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11/08/2017 | LUXEMBOURG | N°39756

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 août 2017, 39756


Tribunal administratif N° 39756 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 juin 2017 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 11 août 2017 Recours formé par Monsieur … et Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39756 du rôle et déposée le 16 juin 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Ib

tihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembou...

Tribunal administratif N° 39756 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 juin 2017 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 11 août 2017 Recours formé par Monsieur … et Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39756 du rôle et déposée le 16 juin 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité iraquienne, et de son épouse, Madame …, née le … à … (Ukraine), de nationalité ukrainienne, demeurant ensemble à …, tendant à l’annulation d’une décision du 30 mai 2017 du ministre de l’Immigration et de l’Asile de les transférer vers la Pologne ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 août 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ibtihal El Bouyousfi et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives.

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Le 4 mai 2017, Monsieur … introduisit auprès du service compétent de la direction de l’Immigration du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-

Duché de Luxembourg. Le résultat des recherches effectuées à cette occasion dans les fichiers nationaux, les systèmes EURODAC, VIS, SIS-II, ainsi qu’auprès du Centre de Coopération Policière et Douanière fut négatif.

Le 8 mai 2017, Madame … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-

Duché de Luxembourg. Il se révéla à cette occasion qu’elle disposait d’un visa polonais valable du 23 février au 13 juillet 2017.

Le 8 mai 2017, Madame … passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III », tandis que Monsieur … fut auditionné pour les mêmes raisons en date du 19 mai 2017.

Par décision du 30 mai 2017, expédiée par lettre recommandée du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa Monsieur … et Madame … que le Grand-Duché de Luxembourg n’était pas compétent pour examiner leurs demandes en reconnaissance d’un statut de protection internationale, en se référant aux dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et à celles des articles 12, paragraphe 2) et 11, paragraphe b) du règlement Dublin III, au motif que ce serait la Pologne qui serait responsable du traitement de leurs demandes d’asile, du fait que les autorités polonaises auraient accepté le 26 mai 2017 de prendre, respectivement de reprendre en charge l’examen de leurs demandes de protection internationale.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 juin 2017, inscrite sous le numéro 39756 du rôle, Monsieur … et Madame … ont introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 30 mai 2017.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, seul un recours en annulation a pu être déposé contre la décision ministérielle déférée, recours qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs décrivent les rétroactes de l’affaire et expliquent qu’aucun interprète russe n’aurait été assigné à Madame … lors de son audition auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes et qu’il serait « curieux » que le rapport de l’entretien Dublin III aurait été rédigé en français alors qu’il aurait été conduit en anglais.

En droit, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir violé les articles 7, paragraphe 1 et 10 du règlement Dublin III, en ce que, dans le chef de Monsieur …, le Luxembourg serait à considérer comme l’Etat responsable du traitement de sa demande de protection internationale. Ils précisent dans ce contexte que l’article 10 du règlement Dublin III s’appliquerait en vertu de l’article 7.1. du même règlement avant les articles 11, paragraphe b et 12, paragraphe 2, de sorte que, dans la mesure où la demande de protection internationale de Monsieur … n’aurait pas encore fait l’objet d’une décision sur le fond, il aurait appartenu à l’agent du ministère des Affaires étrangères et européennes de demander à Madame … si elle voulait exprimer son consentement par écrit pour voir sa demande de protection internationale traitée par le Luxembourg.

Ils exposent ensuite que l’article 11 du règlement Dublin III concernant la procédure familiale ne serait opposable ni à Monsieur …, étant donné que son consentement quant à la jonction de sa demande de protection internationale, respectivement de la procédure de détermination de l’Etat responsable, avec celle de son épouse, n’aurait jamais été recueilli, alors que « sa situation personnelle (…) la conduirait ainsi que son épouse, à préférer sacrifier leur droit à une vie privée familiale plutôt que de risquer le droit à la vie [du demandeur] », ni à Madame …, dans la mesure où (i) elle n’aurait pas reçu les informations pertinentes, (ii) elle ne serait pas à charge de son mari et où (iii) elle n’aurait pas compris le sens de l’attestation de consentement qu’elle a signée.

Les demandeurs reprochent ensuite au ministre d’avoir violé les garanties prévues par le règlement Dublin III dans les articles 5.4, 5.1. et 4, en précisant que Madame …, n’ayant qu’une connaissance « rudimentaire » de la langue anglaise, n’aurait jamais été assistée par un interprète, alors qu’elle en aurait fait plusieurs fois la demande et que les informations quant aux critères de détermination de l’Etat responsable et leur hiérarchie, respectivement quant à leur consentement préalable ne leur auraient jamais été données.

Finalement, les demandeurs s’emparent de l’article 3, paragraphe 2 du règlement Dublin III, en relevant que l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et « l’islamophobie en Pologne et les atteintes à la dignité, l’intégrité physique, la liberté et la sureté des personnes de religion musulmanes » s’opposeraient à un transfert en Pologne.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

S’agissant en premier lieu des développements des demandeurs ayant trait à la question si Madame … doit être considérée comme étant à charge de Monsieur …, force est au tribunal de constater que l’article 5 de la loi du 18 décembre 2015 prévoit que « (2) Une demande peut être présentée par un demandeur pour le compte des personnes à sa charge.

Dans ce cas, les personnes majeures à charge doivent consentir à ce que la demande soit introduite en leur nom. Le consentement est requis au moment où la demande est introduite ou, au plus tard, au moment de l’entretien personnel avec la personne majeure à charge.

Avant la demande de consentement, chaque personne majeure à charge est informée en privé des conséquences procédurales pertinentes de l’introduction d’une demande en son nom et de son droit de présenter une demande de protection distincte ».

Cette disposition permet à un demandeur de présenter les motifs de sa demande de protection internationale, ainsi que ceux à la base de la demande de la personne ayant consenti être à sa charge.

Or, l’attestation de consentement figurant au dossier administratif et par laquelle Madame … « confirme [s]a volonté que [s]a demande de protection internationale soit introduite en [s]on nom par la personne dont [elle] est à charge (…) [et qu’elle a] été informé(e) en privé et dans une langue [qu’elle comprend], des conséquences procédurales pertinentes de l’introduction de la demande de protection internationale en [s]on nom et de [s]on droit de présenter une demande distincte » et contestée à plusieurs titres par les demandeurs, est indépendante de la procédure de détermination de l’Etat responsable pour l’examen de la demande de protection internationale des demandeurs pour concerner uniquement le stade ultérieur de la procédure une fois que l’Etat membre s’est déclaré responsable pour connaître de la demande de protection internationale.

D’ailleurs, ceci est conforté par le fait que les demandeurs ont tous les deux fait séparément l’objet d’une audition auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes de protection internationale, de sorte que le ministre a pu, à partir des informations recueillies lors de ces auditions, procéder à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes.

Il s’ensuit que les moyens des demandeurs relatifs à l’attestation de consentement sont inopérants dans le cadre de la présente procédure.

S’agissant ensuite des critiques à l’égard de la légalité externe de la décision, force est au tribunal de constater que l’article 4 du règlement Dublin III prévoit qu’un demandeur de protection internationale doit se voir transmettre les informations y visées, à savoir celles tenant à l’application et aux objectifs dudit règlement, ainsi qu’aux conséquences d’un dépôt d’une demande en obtention d’une protection internationale dans un autre Etat membre, de même que celles tenant aux critères de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, à l’entretien individuel et à la possibilité de contester la décision de transfert, respectivement au fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant ou encore à l’existence du droit d’accès à ces données dans une langue dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend. Il ressort encore dudit article 4 du règlement Dublin III que les informations en question sont transmises au demandeur de protection internationale par écrit par le biais d’une brochure commune à tous les Etats membres, et peuvent encore être précisées oralement dans le cadre de l’entretien individuel. L’article 5 du règlement Dublin III, relatif à l’audition du demandeur de protection internationale en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande, est libellé comme suit : « (1) Afin de faciliter le processus de détermination de l’État membre responsable, l’État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l’article 4.

(…) (4) L’entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d’assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l’entretien individuel.

(…) (6) L’État membre qui mène l’entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l’entretien. Ce résumé peut prendre la forme d’un rapport ou d’un formulaire type. L’État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ».

En l’espèce, le tribunal constate, d’une part, qu’il ressort du dossier administratif, plus particulièrement d’un certificat du 8 mai 2017, signé par Madame …, qu’à cette dernière date, l’intéressée « (…) a reçu en mains propres et a pris connaissance [d’une] (…) Brochure d’informations pour demandeurs de protection internationale en langue russe (…) et, d’autre part, que Madame … a déclaré sur la fiche de données personnelles, qu’elle a par ailleurs remplie en anglais au moment du dépôt de la demande de protection internationale, qu’elle maîtriserait la langue anglaise et que les demandeurs expliquent dans leur requête introductive d’instance que « l’entretien s’est déroulé en anglais (…) ». Dans la mesure où il ne ressort d’aucun élément du dossier administratif que la demanderesse aurait connu des problèmes de compréhension et qu’aucune réserve n’a été formulée à ce titre, il y a lieu de conclure que la demanderesse avait connaissance de l’application dudit règlement, de ses objectifs et des critères de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande.

Le tribunal rappelle ensuite que la demanderesse a été auditionnée par un agent du ministère le 8 mai 2017 en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, en application de l’article 5, précité, du règlement Dublin III, à l’occasion duquel Madame … s’est vu adresser les informations suivantes de la part de l’agent ministériel en charge de son entretien : « (…) L’objet de notre entretien est de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de votre demande de protection internationale. En vertu du Règlement Dublin III, une demande de protection internationale est examinée par un seul Etat européen, ainsi votre demande peut relever de la compétence d’un autre Etat membre en application du prédit Règlement. Si le Luxembourg n’est pas responsable de l’examen de votre demande, vous serez en principe transféré vers le pays responsable. Les questions porteront notamment sur votre trajet, sur d’autres demandes antérieures de protection internationale, sur la présence de membres de famille dans d’autres pays européens, sur l’éventuelle obtention de visa ou d’autorisation de séjour. Il est très important que vous coopériez dans l’établissement du rapport d’entretien. Il est dans votre intérêt de répondre honnêtement et le plus clairement possible à ces questions et de ne rien omettre. Veuillez-vous tenir à la stricte vérité. Pour le cas où un interprète assiste au présent entretien, sachez qu’il est tenu au secret professionnel. Je tiens enfin à préciser que vous pouvez parler sans crainte, la confidentialité de votre récit étant assurée. ».

Il suit de ce qui précède que lors de son audition, Madame … avait connaissance tant de l’objet de ladite audition – à savoir la détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande, sur base des critères prévus au règlement Dublin III, dont elle avait préalablement été informée par le biais de la susdite brochure – que du fait que le constat de la responsabilité d’un autre Etat membre aura, en principe, pour conséquence, son transfert vers cet Etat membre.

Le tribunal précise encore qu’au cours du susdit entretien du 8 mai 2017, la demanderesse a répondu par la négative à la question lui posée de savoir si elle entendait fournir des observations éventuelles ou des informations complémentaires, respectivement faire des déclarations supplémentaires, étant encore précisé à cet égard que le paragraphe 6 de l’article 5, précité, du règlement Dublin III, ne requiert ni que le rapport d’audition soit rédigé dans la langue maternelle du demandeur ni qu’il contienne la transcription exacte de la déposition du demandeur, mais, au contraire, oblige les Etats membres de rédiger « un résumé » contenant les principales informations fournies par le demandeur. Le tribunal constate encore, à l’instar du délégué du gouvernement et contrairement à l’allégation des demandeurs, que Madame … n’a à aucun moment de la procédure précontentieuse fait la demande d’être assistée par un interprète et qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier administratif que des problèmes de compréhension ou d’expression en langue anglaise se seraient présentés.

Dans ces circonstances, il y a lieu de retenir que la demanderesse avait la possibilité de s’exprimer en connaissance de cause dans le cadre de la détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande, de sorte que les moyens basés sur une violation des articles 4 et 5 du règlement Dublin III sont à rejeter pour ne pas être fondés.

S’agissant ensuite de la légalité interne de la décision attaquée, il y a lieu de relever que l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si, en vertu du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide, d’un côté, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et, de l’autre côté, de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est motivée par le fait que les autorités polonaises ont accepté de reprendre en charge l’examen des demandes de protection internationale des demandeurs, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer les demandeurs vers la Pologne et de ne pas examiner leurs demandes de protection internationale.

Force est ensuite de relever que les demandeurs contestent la compétence de principe de l’Etat polonais et invoquent l’application erronée des critères de détermination de l’Etat membre responsable de leurs demandes de protection internationale par les autorités luxembourgeoises, telles que prévues par le chapitre III du règlement Dublin III.

Or, afin de garantir aux intéressés un recours effectif contre les décisions de transfert en vertu de l’article 27, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ces derniers sont en droit de mettre en cause les critères d’application prévus au chapitre III dudit règlement sur lesquels les décisions de transfert sont basées, et le tribunal est appelé à procéder au contrôle de l’application correcte desdits critères par les autorités luxembourgeoises1.

L’article 3, paragraphe (1) du règlement Dublin III dispose que « (…) La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable ».

Le chapitre III dudit règlement, intitulé « Critères de détermination de l’Etat membre responsable » prévoit dans son article 7, intitulé « Hiérarchie des critères » que les critères de détermination de l’État membre responsable s’appliquent dans l’ordre dans lequel ils sont présentés dans ledit chapitre.

Dans la mesure où l’article 2, paragraphe g) du règlement Dublin III définit comme «membres de la famille » le conjoint du demandeur, les articles relatifs aux membres de la famille sont applicables en l’espèce.

L’article 10 du règlement Dublin III, intitulé « Membres de la famille demandeurs d’une protection internationale » dispose que : « Si le demandeur a, dans un État membre, un membre de sa famille dont la demande de protection internationale présentée dans cet État membre n’a pas encore fait l’objet d’une première décision sur le fond, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. ».

1 trib. adm., 21 décembre 2016, n° 38699 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu L’article 11 du même règlement, intitulé « Procédure familiale » prévoit que :

« Lorsque plusieurs membres d’une famille et/ou des frères ou sœurs mineurs non mariés introduisent une demande de protection internationale dans un même État membre simultanément, ou à des dates suffisamment rapprochées pour que les procédures de détermination de l’État membre responsable puissent être conduites conjointement, et que l’application des critères énoncés dans le présent règlement conduirait à les séparer, la détermination de l’État membre responsable se fonde sur les dispositions suivantes:

(…) b) à défaut, est responsable l’Etat membre que les critères désignent comme responsable de l’examen de la demande du plus âgé d’entre eux. ».

En l’espèce, les parties sont en désaccord sur la question de savoir si l’article 10 du règlement Dublin III est susceptible de s’appliquer au cas des demandeurs, de sorte qu’il incombe au tribunal de toiser cette question en premier lieu.

A cet égard, le tribunal partage les conclusions de la partie étatique, selon lesquelles l’article 10 du règlement Dublin III, précité, s’applique uniquement à des familles dont les membres ont déposé leurs demandes de protection internationale respectives dans différents Etat membres, étant donné que l’article en question fait référence au terme général de « un Etat membre », tandis que l’article 11 du même règlement fait explicitement référence à « un même Etat membre ».

Cette constatation se trouve confortée par la référence de la partie étatique au règlement d’exécution du 30 janvier 2014, lequel prévoit dans l’énumération des différents éléments de preuve admissibles afin de déterminer si un Etat membre est responsable sur base de l’article 10 du règlement Dublin III « la confirmation écrite des informations par l’autre Etat membre », et à un ouvrage portant sur le règlement Dublin III2.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre n’a pas appliqué l’article 10 du règlement Dublin III.

En ce qui concerne ensuite la question de savoir si le ministre a, à juste titre, fait application de l’article 11 du règlement Dublin III, c’est-à-dire si l’application des critères énoncés au règlement Dublin III aurait conduit à séparer la famille, l’article 3, paragraphe (2) du même règlement dispose que : « Lorsque aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier Etat membre auprès duquel la demande protection internationale a été introduite est responsable de l’examen ».

L’article 12 dudit règlement, intitulé « Délivrance de titres de séjour ou de visas » dispose que : « (…) (2) Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d’un autre État membre en vertu d’un accord de représentation prévu à l’article 8 du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas. Dans ce cas, l’État membre représenté est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. (…) ».

2 Filzwieser/Sprung, « Dublin III-Verordnung, Das Europäische Asylzuständigkeitssystem » Wien/Graz 2014, p.

129-132.

En l’espèce, en application de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le Luxembourg aurait été responsable pour examiner la demande de protection internationale de Monsieur …. Il ressort ensuite des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que Madame …, au moment de la décision déférée, c’est-à-dire en date du 30 mai 2017, était titulaire d’un visa polonais valable jusqu’au 13 juillet 2017, de sorte que la Pologne est responsable pour l’examen de la demande de protection internationale de Madame ….

Par conséquent, l’application des critères énoncés au règlement Dublin III aurait conduit à séparer la famille, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a fait application de l’article 11, point b) dudit règlement, en retenant que la Pologne est l’Etat membre responsable de l’examen des demandes de protection internationale de Monsieur … et de Madame … comme étant l’Etat membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus âgé d’entre eux et ce, en respectant le principe de l’unité de la famille, et en considération du fait que la demanderesse est plus âgée que le demandeur.

En ce qui concerne la situation, telle qu’en l’espèce, où un Etat membre a accepté la prise en charge d’un demandeur d’asile, le demandeur ne peut mettre en cause cette décision qu’en invoquant l’existence de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet Etat membre qui constituent des motifs sérieux et avérés de croire que ledit demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne3.

Il y a en effet lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 juillet 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désignées par « la Convention de Genève », ainsi que dans la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CEDH », et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard4. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping » l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants5. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées6.

3 CJUE, grande chambre, 10 décembre 2013, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, C-394/12, point 62.

4 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., (C-411/10) et (C-493/10), point 78.

5 trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib.adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib.adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

6 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

Force est tout d’abord au tribunal de constater que les demandeurs n’ont soutenu ni lors de leurs auditions par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, du 8, respectivement du 19 mai 2017, ni dans le cadre du présent recours, avoir subi personnellement des mauvais traitements en Pologne, à part le fait que Madame … aurait été exploitée par son employeur qui lui aurait imposé « des conditions comparables à celles de l’esclavage » prétendument en raison de son appartenance à la religion musulmane et se limitent à faire état de violences physiques en Ukraine.

D’un autre côté, concernant les articles cités par les demandeurs, dont certains ne sauraient décrire la situation actuelle en Pologne pour dater des années 2012, respectivement 2013, le tribunal tient à relever qu’ils font certes ressortir une certaine hostilité d’une partie de la population polonaise face à des demandeurs de protection internationale musulmans sans pour autant faire ressortir des défaillances systémiques dans la procédure d’asile. Ainsi, ces articles ne permettent pas au tribunal de vérifier si Madame … a personnellement subi des mauvais traitements de la part des autorités polonaises lors de son séjour en Pologne, ni de retenir que le système polonais de traitement des demandes de protection internationale présenterait actuellement des défaillances systémiques. De telles défaillances en Pologne ne sont d’ailleurs actuellement pas reconnues par les instances chargées au niveau européen de l’asile, tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement.

S’agissant des documents versés par le litismandataire des demandeurs le jour de l’audience des plaidoiries, à savoir des articles relatifs au respect de l’Etat de droit dans ce pays suite à des projets de réformes nuisant au bon déroulement et à l’indépendance de la justice et à l’indépendance de la presse, il échet de retenir qu’il est fait état de difficultés politiques en Pologne et de critiques y relatives exprimées par la Commission européenne, sans pour autant, au stade actuel du dossier, faire ressortir des défaillances systémiques dans la procédure d’asile.

Il s’ensuit que le tribunal, en l’état actuel d’instruction du dossier et compte tenu des éléments fournis par les demandeurs, ne décèle pas de violation de l’article 3, paragraphe 2, 2e alinéa du règlement Dublin III, aux termes duquel « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ».

Au vu des considérations qui précèdent, le recours en annulation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Michèle Stoffel, juge, Emina Softic, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique extraordinaire du 11 août 2017, à 11.00 heures, par le premier vice-président, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 août 2017 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 39756
Date de la décision : 11/08/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-08-11;39756 ?

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