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24/08/2017 | LUXEMBOURG | N°40051

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 août 2017, 40051


Tribunal administratif N° 40051 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2017 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 24 août 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120 L.29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40051 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 août 2017 par Maître Arnaud Ranzenberger

, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsie...

Tribunal administratif N° 40051 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2017 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 24 août 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120 L.29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40051 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 août 2017 par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 août 2017 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 août 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ella Gredie, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 août 2017.

Le 4 août 2017, Monsieur … fut interpellé par la police grand-ducale à l’occasion d’un contrôle d’identité à Luxembourg-Bonnevoie. Il s’avéra à cette occasion que Monsieur … n’était en possession ni de documents d’identité ni de documents de voyage valables, de même qu’il était sans adresse au Luxembourg. Lors de son interpellation, Monsieur … indiqua, par ailleurs, un faux nom et une fausse date de naissance.

Le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », prit une décision de retour à l’encontre de Monsieur … sur le fondement des articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », ainsi qu’au vu de l’absence de passeport en cours de validité, de l’absence d’autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’autorisation de travail et de l’existence d’une menace pour l’ordre public, ces circonstances justifiant, selon le ministre, l’existence d’un risque de fuite dans le chef de l’intéressé. Ladite décision comporta outre l’obligation dans le chef de l’intéressé de quitter sans délai le territoire luxembourgeois, une interdiction d’entrée sur le même territoire d’une durée de trois ans.

Le même jour, le ministre prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question. Ledit arrêté, notifié à l’intéressé le même jour, est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le procès-verbal no 53480 du 4 août 2017 établi par la Police grand-ducale, Unité CI Luxembourg-Gare;

Vu ma décision de retour et ma décision d’interdiction du territoire du 4 août 2017 ;

Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Attendu que l’intéressé évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement ;

Attendu que l’intéressé a été éloigné vers l’Italie en date du 5 mai 2015 conformément au règlement UE N°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 août 2017, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de rétention précitée du 4 août 2017.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait d’abord valoir être en couple avec une ressortissante luxembourgeoise, laquelle aurait donné naissance à leur enfant commun en date du 17 février 2015. Il explique qu’il ne pourrait toutefois pas encore épouser la mère de son enfant du fait que celle-ci serait toujours en procédure de divorce par consentement mutuel. Il ajoute que le beau-père et la mère de sa compagne auraient signé des déclarations de prise en charge à son profit afin de lui permettre de rester sur le territoire luxembourgeois.

Il explique encore que compte tenu de l’existence d’une vie familiale effective au Luxembourg avec sa compagne et leur enfant commun et eu égard à son statut de père d’un enfant luxembourgeois, il aurait introduit une demande d’autorisation de séjour auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes.

En droit, il affirme que son placement en rétention ne serait pas justifié eu égard à son statut de père d’un enfant de nationalité luxembourgeoise qu’il aurait reconnu par devant notaire en date du 23 mars 2015, ce d’autant plus que les autorités luxembourgeoises ne sembleraient pas faire le maximum afin d’écourter sa privation de liberté.

Le délégué du gouvernement estime, pour sa part, que la décision de rétention serait justifiée en fait et en droit, de sorte que le demandeur serait à débouter de son recours.

Le tribunal constate que le demandeur articule à l’appui de son recours un double moyen, à savoir, d’une part, un moyen explicite tiré du fait que son statut de père d’un enfant de nationalité luxembourgeoise et sa capacité à vivre sur le sol luxembourgeois sans être une charge financière pour l’Etat constitueraient un obstacle à son placement en rétention, et, d’autre part, un moyen implicite, tiré de l’absence alléguée de diligences dans le chef des autorités luxembourgeoises en vue d’organiser le plus rapidement possible son éloignement.

A cet égard, l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, tel que modifié par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 », dispose qu’: « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment l’identification de l’intéressé, s’il ne dispose pas de documents d’identité, ensuite la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite. Dès lors, la seule expectative d’une mesure d’éloignement suffit à justifier une décision initiale de rétention.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

A cet égard, force est au tribunal de constater, d’une part, qu’il ressort des éléments lui soumis que le demandeur, qui a fait l’objet en date du 4 août 2017 également d’une décision de retour, ne dispose ni d’une carte d’identité, ni d’un passeport, ni d’une autorisation de séjour valable, ni d’une autorisation de travail, rendant ainsi nécessaires des démarches de la part des autorités luxembourgeoises en vue plus particulièrement de l’organisation de son éloignement et, d’autre part, que cette décision de retour ordonne à Monsieur … de quitter le pays sans délai. Il convient, à cet égard, de souligner que le seul fait que le demandeur ait introduit une demande tendant à obtenir une autorisation de séjour -

demande dont l’issue doit de toute façon être considérée comme hasardeuse au vu non seulement de l’article 39, alinéa 1er de la loi du 29 août 2008, mais également du fait que la paternité du demandeur repose sur une simple déclaration unilatérale de celui-ci - ne saurait faire obstacle à la prédite décision de retour, une telle demande n’étant en tout état de cause pas de nature à avoir un effet suspensif sur cette décision.

En application de l’article 111, paragraphe (3), point c), de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi ou encore s’il ne dispose pas de documents d’identité ou de voyage en cours de validité, respectivement s’il n’est pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, le ministre pouvait dès lors a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement. Le demandeur n’a d’ailleurs soumis au tribunal aucun élément probant permettant de renverser cette présomption de risque de fuite dans son chef, le comportement affiché par le demandeur - qui, malgré son transfert antérieur en Italie, est de nouveau entré illégalement sur le territoire luxembourgeois -, accentuant, au contraire, l’existence d’un tel risque. Il ressort, en effet, d’une part, du procès-verbal établi lors de l’interpellation du demandeur que le 4 août 2017, celui-ci a indiqué aux policiers un faux nom, ainsi qu’une fausse date de naissance et, d’autre part, du procès-verbal de notification de la mesure de placement litigieuse que le demandeur a refusé de signer ledit procès-verbal, tout en manifestant sa désapprobation avec la décision de placement et en refusant toute coopération.

A l’audience des plaidoiries, le mandataire du demandeur a d’ailleurs admis que son mandant ne souhaitait pas quitter le Luxembourg. A cela s’ajoute que si le demandeur a certes versé à l’appui du recours sous analyse un engagement de prise en charge financière signé par le prétendu beau-père de sa concubine, cet engagement ne fournit aucune garantie quant à une possibilité concrète de résidence ou d’hébergement du demandeur au Luxembourg, ce d’autant plus qu’il n’est pas contesté que lors de son interpellation en date du 4 août 2017, il n’a pas pu indiquer d’adresse d’hébergement au Luxembourg depuis sa dernière entrée illégale sur ledit territoire.

Le moyen afférent est partant à rejeter.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

A cet égard, force est au tribunal de relever qu’afin de pouvoir éloigner le demandeur, qui ne dispose pas de documents de voyage valables, les autorités luxembourgeoises doivent tout d’abord organiser son rapatriement, étant relevé que l’arrêté de placement en rétention sous examen est justement fondé sur le constat que les démarches nécessaires en vue de son éloignement seraient engagées dans les plus brefs délais.

Or, en l’espèce, en ce qui concerne les démarches concrètement entreprises par le ministre pour organiser l’éloignement du demandeur, démarches critiquées de manière abstraite par ce dernier, il se dégage des éléments du dossier et des explications fournies par la partie étatique que le ministre a, dès le 8 août 2017, fait procéder à une recherche dans la base de données EURODAC qui a abouti au même résultat que celle ayant été effectuée en 2015 lors d’une première interpellation du demandeur sur le territoire luxembourgeois ayant d’abord donné lieu en date du 11 février 2015 à la prise d’une décision ministérielle de retour et d’interdiction d’entrée sur le territoire et, ensuite, en date du 5 mai 2015, au transfert du demandeur en Italie, après que les autorités italiennes aient, en effet, accepté en date du 17 mars 2015, de le reprendre en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III » .

Au vu du résultat de ces recherches, le ministre s’est adressé le 11 août 2017 aux autorités italiennes afin de solliciter la reprise en charge de l’intéressé sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, étant relevé que dans la mesure où les autorités italiennes ont déjà accepté par le passé la reprise en charge du demandeur, rien ne s’oppose en principe à son éloignement vers ledit pays.

Au vu des diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, le tribunal est amené à retenir qu’à l’heure actuelle, les démarches ainsi entreprises en l’espèce par les autorités luxembourgeoises doivent être considérées comme suffisantes, de sorte qu’il y a lieu de conclure que l’organisation de l’éloignement est toujours en cours et est exécutée avec toute la diligence requise.

Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 24 août 2017 par :

Alexandra Castegnaro, premier juge, Olivier Poos, premier juge, Michèle Stoffel, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Michèle Hoffmann s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24/8/2017 Le Greffier du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 40051
Date de la décision : 24/08/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-08-24;40051 ?

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