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16/08/2017 | LUXEMBOURG | N°39786

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 août 2017, 39786


Tribunal administratif N° 39786 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juin 2017 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 16 août 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39786 du rôle et déposée le 26 juin 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLA

HZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Tribunal administratif N° 39786 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juin 2017 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 16 août 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39786 du rôle et déposée le 26 juin 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …(Guinée), de nationalité guinéenne, demeurant à L-…, représenté par son administrateur ad hoc, Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 juin 2017 par laquelle le ministre a pris la décision de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 août 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries à l’audience publique de ce jour.

Par ordonnance du juge des tutelles auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 28 février 2017, prise sur requête du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, Monsieur … se vit désigner en sa qualité alléguée de mineur non accompagné Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, en tant qu’administrateur ad hoc.

Le 11 avril 2017, Monsieur … introduisit une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Il s’avéra à cette occasion que l’intéressé avait précédemment déposé une demande de protection internationale en Italie en date 3 octobre 2015 sous l’identité d’… …, né le ….

Le 13 avril 2017, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-

après « le règlement Dublin III ».

Par décision du 12 juin 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa Monsieur … que les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la République d’Italie, au motif que le Grand-Duché de Luxembourg n’était pas compétent pour examiner sa demande en reconnaissance d’un statut de protection internationale, en se référant aux dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et à celles de l’article 18, paragraphe 1d), du règlement Dublin III, au motif que ce serait l’Italie qui serait responsable du traitement de sa demande d’asile, du fait qu’il y aurait introduit le 3 octobre 2015 une demande de protection internationale et que les autorités italiennes auraient accepté le 18 mai 2017 de reprendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2017, inscrite sous le numéro 39786 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 12 juin 2017.

Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la présente matière, l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, un recours en annulation a valablement pu être introduit.

Le délégué du gouvernement conclut in limine litis à l’irrecevabilité du recours pour défaut d’indication d’une adresse du demandeur, ce dernier ayant disparu depuis le 24 juillet 2017.

L’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives exige que la requête introductive d’instance contient notamment les « noms, prénoms et domicile du requérant ».

Si son mandataire et administrateur ad hoc a admis ignorer son lieu de résidence actuelle, il a toutefois relever que son mandant, outre d’avoir disposé d’une adresse au moment du dépôt de la requête introductive d’instance, a élu domicile en son étude et que lui-même assurerait le cas échéant la communication des décisions.

Il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 29 de la loi du 21 juin 1999 précitée « l’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense », l’intention du législateur formulée par l’auteur de la proposition de loi numéro 4326 ayant abouti à la loi du 21 juin 1999 ayant été exprimée en ce sens que la disposition devenue l’article 29, qualifiée « d’importante », « constitue le reflet de l’article 173, alinéa 2 du code de procédure civile. Sa formulation s’entend plus large que celle du code de procédure civile, qui a conduit à des résultats très insatisfaisants en jurisprudence judiciaire, même après la réforme du texte en question par une loi du 7 février 1974. Les juges ne s’abstiendront de prononcer l’irrecevabilité des demandes que si l’omission ou l’irrégularité a effectivement porté atteinte aux droits de la défense. Sont visées, d’une manière générale, les irrégularités affectant la rédaction des mémoires, même des irrégularités qualifiées par les juridictions judiciaires comme étant des nullités de fond, comme les indications erronées ou lacuneuses concernant p.

ex. les organes représentant des personnes morales. En tout cas la notion de nullité de fond est à interpréter très restrictivement et ne doit entrer en ligne de compte que s’il y a lésion des droits de la défense. Le non-respect des délais prévus pour l’échange des mémoires et les délais pour exercer les voies de recours, emportant déchéance, est bien entendu excepté. Par ailleurs, l’absence de sanction d’un tel non-respect porterait atteinte aux droits - acquis à ce moment -

de la partie adverse1».

Cette position a encore été corroborée par le Conseil d’Etat dans son avis retenant qu’il « ne saurait que soutenir toute initiative tendant à proscrire dans la mesure du possible le recours à des moyens de procédure pour rejeter des prétentions de justiciables. Il ne faut en effet pas perdre de vue que cette approche procédurière à outrance a pour résultat l’incompréhension des justiciables (…). Le Conseil d’Etat rend toutefois attentif au fait qu’il s’agit en l’espèce également d’une question d’approche des magistrats à l’égard de ces problèmes. Le problème, dit de la violation des principes de l’organisation judiciaire (ou administrative), des nullités de fond, irrecevabilités de fond, des fins de non-recevoir et des forclusions, restera entier tant qu’aucun texte n’interdira aux juridictions de prononcer une nullité, irrecevabilité ou forclusion, sauf si un texte déterminé le prévoit expressément2».

L’article 29 sous revue emporte dès lors pour la juridiction saisie une analyse consistant à examiner, au-delà du caractère vérifié d’une inobservation alléguée d’une règle de procédure, si celle-ci a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense ; en l’absence de pareille atteinte, l’inobservation de la règle de procédure, quelle qu’en soit par ailleurs la qualification, ne saurait entraîner l’irrecevabilité de la demande, étant donné que ce n’est que dans l’hypothèse où l’inobservation vérifiée d’une règle de procédure a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense qu’une analyse supplémentaire s’impose à la juridiction saisie pour déterminer dans ce cas de figure précis dans quelle mesure cette inobservation doit entraîner l’irrecevabilité de la demande3.

En l’occurrence, devant le fait avéré et confirmé explicitement à l’audience par le délégué du gouvernement que la partie publique a pu assurer sa défense de façon valable et complète, l’inobservation de la règle de procédure invoquée plus particulièrement au niveau de l’indication du domicile réel et matériel du demandeur, n’a pu entraîner une quelconque irrecevabilité de la demande, étant entendu qu’en l’absence de grief, l’analyse de la juridiction saisie était appelée à s’arrêter dès le premier stade par le constat tiré des dispositions de l’article 29 de la loi précitée du 21 juin 1999 en ce qu’aucune irrecevabilité du recours n’était à prononcer ; il convient dès lors de déclarer le recours recevable de ce point de vue, les éventuels problèmes matériels d’exécution de la décision n’étant pas de nature à affecter la recevabilité du recours.

Dès lors, à défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité circonstancié, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur fait valoir qu’il aurait quitté son pays d’origine en vue de déposer une demande de protection internationale. Il serait arrivé en Italie au mois d’octobre 2015, pays qu’il aurait ensuite quitté, à défaut d’y avoir obtenu l’assistance attendue, pour l’Allemagne en passant par la Suisse. S’il admet avoir fait usage d’une fausse 1 Doc. parl. 4326, commentaire des articles, ad. article 26 (devenu l’article 29 de la loi) p.19.

2 Doc. parl. 4326², avis du Conseil d’Etat p.7.

3 Cour adm., 14 juillet 2009, n° 25414C.

identité et d’une fausse date de naissance lors de ses dépôts de demande de protection internationale en Italie, Allemagne et Suisse, il explique avoir eu recours à un tel subterfuge pour y échapper au sort réservé aux mineurs, à savoir celui d’être enfermé dans un centre pour mineurs.

Dans ce contexte, le demandeur affirme être mineur et se prévaut à cette fin d’une déclaration sur l’honneur en langue française réitérant sa minorité, à défaut de pouvoir verser un quelconque acte de naissance.

Il conteste dès lors les conclusions de l’expertise médicale ayant retenu qu’il serait âgé de 22,4 ans, au vu des marges d’erreur affectant de telles expertises, et « cela conformément aux arrêts de la Cour d’Appel des 28 mars 202 et 18 avril 2012 ».

En droit, il reproche au ministre de s’être déclaré incompétent en faveur de l’Italie, alors que ce serait le Luxembourg qui serait responsable d’analyser sa demande de protection internationale en vertu de l’article 8, paragraphe (4) du règlement Dublin III, selon lequel l’Etat membre responsable serait celui dans lequel le mineur non accompagné a introduit une demande de protection internationale, à condition que ce soit dans l’intérêt supérieur de l’enfant. A cet égard, il expose que comme il n’aurait aucun membre de sa famille en Italie, qu’il serait analphabète car privé d’école depuis son enfance, et qu’il souhaiterait juste que sa demande de protection internationale soit examinée dans des conditions conformes au droit communautaire, il serait dans son intérêt supérieur que sa demande soit examinée par les autorités luxembourgeoises, le demandeur exposant que dans le cas contraire, au cas où les autorités italiennes seraient compétentes, celles-ci examineront sa demande de protection internationale en tant que majeur, puisqu’il avait déclaré aux autorités italiennes qu’il serait né le ….

Monsieur … critique encore le fait que le ministre n’a pas fait usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe 1er du règlement Dublin III, nonobstant son incompétence de principe, et ce au vu de sa minorité. Il rappelle dans ce contexte les difficultés auxquelles il aurait été confronté en Italie, à savoir qu’il n’aurait eu nulle part où se loger et il souligne les difficultés actuelles que connaîtrait l’Italie pour prendre en charge ses demandeurs d’asile et ses migrants, l’Italie ne disposant pas des moyens suffisants pour se conformer aux conditions d’accueil telles qu’édictées par la réglementation communautaire. A cet égard, il entend se prévaloir d’un extrait du rapport mondial 2017 de Human Rights Watch relevant que la plupart des demandeurs d’asile vivraient dans des installations temporaires d’urgence aux normes variables, tandis que le recours à la force pour la prise des empreintes digitales ainsi que la surpopulation et à l’absence de protection pour les mineurs non accompagnés dans les hotspots susciteraient l’inquiétude de l’ONG en question. De même, des expulsions pratiquées par l’Italie vers le Soudan seraient source d’inquiétude, le demandeur invoquant encore un communiqué de presse du Conseil de l’Europe du 8 mars 2017 dont il résulterait que l’Italie devrait améliorer sa capacité d’accueil des demandeurs d’asile et ses politiques d’intégration, prévenir la traite des êtres humains et lutter contre la corruption dans le secteur des services aux migrants et qu’il conviendrait pour les autorités italiennes de tenir compte de l’importance de renforcer la protection des enfants réfugiés et migrants, tout en mettant en garde contre les défaillances du système de départs volontaires et d’expulsions forcées, qui risquent d’encourager l’arrivée d’un plus grand nombre de migrants économiques clandestins. Ce même communiqué d’ailleurs appellerait à une solidarité accrue de la part d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe pour organiser une répartition plus équitable des demandeurs d’asile sur le continent et alléger la charge qui pèse actuellement sur l’Italie.

Monsieur …, au vu de cette situation exceptionnelle que vivrait l’Etat italien, estime que son sort ne risquerait pas de s’améliorer en Italie, alors que le temps de l’examen de sa demande de protection internationale il se retrouverait à la rue. Aussi, se prévalant de l’article 17 du règlement Dublin III, il estime que compte tenu de sa situation particulière, une faveur aurait pu lui être accordée en tant que mineur qui se trouverait dans une situation particulière de détresse.

Le délégué du gouvernement conclut quant à lui au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Il convient d’abord de rappeler qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge.

Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Aux termes de l’article 18, paragraphe (1) du même règlement Dublin III : « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre ».

L’article 8 du même règlement Dublin III intitulé « Mineurs » dispose dans son paragraphe (4) quant à lui : « En l’absence de membres de famille, de frères ou sœurs ou de proches […] l’Etat membre responsable est celui dans lequel le mineur non accompagné a introduit sa demande de protection internationale, à condition que ce soit dans l’intérêt supérieur de l’enfant. » Il s’ensuit que si, en vertu du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen d’une demande de protection internationale formulée par un ressortissant d’un pays tiers et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide, d’un côté, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et, de l’autre côté, de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Il s’ensuit également des dispositions qui précèdent que l’Etat membre responsable de la demande de protection internationale introduite par un mineur non accompagné n’ayant pas de membre de sa famille sur le territoire d’un Etat membre, est celui dans lequel le mineur se trouve après y avoir déposé une demande de protection internationale, à condition que ce soit dans l’intérêt de l’enfant.

Le tribunal constate de prime abord que la décision ministérielle déférée est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur a déposé le 3 octobre 2015 une demande de protection internationale en Italie et, d’autre part, par le fait que les autorités italiennes ont accepté de le reprendre en charge en date du 18 mai 2017, de sorte à admettre que le ministre n’a pas appliqué les dispositions relatives aux mineurs prévues par l’article 8 du règlement Dublin III.

En l’espèce, il n’est pas contesté qu’en application des dispositions relatives aux mineurs du règlement Dublin III, l’Etat membre responsable pour analyser la demande de protection internationale présentée par Monsieur … serait a priori le Luxembourg, les parties étant cependant en désaccord sur la question de savoir si Monsieur … est un mineur d’âge, et partant sur la compétence de principe de l’Etat luxembourgeois, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat italien pour examiner sa demande de protection internationale, de sorte que le tribunal doit examiner cette question en premier lieu.

Or, au stade actuel de l’instruction de l’affaire, le tribunal est amené à retenir que Monsieur … ne saurait être considéré comme un mineur d’âge. En effet, d’un côté, il ressort du dossier administratif que Monsieur … avait introduit des demandes de protection internationale, lors desquelles ses empreintes digitales ont été enregistrées et téléchargées dans la base de données EURODAC, dans différents Etats, à savoir en Italie en date du 3 octobre 2015, en Suisse en date du 21 juin 2016 et en Allemagne en date du 1er juillet 2016, avant de venir déposer une demande au Luxembourg, le demandeur ayant à ces occasions indiqué différentes identités aux autorités en charge, l’intéressé était notamment connu sous différents alias et avec plusieurs dates de naissance, pour finalement prétendre au Luxembourg être un mineur non accompagné, constatations qui sont actuellement de nature à mettre fortement en doute la crédibilité de Monsieur ….

Quant aux contestations du demandeur en ce qui concerne la valeur scientifique du test auquel il a été soumis, il convient de souligner, outre le fait que ces contestations ne sont pas autrement étayées, si ce n’est par une référence jurisprudentielle manifestement incomplète sinon erronée et non retraçable, qu’il résulte des explications circonstanciées de la partie publique que les conclusions relatives à l’âge du demandeur ne s’appuient en l’espèce pas uniquement sur un test osseux, mais également sur l’examen du développement des signes sexuels extérieurs distinctifs, ainsi que sur un examen du développement de la mâchoire, outre un examen osseux de la main, du poignet et la clavicule. Aussi, il appert des explications étatiques, non énervées, que si la fiabilité des seuls tests osseux peut être sujette à discussion, la fiabilité des tests complémentaires établissant un faisceau d’indices permettant d’approcher au mieux l’âge de la personne, tels que précisément l’examen de la pilosité et des organes sexuels ainsi que des dents, et spécifiquement de la troisième molaire, est reconnue.

Aussi, en ce qui concerne l’âge du demandeur, il échet de se référer au rapport médical du 30 mai 2017 dont il ressort « mit hoher Wahrscheinlichkeit » que le demandeur est âgé de plus de …ans, les experts concluant plus précisément à un âge de …,… ans, correspondant d’ailleurs plus ou moins à la date de naissance déclarée aux autorités italiennes.

Les conclusions qui se dégagent ainsi du rapport médical précité concluant à la majorité du demandeur ne sauraient être énervées par un jugement supplétif du tribunal de première instance de … II (République de Guinée) du 26 avril 2017 et par un extrait du registre de l’état civil de la Ville de …, commune de …, du même jour et ce, au vu d’un rapport de mission en République de Guinée établi par le Royaume de Belgique, la République française et la Confédération Suisse et publié au mois de mars 2012, suivant lequel il est facile de se faire délivrer des documents d’état civil ou de justice ou de police en République de Guinée par les autorités officiellement compétentes, alors que le commerce de « vrais-faux » documents serait courant dans ce pays, les doutes suscités par ces documents étant encore confirmés par les incohérences constatées entre le récit du demandeur, d’une part, et les indications contenues dans ces documents, d’autre part. Ainsi, si le demandeur, lors de son audition, a affirmé être né à …, tant le jugement supplétif que l’extrait du registre de l’état civil indiquent qu’il serait né à …, localité sise à près de 600 km de route de …. De même, si le demandeur a affirmé que son père serait militaire en fonction, le jugement supplétif indique que son père serait cultivateur.

Comme Monsieur …, en l’état actuel du dossier, n’a pas rapporté la preuve de sa minorité ni fait état d’éléments concluants et convaincants laissant conclure à une telle minorité d’âge, le tribunal est amené à retenir que l’article 8 du règlement Dublin III ne s’applique pas en l’espèce, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a estimé ne pas être compétent de sa demande de protection internationale et a décidé de le transférer vers l’Italie comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale.

En ce qui concerne finalement l’invocation par le demandeur de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement […] », le tribunal souligne tout d’abord que le recours à ces clauses discrétionnaires relève d’une faculté pour les autorités administratives. L’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, tel qu’invoqué par le demandeur, ne permet ainsi pas à un demandeur d’asile individuel de choisir lui-même par quel pays il souhaite voir traiter sa demande d’asile, mais offre uniquement à un Etat membre la possibilité, lorsque cela se révèle nécessaire ou opportun, de prendre lui-même la responsabilité du traitement d’une demande d’asile, sans qu’il ne puisse être déduit des termes de l’article 17.1 du règlement Dublin III une obligation pour un Etat membre de traiter une demande d’asile, lorsque sur la base des critères repris au chapitre III dudit règlement, il est constaté qu’un autre Etat membre doit traiter cette demande4.

Par ailleurs, en ce qui concerne les prétendues défaillances systémiques dans la procédure d’asile en Italie, il échet de prime abord de constater que le rapport mondial 2017 de Human Rights Watch, cité par le demandeur, selon lequel les demandeurs d’asile vivraient dans des installations temporaires d’urgence aux normes variables, tandis que la pratique du recours à la force pour la prise des empreintes digitales et la surpopulation et à l’absence de protection pour les mineurs non accompagnés dans les hotspots susciteraient de vives inquiétudes, tourne essentiellement autour du primo-accueil des migrants et est étranger à la situation concrète de prise en charge du demandeur, ce dernier n’étant plus à considérer comme primo-arrivant en Italie dans la mesure où ses empreintes ont d’ores et déjà été enregistrées par les autorités italiennes. Il en va de même du communiqué de presse du Conseil de l’Europe du 8 mars 2017 qui insiste sur la nécessité pour l’Italie d’améliorer sa capacité d’accueil des demandeurs d’asile et ses politiques d’intégration, de prévenir la traite des êtres humains et de lutter contre la corruption dans le secteur des services aux migrants, tout en insistant sur l’importance de renforcer la protection des enfants réfugiés et migrants, le demandeur, d ’une part, n’ayant pas établi être un mineur d’âge, et, d’autre part, ne pouvant pas, ipso facto, être considéré comme victime de la traite des êtres humains.

Aussi, s’il est certes vrai que les autorités italiennes connaissent à l’heure actuelle des problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, il ne ressort cependant pas des documents versés en cause par le demandeur que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour 4 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A. S. contre Republika Slovenija, affaire C-578/16 PPU.

le requérant, d’être systématiquement exposé à une situation de précarité et de dénuement matériel et psychologique. A cet égard, il convient de rappeler que dans son arrêt du 4 novembre 20145, la Cour européenne des droits de l’homme, contrairement au cas de la Grèce6, n’a pas constaté de défaillances systémiques dans le dispositif italien d’accueil en matière d’asile, et ce malgré des « sérieux doutes quant aux capacités actuelles du système », doutes reposant notamment sur un manque crucial d’hébergement et sur des conditions de vie inadéquates dans les structures disponibles, de sorte à ne pas suspendre les renvois vers ce pays.

Procédant par étape, la Cour européenne des droits de l’homme a dans cet arrêt constaté dans un premier temps que la structure et la situation générale du dispositif d’accueil en Italie entraînerait un risque pour un nombre significatif de demandeurs d’asile d’être privés d’hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées impliquant promiscuité, insalubrité et violence, pour ensuite retenir toutefois que le système ne présenterait pour autant, aux yeux de la Cour, pas des défaillances systémiques et ne saurait pas en soi constituer un obstacle au renvoi de tout demandeur d’asile vers ce pays. Plus récemment, la Cour européenne des droits de l’homme7 a eu de nouveau à se prononcer sur la situation en Italie, mais cette fois-ci dans le cas d’un demandeur d’asile masculin, seul et bien portant, pour retenir que la situation de l’Italie n’aurait rien à voir avec la situation de la Grèce en 2011 et rejeter la demande du demandeur d’asile qui souhaitait voir condamnée la décision de l’expulser vers Italie.

Le tribunal relève enfin que les autorités italiennes ont explicitement accepté de reprendre en charge le demandeur.

Or, le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le protocole de 1967, ainsi que dans la Convention européenne des droits de l’Homme, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard8. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping » l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants9 10.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

5 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12.

6 CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

7 CEDH, 5 février 2015, A.M.E. c. Pays-Bas, n° 51428/10.

8 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

9 Ibidem, point. 79.

10 Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle.

reçoit le recours en annulation dirigé contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 juin 2017 en la forme ;

au fond, le déclare non fondé, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 16 août 2017 par :

Marc Sünnen, président, Olivier Poos, premier juge, Michèle Stoffel, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16/8/2017 Le Greffier du Tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 39786
Date de la décision : 16/08/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-08-16;39786 ?

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