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15/09/2017 | LUXEMBOURG | N°40145

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 septembre 2017, 40145


Tribunal administratif Numéro 40145 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 septembre 2017 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 15 septembre 2017 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 22, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40145 du rôle et déposée le 6 septembre 2017 au greffe du tribunal administratif par

Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoca...

Tribunal administratif Numéro 40145 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 septembre 2017 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 15 septembre 2017 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 22, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40145 du rôle et déposée le 6 septembre 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, déclarant être né le … (Iraq) et être de nationalité iraquienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’un arrêté du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 août 2017 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 septembre 2017 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2017 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, au nom du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 13 septembre 2017.

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Le 14 août 2017, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur …», introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale, au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Une recherche effectuée le même jour dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur …avait introduit des demandes de protection internationale en Hongrie le 4 juin 2015, en Allemagne le 1er juillet 2015, en France le 2 mai 2016, aux Pays-Bas le 17 février 2017 et au Danemark le 17 mai 2017.

Par arrêté du 14 août 2017, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », sur base des articles 22, paragraphe (2), point d) et 22, paragraphe (3), points a), b) et c) de la loi du 18 décembre 2015, assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg sise à L-… pour une durée de trois mois, avec l’obligation de se présenter durant cette période quotidiennement à 20.00 heures du soir et à 8.00 heures du matin à la réception de ladite structure, tout en l’informant qu’en cas de non-

respect de cette obligation ou en cas de risque de fuite, ladite mesure sera révoquée et son placement en rétention sera ordonnée, tel que prévu par l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015.

Aux termes d’un document émis par les responsables de ladite structure d’hébergement, Monsieur …a disparu depuis le jour même de la notification du susdit arrêté ministériel du 14 août 2017.

Il ressort d’un procès-verbal de la police grand-ducale, Circonscription régionale Luxembourg, CI Luxembourg – Groupe Gare, du 23 août 2017, portant le numéro de référence 53756, que le 22 août 2017, Monsieur …fut appréhendé par les forces de l’ordre en l’absence de tout document d’identité, et que, pour des raisons informatiques, un placement en rétention de l’intéressé s’avéra impossible, de sorte qu’il put quitter le commissariat de police, après avoir été invité à se présenter au ministère le lendemain.

Il se dégage du même procès-verbal que le 23 août 2017, Monsieur …se présenta ainsi audit commissariat de police.

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre ordonna le placement en rétention de Monsieur …pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté ministériel étant fondé sur les considérations et les motifs suivants :

« (…) Vu l'article 22 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport N°53756 du 23 août 2017 établi par la Police Grand-Ducale, CI Luxembourg-Groupe Gare;

Vu mon arrêté du 14 août 2017, notifié le 14 août 2017, assignant l'intéressé à résidence ;

Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l'article 22, (3), point a) ne peut être efficacement appliquée, alors que le demandeur ne dispose d'aucun document d'identité et de voyage valable ;

Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l'article 22, (3), point b) ne peut être efficacement appliquée, alors que le demandeur ne présente pas des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite ;

Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l'article 22, (3), point c) ne peut être efficacement appliquée, alors que le demandeur n'est pas en mesure de déposer une garantie financière d'un montant de cinq mille euros ;

Attendu que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 22, paragraphe (3), points a), b) et c) susmentionnées de la loi du 18 décembre 2015 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Attendu qu'il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de l'intéressé comme défini à l'article 22, (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 précitée ;

Par conséquent la décision de placement s'avère nécessaire ;

Considérant que l'intéressé a introduit une demande de protection internationale au Luxembourg ;

Considérant qu'il est signalé au système EURODAC comme ayant introduit une demande de protection internationale en Hongrie, une en Allemagne, une en France, une aux Pays-Bas et une au Danemark ;

Considérant qu'une demande de reprise en charge en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 sera adressée aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;

Considérant qu'il est établi que le demandeur a l'intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d'éloignement vers le pays responsable de sa demande de protection internationale ; (…) ».

Le 28 août 2017, les autorités luxembourgeoises adressèrent aux autorités allemandes une demande de reprise en charge de Monsieur …en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III », demande à laquelle lesdites autorités firent droit, aux termes d’un courrier du 31 août 2017.

Le 1er septembre 2017, le ministre, sur base de la considération selon laquelle, d’une part, l’intéressé avait déposé une demande de protection internationale en Allemagne le 1er juillet 2015 et, d’autre part, en date du 31 août 2017, les autorités allemandes ont accepté de prendre, respectivement de reprendre en charge l’examen de sa demande d’asile, informa Monsieur …de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne, sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2017, Monsieur …a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 23 août 2017 ayant ordonné son placement en rétention pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification.

Dans la mesure où l’article 22, paragraphe (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de l’arrêté ministériel déféré du 23 août 2017.

En droit, après avoir cité les articles 120 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », ainsi que l’article 15, paragraphe (1) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115 », de même que le considérant n° 16 de ladite directive, le demandeur soutient que la légalité d’une mesure de rétention administrative devrait « (…) s’inscrire dans un contexte permettant d’établir l’existence d’un risque non négligeable de fuite apprécié à la lumière de la situation individuelle de l’étranger, ainsi que le caractère proportionné d’un placement en rétention basé sur ce premier critère et l’inexistence de mesures adéquates moins coercitives (…) », pour soutenir qu’en l’espèce, ce serait à tort que le ministre n’aurait pas recouru à une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, tout en précisant que compte tenu de sa qualité de ressortissant iraquien d’ethnie kurde ayant déposé une demande de protection internationale et de son état de santé psychique, il ne devrait pas être soumis à une mesure de placement en rétention, conformément aux dispositions de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et aux recommandations de l’UNHCR.

Par ailleurs, le demandeur soutient qu’il ne présenterait aucun danger pour l’ordre public, de sorte que la mesure litigieuse équivaudrait à une atteinte injustifiée à sa liberté.

Après avoir rappelé que le tribunal devrait apprécier la légalité de la mesure prise au jour de son jugement, et plus particulièrement au regard des diligences entreprises à cette date afin d’écourter au maximum sa privation de liberté, le demandeur déclare encore qu’au moment de la rédaction de la requête introductive d’instance, il lui aurait été impossible de connaître par avance l’étendue exacte des diligences entreprises par l’autorité luxembourgeoise au jour de la prise en délibéré de l’affaire, de sorte qu’il se rapporterait à prudence de justice quant à ce moyen.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur soutient que le port de menottes lui imposé au cours de son transport vers le Centre de rétention, mais aussi dans le cadre de son transfert ultérieur vers l’Allemagne serait de nature à « (…) l’humilier gravement devant autrui et à le soumettre à un discrédit social (…) », de sorte à être constitutif d’un traitement inhumain et dégradant, contraire aux articles 3 et 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ». De ce fait, la décision déférée devrait encourir l’annulation.

Monsieur …fait encore plaider, en substance, que dans la mesure où il aurait informé le ministre, tant oralement que par courrier de son litismandataire du 8 septembre 2017, du fait qu’il n’entendait pas exercer de recours à l’encontre de la décision ministérielle du 1er septembre 2017 « (…) déclarant sa demande irrecevable (…) », il ne serait plus à qualifier de demandeur de protection internationale, au sens de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, mais serait à considérer comme étant un étranger en situation irrégulière, au sens des articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, de sorte que son placement en rétention sur base de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 ne saurait être maintenu.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, sur base duquel la décision déférée a été prise en l’occurrence, « Un demandeur ne peut être placé en rétention que :

(…) d) conformément à l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride et lorsqu’il existe un risque de fuite basé sur un faisceau de circonstances établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement ; (…) ».

En vertu de l’article 22, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, « La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquelles elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. (…) ».

L’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, qui renvoie à l’article 28 du règlement Dublin III, permet dès lors de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative pour une durée maximale de trois mois en vue de garantir les procédures de transfert prévues par ledit règlement, sous condition, (i) qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de cette personne, basé sur un faisceau de circonstances établissant que l’intéressé a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement, (ii) que le placement en rétention soit proportionnel et, (iii) que d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées.

L’article 22, paragraphe (3) de la même loi ajoute que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues à ses points a), b) et c) – à savoir, (i) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à des intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, (ii) l’assignation à résidence et, (iii) le dépôt d’une garantie financière d’un montant de cinq mille euros – ne peut être efficacement appliquée.

L’article 22, paragraphe (4) de la même loi précise, par renvoi au règlement Dublin III, que la mesure de rétention est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois et que son maintien est conditionné par le fait que le dispositif de transfert soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter le transfert dans les meilleurs délais et que le placement ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises. Cette mesure de placement en rétention peut être reconduite, chaque fois pour une durée de trois mois, tant que les motifs énoncés à l’article 22, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

En premier lieu, le tribunal relève que la prise d’une mesure de placement en rétention sur base de l’article 22, paragraphe (2), point d), précité, telle que la mesure litigieuse, n’est pas conditionnée par l’existence ou non d’un risque de trouble à l’ordre public émanant de la personne concernée, de sorte que l’argumentation afférente du demandeur encourt le rejet.

Par ailleurs, quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle son placement en rétention sur base de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 ne saurait être maintenu, au motif qu’il aurait perdu la qualité de demandeur de protection internationale pour avoir renoncé à l’introduction d’un recours contre la décision ministérielle du 1er septembre 2017 « (…) déclarant sa demande irrecevable (…) », le tribunal relève qu’aux termes de l’article 2 c) de la loi du 18 décembre 2015, est un demandeur de protection internationale « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle aucune décision finale n’a encore été prise », l’article 2 e) de la même loi définissant la notion de « décision finale » comme étant « toute décision établissant si le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride se voit accorder le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire et qui n’est plus susceptible d’un recours conformément à la présente loi, que ce recours ait ou n’ait pas pour effet de permettre à un demandeur de demeurer sur le territoire en attendant son aboutissement ». Il est constant en cause que Monsieur …a déposé une demande de protection internationale en date du 14 août 2017, de sorte à avoir acquis la qualité de demandeur de protection internationale à cette date. Or, contrairement à ce que soutient le demandeur, il n’a pas perdu cette qualité au cours de l’exécution de la mesure de placement litigieuse, étant donné que sa demande du 14 août 2017 n’a pas encore fait l’objet d’une décision finale, au sens dudit article 2 e) de la loi du 18 décembre 2015, nonobstant sa décision communiquée par courrier de son litismandataire du 8 septembre 2017 de ne pas introduire de recours à l’encontre de la décision ministérielle du 1er septembre 2017. En effet, cette dernière décision ne constitue pas une décision d’irrecevabilité de la demande d’asile de Monsieur …du 14 août 2017, tel qu’affirmé, à tort, par le demandeur, ni, de manière plus générale, une « décision établissant si le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride se voit accorder le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire », mais une décision de transfert, au sens de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes de laquelle le ministre a décidé de transférer l’intéressé vers l’Allemagne, en tant qu’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, et de ne pas examiner la demande en question, de sorte qu’il appartiendra aux autorités allemandes de prendre une décision finale par rapport à cette demande. Il y a donc lieu de conclure qu’en tout état de cause, le demandeur conserve la qualité de demandeur d’asile tant que les autorités allemandes compétentes pour l’examen de sa demande de protection internationale n’ont pas adopté de décision finale à son encontre. Dans ces circonstances, le tribunal retient que l’argumentation sous analyse est à rejeter.

Le tribunal constate ensuite que le demandeur n’a pas contesté le constat du ministre ayant trait à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite non négligeable, lequel étant d’ailleurs confirmé au regard des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, étant donné, d’une part, qu’il est constant en cause que le demandeur, qui est connu sous plusieurs alias et qui a déposé des demandes de protection internationale dans plusieurs Etats membres de l’Union européenne, avait, avant la prise de la mesure litigieuse, fait l’objet des mesures moins coercitives prévues par l’article 22, paragraphe (3), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, en ce qu’il a été assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg sise à L-…pour une durée de trois mois, avec l’obligation de se présenter quotidiennement durant cette période à 20.00 heures du soir et à 8.00 heures du matin à la réception de ladite structure, ainsi que cela ressort de l’arrêté ministériel, précité, du 14 août 2017 et, d’autre part, que l’intéressé n’a pas respecté les obligations lui imposées dans le cadre de cet arrêté en ce qu’il s’est enfui de ladite structure d’hébergement le jour même de la notification de l’arrêté en question, tel que relevé ci-avant. Ainsi, c’est a priori à bon droit que le ministre a ordonné le placement en rétention du demandeur sur base de l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015.

En outre, étant donné que la possibilité, pour le ministre, de placer un demandeur de protection internationale, tel que Monsieur Fars Aziz, en rétention administrative afin de garantir l’exécution d’une mesure de transfert vers l’Etat responsable de l’examen de la demande d’asile de l’intéressé, en application du règlement Dublin III, est expressément prévue par la loi, c’est à tort que le demandeur soutient que sa qualité de ressortissant iraquien d’ethnie kurde ayant déposé une demande de protection internationale ferait obstacle à la prise d’une mesure de rétention administrative à son égard, cette conclusion n’étant pas énervée par la référence vague et non autrement étayée que le demandeur fait à la Convention de Genève et aux recommandations de l’UNHCR, étant rappelé, dans ce contexte, qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques ayant pu se trouver à la base de ses conclusions.

Pour cette dernière raison, l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’aurait pas dû faire l’objet d’un placement en rétention, compte tenu de son état de santé psychique, est également à rejeter, étant souligné que le demandeur n’a fourni aucune précision quant à son état de santé, qu’il n’a pas versé la moindre pièce probante à cet égard et – surtout – qu’il n’a pas invoqué de disposition normative précise dont il se dégagerait que de telles considérations seraient de nature à influer sur la légalité et le bien-fondé de son arrêté de placement en rétention.

En ce qui concerne ensuite l’argumentation du demandeur selon laquelle la décision déférée violerait les articles 3 et 7 de la CEDH, compte tenu du port de menottes lui imposé au cours de son déplacement vers le Centre de rétention, mais aussi dans le cadre de son transfert ultérieur vers l’Allemagne, le tribunal relève que le choix des policiers de menotter une personne retenue pendant un certain laps de temps en vue de son placement au Centre de rétention, respectivement de son transfert vers l’Etat responsable de l’examen de sa demande d’asile n’est pas de nature à énerver la légalité de la décision de placement en rétention prise à l’encontre de la personne concernée, étant donné qu’une telle mesure ne fait pas l’objet de la décision de placement, mais peut tout au plus être qualifiée de mesure d’exécution de celle-ci, respectivement de la décision de transfert dont l’intéressé a fait l’objet, de sorte que l’argumentation sous analyse est à écarter. A titre superfétatoire, le tribunal précise encore que si le port de menottes imposé à une personne retenue au cours de son déplacement vers le Centre de rétention, respectivement au cours de l’exécution d’une mesure de transfert pouvait éventuellement être ressenti comme une humiliation par la personne concernée, une telle mesure, d’une part, n’est, en tant que telle, pas d’une gravité suffisante pour être qualifiée d’acte de torture ou de traitement ou sanction inhumain ou dégradant, au sens de l’article 3 de la CEDH, aux termes duquel « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » et, d’autre part, ne constitue pas une peine destinée à sanctionner une certaine action ou omission la part de l’intéressé, au sens de l’article 7 de la CEDH, aux termes duquel « (1) Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. (…) », mais tend à assurer la présence physique de la personne concernée en vue de l’exécution des mesures de police des étrangers envisagées.1 Dès lors, l’argumentation sous analyse est également à rejeter sous cet angle.

Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû recourir à une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, le tribunal relève que l’article 125 de la loi du 29 août 2008, dont l’intéressé se prévaut, dans ce contexte, n’est pas applicable à une décision de rétention administrative prise sur base de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015, telle que la décision déférée, cette seule disposition ayant, en effet, vocation à s’appliquer. Si le demandeur excipe encore de la directive 2008/115, le tribunal relève qu’outre la question de l’invocabilité de celle-ci, compte tenu de sa transposition en droit interne par le biais de la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi du 29 août 2008, ladite directive ne règle pas les mesures de placement en rétention de demandeurs de protection internationale aux fins de transfert, telles que la mesure litigieuse, ce type de placement en rétention étant, au contraire, prévu par le règlement Dublin III, de sorte que la référence faite à la directive en question est encore à écarter pour défaut de pertinence. Pour autant qu’à travers l’argumentation sous analyse, le demandeur ait, en réalité, entendu se prévaloir des mesures moins coercitives prévues par l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, force est au tribunal de constater qu’il ne lui a pas fourni des éléments lui permettant de remettre en cause le constat du ministre selon lequel lesdites mesures ne peuvent être appliquées efficacement en l’espèce.

En effet, le tribunal vient de constater, d’une part, qu’il est constant en cause que le demandeur, qui est connu sous plusieurs alias et qui a déposé des demandes de protection 1 Voir, sur ce dernier point : Cour adm., 25 octobre 2016, n° 38585C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

internationale dans plusieurs Etats membres de l’Union européenne, avait, avant la prise de la mesure litigieuse, fait l’objet des mesures moins coercitives prévues par l’article 22, paragraphe (3), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, en ce qu’il a été assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg sise à L-…pour une durée de trois mois, avec l’obligation de se présenter durant cette période quotidiennement à 20.00 heures du soir et à 8.00 heures du matin à la réception de ladite structure, ainsi que cela ressort de l’arrêté ministériel, précité, du 14 août 2017 et, d’autre part, qu’il n’a pas respecté les obligations lui imposées dans le cadre de cet arrêté en ce qu’il s’est enfui de ladite structure d’hébergement le jour même de la notification de l’arrêté en question. Dans ces circonstances, c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues à l’article 22, paragraphe (3), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent être efficacement appliquées, à défaut, par le demandeur de présenter des garanties de représentation suffisantes de nature à prévenir le risque de fuite existant dans son chef, tel que retenu ci-avant. Etant donné que le demandeur ne conteste pas ne pas pouvoir déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros, il ne saurait non plus bénéficier de la mesure moins coercitive visée par l’article 22, paragraphe (3), point c) de ladite loi. Il s’ensuit que le ministre a valablement pu retenir, sur base de l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, qu’aucune mesure moins coercitive que le placement en rétention ne pouvait être efficacement appliquée en la cause.

Sur base des mêmes considérations, le ministre a encore valablement pu retenir la présence d’un faisceau d’indices établissant l’intention du demandeur « de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement » conformément à l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015.

Il s’ensuit que le ministre pouvait valablement ordonner le placement en rétention du demandeur, étant relevé qu’en tout état de cause, le placement en rétention est la conséquence légale du non-respect des obligations édictées par les mesures moins coercitives appliquées au demandeur, ainsi que cela ressort du dernier alinéa de l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « (…) En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. (…) », ce principe ayant été repris dans l’article 2 de l’arrêté ministériel du 14 août 2017 qui dispose que « : « La personne susvisée est informée qu’en cas de défaut de respect de l’obligation imposée ou en cas de risque de fuite, la mesure sera révoquée et le placement en rétention sera ordonnée comme prévu à l’article 22, paragraphe (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 précitée. ».

Dans ces circonstances, l’argumentation du demandeur selon laquelle la mesure litigieuse constituerait une privation injustifiée de sa liberté encourt le rejet.

S’agissant ensuite des diligences entreprises par le ministre, force est au tribunal de constater que la requête introductive d’instance ne contient aucune contestation précise à cet égard, le demandeur s’étant, en effet, limité à se rapporter à prudence de justice quant à ce moyen.

Quant aux diligences concrètement entreprises par le ministre, le tribunal rappelle que suite à l’acceptation, par les autorités allemandes, en date du 31 août 2017, de la demande de reprise en charge leur adressée par leurs homologues luxembourgeois le 28 août 2017, le ministre a pris une décision de transfert vers l’Allemagne à l’encontre du demandeur en date du 1er septembre 2017.

Par courrier du même jour, le ministre a chargé le service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la Police grand-ducale de la mission de procéder au transfert du demandeur et de lui communiquer par écrit les modalités de transfert, avec la précision qu’en vertu de l’article 27, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le transfert ne pourrait avoir lieu avant le 19 septembre 2017. Le tribunal retient que les démarches ainsi accomplies par le ministre en vue du transfert du demandeur ont été effectuées avec la diligence requise, de sorte que les contestations afférentes du demandeur encourent le rejet.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’arrêté ministériel du 23 août 2017 ayant ordonné le placement en rétention du demandeur est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Annick Braun, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 15 septembre 2017, à 11.00 heures, par le vice-président, en présence du greffier Arny Schmit.

Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15.9.2017 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 40145
Date de la décision : 15/09/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-09-15;40145 ?

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