Tribunal administratif N° 39873 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juillet 2017 chambre de vacation Audience publique du 19 juillet 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120. L.29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39873 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2017 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … en … (Kosovo), de nationalité kosovoare, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l'Immigration et de l’Asile du 8 juin 2017 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2017 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2017 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au nom et pour compte de Monsieur … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Madame le délégué du gouvernement Christiane MARTIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 juillet 2017.
Le 14 septembre 2016, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, de laquelle il fut définitivement déboutée par un jugement du tribunal administratif du 27 janvier 2017 inscrit sous le numéro 38916 du rôle.
En date du 9 mars 2017, Monsieur … signa auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes une déclaration de s’engager formellement à coopérer et de s’inscrire auprès de l'Organisation internationale de migration, ci-après l’OIM en vue de son retour volontaire au Kosovo.
Une requête en réadmission de Monsieur … fut adressée par les autorités luxembourgeoises aux autorités kosovares en date du 30 mai 2017, et acceptée par ces dernières en date du même jour.
Par arrêté du 8 juin 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre » prit à l’encontre de Monsieur … une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.
Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé le 12 juillet 2017, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et considérations suivants :
« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de retour du 15 décembre 2016 ;
Vu ma décision d'interdiction d’entrée sur le territoire du 8 juin 2017 ;
Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Attendu que l’intéressé n’a pas entrepris les démarches nécessaires en vue de l’organisation de son retour volontaire dans son pays d’origine ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Attendu que l’intéressé évite la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement ;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé ont été engagées ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 juillet 2017, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du 8 juin 2017 ordonnant son placement au Centre de rétention.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce, qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur rappelle d’abord les faits et rétroactes à la base de la décision déférée, en soulignant avoir pris contact avec l’OIM en vue d’un retour volontaire. Il se serait encore rendu à toutes les convocations du ministère des Affaires étrangères et européennes, où on lui aurait dit d’attendre la communication de la date de son retour. Il n’aurait par la suite pas reçu d’informations concernant la date de son départ.
En droit, le demandeur reproche au ministre d’avoir ordonné son placement au Centre de rétention, malgré le fait qu’il n’existerait aucun risque de fuite dans son chef. Il souligne à cet égard qu’il aurait marqué son accord en vue d’un retour volontaire dans son pays d’origine ainsi que « son comportement postérieurement affiché auprès IOM qui manifestement ne correspond pas à celui d’une personne cherchant à fuir puisqu’il était à cette occasion retourné au foyer en expliquant la situation regrettable à laquelle il se trouvait confronté bien malgré lui ». Il précise à cet égard qu’il aurait toujours résidé à l’adresse signalé au ministre, ce qui démontrerait à suffisance qu’il n’existerait aucun risque de fuite dans son chef.
Il reproche encore au ministre de ne pas avoir pris d’autres mesures moins coercitives à son égard, et notamment une décision l’obligeant de se présenter régulièrement auprès des services du ministre.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur soutient encore que le fait d’avoir été menotté par les autorités policières le jour de son placement au Centre de rétention aurait été humiliant et dégradant et partant contraire aux articles 3 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée « la CEDH ».
Il conteste finalement que les diligences entreprises par le ministre auraient participé à écourter au maximum sa privation de liberté.
Le délégué du gouvernement soutient, quant à lui, que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, tel que modifié par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé.
Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
A titre liminaire, le tribunal relève qu’il n’est pas contesté que Monsieur …, qui a fait l’objet en date du 15 décembre 2016 d’une décision de retour comportant ordre de quitter le territoire luxembourgeois et en date du 8 juin 2017 une interdiction de territoire, s’y trouve en séjour irrégulier. Dans la mesure où en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, le risque de fuite est présumé si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.
S’agissant de l’argumentation du demandeur qu’une autre mesure qu’un placement en rétention aurait dû lui être appliquée, le tribunal relève que l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, dont le demandeur se prévaut, prévoit ce qui suit : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) [de la loi du 29 août 2008] […].
On entend par mesures moins coercitives :
a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.
La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.
Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».
Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1), sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe (1), de sorte que pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité, aucune des autres mesures moins coercitives ne doit entrer en compte au vu des circonstances du cas particulier.
L’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3), de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.
1 Trib. adm. 6 mai 2016, n° 37829 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
En l’espèce, il ressort des éléments soumis au tribunal que le demandeur a, en date du 9 mars 2017, déclaré vouloir retourner volontairement dans son pays d’origine et de s’inscrire à cette fin encore le même jour à l’OIM. S’il ressort certes d’un courriel de Madame … de l’OIM du 14 juillet 2017, duquel le délégué du gouvernement se prévaut, que Monsieur … ne s’est jamais présenté auprès de son service afin de s’inscrire pour un retour volontaire au Kosovo, il ressort toutefois d’un courriel postérieur de Madame … du 18 juillet 2017 que l’intéressé s’était tout de même présenté auprès de l’OIM pour un retour volontaire en date du 15 mars 2017 mais qu’il n’avait, par omission de sa part, pas été inscrit sur la liste des retours volontaires. Il échet ensuite de constater qu’en date du 9 mars 2017, Monsieur … s’est encore engagé à résider à L-…, adresse à laquelle il a été effectivement trouvé par les autorités policières chargées de procéder à son placement au Centre de rétention le 12 juillet 2017.
En vertu de ce qui précède, et compte tenu du fait que Monsieur … a effectivement honoré ses engagements pris en date du 9 mars 2017 auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes jusqu’au jour de son placement au Centre de rétention le 12 juillet 2017, ainsi que du fait que la circonstance de ne pas figurer sur la liste des retours volontaires lui reprochée par le ministre résulte d’une simple omission d’inscription de l’OIM et non pas d’une intention quelconque de Monsieur … d’éviter la préparation de son retour, il échet de retenir que la présomption d’un risque de fuite dans le chef de Monsieur … se trouve valablement renversée et qu’une mesure moins coercitive au sens de l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 est praticable à travers l’assignation à résidence jusqu’au jour de son rapatriement le lundi 7 août 2017.
Il y a dès lors lieu de réformer la décision ministérielle critiquée du 8 juin 2017 et de remplacer la mesure de la rétention par celle de l’assignation à résidence.
Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation introduit contre l’arrêté de placement en rétention du 8 juin 2017 en la forme;
au fond, le dit justifié ;
par réformation, ordonne la libération immédiate du Centre de rétention de Monsieur …, ainsi que son assignation corrélative à résidence, conformément aux dispositions de l’article 125 de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, dans une structure appropriée, dans les conditions et modalités à fixer par le ministre ;
renvoie le dossier pour exécution au ministre de l’Immigration et de l’Asile ;
condamne l’Etat aux dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 juillet 2017 par :
Marc Sünnen, président, Françoise Eberhard, vice-président, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 juillet 2017 Le greffier du tribunal administratif 7