie écrite du PAG.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs réitèrent leur argumentation quant à un empiétement de la part des autorités communales sur les compétences revenant au 13gouvernement, au motif que les articles 34 à 36 de la loi du 18 juillet 1983 constitueraient l’unique base légale de la création de « secteurs sauvegardés », tels que celui des « ensembles sensibles », tout en ajoutant qu’à cet égard, ladite loi du 18 juillet 1983 constituerait une loi spéciale qui dérogerait à la loi générale concernant l’aménagement du territoire, étant donné que dans le cas contraire, la loi du 19 juillet 2004 aurait dû prononcer son abrogation, sinon y déroger expressément, ce qui ne serait pas le cas. A cet égard, les demandeurs soutiennent que la loi du 18 juillet 1983 prévoirait un droit à indemnisation pour les propriétaires d’immeubles classés en tant que monument national. Or, un tel principe d’indemnisation ne serait prévu ni par la loi du 12 juin 1937 ni par celle du 19 juillet 2004, « (…) dont la ratio legis [ne serait] et [n’aurait pas été] de couvrir ce domaine particulier de la protection du patrimoine culturel (…) ». Ainsi, les décisions déférées seraient entachées d’illégalité pour dépassement des compétences attribuées aux autorités communales et de tutelle et pour non-respect des dispositions de la loi du 18 juillet 1983.

Par ailleurs, les demandeurs insistent sur le fait que ni l’article 52 ni l’article 57 de la loi du 12 juin 1937 ne pourraient servir de base légale au classement d’immeubles comme faisant partie des « ensembles sensibles », étant donné qu’ils devraient être interprétés comme permettant aux autorités communales d’édicter des mesures de protection pour des immeubles préalablement désignés comme immeubles dignes de protection par l’autorité compétente, à savoir le ministre de la Culture, et non pas comme autorisant lesdites autorités à désigner elles-

mêmes des immeubles dignes de protection. Par ailleurs, l’article 52 de la loi du 12 juin 1937 ne viserait que des mesures de protection des sites et monuments au point de vue esthétique, tandis que l’article 57 de la même loi se référerait aux constructions nouvelles ou aux reconstructions, mais n’interdirait pas la démolition d’un immeuble. Dans la mesure où l’article C.7. de la partie écrite du PAG prévoirait que les « ensembles sensibles » devraient être conservés dans leur ensemble, ce qui impliquerait une interdiction de démolition, les servitudes d’urbanisme résultant de cet article, ainsi que de la partie graphique du PAG, seraient illégales, en ce que les contraintes en résultant dépasseraient de loin l’habilitation accordée par la loi. En outre, ils soutiennent que l’arrêt de la Cour administrative du 28 avril 2015, invoqué par les parties défenderesses, ne saurait être transposé au cas d’espèce, étant donné que la Cour « (…) [aurait] retenu qu’il existe[rait] une base légale, mais ne [se serait] pas prononcé[e] sur [la question de savoir] si la base légale a été dépassée (…) ».

Les demandeurs soutiennent encore que contrairement à la loi du 18 juillet 1983, les articles 52 et 57 de la loi du 12 juin 1937 ne prévoiraient aucun critère, ni aucune définition quant à la notion de « site et monuments » et ne spécifieraient pas les mesures à prendre pour protéger les sites et monuments. Ces dispositions légales ne seraient, dès lors, pas claires et précises et ne seraient pas immédiatement exécutoires, en ce sens qu’elles ne se suffiraient pas à elles-mêmes pour être applicables. Par ailleurs, elles délègueraient à un règlement communal la compétence pour déterminer les servitudes et restrictions à imposer au droit de propriété, alors qu’une telle réglementation devrait être issue d’un règlement grand-ducal, les demandeurs renvoyant, à cet égard, à l’avis de la commission d’aménagement.

En outre, ils font valoir que dans la mesure où le droit de propriété serait une matière réservée par la Constitution à la loi, cette dernière devrait, en vertu de l’article 32 (3) de la Constitution, préciser les fins, les conditions et les modalités suivant lesquelles des éléments moins essentiels pourraient faire l’objet de règlements et d’arrêtés pris par le Grand-Duc, ainsi que cela se dégagerait d’un arrêt de la Cour constitutionnelle du 11 mars 2016. La loi pourrait se borner à tracer les grands principes tout en abandonnant au pouvoir réglementaire la mise en œuvre du détail. Il serait suffisant, mais nécessaire que le principe et les modalités substantielles de la matière réservée soient retenus par la loi. La réserve de la loi prohiberait les habilitations 14générales. Ainsi une matière régie législativement devrait en principe se suffire à elle-même et être appliquée en dehors de tout règlement d’application, sauf lorsque la loi serait à tel point lacuneuse que son exécution se révèlerait impossible sans règlement d’application. Dans cet intervalle, la loi n’aurait pas vocation à s’appliquer. Or, en l’espèce, la loi du 12 juin 1937 n’aurait pas fixé l’essentiel du cadre normatif concernant notamment les critères de sélection et de classification des immeubles méritant une protection, ainsi que « (…) les mesures ou fins qui y [seraient] attaché[e]s (…) ». Elle n’aurait ainsi pas précisé les fins, les conditions et les modalités suivant lesquelles des éléments moins essentiels pourraient être réglés par le pouvoir exécutif, voire par le conseil communal. En effet, l’article 52 de ladite loi disposerait que le règlement des bâtisses « (…) prévoira[it] les mesures de protection des sites ou monuments au point du vue esthétique », ce qui équivaudrait à un blanc-seing attribué à un « (…) organe nullement habilité à ce faire (…) ». La simple référence à l’esthétique ne constituerait pas un critère cohérent, précis et clair, de sorte à aboutir à l’arbitraire. Si l’administration communale a affirmé dans un courrier du 16 décembre 2014 que le classement d’immeubles comme faisant partie des « ensembles sensibles » interviendrait en raison soit de leur valeur artistique, historique, archéologique ou touristique, soit de leur incidence sur la sauvegarde du site, ces critères ne figureraient pas dans la loi. Les articles 52 et 57 de la loi du 12 juin 1937 seraient, dès lors, contraires aux dispositions combinées des articles 32 (3) et 16 de la Constitution, de sorte qu’ils ne sauraient constituer une base légale précise et suffisante pour l’établissement de servitudes urbanistiques relatives aux « ensembles sensibles ».

Les demandeurs soutiennent encore que le classement de leurs immeubles comme faisant partie des « ensembles sensibles » ne constituerait pas une simple réglementation de l’usage de leurs biens, mais devrait s’analyser en une véritable privation du droit de propriété, expressément interdite par l’article 16 de la Constitution – sauf l’hypothèse d’une expropriation pour cause d’utilité publique, selon les modalités prévues par la loi et moyennant juste indemnité –, mais aussi par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la CEDH, ci-après désigné par « le premier Protocole ». En effet, ce classement enlèverait à leur droit de propriété l’un de ses attributs essentiels, à savoir le droit de construire sur une propriété classée en zone constructible, alors que toute démolition serait désormais interdite, sinon celui de surélever les bâtiments existants, conformément au PAG et au règlement des bâtisses en vigueur. De ce fait, les décisions déférées se heurteraient à l’inviolabilité de la propriété et à « (…) l’égalité proportionnelle des charges publiques (…) ». En se prévalant de l’avis de la commission d’aménagement du 4 juin 2015, les demandeurs soulignent que par le biais de l’extension du « secteur protégé des « ensembles sensibles », les autorités communales auraient cherché à se procurer un moyen pour interdire les transformations majeures ou démolitions pour des immeubles qui présenteraient, d’après elles, un intérêt d’être protégés. Ainsi, le but poursuivi par les autorités communales et de tutelle serait celui d’interdire de façon générale toute démolition d’immeubles classés comme faisant partie des « ensembles sensibles », cette interdiction ayant, selon les demandeurs, été concrétisée dans le cadre du projet de refonte du PAG de la Ville de Luxembourg.

Les demandeurs soutiennent encore que l’article 107 de la Constitution consacrant le principe de l’autonomie communale ne saurait parer à l’absence de base légale et à l’incompétence des autorités communales et de tutelle, telles qu’invoquées, étant donné que même si l’édiction du PAG, respectivement du règlement sur les bâtisses, se feraient dans l’intérêt général, les restrictions du droit de propriété devraient être prévues par la loi et intervenir en exécution d’un règlement grand-ducal, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Dans son mémoire en duplique, l’administration communale insiste sur le fait que compte tenu des enseignements se dégageant de l’arrêt, précité, de la Cour administrative du 28 avril 2015, les contestations des demandeurs quant à la base légale des décisions déférées et quant à une atteinte au droit de propriété équipollente à une expropriation seraient à écarter. Sur 15ce dernier point, elle explique que les « ensembles sensibles » seraient régis par les dispositions des articles C.7 et C.0 de la partie écrite du PAG, mais aussi par les dispositions de cette dernière relatives à la zone dans laquelle les immeubles concernés seraient classés. Pour les immeubles des demandeurs, classés en « zone mixte 8 », il y aurait lieu de se référer à l’article B.3 de ladite partie écrite. Or, il ressortirait de l’ensemble de ces dispositions que le classement litigieux de ces immeubles n’impliquerait pas d’interdiction absolue de construire sur les parcelles concernées, respectivement de démolir ou de surélever les bâtiments existants, les bâtiments classés en « zone mixte 8 » pouvant, d’après l’administration communale, comporter jusqu’à huit niveaux pleins.

Il est constant en cause que les décisions déférées ont trait à une modification ponctuelle du PAG de la Ville de Luxembourg, qui a été adopté sur base de la loi du 12 juin 1937 et qui n’a pas encore fait l’objet d’une refonte complète sur base de la loi du 19 juillet 2004. Cette modification consiste, d’une part, en un classement d’immeubles supplémentaires, parmi lesquels se trouvent ceux des demandeurs, en « zone protégée – ensembles sensibles », par le biais d’une adaptation de la partie graphique du PAG et, d’autre part, en des changements mineurs apportés à l’article C.7 de la partie écrite du PAG, régissant ce type de zone. Ainsi, cet article ne comprend plus de liste des tronçons de rue faisant partie des « ensembles sensibles » et le libellé de son point 2 d) a été complété par des tempéraments à l’exigence d’un maintien des marges de reculement latérales existantes et du parcellaire à laquelle sont subordonnés tous travaux de construction, reconstruction ou transformation des immeubles classées en « zone protégée – ensembles sensibles », étant d’ores et déjà précisé que les demandeurs n’ont pas formulé de contestations circonstanciées à l’égard de ces retouches de l’article C.7. de ladite partie écrite, de sorte que le tribunal n’est saisi que de leurs moyens et arguments visant le principe et les effets du classement de leurs immeubles en « zone protégée – ensembles sensibles ».

Quant à la base légale des décisions déférées, il y a tout d’abord lieu de préciser qu’il est certes exact que le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, pris en exécution de l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004, précise, notamment, le zonage des PAG et édicte les principes quant aux servitudes s’appliquant aux différentes zones, en disposant, notamment, sous son article 33, relatif aux « Secteurs protégés d’intérêt communal », que : « (…) Les secteurs protégés de type «environnement construit» constituent les parties du territoire communal qui comprennent des immeubles ou parties d’immeubles dignes de protection et qui répondent à un ou plusieurs des critères suivants : authenticité de la substance bâtie, de son aménagement, rareté, exemplarité du type de bâtiment, importance architecturale, témoignage de l’immeuble pour l’histoire nationale, locale, sociale, politique, religieuse, militaire, technique ou industrielle.

Les secteurs protégés de type «environnement naturel et paysage» constituent les parties du territoire communal qui comprennent des espaces naturels et des paysages dignes de protection ou de sauvegarde.

Ces secteurs sont soumis à des servitudes spéciales de sauvegarde et de protection définies dans le plan d’aménagement général. Les secteurs protégés de type «environnement construit» sont marqués de la surimpression «C». (…) ». Cependant, la Cour administrative a pu préciser, dans un arrêt du 19 décembre 20134 que si l’article 108bis de la loi du 19 juillet 2004 permet la modification ponctuelle d’un PAG adopté sur base de la loi de 1937 et n’ayant pas encore subi de refonte complète, pareille modification est nécessairement appelée à s’inscrire dans le tissu de base qui est précisément celui du PAG adopté et approuvé suivant les 4 Cour adm., 19 décembre 2013, n° 32641C et 32909C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Urbanisme, n° 769.

16dispositions de la loi ancienne du 12 juin 1937, pour en déduire que les règlements d’application de la loi de 2004 ne sauraient s’appliquer de plano, alors qu’ils visent, pour ce qui est plus particulièrement du contenu du PAG, les PAG qui sont entièrement de mouture nouvelle, adoptés et approuvés sous l’égide de la loi de 2004, c’est-à-dire refondus au sens de la même loi.5 C’est ainsi qu’en l’espèce, les autorités communales et de tutelle ont procédé, non pas à la création d’un « secteur protégé de type « environnement construit » », au sens de l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, mais au classement d’immeubles supplémentaires en « zone protégée – ensembles sensibles », soit en une catégorie de zone créée sous l’empire de la loi du 12 juin 1937. Ni l’article 33 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 ni l’article 9 de la loi du 19 juillet 2004, sur base duquel ce règlement a été adopté, ne constituent dès lors la base légale des décisions déférées, de sorte que les moyens et arguments afférents des demandeurs sont à écarter dans leur ensemble, pour défaut de pertinence.

S’il est exact que la loi du 12 juin 1937 a été abrogée par la loi du 19 juillet 2004, il n’en reste pas moins qu’en prévoyant expressément, à l’article 108bis de cette dernière loi, la possibilité de modifier ponctuellement des PAG adoptés sur base de la loi du 12 juin 1937, dans l’attente de leur refonte complète, le législateur a nécessairement autorisé les autorités communales à procéder au reclassement de parcelles ou de parties de parcelles dans des catégories de zones créées sous l’empire de l’ancienne loi et impliquant des servitudes trouvant leur fondement dans cette loi, sous réserve, toutefois, que ce reclassement s’inscrive dans le cadre des objectifs d’intérêt général devant, aux termes de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004, guider ces autorités, lorsqu’elles initient des modifications de leurs PAG.

C’est dès lors à la loi du 12 juin 1937 qu’il y a lieu de se référer pour vérifier si les servitudes urbanistiques applicables aux « ensembles sensibles » reposent sur une base légale suffisante, afin d’apprécier si les autorités communales et de tutelle ont légalement pu décider de soumettre les immeubles des demandeurs aux servitudes en question, par la modification litigieuse du PAG.

A cet égard, le tribunal relève que les « ensembles sensibles » font partie des « zones protégées », définies par l’article C.0.1 de la partie écrite du PAG comme comprenant « (…) les parties du territoire de la Ville qui en raison soit de leur valeur artistique, historique, archéologique ou touristique, soit de leur incidence sur la sauvegarde du site, sont soumises à des servitudes spéciales (…) ».

A ce titre, ils sont soumis aux dispositions générales applicables aux « zones protégées », telles que prévues par l’article C.0 de la partie écrite du PAG, et, notamment, à l’article C.03, aux termes duquel « Une autorisation de démolition ne sera délivrée qu’après l’autorisation de bâtir. ».

Ils sont encore soumis aux dispositions spéciales de l’article C.7 de la partie écrite, aux termes duquel :

« C.7.1 : Les ensembles sensibles couvrent certaines parties ou tronçons de rue du territoire de la ville qui constituent de par leur caractère harmonieux et de par leur composition urbaine des ensembles cohérents, dignes d’être conservés dans leur ensemble.

Les ensembles sensibles sont indiqués dans la partie graphique par des points noirs.

5 Voir aussi, dans le même sens : Cour adm., 12 janvier 2012, n° 29080C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Urbanisme, n° 752.

17 C.7.2 : En dehors des dispositions normales régissant les secteurs dans lesquels sont classés ces ensembles, tous travaux de construction, reconstruction ou transformation doivent répondre aux conditions suivantes:

a) les constructions donnant sur rue sont à implanter en tenant compte de l’alignement existant;

b) les constructions doivent s’intégrer harmonieusement dans l’ensemble des constructions voisines existantes en respectant le caractère du quartier;

c) les façades sur rue et les toitures doivent s’harmoniser avec le caractère du quartier;

d) les marges de reculement latérales existantes et le parcellaire sont à maintenir, sauf pour les parcelles classées en Zones Mixtes (B.0) et en Terrains Réservés (F.1).

Une parcelle non construite et dont les dimensions ne permettent pas la réalisation d’une construction selon les dispositions normales régissant le secteur dans lequel elle est classée, peut être réunie avec une parcelle adjacente.

C.7.3 : Tous les travaux entrepris aux parties extérieures d’un immeuble doivent répondre aux conditions spéciales à édicter par le collège des bourgmestre et échevins et portant sur les matériaux à employer et les contraintes à observer afin de garantir une intégration harmonieuse et esthétiquement valable des édifices dans l’ensemble du quartier. ».

A titre liminaire, le tribunal constate que si l’article C.7.1 prévoit que les « ensembles sensibles » constituent les « (…) parties ou tronçons de rue du territoire de la ville qui constituent de par leur caractère harmonieux et de par leur composition urbaine des ensembles cohérents, dignes d’être conservés dans leur ensemble (…) », cette disposition ne formule néanmoins pas en elle-même une interdiction de démolition ou une servitude de conservation, voire une quelconque autre servitude urbanistique – contrairement, par exemple, à l’article C.6.2 relatif au « secteur protégé du parc », aux termes duquel « En principe, les constructions sont frappées de servitudes de conservation dans leur état d’aspect, sous réserve de modifications de détail qui n’en altèrent pas le caractère et n’augmentent pas le volume des constructions » –, mais ne fait que définir la notion d’« ensembles sensibles », en annonçant l’objectif des servitudes frappant concrètement les immeubles concernés, telles que prévues, notamment, par l’article C.7.2, à savoir le maintien de la composition urbaine, de l’harmonie et de la cohérence architecturale du quartier, respectivement d’une partie du quartier, c’est-à-dire la préservation d’une image urbaine digne de protection, étant précisé, à cet égard, que dans la mesure où les dispositions d’une réglementation d’urbanisme limitent l’usage du droit de propriété, elles sont d’interprétation stricte.6 Dans la mesure où l’article C.0.3 de la partie écrite du PAG, applicable aux différentes « zones protégées », en ce compris les « ensembles sensibles », dispose qu’« une autorisation de démolition ne sera délivrée qu’après l’autorisation de bâtir » et que l’article C.7.2 vise expressément les constructions et les reconstructions, le tribunal, à l’instar de la commission d’aménagement7, retient qu’en principe, le classement en « zone protégée – 6 Cour adm., 26 janvier 2006, n° 20285C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Urbanisme, n° 22 et les autres références y citées.

7 Avis de la commission d’aménagement du 4 juin 2015 : « (…) La démolition et la reconstruction d’immeubles qualifiés comme digne de protection par la Ville de Luxembourg et faisant partie d’un ensemble sensible est toujours possible si certaines conditions sont remplies. (…) A titre d’exemple, la démolition d’une maison 18ensembles sensibles » permet une démolition de l’immeuble concerné, suivie de sa reconstruction, voire même de la construction d’un nouveau bâtiment respectant les conditions de l’article C.7.2 de la partie écrite, ainsi que les conditions spéciales édictées en vertu de l’article C.7.3 de celle-ci.

Quant à la base légale des servitudes résultant dudit article C.7, le tribunal constate que celles-ci trouvent leur fondement dans l’article 57 de la loi du 12 juin 1937, aux termes duquel « Le règlement communal pourra désigner des voies ou places où les constructions nouvelles et les reconstructions doivent, par rapport au style, à la hauteur, au gabarit, à la couleur et à l’emploi des matériaux, répondre à des conditions déterminées en concordance avec l’aspect de l’ensemble du quartier. Il pourra déterminer également des voies et places sur lesquelles ne seront autorisés que des édifices présentant un ensemble harmonieux. A ces fins, le collège des bourgmestre et échevins pourra édicter des conditions spéciales et faire établir des façades types, servant de modèle aux constructions privées. (…) ». En effet, cette disposition confère expressément aux autorités communales la compétence d’édicter, dans leurs PAG, des servitudes d’urbanisme destinées à protéger ou à garantir le caractère harmonieux et la cohérence architecturale d’un quartier, respectivement d’une partie d’un quartier. S’il est exact qu’en vertu des dispositions combinées des articles C.7 et C.0.3 de la partie écrite, une démolition pure et simple, non suivie d’une reconstruction ou d’une construction, n’est pas autorisée, alors que ledit article 57 réglemente les constructions et reconstructions d’immeubles, mais non pas leur seule démolition, cette interdiction peut être rattachée à l’article 52 de la loi du 12 juin 1937, en vertu duquel les communes, dans le cadre de l’adoption d’un plan d’aménagement, sont tenues d’édicter un règlement sur les bâtisses, les voies publiques et les sites qui prévoit « (…) les mesures de protection des sites ou monuments au point de vue esthétique (…) ».8 En effet, le fait de subordonner l’obtention d’une autorisation de démolir un immeuble faisant partie d’un « ensemble sensible » à la délivrance préalable d’une autorisation de construire constitue une mesure tendant à assurer la protection de l’esthétique du site. Il s’ensuit que l’argumentation des demandeurs selon laquelle les servitudes applicables aux « ensembles sensibles » iraient au-delà de leur base légale est d’ores et déjà à rejeter.

Quant aux contestations des demandeurs selon lesquelles lesdits articles 52 et 57 ne constitueraient pas une base légale adéquate de ces servitudes, au motif que le droit de propriété serait une matière réservée à la loi, en vertu de l’article 16 de la Constitution, de sorte qu’en application de l’article 32 (3) de la Constitution, le législateur aurait dû lui-même prévoir l’essentiel du cadre normatif, ce qu’il n’aurait cependant pas fait, de sorte que les dispositions légales litigieuses seraient inconstitutionnelles, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, celle-ci est exclusivement compétente pour statuer sur les questions de constitutionnalité des lois. Aux termes de l’article 6 de la même loi, « Lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle.

Une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle estime que:

a) une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement;

remarquable pour des raisons d’efficience énergétique et sa reconstruction en imitant les caractéristiques de la maison d’origine serait conforme au plan d’aménagement général. (…) ».

8 Voir, par analogie : Cour adm., 28 avril 2015, n° 35396C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Urbanisme, n° 276, ayant retenu que l’article 52 de la loi du 12 juin 1937 constitue la base légale de l’article C.6.2. de la partie écrite du PAG, relatif au « Secteur protégé du Parc » et qui édicte une servitude de conservation des immeubles concernés.

19b) la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement;

c) la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet. (…) ».

Le tribunal retient qu’en l’espèce, il n’y a pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle de la question de constitutionnalité ainsi soulevée, étant donné qu’elle est dénuée de tout fondement. En effet, l’article 16 de la Constitution n’érige pas de manière générale le droit de propriété en matière réservée à la loi, mais se limite à interdire l’expropriation autrement que pour cause d’utilité publique, moyennant juste indemnité et dans les cas et de la manière établis par la loi, de sorte que seule l’expropriation constitue une matière réservée à la loi, étant précisé, dans ce contexte, qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qu’un changement dans les attributs de la propriété qui est à tel point essentiel qu’il prive le propriétaire de ses aspects essentiels peut constituer une expropriation.9 Cependant, étant donné que les articles 52 et 57 de la loi du 12 juin 1937 n’autorisent pas les autorités communales à prendre des règlements en matière d’expropriation, mais seulement à réglementer l’usage des biens, par le biais de mesures destinées à protéger les sites et monuments, respectivement le caractère harmonieux d’un quartier ou d’une partie de quartier, et que la réglementation de l’usage des biens n’est pas une matière réservée à la loi par la Constitution, ces dispositions légales ne se heurtent manifestement pas aux articles 16 et 32 (3) de la Constitution.

Quant à la conformité à l’article 16 de la Constitution des servitudes applicables aux « ensembles sensibles », également contestée par les demandeurs, le tribunal précise que si ces servitudes, prévues par les articles C.0 et C.7 de la partie écrite du PAG, restreignent l’usage, par les propriétaires concernés, de leur droit de propriété, en ce que les démolitions pures et simples sont interdites et que les constructions, reconstructions et transformations sont soumises à un certain nombre de contraintes – à savoir, notamment, l’exigence d’une intégration harmonieuse des constructions dans l’ensemble des constructions voisines existantes, en respectant le caractère du quartier, ainsi que celle du maintien de l’alignement sur la rue, des marges de reculement latérales et du parcellaire, de même que l’obligation de respecter les « conditions spéciales » édictées par le collège échevinal sur base de l’article C.7.3, pour les travaux concernant les parties extérieurs des immeubles –, elles n’entravent cependant pas les attributs de ce droit d’une manière telle que la limitation opérée puisse être qualifiée d’équivalente à une expropriation.10 Ces servitudes et, par conséquent le classement litigieux des immeubles des demandeurs, ne tombent dès lors pas dans le champ d’application de l’article 16 de la Constitution, de sorte que l’argumentation afférente encourt le rejet.

Pour ces mêmes motifs, l’affirmation des demandeurs selon laquelle « (…) le principe de la sécurité juridique et des droits acquis (…) » n’aurait pas été respecté, au motif que des attributs essentiels du droit de propriété leur auraient été enlevés, est également à rejeter, étant encore précisé que la mutabilité des PAG relève de leur essence même, consistant à répondre à des contraintes variables à travers le temps concernant à la fois les aspects urbanistiques de l’aménagement des agglomérations et le volet politique de la vie en commun sur le territoire donné, de sorte que les parties intéressées, dont les propriétaires d’immeubles, n’ont pas un droit acquis au maintien d’une réglementation communale d’urbanisme donnée.11 9 Cour const., 26 septembre 2008, n° 00046 du registre et Cour const., 4 octobre 2013, numéro 00101 du registre.

10 Voir, par analogie : Cour adm., 28 avril 2015, n° 35396C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Urbanisme, n° 276, ayant retenu que les servitudes résultant des articles C.6.2 et C.6.3 du PAG de la Ville de Luxembourg ne sont pas équivalentes à une expropriation.

11 Trib. adm., 7 mars 2001, n° 12233 du rôle, confirmé par Cour adm., 20 décembre 2001, n° 13291C du rôle, Pas.

adm. 2016, V° Urbanisme, n° 173 et les autres références y citées.

20La référence, faite par les demandeurs, à l’« (…) inviolabilité de la propriété (…) » est également à rejeter, étant donné que le droit de propriété n’est pas absolu et peut être réglementé, ainsi que cela se dégage, notamment, de l’article 1er, alinéa 2 du premier Protocole.

Pour autant qu’à travers leurs contestations selon lesquelles les articles 52 et 57 de la loi du 12 juin 1937 accorderaient au conseil communal la compétence pour définir des servitudes urbanistiques, alors qu’une telle réglementation devrait être prise par un règlement grand-ducal, les demandeurs aient entendu soulever la contrariété desdits articles 52 et 57 aux articles 36 et 76 de la Constitution, auxquels ils se sont référés, dans ce contexte, le tribunal relève que la question de constitutionnalité ainsi soulevée est, elle aussi, à écarter pour être dénuée de tout fondement, sans qu’il n’y ait lieu de saisir la Cour constitutionnelle. En effet, en vertu du principe de l’autonomie communale, consacré par l’article 107 de la Constitution, aux termes duquel « (…) Les communes forment des collectivités autonomes, à base territoriale, possédant la personnalité juridique et gérant par leurs organes leur patrimoine et leurs intérêts propres (…) », les autorités communales sont investies d’une certaine puissance de commandement, appelée pouvoir communal, par opposition au pouvoir central. Ce pouvoir communal, qui dérive de la puissance souveraine, n’existe qu’en vertu de la loi et dans les limites qu’elle détermine et il est fonction du pouvoir central en ce sens que le pouvoir central est diminué dans la proportion où la loi le décharge de certains devoirs d’intérêt purement local pour les conférer aux autorités communales.12 En d’autres termes, la loi peut charger directement les autorités communales de la mission de réglementer, en vertu de leur pouvoir réglementaire propre, certaines matières d’intérêt communal, dans les limites qu’elle détermine, sans devoir passer par un règlement grand-ducal. C’est exactement ce que le législateur a fait par le biais des articles 52 et 57 de la loi du 12 juin 1937, en permettant aux autorités communales de définir elles-

mêmes, par voie réglementaire, des servitudes urbanistiques destinées à protéger les sites et monuments d’un point de vue esthétique, respectivement à protéger ou à garantir l’harmonie et la cohérence architecturale d’un quartier ou d’une partie d’un quartier.

Dans ces circonstances, le moyen selon lequel l’article C.7 de la partie écrite du PAG et les servitudes y édictées seraient illégaux, en l’absence de règlement grand-ducal pris en exécution dudit article 57 de la loi du 12 juin 1937 encourt également le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que les contestations des demandeurs selon lesquelles les servitudes urbanistiques applicables aux « ensembles sensibles » et auxquelles les autorités communales et de tutelle ont décidé de soumettre leurs immeubles du fait du classement litigieux seraient dépourvues de base légale, respectivement dépasseraient leur base légale sont à écarter dans leur ensemble. Par ailleurs, étant donné, d’une part, que le tribunal vient de retenir qu’en prévoyant expressément, à l’article 108bis de la loi du 19 juillet 2004, la possibilité de modifier ponctuellement des PAG adoptés sur base de la loi du 12 juin 1937, le législateur a nécessairement autorisé les autorités communales à procéder au reclassement de parcelles ou de parties de parcelles dans des zones créées sous l’empire de l’ancienne loi et impliquant des servitudes trouvant leur fondement dans cette loi, sous réserve que ce reclassement soit compatible avec les objectifs d’intérêt général devant, aux termes de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004, guider ces autorités, lorsqu’elles initient des modifications de leurs PAG et, d’autre part, qu’aux termes des points (b) et (e) de cet article 2, le « développement harmonieux des structures urbaines », ainsi que la « protection du patrimoine culturel » figurent parmi ces objectifs, le tribunal conclut qu’en principe, les autorités communales sont habilitées, à travers les dispositions combinées des articles 2, points (b) et (e), et 108bis de la loi du 19 juillet 2004, à classer des immeubles en « zone protégée – ensembles sensibles », de sorte à les 12 P. Majerus, « L’Etat luxembourgeois », Esch-sur-Alzette, Imprimerie Editpress, 6e édition, 1990, p. 324.

21soumettre aux servitudes urbanistiques prévues par les articles C.0 et C.7 de la partie écrite du PAG, destinées à préserver une image urbaine harmonieuse, digne de protection, et édictées conformément aux articles 52 et 57 de la loi du 12 juin 1937.

Cette conclusion n’est pas énervée par les contestations des demandeurs selon lesquelles ledit article 2 (e) ne tracerait pas les grands principes quant au type de protection accordé aux immeubles classés en « zone protégée – ensembles sensibles » et quant aux servitudes leur pouvant être appliquées, en violation du droit de propriété. En effet, pour autant qu’à travers cette argumentation, les demandeurs aient entendu soulever l’inconstitutionnalité de l’article 2 (e) de la loi du 19 juillet 2004, au motif que le droit de propriété serait une matière réservée à la loi, le tribunal retient que cette argumentation est à rejeter pour être dénuée de tout fondement, sans qu’il n’y ait lieu de saisir la Cour constitutionnelle, étant donné, d’une part, que la disposition en question n’autorise pas les autorités communales à prendre des règlements en matière d’expropriation, mais seulement à réglementer l’usage des biens, par le biais de mesures destinées à protéger le patrimoine culturel et, d’autre part, que la réglementation de l’usage des biens n’est pas une matière réservée à la loi par la Constitution. Pour cette dernière raison et dans la mesure où le tribunal vient de retenir que les servitudes applicables aux « ensembles sensibles » ne sont pas équivalentes à une expropriation, l’argumentation des demandeurs selon laquelle l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 ne saurait autoriser les autorités communales à réglementer une matière touchant au droit de propriété et lui enlevant des attributs essentiels est, elle aussi, à écarter.

La conclusion faite ci-avant, selon laquelle les autorités communales sont, en principe, habilitées à classer des immeubles en « zone protégée – ensembles sensibles », n’est pas non plus énervée par l’argumentation des demandeurs fondée sur la loi du 18 juillet 1983 et aux termes de laquelle les autorités communales ne seraient pas compétentes pour désigner elles-

mêmes les immeubles ou secteurs dignes de protection. En effet, la loi du 18 juillet 1983, d’une part, et les dispositions combinées des articles 52 et 57 de la loi du 12 juin 1937 et des articles 2, points (b) et (e), et 108bis de la loi du 19 juillet 2004, d’autre part, constituent deux instruments de protection du patrimoine culturel qui sont distincts et autonomes, dans la mesure où ils relèvent de la compétence d’autorités différentes et répondent à des critères spécifiques inscrits de part et d’autre dans des corps de textes différents à appliquer respectivement, chacun dans son contexte propre concerné13. Ainsi, les dispositions combinées des articles 52 et 57 de la loi du 12 juin 1937 et des articles 2, points (b) et (e) et 108bis de la loi du 19 juillet 2004 visent une protection, au niveau communal, du patrimoine culturel, à travers la préservation d’une image urbaine harmonieuse, digne de protection, tandis que les dispositions de la loi du 18 juillet 1983 s’inscrivent plutôt dans un contexte général et tendent au niveau national à la protection du patrimoine culturel et historique14. Il s’ensuit que le gouvernement en conseil, voire le Grand-

Duc, au niveau de la procédure prévue par la loi du 18 juillet 1983, et le conseil communal, au niveau de la procédure mise en place par les lois du 12 juin 1937 et du 19 juillet 2004, statuent chacun dans sa propre sphère de compétence15. Dès lors, en classant les immeubles des demandeurs en « zone protégée – ensembles sensibles », les autorités communales n’ont ni excédé leurs compétences ni détourné l’instrument du PAG pour contourner les dispositions de 13 En ce sens : Trib. adm. 26 février 2003, n° 14987 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Urbanisme, n° 268.

14 V. à ce sujet l’exposé des motifs du projet de loi ayant abouti à la loi du 18 juillet 1983, énonçant l’objectif dudit projet comme suit : « (…) « la préservation de la continuité historique dans l’environnement est essentielle pour le maintien ou la création d’un cadre de vie qui permette à l’homme de trouver son identité et d’éprouver un sentiment de sécurité face aux mutations brutales de la société : un nouvel urbanisme cherche à retrouver les espaces clos, l’échelle humaine, l’interprétation des fonctions et la diversité socio-culturelle qui caractérisent les tissus urbains anciens ». (Déclaration d’Amsterdam adoptée en 1975 à l’issue du Congrès sur le patrimoine architectural européen) (…) ». Doc. parl 2191, p. 2164.

15 V. en ce sens : Cour adm. 14 juillet 2011, n° 28102C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Sites et monuments, n°23.

22la loi du 18 juillet 1983 ni violé les dispositions de cette loi, de sorte que l’argumentation afférente des demandeurs encourt le rejet.

Quant à l’argumentation ayant trait à une atteinte à « (…) l’égalité proportionnelle des charges publiques (…) », celle-ci sera analysée ci-après. Il en est de même de celle ayant trait à une violation de l’article 1er du premier Protocole.

(2) Quant à une erreur manifeste d’appréciation Les demandeurs soutiennent encore que le classement de leurs immeubles en « zone protégée – ensembles sensibles » procéderait d’une erreur manifeste d’appréciation, étant donné qu’il ne répondrait pas à l’objectif poursuivi par les autorités communales, qui aurait été celui de classer en ce type de zone les parties ou tronçons de rue qui constitueraient, de par leur caractère harmonieux et de par leur composition urbaine, des ensembles dignes d’être conservés. Or, leurs immeubles feraient partie des « (…) quelques immeubles isolés qui [auraient] perdu une grande partie de leur valeur justement à cause de ces nouveaux développements à proximité (…) », auxquels le conseil communal se serait référé lors de sa délibération du 26 janvier 2015. Dans ce contexte, ils donnent à considérer que dans le cadre d’une interview publiée dans le Luxemburger Wort le 9 juillet 2015, le bourgmestre de la Ville de Luxembourg aurait lui-même évoqué l’absence d’harmonie qui caractériserait l’…. Ils soutiennent qu’il serait incompréhensible que les autorités communales auraient procédé au classement litigieux de leurs immeubles, alors que ceux-ci seraient situés dans l’une des principales artères commerciales de la capitale, qui serait, d’ailleurs, la plus ancienne de ces artères commerciales, ce qui lui conférerait la vocation d’être « (…) une vitrine de la modernité (…) », et que les autorités communales auraient, pendant des décennies, autorisé la destruction d’immeubles anciens situés dans ce même endroit et leur remplacement par des bâtiments inesthétiques à huit étages. De ce fait, l’…..serait caractérisée par une profonde dysharmonie et les autorités communales tenteraient, à l’heure actuelle, de se racheter une bonne conscience en figeant dans le temps quelques immeubles sans intérêt particulier si ce n’est d’appartenir à une autre époque, alors que la seule solution raisonnable qui se présenterait actuellement en vue de rétablir un aspect d’ensemble harmonieux serait d’imposer des critères destinés à garantir une certaine homogénéité des constructions dans leur modernité et de soumettre les constructions futures à certains critères esthétiques. Les demandeurs insistent sur le fait que le classement litigieux aurait des conséquences préjudiciables non seulement pour eux-mêmes – compte tenu de la perte de valeur des immeubles concernés résultant de l’incertitude quant à la faisabilité de tel ou tel projet, voire de l’impossibilité de modifier l’aspect extérieur de ces immeubles, ainsi que de l’absence de compensation financière – mais aussi pour la collectivité. A cet égard, ils expliquent avoir été informés lors d’une réunion avec le collège échevinal du fait que toute modification de l’aspect extérieur de leurs immeubles et par conséquent toute démolition leur serait refusée, de sorte que seul un éventuel rajout d’étages serait autorisable. Or, compte tenu de leur ancienneté, une rénovation de ces immeubles ne serait pas rentable. Il s’ensuivrait un délabrement progressif des immeubles concernés – qui deviendraient alors insalubres, voire dangereux au regard des risques accrus d’instabilité, d’incendie et de squattage par des sans-

abris – et une perte substantielle de surfaces potentiellement exploitables à des fins commerciales ou d’habitation. Dans ce contexte, ils donnent à considérer qu’à l’heure actuelle, les étages supérieurs de leurs immeubles seraient vides, dans la mesure où les normes de sécurité en vigueur seraient tellement rigoureuses qu’elles ne permettraient plus l’exploitation commerciale ou la location à des fins d’habitation de ces étages. Eu égard à ces contraintes, une destruction avec reconstruction serait plus raisonnable qu’une rénovation. En conclusion, les demandeurs soutiennent que les décisions litigieuses seraient contraires non seulement à leurs intérêts personnels, mais aussi à l’intérêt général.

23 Tant le délégué du gouvernement que l’administration communale concluent au rejet de ce moyen.

Le délégué du gouvernement soutient que les immeubles concernés constitueraient une série d’immeubles faisant partie du patrimoine d’intérêt local, dans la mesure où ils seraient typiques de l’ancien quartier de la gare, le représentant étatique se prévalant, dans ce contexte, de l’avis, précité, de la commission d’aménagement. Il souligne que l’immeuble sis au numéro ……serait particulièrement remarquable, alors qu’il constituerait indéniablement une composante essentielle de l’identité des lieux. Ainsi, outre le fait qu’il serait situé sur l’angle de deux rues, il présenterait des ouvertures typiques à double, voire à triple battant ainsi qu’une façade dotée d’ornements remarquables d’époque. Il insiste encore sur la continuité des bâtisses litigieuses dans le tissu urbain existant de l’ancien quartier de la gare, tant au niveau des gabarits que des typologies des façades.

L’administration communale fait plaider que les immeubles litigieux ne constitueraient pas des immeubles isolés, mais formeraient un ensemble continu et cohérent avec les immeubles situés dans …., dans la …., dans la …. et dans la ….. Or, la modification litigieuse du PAG aurait justement porté sur les rues ou tronçons de rue du quartier de la gare non encore soumis à une forme de protection architecturale afin de maintenir cette cohérence. Ainsi, les immeubles concernés auraient été classés comme faisant partie des « ensembles sensibles » non seulement en raison de leur qualité architecturale individuelle, mais surtout au regard de la cohérence architecturale de ces tronçons de rue. L’administration communale insiste, dans ce contexte, sur le fait qu’une modification d’un PAG relèverait de l’opportunité politique, qui échapperait au contrôle du juge administratif saisi d’un recours en annulation. Après avoir précisé que dans le cadre d’un tel recours, l’annulation de la décision déférée au tribunal administratif ne se justifierait qu’en présence d’une erreur manifeste d’appréciation, elle fait valoir qu’en l’espèce, le choix urbanistique des autorités communales serait justifié, de sorte que celles-ci n’aurait commis ni d’excès de pouvoir, ni de violation de la loi, ni d’erreur de fait, ni d’erreur manifeste d’appréciation.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs font valoir, en substance, que les façades des immeubles concernés seraient dépourvues de tout intérêt architectural ou artistique, à l’exception de celle de l’immeuble dit « …. », qui ferait partie du « secteur protégé – Plateau Bourbon – Quartier de la Gare », de sorte à être étranger au présent litige. Ils font valoir que les parties défenderesses ne feraient que paraphraser – à travers d’élégantes formulations et en s’appuyant sur les déclarations de leurs propres préposés, et non pas sur une expertise indépendante et impartiale – leur propre position selon laquelle l’unique intérêt des immeubles litigieux serait leur ancienneté. Ils insistent sur l’absence d’harmonie qui caractériserait l’…..et qui résulterait d’une juxtaposition, sur toute la longueur de l’avenue et des deux côtés de celle-

ci, entre immeubles anciens peu élevés et immeubles modernes à huit étages, donnant à ladite avenue un aspect global « (…) en dents de scie (…) ». Face au double constat selon lequel, d’une part, il serait inconcevable d’imposer la destruction des grands immeubles modernes pour ressusciter ensuite les petits immeubles d’antan et, d’autre part, la dysharmonie actuelle, l’état de délabrement général des immeubles anciens et la perte considérable de surfaces habitables ou exploitables à des fins commerciales en résultant se heurteraient à l’intérêt général, la seule solution raisonnable consisterait à permettre la destruction des immeubles anciens et à imposer certaines normes destinées à garantir que les constructions nouvelles les remplaçant présenteraient, de par leur hauteur et leur style, un aspect harmonieux avec les constructions modernes du voisinage. Une solution alternative serait celle de permettre le remplacement des immeubles anciens par des constructions nouvelles avec des façades nouvelles, à condition que 24celles-ci présentent l’aspect extérieur des immeubles anciens tout en s’intégrant par leur hauteur aux immeubles modernes actuels.

Dans son mémoire en duplique, l’administration communale soutient que l’état d’abandon ou de délabrement de leurs immeubles, tel qu’invoqué par les demandeurs, serait sans lien avec le classement litigieux, qui serait d’ailleurs récent, mais serait le résultat d’un choix délibéré des intéressés de laisser dépérir ces bâtiments dans un but de spéculation non autrement identifié. Par ailleurs, à travers leurs développements ayant trait à une erreur manifeste d’appréciation, les demandeurs se limiteraient à fournir leur avis de ce que devraient être les choix urbanistiques des autorités communales.

Le tribunal précise que les autorités communales, lorsqu’elles initient des modifications de leurs plans d’aménagement, doivent être mues par des considérations légales d’ordre urbanistique ayant trait à l’aménagement des agglomérations et d’ordre politique tirées de l’organisation de la vie en commun sur le territoire donné, tendant les unes et les autres à une finalité d’intérêt général et dans ce contexte, lesdites autorités doivent veiller tant à la conservation de l’esthétique urbaine qu’au développement rationnel des agglomérations.16 Dans ce contexte, la mission du juge de la légalité conférée au tribunal à travers l’article 7 de la loi précitée du 7 novembre 1996 exclut le contrôle des considérations d’opportunité et notamment d’ordre politique, à la base de l’acte administratif attaqué et inclut la vérification, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, de ce que les faits et considérations sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute.

Dès lors, le tribunal est amené à analyser si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits dont l’existence est vérifiée, une erreur d’appréciation étant susceptible d’être sanctionnée dans la mesure où elle est manifeste, au cas notamment où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité17.

S’il est partant certes vrai que le choix d’entériner ou de ne pas entériner la modification d’un PAG relève d’une dimension politique et échappe comme tel au contrôle des juridictions de l’ordre administratif saisies d’un recours en annulation, il n’en demeure pas moins que tout acte administratif doit reposer sur un motif dont le juge administratif vérifie tant l’existence que la légalité. Cette exigence découle du fait que le juge administratif a l’obligation de vérifier si les autorités administratives compétentes n’ont pas violé la loi, commis un excès de pouvoir ou un détournement de pouvoir et cette obligation de motivation existe également pour les actes à caractère réglementaire qui, quoique discrétionnaires, doivent être pris dans l’intérêt général, de sorte qu’il importe que les autorités administratives compétentes fassent connaître le ou les motifs qui les ont guidées dans leur décision, le contrôle exercé par le juge de l’annulation ne portant dès lors pas sur l’opportunité, mais sur la réalité et la légalité des motifs avancés18.

Au vu des photographies reproduites dans le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, le tribunal constate que compte tenu de leur aspect extérieur et, notamment, de leurs gabarits analogues et du style similaire de leurs façades, les immeubles situées aux numéros …, …. et … de l’…..– l’immeuble sis au numéro … n’étant pas affecté par le classement litigieux – sont à considérer comme formant un tronçon de rue constituant, de par 16 Trib. adm., 20 octobre 2004, n° 17604 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Urbanisme, n° 161 et les autres référence y citées.

17 Trib. adm., 27 décembre 2007, n° 22243 du rôle, confirmé par Cour adm. 23 juillet 2008, n° 24055C du rôle, Pas.

adm. 2016, V° Urbanisme, n°177 et les autres références y citées.

18 Trib. adm. 23 mars 2005, n° 18463 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Urbanisme, n° 546 et l’autre référence y citée.

25son caractère harmonieux et de par sa composition urbaine, un ensemble cohérent, conformément à la définition des « ensembles sensibles », telle qu’inscrite à l’article C.7.1 de la partie écrite du PAG. Compte tenu de ces mêmes éléments, ainsi que des explications du délégué du gouvernement selon lesquelles l’architecture de ce tronçon de rue est typique de l’ancien quartier de la gare, le tribunal retient que les autorités communales et de tutelle ont valablement, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation et conformément aux objectifs d’intérêt général d’un développement harmonieux des structures urbaines et de la protection du patrimoine culturel, au sens de l’article 2 (b) et (e) de la loi du 19 juillet 2004, pu procéder au classement litigieux, afin de protéger la cohérence de cet ensemble et l’image urbaine qui en découle.

Même à supposer qu’eu égard aux contraintes en résultant, ce classement devrait entraîner une perte de surfaces potentiellement exploitables à des fins commerciales ou de logement, tel que soutenu par les demandeurs, l’argumentation afférente de ces derniers revient à critiquer un choix politique de la part des autorités communales et de tutelle, à savoir celui de privilégier l’objectif d’intérêt général de la protection du patrimoine culturel à celui de la création ou du maintien de logements ou de surfaces commerciales. Or, dans la mesure où le tribunal vient de préciser que la mission du juge de la légalité lui conférée à travers l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996 exclut le contrôle des considérations d’opportunité et notamment d’ordre politique, l’argumentation en question encourt le rejet. Pour le même motif, cette conclusion s’impose également en ce qui concerne les développements des demandeurs quant à l’existence de solutions alternatives au classement litigieux.

Quant aux conséquences préjudiciables résultant, pour la collectivité, d’un état de délabrement progressif des bâtiments en question, le tribunal, à l’instar de l’administration communale, retient que l’état de ces bâtiments est imputable aux propriétaires concernés eux-

mêmes et ne produit aucun effet sur la légalité des décisions déférées, de sorte qu’il ne saurait justifier l’annulation de celles-ci.

Il suit de l’ensemble des considérations que le moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, respectivement d’une atteinte à l’intérêt général est à rejeter pour ne pas être fondé.

(3) Quant à une violation de l’article 1er du premier Protocole Les demandeurs invoquent encore une violation de l’article 1er du premier Protocole. Ils soutiennent que le respect de cette disposition exigerait que toute restriction portée au droit de propriété, même s’il s’agissait de la limitation de l’usage d’un bien, devrait résulter d’une loi, qui devrait être accessible et précise. En second lieu, la restriction, qui devrait être d’interprétation strict, devrait être dictée par l’intérêt général. En présence d’une restriction apportée au droit de propriété, les juridictions nationales devraient vérifier le respect du principe de proportionnalité, plus particulièrement l’existence d’un juste équilibre entre les exigences d’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits de l’individu. Les demandeurs soutiennent qu’en l’espèce, le classement de leurs immeubles comme faisant partie des « ensembles sensibles » ne résulterait pas d’une loi, mais d’une résolution du conseil communal. Par ailleurs, la nature et l’étendue de la restriction ne seraient définies nulle part de manière précise et dépendraient « du bon plaisir » du bourgmestre, de sorte qu’ils ne disposeraient pas de renseignements suffisants sur les normes juridiques applicables à leur cas et ne seraient pas à même de prévoir les conséquences des actes attaqués. Dès lors, la restriction de leur droit de propriété ne résulterait pas d’un texte d’application générale accessible et précis, contrairement aux exigences découlant de l’article 1er du premier Protocole. Par ailleurs, ladite restriction ne serait pas justifiée par des considérations 26d’intérêt général, étant donné que s’il se dégage des « (…) déclarations officielles (…) » que l’intérêt général résiderait dans le souci de préserver un aspect harmonieux des immeubles dans l’avenue de la Gare, cet aspect harmonieux serait inexistant, les demandeurs renvoyant, sur ce point, à la susdite interview du bourgmestre de la Ville de Luxembourg, publiée dans le Luxemburger Wort le 9 juillet 2015. A fortiori, l’impératif de l’existence d’un juste équilibre entre la poursuite de l’intérêt général et la sauvegarde du droit de propriété n’aurait pas été respecté en l’espèce, étant donné que les demandeurs seraient dans l’incertitude « (…) la plus absolue (…) » quant aux limites de leur droit de disposer de leur bien et qu’ils ne pourraient plus modifier l’aspect extérieur de leurs immeubles, ce qui leur causerait un préjudice financier considérable, en ce que la valeur de ces immeubles serait réduite de moitié. Les demandeurs ajoutent que le classement litigieux de leurs immeubles porterait encore atteinte à d’autres intérêts, dont celui de disposer, dans le centre-ville, de surfaces exploitables à des fins de logement ou d’activités commerciales, voire celui d’éviter la présence, dans le quartier de la gare, de bâtisses inoccupées, délabrées et insalubres. Par ailleurs, cette atteinte à leur droit de propriété n’aurait été compensée par aucune indemnité.

Tant le délégué du gouvernement que l’administration communale concluent au rejet de ce moyen en invoquant, mutatis mutandis, les mêmes arguments que ceux qu’ils ont développés quant au moyen des demandeurs ayant trait à une violation de l’article 16 de la Constitution, l’administration communale soulignant encore que l’article 1er du premier Protocole viserait la privation de propriété et préciserait qu’il ne serait pas porté atteinte au droit des Etats membres de réglementer l’usage des biens.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs font valoir, en substance, que même si les décisions déférées n’étaient pas à considérer comme étant équivalentes à une expropriation, visée par l’alinéa 1er de l’article 1er du premier Protocole, elles seraient néanmoins contraires aux exigences du deuxième alinéa de cet article, visant la réglementation de l’usage des biens. A cet égard, ils soutiennent qu’à l’instar de l’expropriation, les restrictions de l’usage des biens devraient répondre aux exigences découlant de la première phrase dudit article et au contrôle de proportionnalité, tel qu’imposé par la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », les demandeurs se prévalant, plus particulièrement, de l’arrêt Chassagnou et autres c. France de celle-ci du 29 avril 1999, dont il se dégagerait qu’il incomberait au juge national de contrôler si la mesure critiquée poursuit un but légitime d’intérêt général et si l’ingérence qu’elle instituerait ne place pas les propriétaires concernés dans une situation rompant le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l’intérêt général. A défaut de ce juste équilibre, il y aurait lieu de constater que ces propriétaires devraient supporter une charge excessive qui ne se justifierait pas sous l’angle du second alinéa de l’article 1er du premier Protocole. Dans l’appréciation de l’existence d’un juste équilibre, les juges européens tiendraient compte de plusieurs facteurs et, notamment, de l’étendue des restrictions imposées, de par leur nature et leurs conséquences sur la personne et le patrimoine du requérant, de la durée d’application de ces restrictions et de l’existence ou non d’une juste indemnisation du préjudice subi.

En l’espèce, les décisions déférées se heurteraient à l’intérêt général, les demandeurs renvoyant, sur ce point, à leur argumentation développée dans le cadre de leur moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation. Par ailleurs, de par leur étendue, leur caractère illimité dans le temps et l’absence de toute indemnisation, les contraintes leur imposées par les décisions déférées constitueraient des charges excessives injustifiées sous l’angle du second alinéa de l’article 1er du premier Protocole. En effet, le classement litigieux de leurs immeubles ne serait pas limité dans le temps et leur imposerait, sans indemnisation ni compensation aucune, l’obligation de maintenir tout ce qui aurait trait à l’aspect extérieur desdits immeubles. Ceci leur causerait un 27préjudice financier important, compte tenu de la moins-value de leurs immeubles qui en résulterait, ainsi que de la nécessité d’exposer des frais démesurés afin de rendre ces immeubles habitables ou exploitables. A cet égard, ils renvoient à un rapport d’expertise établi le 30 juin 2016 par l’expert en bâtiments …., qui aurait évalué à 2,5 millions d’euros la moins-value affectant l’immeuble situé au numéro …., ainsi qu’à un état des lieux dressé par ce même expert. Ils insistent encore sur le fait que les parties défenderesses seraient restées en défaut de faire valoir un texte légal définissant avec un minimum de précision la nature et l’ampleur des restrictions découlant du classement litigieux, de sorte qu’ils devraient se fier aux déclarations des responsables communaux, aux termes desquelles tout ce qui concernerait l’aspect extérieur des bâtiments devrait être maintenu.

En tout état de cause, ils seraient exposés à une incertitude totale quant aux limites de leur droit de disposition. Cette incertitude serait illustrée par le fait que le délégué du gouvernement et l’administration communale se seraient, dans le cadre de leurs écrits respectifs, contredits quant à la question de savoir si les bâtiments classés en « zone protégés – ensembles sensibles » pourraient être détruits pour être remplacés par des constructions nouvelles.

L’article 1er du premier Protocole est libellé comme suit :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition prévoit deux types de limites au droit de propriété, à savoir, en son alinéa 1er, l’expropriation et, en son alinéa 2, la réglementation de l’usage des biens.

Etant donné que le tribunal vient de retenir, dans le cadre de l’analyse du moyen tiré de la violation de l’article 16 de la Constitution, que le classement litigieux des immeubles des demandeurs n’est pas équivalent à une expropriation, le moyen sous analyse encourt le rejet pour autant qu’il a trait à une privation de propriété contraire à l’alinéa 1er du premier Protocole.

Dans la mesure où ledit classement correspond à une limitation de l’usage des biens immobiliers en question, il y a lieu d’analyser si cette limitation est conforme aux exigences de l’alinéa 2 de l’article 1er du premier Protocole, tel qu’interprété par la CourEDH.

Il ressort du libellé même de l’article 1er, alinéa 2 du premier Protocole qu’une restriction de l’usage de la propriété doit être prévue par la loi, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, d’après les demandeurs.

Il se dégage de la jurisprudence constante de la CourEDH, que la « loi », au sens de la CEDH, ne vise pas une loi au sens formel du terme, tel que suggéré par les demandeurs, mais englobe le droit écrit et le droit non écrit et qu’une ingérence est « prévue par la loi », si elle a une base en droit interne. Il faut encore que la « loi » soit suffisamment accessible: le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné. En second lieu, on ne peut considérer comme une « loi » qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite. En s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un 28degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé.19 Le tribunal ne partage pas l’argumentation des demandeurs selon laquelle, en l’espèce, les restrictions portées à leur droit de propriété ne seraient pas prévues par la « loi », au sens de la jurisprudence de la CourEDH, au motif que leur nature et leur étendue ne seraient définies nulle part. En effet, les servitudes urbanistiques applicables aux « ensembles sensibles » sont définies aux articles C.0 et C.7 de la partie écrite du PAG – lequel constitue un acte à caractère normatif adopté conformément au cadre juridique tracé, notamment, par la Constitution et par les lois des 12 juin 1937 et 19 juillet 2004 –, ainsi que dans le cadre des « conditions spéciales applicables aux ensembles sensibles », qui correspondent à un acte réglementaire adopté par le collège échevinal sur base de l’article C.7.3 de ladite partie écrite et de l’article 57 de la loi du 12 juin 1937. Ainsi, l’ingérence dans le droit de propriété a une base en droit interne. Par ailleurs, la « loi » qui prévoit les restrictions litigieuses de ce droit est suffisamment accessible, compte tenu, d’une part, de la publication au Mémorial de l’ensemble des textes normatifs sur base desquels le PAG, ainsi que lesdites « conditions spéciales » ont été adoptés, et, d’autre part, du fait qu’en vertu de l’article 82 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, le texte des règlements du conseil communal ou du collège échevinal, tels que le PAG et lesdites « conditions spéciales », « (…) est à la disposition du public, à la maison communale, où il peut en être pris copie sans déplacement, le cas échéant contre remboursement (…) ». Quant au critère de précision, s’il est exact que le libellé dudit article C.7 peut susciter un besoin d’interprétation quant à la question de savoir si une démolition des immeubles concernés est autorisable, cette circonstance n’est pas de nature à emporter une violation de l’alinéa 2 de l’article 1er du premier Protocole, étant donné que ce libellé n’est pas d’une imprécision telle qu’une interprétation par l’administré, assisté, le cas échéant, d’un professionnel du droit, s’avérerait impossible – le tribunal venant justement d’y procéder. De même, le simple fait que cet article confère un certain pouvoir d’appréciation au bourgmestre, saisi d’une demande d’autorisation de construire, quant aux critères ayant trait à une intégration harmonieuse des constructions dans l’ensemble des constructions voisines existantes et au respect du caractère du quartier, n’est pas non plus de nature à violer l’article 1er, alinéa 2 du premier Protocole, étant donné que ces critères ne sont pas imprécis à tel point que l’administré, assisté, le cas échéant d’un conseil éclairé, ne pourrait pas prévoir, à un degré raisonnable, leur incidence sur un projet de construction donné, une prévisibilité absolue n’étant pas requise par la jurisprudence de la CourEDH. Le tribunal déduit de ces considérations que les restrictions litigieuses portées au droit de propriété des demandeurs résultent d’une « loi » suffisamment précise et accessible, conformément aux exigences se dégageant de la jurisprudence de la CourEDH.

Par ailleurs, la condition selon laquelle une réglementation de l’usage des biens doit être conforme à l’intérêt général, telle qu’inscrite à l’alinéa 2 de l’article 1er du premier Protocole, est également remplie en l’espèce, le tribunal venant de retenir que les décisions déférées répondent à une finalité d’intérêt général, à savoir la protection du patrimoine culturel et la poursuite d’un développement harmonieux des structures urbaines, de sorte que les contestations afférentes des demandeurs sont à rejeter.

Il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que c’est à juste titre que les demandeurs soutiennent qu’à l’instar d’une privation de la propriété, une restriction de l’usage des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. Ainsi, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En contrôlant le respect de cette 19 Voir, entre autres : CourEDH, 2 août 1984, affaire Malone c. Royaume-Uni, Requête n° 8691/79, n° 66.

29exigence, la CourEDH reconnaît à l’Etat concerné une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause.20 Les demandeurs font valoir que ce « juste équilibre » ferait défaut en l’espèce, compte tenu du préjudice financier leur causé par les décisions déférées et de l’absence de compensation de la perte ainsi subie. A cet égard, ils se réfèrent à des rapports d’expertise versés en cause.

Le tribunal relève en premier lieu qu’en principe, l’existence d’une compensation financière n’est une condition au respect du « juste équilibre » requis entre l’intérêt général de la collectivité et l’intérêt individuel que pour la seule privation de biens et non en cas de réglementation de l’usage des biens. L’absence d’indemnisation ne saurait constituer à elle seule une mesure disproportionnée.21 Le tribunal constate ensuite que dans ses rapports d’expertise du 30 juin 2016, l’expert …. a évalué à 2,5 millions d’euros, respectivement à 2,8 millions d’euros le manque à gagner résultant du classement des immeubles sis aux numéros .… et .… de l’…..en « zone protégée – ensembles sensibles », au motif que « (…) la réalisation d’une nouvelle construction à huit niveaux ne sera plus autorisée. La dépréciation de l’immeuble revient donc à une perte de l’équivalent de quatre niveaux et de pouvoir participer à un projet immobilier fonctionnel adapté aux besoins et standards actuels conforme aux standards et normes de sécurité et de consommation énergétique (…) ».

Or, outre le fait que l’expert lui-même relativise ses propos en affirmant qu’« [u]niquement un projet architectural concret pourrait déterminer les quantités exactes des surfaces utiles supplémentaires par rapport à la situation actuelle », le tribunal vient de retenir qu’en principe, le classement d’un immeuble en « zone protégée – ensembles sensibles » permet une démolition de l’immeuble concerné, suivie de sa reconstruction, voire de la construction d’un nouveau bâtiment respectant les conditions de l’article C.7.2 de la partie écrite, ainsi que les conditions spéciales édictées en vertu de l’article C.7.3 de celle-ci. Par ailleurs, l’article C.7.2 précise expressément que les « ensembles sensibles » restent soumis aux dispositions normales régissant les secteurs dans lesquels ils sont classés. Il est constant en cause que les immeubles des demandeurs sont classés en « zone mixte 8 ». Aux termes de l’article B.3.3.b) de la partie écrite du PAG, « Les constructions situées en zones mixtes 8 ne peuvent comporter plus de huit niveaux pleins. ». Par conséquent, la réalisation d’un immeuble à huit étages, dans le cadre soit d’une reconstruction, voire d’une nouvelle construction, soit d’un exhaussement demeure a priori possible, de sorte que les calculs de l’expert, basés sur « (…) une perte de l’équivalent de quatre niveaux (…) », reposent sur une prémisse inexacte.

Dès lors, s’il est exact que les contraintes résultant des articles C.0, C.7.2 et C.7.3 de la partie écrite du PAG – dont notamment l’exigence d’une intégration harmonieuse des constructions ou reconstructions dans l’ensemble des constructions voisines existantes, en respectant le caractère du quartier, ainsi que celle du maintien des marges de reculement latérales et du parcellaire –, limitent indéniablement la liberté des demandeurs de réaliser les projets immobiliers de leur choix, les intéressés peuvent néanmoins toujours user de leurs biens 20 CourEDH, Grande Chambre, 29 avril 1999, Affaire Chassagnou et autres c. France, Requêtes nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, n° 75.

21 JurisClasseur Europe Traité, Fasc. 6523 : CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME -

Droits garantis - Droit de propriété et droit à la non-discrimination, à jour au 29 Février 2016, n° 80 et les jurisprudences y citées.

30et les mettre en valeur, de sorte que le tribunal ne saurait constater de rupture du juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu.

Il n’y a, dès lors, pas eu de violation des exigences de l’alinéa 2 de l’article 1er du premier Protocole, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs.

Il suit des considérations qui précèdent que le moyen tiré d’une violation de l’article 1er du premier Protocole est à rejeter dans chacune de ses branches.

(4) Quant à une rupture de l’égalité devant les charges publiques Les demandeurs font encore valoir que le classement litigieux de leurs immeubles entraînerait une rupture de l’égalité devant les charges publiques, dans la mesure où la plupart des maisons environnantes auraient été démolies et remplacées par des résidences à huit ou neuf étages, respectivement par de grands centres commerciaux, et que ce droit leur serait dorénavant dénié, de sorte qu’ils devraient « (…) payer pour les erreurs commises dans le passé (…) ». Les charges qui seraient ainsi imposées à certains immeubles de l’…..seraient disproportionnées par rapport à l’utilité publique à la base des servitudes découlant de ce classement, qui constituerait une grave entrave au droit de propriété. En effet, il s’agirait d’une « (…) décision incisive par rapport [à leur] droit (…) d’user pleinement de leur propriété par rapport aux immeubles voisins (…) », de sorte que le principe d’une compensation financière devrait être acquis. Ainsi, ledit classement leur causerait « (…) de façon inattendue et involontaire (…) » un préjudice excédant la charge incombant normalement aux autres individus de la collectivité. Les demandeurs donnent encore à considérer que dans la mesure où tous les effets du classement de leurs immeubles en « zone protégée – ensembles sensibles » ne seraient pas prévisibles, il serait désormais impossible d’élaborer un projet immobilier. Dans ce contexte, les demandeurs s’interrogent quant à la question de savoir s’ils pourraient construire « (…) 8 étages plus un étage en retrait, à l’instar de plusieurs immeubles avoisinants présentant également ces gabarits et hauteurs (…) ». Par ailleurs, le critère d’intégration harmonieuse dans le quartier laisserait planer des incertitudes quant aux projets réalisables, étant donné que leurs immeubles seraient entourés de constructions présentant un caractère hétérogène au niveau tant de leur style que de leur gabarit. Une telle incertitude aboutirait à l’arbitraire, ce qui serait inadmissible dans un Etat de droit. En conclusion, ils soutiennent avoir subi un dommage spécial équivalent à la perte d’une chance de réaliser un projet immobilier, tout en donnant à considérer que ce dommage devrait être indemnisé.

L’administration communale conclut au rejet du moyen tiré d’une violation du principe de l’égalité devant les charges publiques, en faisant valoir qu’il ressortirait de la jurisprudence des juridictions administratives que les différences de traitement résultant d’une règlementation urbanistique soumettant des immeubles à des « (…) règles d’affectation ou de construction (…) » divergeant en fonction de la situation des immeubles concernés seraient inhérentes à la nature de tout document d’urbanisme et ne contreviendraient pas au principe de l’égalité devant la loi, lequel n’interdirait pas des différences de traitement fondées sur des critères objectifs et en rapport avec l’objet de la réglementation d’urbanisme ou avec le but que celle-ci pourrait légalement poursuivre.

Par ailleurs, l’argumentation des demandeurs quant à l’absence de prévisibilité des conséquences découlant du classement litigieux de leurs immeubles traduirait plutôt une crainte qu’un moyen juridique et les intéressés seraient libres de contacter les responsables de la Ville de Luxembourg pour discuter d’un projet concret. Dans ce contexte, l’administration communale insiste sur le fait que les immeubles en question resteraient classés en « zone mixte 8 » et que les règles découlant de ce classement s’appliqueraient de manière cumulatives avec celles découlant du classement en « zone protégée – ensembles sensibles ».

31 Le délégué du gouvernement n’a pas pris position quant au moyen tiré de la violation du principe de l’égalité devant les charges publiques.

Le principe de l’égalité devant les charges publiques fait partie de la légalité et doit partant être observé par l’autorité administrative dans son action. Les règlements communaux doivent être pris à la fois dans l’intérêt général et dans l’intérêt communal, de même qu’ils sont appelés à respecter la loi considérée non seulement dans ses dispositions législatives proprement dites, mais également dans les textes et principes de la Constitution. Lorsque le pouvoir réglementaire communal, à l’instar de la loi, poursuit un objectif d’intérêt général, il peut arriver qu’il soit amené à édicter des mesures susceptibles de poser à un ou plusieurs citoyens, se trouvant entre eux dans la même situation, un préjudice spécial et grave. Le pouvoir réglementaire communal peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes réglementaires différents à la condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but.22 En l’espèce, les demandeurs ne soutiennent pas que le PAG, tel que modifié par les décisions déférées, traiterait, sans motif légitime, de façon différente des catégories de personnes se trouvant dans une situation identique ou comparable. Ainsi, ils ne font pas valoir que d’autres immeubles comparables à leurs propres immeubles n’auraient pas été classés en « zone protégée – ensembles sensibles ». Leur argumentation consiste, au contraire, à dire que dans la mesure où, dans le passé, des immeubles ayant présenté une situation géographique et des caractéristiques similaires à celles de leurs propres biens auraient pu être détruits et remplacés par des constructions nouvelles, alors qu’à l’époque, ces immeubles n’auraient pas été classés en « zone protégée – ensembles sensibles », les autorités communales n’auraient pas pu procéder au classement litigieux de leurs immeubles, sous peine de violer le principe constitutionnel d’égalité.

Or, si ce principe interdit le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée, il n’interdit néanmoins pas le changement, pour le futur, du traitement réservé à un type de situation. Admettre le contraire reviendrait à empêcher toute modification de la réglementation existante et, au niveau de l’urbanisme, à mettre à néant le principe de la mutabilité des PAG, expressément reconnu par la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 4 octobre 2013, portant le numéro 00101 du registre.

Il s’ensuit que le fait que, dans le passé, des immeubles comparables à ceux des demandeurs n’aient pas été soumis aux servitudes applicables aux « ensembles sensibles » n’est pas de nature à justifier l’annulation des décisions déférées, pour méconnaissance du principe constitutionnel d’égalité. Le moyen tiré d’une violation de ce principe encourt, dès lors, le rejet.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation des demandeurs selon laquelle ils devraient disposer d’un droit à indemnisation, eu égard à la disproportion existant entre l’utilité publique et les charges qu’ils devraient supporter du fait des servitudes d’urbanisme frappant leur propriété. A cet égard, le tribunal rappelle qu’il vient de conclure à l’absence d’atteinte disproportionnée au droit de propriété des demandeurs, de sorte que sous cet angle, l’argumentation sous analyse encourt le rejet. Par ailleurs, le tribunal relève que dans le susdit arrêt du 4 octobre 2013, la Cour constitutionnelle, saisie de la question de la conformité à l’article 16 de la Constitution de la loi du 19 juillet 2004, dans la mesure où elle permet, par la modification du PAG, le reclassement sans indemnisation de terrains d’une zone constructible 22 Trib. adm., 8 octobre 2001, n° 13445 du rôle, confirmé par Cour adm., 7 mai 2002, n° 14197C du rôle, Pas. adm.

2016, V° Actes réglementaires, n° 72.

32en terrains d’une zone non constructible, a expressément reconnu le droit des pouvoirs publics d’instaurer des servitudes d’urbanisme dans un but d’utilité publique, ainsi que le principe de la mutabilité des PAG et a précisé que le juge administratif n’est pas autorisé à sanctionner un reclassement d’un terrain précédemment classé en zone constructible en zone non constructible, tout en relevant que « (…) les propriétaires touchés peuvent en revanche, conformément au droit commun, suivant la situation concrète du cas d’espèce, le cas échéant faire valoir devant le juge judiciaire un droit à indemnisation dépendant, notamment, de la situation du terrain, du caractère contraignant de la servitude et des projets concrets de viabilisation du terrain (…) ».

Il se dégage de cet arrêt que le tribunal ne saurait sanctionner le classement litigieux des immeubles des demandeurs, au motif de l’absence d’indemnisation de ses conséquences pécuniaires, et qu’il est loisible aux demandeurs de faire valoir leurs prétentions indemnitaires devant le juge judiciaire, seul compétent en la matière, auquel il appartiendra alors de faire la balance entre les servitudes imposées et l’utilité publique à leur base23.

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens, le tribunal conclut que le recours tendant à l’annulation des décisions du conseil communal du 13 juillet 2015 et du ministre du 23 novembre 2015 est à rejeter pour ne pas être fondé.

Eu égard à l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande des consorts …..

tendant à l’obtention d’une indemnité de procédure de 3.000 euros, sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours irrecevable pour autant qu’il vise la délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 26 janvier 2015 « approuvant provisoirement » le projet de modification ponctuelle du plan d’aménagement général de la Ville de Luxembourg ;

déclare irrecevable le recours en annulation introduit à l’encontre de la délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 13 juillet 2015 et de la décision du ministre de l’Intérieur du 23 novembre 2015, pour autant qu’il a été introduit par Madame ….. ;

pour le surplus, reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 3.000 euros, telle que formulée par les demandeurs ;

condamne les demandeurs aux frais.

23 Voir, sur ce dernier point : Cour adm., 18 décembre 2014, n° 34916C du rôle, cité in R. Ergec et F. Delaporte, Contentieux administratif luxembourgeois, Pas. adm. 2016, n° 274bis.

33Ainsi jugé par:

Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 25 septembre 2017 par le vice-président, en présence du greffier Goreti Pinto s. Goreti Pinto s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 septembre 2017 Le Greffier du Tribunal administratif 34


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 37638
Date de la décision : 25/09/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-09-25;37638 ?

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