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27/07/2017 | LUXEMBOURG | N°39692

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juillet 2017, 39692


Tribunal administratif N° 39692 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juin 2017 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 27 juillet 2017 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39692 du rôle et déposée le 7 juin 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Arda

van FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembo...

Tribunal administratif N° 39692 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juin 2017 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 27 juillet 2017 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39692 du rôle et déposée le 7 juin 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Bosnie-

Herzégovine) et de Madame …, née le … (Bosnie-Herzégovine), accompagnés de leurs enfants mineurs …, …, tous de nationalité bosnienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 mai 2017 ayant déclaré leur demande de protection internationale irrecevable sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 juillet 2017.

En date du 31 janvier 2013, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 ». Son épouse, Madame …, accompagnée de ses enfants mineurs … et …, introduisit, quant à elle, une demande de protection internationale le 10 mars 2014 auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration.

La demande de protection internationale introduite par Monsieur … fut déclarée non fondée par décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 3 décembre 2013, décision assortie d’un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par un jugement du tribunal administratif du 26 novembre 2015, portant le numéro 33817 du rôle, confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 12 mai 2015, portant le 1numéro 35612C du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux du 24 décembre 2013 introduit à l’encontre de la décision ministérielle, prémentionnée.

Par décision du 17 juin 2014, notifiée par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa Madame … et ses deux enfants mineurs de ce que leur demande en obtention d’une protection internationale avait été rejetée comme non fondée, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par un jugement du tribunal administratif du 20 mai 2015, portant le numéro 34833 du rôle, Madame … et ses deux enfants mineurs furent déboutés de leur recours contentieux du 7 juillet 2014 introduit à l’encontre de la décision ministérielle, précitée.

Monsieur … et son épouse Madame …, accompagnés de leurs enfants mineurs …, … se rendirent en Allemagne où Madame … déposa une nouvelle demande de protection internationale en date du 3 août 2015.

Monsieur … fut incarcéré en Allemagne du 9 mai 2015 au 4 janvier 2016, pour vol qualifié et il fut extradé en Bosnie-Herzégovine en date du 19 janvier 2016.

Le 4 juillet 2016, Monsieur … et son épouse Madame …, accompagnés de leurs enfants mineurs …, … et …, ci-après désignés par « les consorts … » introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Monsieur … fut entendu en dates des 18 janvier, 1er février, 21 mars et 30 mars 2017 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa nouvelle demande de protection internationale, tandis que son épouse, Madame …, fut quant à elle entendue le 7 décembre 2016 sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa nouvelle demande de protection internationale.

Par décision du 29 mai 2017, notifiée aux intéressés par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre informa les consorts … que leur nouvelle demande de protection internationale avait été déclarée irrecevable sur base de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015. Cette décision est libellée comme suit :

« […] J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale que vous avez introduites auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 4 juillet 2016.

Avant tout autre développement, il convient de rappeler que vous, Monsieur, avez introduit une première demande de protection internationale au Luxembourg le 31 janvier 2013, et vous, Madame, le 10 mars 2014, qui ont été refusées par décisions ministérielles des 3 décembre 2013 et 17 juin 2014.

Monsieur, vous avez invoqué à la base de cette demande qu'en 1992, vous auriez été enlevé et torturé pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine. Vous auriez été maltraité dans plusieurs camps de réfugiés serbes et vous prétendez qu'après la guerre, les autorités bosniennes 2vous auraient convoqué pour témoigner au tribunal de La Haye. Alors que vous auriez refusé, pour ne pas vous rappeler ces événements, « les gens à Zvornik » auraient néanmoins pris peur quand ils auraient appris que vous devriez témoigner. Ainsi, des habitants « âgés » vous auraient « maltraité » et « les gens de LUKIC Momo » vous auraient régulièrement enlevé pour vous conduire dans une forêt où vous auriez été attaché à un arbre. En plus, Momo LUKIC aurait essayé de tuer votre fille en la heurtant avec sa voiture en février ou juillet 2013. Vous précisez qu'il travaillerait aujourd'hui pour la police et dès qu'il y aurait un vol ou un autre délit à Zvornik, il vous ferait prendre les biens volés en mains afin que vos empreintes soient dessus;

il voudrait vous « tuer psychologiquement ». Vous seriez d'avis que les policiers ne vous aideraient pas parce que ce seraient tous « des participants de la guerre qui m'ont torturé ».

Vous avez également prétendu avoir contacté la « CIPA » (police fédérale de Sarajevo), mais « même eux n'ont pas réussi à m'aider ». La CIPA vous aurait toutefois donné un « appareil pour enregistrer » afin qu'elle puisse écouter et localiser vos conversations. La CIPA ne pourrait cependant pas se mêler « dans les affaires de la république serbe ». Selon vos dires, vous seriez maltraité par des personnes serbes qui voudraient « effacer toutes les traces existantes du génocide à Srebrenica » Vous avez ajouté que la maison de votre grand-père aurait été détruite pendant la guerre et que vos demandes « pour renouveler la maison » auraient été refusées par la République serbe de Bosnie. Néanmoins, les autorités de la Fédération de Bosnie-

Herzégovine vous auraient soutenu dans ce projet et vous auriez reçu une aide de l'Union Européenne pour renouveler une partie de votre maison.

Monsieur, le 12 mai 2015, vous avez été définitivement débouté de votre première demande de protection internationale par arrêt de la Cour administrative (Numéro 35612C du rôle) aux motifs que: « Alors même que le tribunal n'a pas mis en doute le caractère crédible du récit de Monsieur … la Cour a quelques doutes à ce sujet. A titre d'exemple, l'épisode avec les policiers fédéraux de la CIPA témoigne d'un dilettantisme tel de cette unité qu'on a de la peine à croire leur comportement. De plus, s'agissant d'une police fédérale, il n'est pas exact qu'elle n'ait aucune compétence pour traiter des plaintes visant des policiers travaillant sur le territoire de la République Serbe de Bosnie. Monsieur …a encore fait des déclarations assez contradictoires en ce qui concerne ses relations avec son épouse et ses enfants restés sur place. Après avoir affirmé que ceux-ci se trouvaient auprès de sa famille, il déclara ensuite qu'il attendait le divorce pour plus tard encore dire qu'ils habitaient auprès des parents de son épouse et qu'il voulait les faire venir en Allemagne. Monsieur … avait encore déclaré avoir été sollicité pour témoigner devant le TPIY, mais malgré les recherches afférentes effectuées à la demande de la Cour, une telle affirmation n'a pas pu être vérifiée.

Même à admettre la crédibilité du récit avec beaucoup de réticences, celui-ci étant très incohérent et donnant l'impression de certaines exagérations (ainsi, p. ex., on a du mal à croire que les malfaiteurs qui voulaient qu'il tût ce qu'il avait vu à Srebrenica, l'eussent emmené plusieurs fois loin dans la forêt pour l'y attacher à un arbre et le frapper pour ensuite le laisser à l'abandon et l'obliger à rentrer à pied plus de 50 km, de même qu'ils l'eussent jeté plusieurs fois dans une rivière (devant tant d'énergie criminelle pour le faire taire, il est étonnant qu'ils ne l'aient pas assassiné; de tels traitements laissent des traces : sur question s'il avait des cicatrices, Monsieur … déclara qu'il en avait mais qu'elles avaient disparu), la Cour rejoint le tribunal en ce que celui-ci a estimé que Monsieur …n'a pas réellement, sinon pas suffisamment recherché la protection des autorités nationales. (…) On peut également estimer que Monsieur …aurait pu, par l'intermédiaire de ce policier, porter plainte auprès de 3 la hiérarchie policière contre les mauvais traitements. La Cour rejoint partant le tribunal dans sa conclusion que faute par Monsieur …d'avoir raisonnablement recherché la protection des autorités de son pays après les agressions dont il avait été la victime, il ne saurait se plaindre de persécutions qui l'auraient forcé à quitter son pays d'origine. Le premier jugement est partant à confirmer en tant qu'il a refusé de lui accorder le statut de réfugié. » Madame, en date du 20 mai 2015, vous avez été déboutée de votre première demande de protection internationale par jugement du Tribunal administratif du 20 mai 2015 (N° 34833 du rôle) aux motifs qu': « il n'en demeure pas moins que l'ensemble des faits ainsi relatés par la demanderesse ne peuvent être considérés comme étant de nature à atteindre le degré de gravité tel qu'exigé (…), d'autant plus qu'à part le fait que la demanderesse fait état, de manière crédible, de la destruction d'objets mobiliers s'étant trouvés dans sa maison d'habitation, elle n'a précisé en aucun manière concrète en quoi les « maltraitances » dirigées contre elle auraient consisté. Il en est d'ailleurs de même des menaces qui auraient été dirigées contre elle en raison de son appartenance religieuse, le tribunal n'étant pas en mesure d'apprécier la gravité des menaces ainsi exprimées à son encontre, à défaut de précision y afférentes. ».

Madame, Monsieur, en date du 6 mai 2015, vous avez fait croire aux autorités luxembourgeoises que vous vouliez retourner volontairement en Bosnie-Herzégovine en renonçant à vos demandes de protection internationale et en marquant votre accord pour être éloignés, or, vous disparaissez le lendemain de votre adresse officielle. Votre éloignement prévu pour le 12 mai 2015 a donc dû être annulé.

Quant à vos déclarations auprès du Service de Police judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 4 juillet 2016 duquel il ressort que vous, Madame, avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 3 août 2015 et que vous, Monsieur, y avez été incarcéré entre mai 2015 et janvier 2016 pour vol qualifié (« Besonders schwerem Fall des Diebstahls »). Vous avez été extradé vers la Bosnie-Herzégovine le 19 janvier 2016.

En outre, il en ressort que vous auriez à nouveau décidé de quitter votre pays d'origine parce que vous n'auriez pas eu de travail.

Quant à vos déclarations auprès du Service Réfugiés En mains les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 7 décembre 2016 et des 18 janvier, 1er février, ainsi que des 21 et 30 mars 2017 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de vos demandes.

Monsieur, il résulte de vos déclarations qu'après votre disparition de votre adresse au Luxembourg, vous auriez été incarcéré par les autorités allemandes pendant huit mois parce que la Bosnie-Herzégovine aurait lancé un mandat d'arrêt international contre vous pour une histoire de vol. Après huit mois passés en prison en Allemagne, les autorités bosniennes auraient demandé votre retour afin que vous y purgiez votre peine. Votre épouse enceinte à l'époque, aurait encore accouché en Allemagne avant de vous rejoindre avec vos enfants.

4 Lors de votre rapatriement, vous auriez d'abord atterri à l'aéroport de Belgrade où vous auriez dû passer une nuit dans une cellule avant d'être remis aux autorités bosniennes à Sarajevo. Pendant la nuit, deux personnes masquées vous reprochant d'avoir « parlé contre les gens de la Bosnie » en Europe vous auraient frappé jusqu'à ce que vous ayez perdu connaissance. De même, vous dites que « Pendant la nuit, dans le couloir, ils y avaient plusieurs personnes qui sont rentrés (sic) deux par deux » pour vous frapper jusqu'à perdre connaissance. Vous expliquez que vous n'auriez jamais commis de crime et que vous auriez été traité de telle sorte parce qu'« ils avaient mon dossier parce que je devais aller au Tribunal de la Haye pour témoigner ».

Le lendemain, vous auriez été escorté à Sarajevo et remis à des agents de la Police Judiciaire qui vous auraient transporté à la prison de …. Vous prétendez que les responsables de cette prison auraient refusé de vous incarcérer « parce qu'il n'y avait pas de documents et pas de raison pour m'emprisonner ». Or, suite à un appel passé au chef du commissariat de police de Zvornik que vous accusez d'être un « criminel de guerre », vous auriez tout de même été emprisonné pour quatre mois. En plus, vous prétendez avoir entendu ledit chef de commissariat dire au téléphone au responsable de la prison qu'il faudrait plutôt vous tuer que de vous emprisonner.

Pendant votre incarcération, vous auriez d'abord été placé dans une cellule avec dix autres « criminels de guerre », respectivement « trente personnes » et vous prétendez avoir été « torturé », « violé » et « tabassé » par des « criminels de guerre » ainsi que par des policiers, dont le dénommé …. Après un temps vous auriez été placé dans une cellule avec « les gens les plus agressifs » qui vous auraient également maltraité. Vous vous seriez plaint une dizaine de fois auprès d'un agent de sécurité qui vous aurait alors frappé.

Vous ajoutez qu’« ils » auraient tenté de prolonger votre peine en plaçant de la drogue ou un couteau dans votre cellule. En plus, on vous aurait donné des médicaments périmés, raison pour laquelle vous seriez d'avis qu'on aurait tenté de vous empoisonner. Lors de votre sortie de prison, vous auriez été attendu par trois personnes armées qui vous auraient forcé à monter dans leur voiture pour vous amener dans une maison. Vous prétendez que le chef du commissariat de police de Zvornik serait alors passé « avec trois voitures » en vous signalant que « Je n'ai pas réussi à te détruire en prison. Mais bientôt tu vas être emprisonné de nouveau ».

Vous prétendez ensuite que l'inspecteur de la brigade criminelle également présent dans la pièce, vous aurait menacé de mort si vous ne coopériez pas avec lui. Ainsi, il vous aurait expliqué que vous devriez rencontrer un homme qui vous remettrait deux passeports (un vrai et un faux), une carte d'identité, de l'argent, du « matériel », des armes et des bombes et que vous seriez envoyé en Europe. De même, il vous aurait expliqué que vous suivriez auprès de cet homme une formation pour « travailler avec des explosifs ». Après votre refus, vous auriez été frappé jusqu'à perdre connaissance. Vous vous seriez réveillé pendant la nuit et vous seriez alors parti à pied. En route, vous auriez été hébergé et soigné pendant quelques jours par un couple inconnu.

Vous vous seriez par la suite caché sous un camion pour gagner Ljubljana avant d'acheter un ticket de bus pour aller à Trèves où votre épouse vous aurait attendu. Après vous être informé auprès des autorités allemandes sur la protection internationale, on vous aurait fait comprendre que votre épouse devrait retourner en Bosnie-Herzégovine. Vous auriez alors 5signé des papiers donnant votre accord pour un retour volontaire vers la Bosnie-Herzégovine mais seriez par la suite venu au Luxembourg.

Madame, vous confirmez en partie les dires de votre époux. Vous précisez demander une protection internationale « pour les mêmes raisons que la première fois ». Vous ne seriez jamais retournée en Bosnie-Herzégovine depuis votre arrivée au Luxembourg en mars 2014, tandis que votre époux, rapatrié de force en janvier 2016 par les autorités allemandes, y aurait été incarcéré pendant trois mois avant de vous rejoindre à Trèves. Bien que lors de son premier séjour en Allemagne, les policiers lui auraient expliqué qu'il devrait 150.- euros en Bosnie-Herzégovine, il aurait été confronté à une sanction supérieure de 250.- euros lors de son retour au pays.

Vous avez versé les documents suivants pour étayer vos dires:

 Un arrêt de la Cour d'appel de Coblence du 18 mai 2015, concernant votre arrestation (Auslieferungshaft) en vue de procéder à votre rapatriement. Il en ressort que les autorités allemandes vous ont incarcéré sur base d'un mandat d'arrêt du 18 décembre 2013, lancé par les autorités bosniennes en vue de l'exécution d'une peine d'emprisonnement basée sur un jugement du Tribunal de Zvornik du 23 octobre 2012.

A noter que les autorités allemandes avaient contrôlé votre identité après vous avoir pris en flagrant délit de vol.

 Une demande d'extradition de la part des autorités bosniennes adressée aux autorités allemandes le 26 mai 2015 afin que vous purgiez votre peine de prison d'un an.

 Un document relatif aux délais de prescription des peines en Bosnie-Herzégovine établi le 13 mai 2015.

 Des documents relatifs au mandat d'arrêt international lancé contre vous.

 Un extrait de la transcription du droit pénal pour l'infraction visée, datée au 26 mars 2013.

 Une communication faite par les autorités bosniennes du 19 mars 2013.

 Un certificat délivré par les autorités bosniennes le 13 mars 2013.

 Une demande d'information du 15 novembre 2012, concernant votre peine, établie par le Tribunal de district de Zvornik.

 Deux jugements du Tribunal de district de Zvornik et de Bijeljina vous concernant, datés aux 24 février et 23 octobre 2012.

Monsieur, vous avez également voulu remettre un DVD avec des vidéos trouvées sur « youtube » montrant « comment des gens tuent des gens » et montrant la prétendue exécution de membres de votre famille en 1993. Vous prétendez avoir été en possession de l'original de cette vidéo quand un employé de l'UNHCR vous l'aurait confiée pendant que vous vous seriez retrouvé dans un camp de réfugiés serbes pendant la guerre. Etant donné que ce DVD serait exclusivement lié à votre première demande de protection internationale dans le cadre de laquelle vous avez fait part de vos expériences pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine, l'agent chargé de votre entretien, n'a pas jugé pertinent de la prendre davantage en considération.

Madame, Monsieur, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, vos demandes de protection internationale sont irrecevables au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau relatifs à l'examen visant à 6 déterminer si vous remplissez les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d'une protection internationale.

En effet, il s'agit en premier lieu de soulever que l'autorité ministérielle, à l'instar de l'arrêt de la Cour administrative dans le cadre de vos premières demandes de protection internationale, se doit d'émettre les plus grands doutes quant à votre récit.

Ces doutes s'expliquent évidemment par le fait que l'élément clé de votre récit, qui constituerait la base de tous vos problèmes en Bosnie-Herzégovine, à savoir le fait que vers 2008, vous auriez été convoqué à témoigner à La Haye au sujet de crimes de guerre que vous auriez vus, a déjà pu être démenti dans le cadre de vos premières demandes de protection internationale. En effet, il résultait d'une recherche effectuée dans le cadre de ces premières demandes que vous n'avez jamais été convoqué ni même été prévu pour témoigner au Tribunal de La Haye et il s'ensuit que votre récit dans le cadre de vos deuxièmes demandes, tournant toujours autour de ce non-élément (maltraitances à l'aéroport par des personnes qui seraient au courant de votre « dossier La Haye » et en prison par des « criminels de guerre », ainsi que des menaces et agressions par des hauts gradés de la Police également au courant de votre prétendue convocation à La Haye) doit donc être perçu comme un tissu de mensonges auquel le Ministre ne saurait accorder une quelconque crédibilité.

Ce constat vaut d'autant plus que vous tentez cette fois-ci d'expliquer la perte de vos quatre molaires par les coups que vous auriez reçus en cellule parce qu'« ils avaient mon dossier parce que je devais aller au Tribunal de la Haye pour témoigner ». Or, non seulement faut-il se demander de quelle façon étrange vous auriez reçu ces coups pour uniquement avoir perdu les quatre molaires, mais en plus, vous aviez encore prétendu dans le cadre de votre première demande que vous avez perdu ces dents lors d'agressions subies à Zvornik.

Pour le surplus, vous tentez d'excuser vos contradictions par des explications aussi étonnantes qu'absurdes en affirmant que: « Les dents tombent jusqu'à vingt ans. J'ai perdu deux dents ou trois. Mais jusqu'à 21 ans. Les autres dents sont tombées. Alors sur ces endroits où j'avais perdu les dents, de nouvelles dents ont surgi ».

Monsieur, il paraît en tous cas clair que vous avez décidé en 2013 de quitter votre pays d'origine pour échapper à votre peine de prison, dont vous n'avez d'ailleurs aucunement abordé le sujet dans le cadre de votre première demande de protection internationale alors que vous n'étiez évidemment pas dans l'incapacité de le faire valoir conformément à l'article 32 de la loi du 18 décembre 2015.

Votre condamnation en Bosnie-Herzégovine et tous les documents que vous avez versés pour appuyer votre thèse, à la supposer établie, ne constituent donc manifestement pas des éléments nouveaux par rapport à vos premières demandes de protection internationale, alors que votre condamnation date de 2012 et que vous êtes venu au Luxembourg en janvier 2013.

Force est par ailleurs de constater que avez surtout voulu induire en erreur les autorités luxembourgeoises dans le cadre de vos premières demandes de protection internationale en prétendant à l'époque que dès qu'il y aurait un vol ou autre délit à Zvornik, le dénommé …, dans le but de vous « tuer psychologiquement », vous ferait prendre les biens volés en mains afin que vos empreintes soient dessus. Or, vous avouez cette fois-ci avoir commis le vol en question et il ressort des documents versés que vous avez déjà par le passé été condamné à des peines de prison avec sursis.

7 En tous cas, Monsieur, le seul fait d'être condamné dans son pays d'origine pour un délit ou crime commis ne saurait manifestement pas être considéré comme un acte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015 qui serait susceptible d'augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions pour bénéficier du statut de réfugié au sens du prédit article 32, alors qu'il ressort clairement de vos dires et des documents versés que vous avez été condamné pour un acte de vol aggravé.

De plus, il en ressort que vous avez eu droit à un procès équitable, que vous avez pu faire valoir vos droits dans le cadre d'un recours contre le premier jugement et que les autorités vous ont par le passé accordé des peines avec sursis mais que « die Bewährungsstrafen für diese Straftaten offensichtlich keinen Zweck erfüllt haben und dass sich die damalige Schätzung des Gerichts als falsch erwiesen hat, dass die ausprochenen Strafen erzieherisch auf den Angeklagten wirken werden und dass er weiter keine Straftaten begehen werde. Daraus folgt dass die ausgesprochene Strafe von einem Jahr Freiheitsentzug, die die geringste Strafe für die genannte Straftat ist, angemessen der Schwere der Straftat und dem Grad der Schuld des Angeklagten (…) die notwendige Strafe (…) darstellt ».

Contrairement à vos explications incohérentes et non-convaincantes, vous n'auriez en tous cas pas été incarcéré « sans raison » et « sans document officiel ».

En effet, vous avez été incarcéré pour un acte de vol aggravé dont vous avouez être l'auteur, sur base de documents officiels et suite à un procès dans le cadre duquel vous avez pu faire valoir vos droits. Vous avez même pu solliciter et obtenir un report de votre incarcération; report dont vous avez profité pour quitter la Bosnie-Herzégovine et ainsi échapper à votre peine. Pour le surplus, vous avez déjà à deux reprises dans le passé été « pardonné » par la justice de votre pays d'origine qui vous a aménagé vos peines, vous évitant ainsi l'incarcération, dans le vain espoir « dass sie (…) erzieherisch wirken ». Vous avez d'ailleurs aussi été appréhendé en Allemagne pour vol.

Précisons encore dans ce contexte, qu'alors que vous proclamez être victime de crimes de haine de la part de « criminels de guerre serbes », c'est justement vous qui avez été condamné en 2010 à une peine de prison pour incitation à la haine sur base de l'article 390 (2) du code pénal de la République serbe de Bosnie: « (1) Whoever incites and inflames national, racial or religious hatred, discord or hostility, or spreads ideas of superiority of one race or nation over another, shall be punished by a fine or imprisonment for a term not exceeding two years.

(2) Whoever commits the offence referred to in Paragraph 1 of this Article by employing coercion, abuse, endangering the safety, exposing national, ethnic or religious symbols to derision, damaging other people's belongings, desecrating monuments or graves, shall be punished by imprisonment for a term between six months and five years. » Force est de constater que cette condamnation va à l'encontre totale de l'image de victime de crimes de haine que vous essayez de montrer de vous-même et des prétendues injustices dont vous auriez souffert dans votre pays d'origine.

Madame, Monsieur, le seul fait nouveau sous-jacent à vos deuxièmes demandes de protection internationale, est donc constitué par cette prétendue incarcération en Bosnie-

Herzégovine en 2016, qui ne saurait toutefois pas non plus être considérée comme un élément 8 nouveau qui augmenterait de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions, tel que prévu par les articles 28 et 32 de la loi du 18 décembre 2015.

Notons tout d'abord qu'il n'est même pas établi que vous ayez effectivement été incarcéré après votre retour en Bosnie-Herzégovine, alors que non seulement vous aviez déjà purgé une peine de prison en Allemagne et que vous ne remettez aucun document concernant une peine purgée en Bosnie-Herzégovine, mais qu'en plus, Monsieur, vous pariez d'une peine de minimum quatre mois que vous auriez purgée alors que vous, Madame, expliquez que votre époux vous aurait rejoint en Allemagne trois mois après avoir été rapatrié en Bosnie-

Herzégovine.

Monsieur, à cela s'ajoute que vous faites état de deux versions totalement contradictoires sur votre dernier jour en prison en Bosnie-Herzégovine. D'un côté, vous précisez que « Le dernier jour tous les gens étaient très gentils avec moi et je n'étais pas maltraité. (…) Je n'étais pas battu du tout. (…) ». Or, pendant la relecture vous vous rendez vous-même compte que « Cela ne marche pas avec ce que je vous ai dit avant. Je vous avais dit qu'ils m'avaient maltraités et fait pipi dessus… ». La sincérité de votre personne et la gravité de votre situation dans votre pays d'origine doivent d'autant être mises en doute que votre excuse pour cette contradiction flagrante doit être rejetée pour être totalement infondée.

En effet, alors que vous avez parfaitement bien compris l'interprète présent dans le cadre de votre entretien, fait que vous avez confirmé par votre signature, vous vous contentez d'expliquer cette contradiction par le fait que « Je ne sais pas peut-être s'agit-il d'un problème avec l'interprète ».

A tout ce qui précède, s'ajoute le fait que vous n'auriez toujours pas entrepris la moindre démarche dans votre pays d'origine pour faire valoir vos droits et vous défendre contre les prétendues injustices et maltraitances que vous auriez vécues et qui auraient été perpétrées par des « criminels de guerre » et le dénommé …, c'est-à-dire les mêmes personnes que vous avez accusées dans le cadre de vos premières demandes de protection internationale. Le constat des juges dans le cadre de vos premières demandes de protection internationale selon lequel « faute (…) d'avoir raisonnablement recherché la protection des autorités de son pays après les agressions dont il avait été la victime, il ne saurait se plaindre de persécutions qui l'auraient forcé à quitter son pays d'origine » reste donc inchangé.

Enfin, à tout cela s'ajoute le fait qu'il ressort clairement du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez de nouveau quitté votre pays d'origine sur base de motifs économiques. De même, il ressort des jugements versés que vous avez vécu dans des conditions financières précaires en Bosnie-Herzégovine et que votre fille souffrirait de problèmes de santé. Or, il va sans dire que des motifs économiques, voire additionnellement des motifs médicaux, ne sauraient pas fonder de demande de protection internationale et ne sauraient donc pas non plus être considérés comme des éléments nouveaux au sens de l'article 32 précité.

Les éléments sous-jacents à vos deuxièmes demandes de protection internationale ne sauraient donc pas être perçus comme des faits nouveaux augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions prévues pour bénéficier du statut de réfugié conformément à l'article 32 de la loi du 18 décembre 2015.

Les éléments sous-jacents à vos deuxièmes demandes de protection internationale ne sauraient donc pas être perçus comme des faits nouveaux augmentant de manière 9significative la probabilité que vous remplissiez les conditions prévues pour bénéficier du statut de réfugié conformément à l'article 32 de la loi du 18 décembre 2015. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2017, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 29 mai 2017.

Etant donné que la décision déférée déclare irrecevable la demande de protection internationale des consorts … sur base de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 et que l’article 35, paragraphe (3), de ladite loi prévoit un recours en annulation en matière de demandes de protection internationale déclarées irrecevables sur base de l’article 28, paragraphe (2), de la même loi, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs expliquent qu’après avoir été définitivement déboutés de leur demande de protection internationale par l’arrêt de la Cour administrative du 12 mai 2015, respectivement par le jugement du tribunal administratif du 20 mai 2015, ils auraient pris la fuite, en direction de l’Allemagne, où Monsieur … aurait été arrêté et incarcéré pendant 8 mois sur base d’un mandat d’arrêt international émis par les autorités bosniennes. Après les 8 mois passés en prison, Monsieur … aurait été extradé seul en Bosnie-Herzégovine à la demande des autorités bosniennes. Ils précisent ensuite qu’à la base de leurs deuxième demande de protection internationale, ils feraient état de diverses persécutions, tortures et mauvais traitements dont Monsieur … aurait été victime de la part d’un dénommé … et de la part de Serbes. Ils expliquent plus particulièrement que lors de son rapatriement, Monsieur … aurait d'abord atterri à l'aéroport de Belgrade où il aurait dû passer une nuit dans une cellule avant d'être remis aux autorités bosniennes à Sarajevo. Pendant cette nuit, il aurait été battu et torturé par deux personnes masquées qui lui auraient reproché d’avoir parlé « contre les gens de la Bosnie ». Arrivé à Srajevo, il aurait été attendu par la police judiciaire et il aurait été emmené à la prison de … où il aurait été emprisonné pendant quatre mois. Durant cette incarcération, il aurait été battu, violé et torturé. On lui aurait par ailleurs donné des médicaments qui auraient été périmés depuis plus de dix ans. Le dernier jour d’incarcération aurait été particulièrement pénible pour Monsieur …, alors qu’il se serait retrouvé dans un bureau en position assise et des individus seraient rentrés dans ce bureau durant toute la journée pour lui infliger des tortures et humiliations supplémentaires. A sa sortie de prison, il aurait été attendu par trois inconnus armés qui l’auraient conduit chez son « persécuteur principal », lequel l’aurait de nouveau torturé et menacé de mort, les demandeurs ajoutant que ces mêmes individus seraient finalement parti en le laissant sur place.

Monsieur … risquerait ainsi toujours d’être victime de harcèlements, persécutions, menaces et violences physiques et mentales au sens de l’article 42 (2) de la loi du 18 décembre 2015 de la part de « ses persécuteurs », qui feraient partie de la police bosnienne, de sorte que toute aide des autorités bosniennes serait exclue.

En droit, les demandeurs concluent à l’annulation de la décision déférée du 29 mai 2017 pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits dans le chef du ministre. Ils rappellent que Monsieur … aurait été victime de persécutions de la part du dénommé …, au motif qu’il serait un survivant de Srebrenica. En ce qui concerne le constat ministériel que les déclarations de Monsieur … seraient peu crédibles, les demandeurs 10insistent sur le vécu traumatisant de ce dernier. Les problèmes de concentration de Monsieur … lors de ses entretiens auprès de la direction de l’Immigration s’expliqueraient en effet par ce vécu particulièrement éprouvant, de sorte qu’on ne saurait lui reprocher certaines incohérences dans son récit. Il aurait d’ailleurs fait usage de son droit de corriger son récit au cours de la relecture de ses entretiens. En prenant dès lors sa décision sans examen approprié du dossier de Monsieur …, le ministre aurait violé l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015.

Ils affirment encore que ce serait à tort que le ministre aurait reproché à Monsieur … de ne pas avoir porté plainte contre ses persécuteurs en arguant que ce seraient les autorités bosniennes mêmes qui l’auraient poussé à fuir son pays d’origine, les demandeurs soulevant dans ce contexte encore une haine entre les ethnies qui continuerait à se propager.

En soutenant qu’ils auraient fait état d’éléments nouveaux augmentant de manière significative la probabilité qu’ils remplissent les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, ils concluent en conséquence à l’annulation de la décision déférée en ce que ce serait à tort que le ministre a déclaré leur nouvelle demande de protection internationale irrecevable et a refusé de leur accorder un statut de protection internationale.

Le délégué du gouvernement soutient que ce serait à juste titre que le ministre a déclaré irrecevable la deuxième demande de protection internationale des consorts … et conclut au rejet du recours.

Avant tout autre progrès en cause, il appartient au tribunal de trancher le premier moyen soulevé par les demandeurs et tendant à l’annulation de la décision déférée en raison d’un vice affectant la procédure pré-contentieuse.

Aux termes plus particulièrement de l’article 10, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 : « Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que […] les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement […] ».

Le tribunal est amené à relever que c’est à tort que les demandeurs soutiennent que leur demande de protection internationale n’aurait pas été examinée de manière appropriée.

En effet, il ressort de leurs rapports d’audition respectifs qu’ils ont été invités à exposer les raisons pour lesquelles ils avaient introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg, ainsi que les raisons de leur départ de leur pays d’origine, respectivement en ce qui concerne la demanderesse de son refus de retourner dans son pays d’origine. L’agent chargé de leurs auditions les a plus particulièrement interrogés sur les problèmes qu’ils auraient personnellement rencontrés en Bosnie-Herzégovine ainsi que sur les menaces et persécutions qu’ils y auraient, le cas échéant, subies. Enfin, il ressort encore dudit rapport d’audition de Monsieur … que vers la fin de celle-ci, l’agent précité l’avait encore interrogé pour savoir s’il avait à ajouter quelque chose « sur n’importe quel sujet » que l’agent aurait omis ou négligé de demander, ce à quoi il a répondu par la négative. A cela s’ajoute que si le ministre, au vu de certaines incohérences dans le récit du demandeur, a certes émis quelques doutes sur la véracité de son récit, il n’a toutefois pas rejeté la demande de protection internationale lui soumise des demandeurs sur base d’un défaut de crédibilité de Monsieur …, mais a au contraire examiné les déclarations de celui-ci pour finalement arriver à la conclusion qu’il ne s’agirait pas de faits nouveaux augmentant de manière significative la probabilité qu’ils remplissent les conditions prévues pour bénéficier du statut de réfugié 11conformément à l'article 32 de la loi du 18 décembre 2015.

Au vu des considérations qui précèdent, le moyen relatif à une violation de l’article 10, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 laisse d’être fondé.

Quant au fond, l’article 28, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit que « […] le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: […] d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale […] ».

Aux termes de l’article 32 de la même loi, « (1) Constitue une demande ultérieure une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel le ministre a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 23, paragraphes (2) et (3).

(2) Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure, ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure sont examinés dans le cadre de l’examen de la demande antérieure par le ministre ou, si la décision du ministre fait l’objet d’un recours juridictionnel en réformation, par la juridiction saisie.

(3) Le ministre procède à un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en vertu de l’article 28, paragraphe (2), point d). Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien.

(4) Si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, l’examen de la demande est poursuivi, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. […] ».

Il ressort de ces dispositions que le ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure - c’est-à-dire une demande de protection internationale introduite après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure émanant de la même personne, y compris, notamment, le cas dans lequel une demande de protection internationale a fait l’objet d’une décision de retrait implicite -, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans le cas où le demandeur n’invoque aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale. Saisi d’une telle demande ultérieure, le ministre effectue un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en question. L’examen de la demande n’est poursuivi que si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et à condition 12que le demandeur concerné ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Dans le cas contraire, la demande est déclarée irrecevable.

Il s’ensuit que la recevabilité d’une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir, premièrement, que le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux, deuxièmement, que les éléments ou les faits nouveaux présentés augmentent de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et, troisièmement, qu’il ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.

Il y a lieu de souligner que ce droit ne constitue pas une sorte de « troisième instance », mais une exception - soumise à des conditions d’ouverture strictes - à l’autorité de chose jugée dont est revêtue la procédure contentieuse antérieure, respectivement à l’autorité de chose décidée dont est revêtue la première décision de refus de protection internationale.

Il appartient dès lors au ministre d’analyser les éléments nouveaux soumis en cause par le demandeur afin de vérifier le caractère nouveau de ces éléments ainsi que leur susceptibilité d’augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre de la précédente procédure, laquelle doit, comme retenu ci-avant, avoir fait l’objet d’une décision finale.

Il est constant en cause que la demande de protection internationale des consorts … ayant donné lieu à la décision déférée a été introduite le 4 juillet 2017, soit après que leurs premières demandes de protection internationale avaient été définitivement rejetées par un arrêt de la Cour administrative du 12 mai 2015, inscrit sous le numéro 35612C du rôle, respectivement par un jugement du tribunal du 20 mai 2015, numéro 34833 du rôle, de sorte que la demande en question doit être qualifiée de demande ultérieure au sens de l’article 32, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015.

Toutefois, et indépendamment de la crédibilité des demandeurs, le tribunal ne saurait admettre que les faits nouveaux présentés par ces derniers lors de leurs entretiens respectifs auprès de la Direction de l’Immigration sont à considérer comme éléments nouveaux augmentant de manière significative la probabilité qu’ils remplissent les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

En effet, à l’appui de leur deuxième demande, les demandeurs donnent à considérer que Monsieur … aurait été incarcéré pendant quatre mois, dès son arrivée en Bosnie-

Herzégovine et ils mettent encore en exergue les violences et tortures dont Monsieur … aurait été victime tant en prison qu’à sa sortie de prison de la part du dénommé … et de son entourage constitué de criminels de guerre, entourage dont ferait notamment parti le chef du commissariat de Zvornik.

A cet égard, il convient d’abord de relever en ce qui concerne la condamnation même du demandeur à une peine d’emprisonnement d’un an pour vol qualifié, force est de constater que celle-ci date du 23 octobre 2012, c’est-à-dire avant l’introduction de la première demande de protection internationale des demandeurs. Or, il ressort tant des pièces versées en 13cause, que des explications circonstanciées du délégué du gouvernement que lors de leurs premières demandes de protection internationale, les demandeurs n’ont pas fait état de cette condamnation, sans pour autant avoir été dans l’incapacité de ce faire, étant précisé à cet égard qu’ils ne contestent pas en avoir eu connaissance. Il y a dès lors lieu de retenir qu’ils ont nécessairement délibérément omis d’en informer tant le ministre lors de la phase précontentieuse, que le tribunal administratif et la Cour administrative lors de la procédure contentieuse, de sorte que la condamnation à une peine de prison ne saurait valoir comme fait nouveau au sens de l’article 32 précité de la loi du 18 décembre 2015, étant encore relevé que les demandeurs sont, par ailleurs, restés en défaut d’expliquer pourquoi ils n’ont pas fait état de cette condamnation au cours de leurs premières demandes de protection internationale.

A cela s’ajoute que le seul fait d'être condamné dans son pays d'origine pour un délit ou crime commis ne saurait en tout état de cause pas être considéré comme un acte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015 qui serait susceptible d'augmenter de manière significative la probabilité que le requérant remplisse les conditions pour bénéficier du statut de réfugié au sens du prédit article 32, et ce d’autant plus qu’il ressort des pièces versées au tribunal que Monsieur … a eu droit à un procès lors duquel il a pu faire valoir ses droits.

En ce qui concerne ensuite les tortures et mauvais traitements qu’affirme avoir subis le demandeur lors de son incarcération en Bosnie-Herzégovine, ainsi que lors de sa sortie de prison il convient de relever que si ces faits sont certes chronologiquement nouveaux et d’une gravité certaine, ils ne peuvent toutefois pas être qualifiés de faits nouveaux justifiant l’introduction d’une nouvelle demande de protection internationale, alors qu’ils n’augmentent pas de manière significative la probabilité que les demandeurs remplissent les conditions d’octroi d’une protection internationale.

En effet, il convient à cet égard de rappeler qu’à chaque fois qu’un demandeur de protection internationale est admis à bénéficier de la protection du pays dont il a la nationalité et qu’il n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, il n’a pas besoin de la protection internationale1. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays, en déposant notamment une plainte contre l’auteur des actes de persécution, respectivement des atteintes graves, pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut2.

Or, en l’espèce, force est de constater qu’il résulte des déclarations du demandeur au cours de ses entretiens auprès de la direction de l’Immigration3 que ce serait le chef du commissariat de Zvornik, c’est-à-dire une personne de l’entourage du dénommé LUKIC, qui aurait demandé qu’il soit torturé en prison. A sa sortie de prison, ce serait encore cette même personne et quelques individus de son entourage qui l’auraient menacé et battu. Or, et outre le fait que Monsieur … a d’ores et déjà fait état de persécutions de la part de ces mêmes individus, qualifiés de criminels de guerre, lors de sa première demande de protection internationale, il convient de relever qu’il n’a, tout comme lors de sa précédente demande de protection internationale, toujours pas entrepris une quelconque démarche en vue d’obtenir la 1 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.

2 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

3 Page 4/16 du rapport d’entretien 14protection des autorités de son pays d’origine contre les agissements du dénommé … et de l’entourage de celui-ci. S’il est vrai que les demandeurs tentent d’expliquer cette inaction de sa part par le fait que certains de ces individus feraient parti de la police, il y a toutefois lieu de souligner que les actes dont Monsieur … affirme avoir été victime ne sauraient être considérés comme l’expression d’agissements des autorités bosniennes en ce sens que ces actes auraient été couverts, respectivement orchestrés ou tolérés en connaissance de cause par ces autorités, mais constituent tout au plus des actes d’abus commis par des policiers isolés4.

C’est dès lors à tort que les demandeurs affirment ne pas pouvoir bénéficier de la protection des autorités de leur pays d’origine, alors qu’ils pourraient notamment porter plainte contre le policier en question auprès de la hiérarchie policière5.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à juste titre que le ministre a conclu qu’à l’appui de leur deuxième demande de protection internationale, les demandeurs n’ont pas fait valoir des éléments ou faits nouveaux augmentant de manière significative la probabilité qu’ils remplissent les conditions d’octroi d’un statut de protection internationale dont ils auraient été dans l’incapacité de se prévaloir dans le cadre de leur première demande de protection internationale, de sorte qu’il a valablement pu déclarer ladite demande irrecevable, en application des articles 28, paragraphe (2), point d) et 32 de la loi du 18 décembre 2015.

Il s’ensuit qu’à défaut d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 juillet 2017 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, juge, Emina Softic, attaché de justice, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Thessy Kuborn 4 Voir en ce sens Cour adm. 12 mai 2015, n°35612C du rôle.

5 Ibidem 15


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 39692
Date de la décision : 27/07/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-07-27;39692 ?

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