La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/07/2017 | LUXEMBOURG | N°39682

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 juillet 2017, 39682


Tribunal administratif N° 39682 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2017 chambre de vacation Audience publique du 19 juillet 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39682 du rôle et déposée le 6 juin 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Laura URBANY, avocat à la Cour

, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … ...

Tribunal administratif N° 39682 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2017 chambre de vacation Audience publique du 19 juillet 2017 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39682 du rôle et déposée le 6 juin 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Laura URBANY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 mai 2017 de le transférer vers l’Italie comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Laura URBANY et Madame le délégué du gouvernement Christiane MARTIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 juillet 2017.

___________________________________________________________________________

Le 8 février 2017, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Lors de la comparaison des empreintes digitales de Monsieur …, la base de données EURODAC releva qu’il avait déjà fait l’objet d’une prise d’empreintes digitales en Italie en date du 2 juillet 2016.

Le 8 février 2017, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 21 février 2017, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes en vue de la reprise en charge de Monsieur … conformément à l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

A défaut de réponse, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités italiennes par courrier du 15 mai 2017, qu’en vertu de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, l’absence de réponse dans le délai imparti équivaut à une acceptation de la requête de prise en charge.

Par décision datée du 22 mai 2017, envoyée par lettre recommandée à l’intéressé le même jour, le ministre, sur base de la considération que Monsieur … aurait en date du 2 juillet 2016 franchi irrégulièrement la frontière italienne et que les autorités italiennes auraient tacitement accepté le 22 avril 2017 de prendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale, informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III.

Par arrêté ministériel du même jour, Monsieur … fut encore assigné à résider à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg.

Par courriers du 15 et 31 mai 2017, les autorités italiennes furent demandées de confirmer leur acceptation tacite de prendre en charge l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur … et de communiquer les modalités du transfert.

En date du 31 mai 2017, le ministre s’adressa au service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale en vue de procéder au transfert de Monsieur ….

Par courrier du 14 juin 2017, les autorités italiennes informèrent les autorités luxembourgeoises qu’elles ne pourraient pas donner leur accord officiel de prendre en charge l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, étant donné qu’il aurait clairement démontré son désintérêt de déposer une telle demande en Italie. Elles informèrent encore les autorités ministérielles que le transfert devrait s’effectuer avec un préavis de trois jours ouvrables.

Le 13 juillet 2017, les autorités italiennes demandèrent aux autorités luxembourgeoises d’organiser le transfert vers l’aéroport de Milan Linate.

Par requête inscrite sous le numéro 39682 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2017, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle du 22 mai 2017 de le transférer vers l’Italie comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale.

L’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en annulation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, de sorte que tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

En revanche, le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose d’abord les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, tout en expliquant qu’il n’aurait pas déposé sa demande de protection internationale en Italie en raison des conditions désastreuses dans lesquelles y vivraient les demandeurs d’asile. Il explique qu’après la prise de ses empreintes digitales, il aurait été délaissé « dans la rue », sans aucune information relative à la possibilité de déposer une demande de protection internationale et sans possibilités d’hébergement. Il aurait pris sept mois pour rassembler assez d’argent afin de quitter l’Italie.

En droit, il se prévaut d’une violation de l’article 3, paragraphe (2), 3e alinéa du règlement Dublin III, au motif que le ministre aurait fait abstraction des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Italie. En effet, les capacités d’accueil des demandeurs de protection internationale seraient largement dépassées, de sorte que le respect des conditions d’hébergement, de nourriture, d’hygiène, de santé et de sécurité ne seraient plus garanties. Les demandeurs d’asile ayant fait l’objet d’un transfert seraient particulièrement frappés par ces conditions.

Il se base sur un rapport, de l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés, ci-après dénommée « l’OSAR », d’octobre 2013, selon lequel les personnes dormiraient parfois plusieurs jours aux aéroports de Ficumicino et Malpensa avant que les autorités italiennes leur auraient trouvé un hébergement, et que dans les grandes villes comme Rome et Milan, il faudrait attendre plusieurs mois avant que la demande d’asile ne soit enregistrée, temps, pendant lequel les demandeurs d’asile se trouveraient sans abri.

Les défaillances systémiques du système d’examen des demandes d’asile seraient encore avérées en l’espèce, étant donné que les autorités italiennes auraient manquées de répondre à la requête de prise en charge des autorités luxembourgeoises dans les délais.

Le demandeur, en se basant sur un rapport d’Amnesty International du 3 novembre 2016, donne ensuite à considérer que même à supposer qu’il puisse être logé dans un foyer étatique, les centres d’hébergement seraient débordés et de nombreux actes de violences y seraient commis. Il se base encore sur l’arrêt Tarakhel1, de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », sur un rapport du représentant du Secrétaire Général sur les migrations et réfugiés du Conseil de l’Europe d’octobre 2016, et sur un communiqué de presse du Conseil de l’Europe du 18 mars 2017, pour faire valoir que le nombre de places disponibles dans des structures d’accueil serait épuisé et qu’il faudrait parfois attendre plusieurs années avant qu’une demande d’asile soit traitée.

En ce qui concerne plus particulièrement les défaillances systémiques dans la procédure d’asile en Italie, le demandeur fait valoir que les demandes de protection internationale y seraient examinées de façon superficielle par des agents de police non formés sans que les demandeurs recevraient des informations nécessaires et l’assistance d’un avocat préalable à cette analyse. Il se base à cet égard sur le rapport d’Amnesty International précité.

Il souligne finalement qu’il serait actuellement en rééducation orthopédique de la cheville, et n’aurait pas accès à un tel traitement en cas de transfert en Italie tant que sa demande de protection internationale ne serait pas officiellement enregistrée.

1 CourEDH, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 du rôle.

Le transfert vers l’Italie serait donc impossible, étant donné qu’il y existeraient des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil, lesquelles entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

A titre subsidiaire, le demandeur fait valoir que les autorités luxembourgeoises auraient méconnu leur obligation de s’assurer préalablement auprès des autorités italiennes qu’il y serait hébergé dès sa reprise en charge, ainsi qu’il aurait accès aux soins médicaux. Il se prévaut à cet égard de l’arrêt Tarakhel de la CourEDH précité, suivant lequel il y aurait violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée « la CEDH » par l’Etat requérant en présence d’un transfert vers l’Italie sans obtenir au préalable une garantie individuelle de prise en charge adaptée aux besoins de la personne par l’Etat italien.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

L’article 22 paragraphe (1) du règlement Dublin III intitulé « Réponse à un requête aux fins de prise en charge » dispose que : « L’Etat membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d’un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. ».

Le paragraphe (7) du même article dispose quant à lui ce qui suit : « L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 […] équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. ».

Il s’ensuit que si, en vertu du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen d’une demande de protection internationale formulée par un ressortissant d’un pays tiers et si ce pays accepte, même tacitement, la prise en charge de l’intéressé, le ministre décide, d’un côté, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et, de l’autre côté, de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 2 juillet 2016 et, d’autre part, par le fait que les autorités italiennes ont accepté tacitement en date du 22 avril 2017 de prendre/reprendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

En l’espèce, force est de relever que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Etat italien, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais il reproche en substance au ministre d’avoir violé l’article 3, paragraphe (2), 3e alinéa du règlement Dublin III, aux termes duquel « Lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un Etat membre désigné sur base des critères énoncés au paragraphe III ou vers le premier Etat membre auprès duquel la demande a été introduite, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable devient l’Etat membre responsable » en raison des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs en Italie.

Force est ensuite de relever que si le demandeur invoque certes une violation de l’article 3, paragraphe (2), 3e alinéa, précité, du règlement Dublin III, il ressort cependant indubitablement de la teneur de la requête introductive d’instance qu’il reproche au ministre d’avoir violé l’alinéa 2 de l’article en question, suivant lequel « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ».

Il y a encore lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping » l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient aux demandeurs de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.

Le tribunal est encore amené de souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il y existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un 2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

3 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 79 ; trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle.

4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne5.

En ce qui concerne les prétendues défaillances systémiques dans la procédure d’asile en Italie, il échet de prime abord de constater que le rapport OSAR, cité par le demandeur, selon lequel les personnes dormiraient parfois plusieurs jours aux aéroports et que dans les grandes villes il faudrait attendre plusieurs mois avant que la demande d’asile ne soit enregistrée, temps, pendant lequel les demandeurs d’asile se trouveraient sans abri, date de 2013 et est dès lors trop ancien pour pouvoir encore refléter la situation actuelle en Italie, notamment au regard de l’évolution de la situation des demandeurs de protection internationale en Italie depuis lors. Ensuite, il y a lieu de constater que l’article d’Amnesty International du 3 novembre 2016, intitulé « Italie : coups, décharges électriques et humiliations sexuelles contre les réfugiés » publié sur le site Internet « www.amesty.fr » et versé en cause par le demandeur, fait état du fonctionnement et du but des centres de crise organisés en Italie suite à l’augmentation du nombre des migrants, ainsi que des difficultés rencontrées par les autorités italiennes dans leur mise en œuvre. Or, les observations y relatives tournent autour du primo-accueil des migrants et sont étrangères à la situation concrète de prise en charge du demandeur, ce dernier n’étant plus à considérer comme primo-

arrivant en Italie dans la mesure où ses empreintes ont d’ores et déjà été enregistrées par les autorités italiennes.

Il échet ensuite de révéler que s’il est certes vrai, que les autorités italiennes connaissent à l’heure actuelle de sérieux problèmes quant à leur capacité d'accueil des demandeurs d’asile, il ne ressort cependant pas des documents versés en cause par le demandeur que les conditions matérielles d'accueil des demandeurs de protection internationale en Italie sont caractérisées par des carences structurelles d'une ampleur telle qu'il y aurait lieu de conclure d'emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d'espèce, à l'existence de risques suffisamment réels et concrets, pour les requérants, d'être systématiquement exposés à une situation de précarité et de dénuement matériel et psychologique, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH. En effet, contrairement aux affirmations du demandeur, la CourEDH a retenu dans son arrêt Tarakhel que la structure et la situation générale du dispositif d’accueil en Italie ne constitue pas en soi un obstacle à tout renvoi de demandeurs d’asile vers ce pays6, de sorte qu’une analyse de la situation individuelle du demandeur s’impose.

En ce qui concerne la situation concrète de Monsieur …, il y a lieu de constater qu’il ne ressort d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal qu’il aurait personnellement fait l’objet de traitements de la part des autorités italiennes susceptibles de constituer des mauvais traitements ou des actes de torture au sens de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ou de l’article 3 de la CEDH ni qu’il risque un tel traitement en cas de retour en Italie.

En effet, il échet de constater que Monsieur … n’a pas déposé une demande de protection internationale en Italie, ce dernier ayant plus particulièrement déclaré à cet égard que « I didn’t want to stay in Italy » et « I wanted to go to England. But England is closed, so I had to stay here »7. Les autorités italiennes ont encore souligné dans leur courrier du 14 juin 5 CJCE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

6 CourEDH, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 du rôle, § 115.

7 Page 3 de l’entretien en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur … du 8 février 2017.

2017 que Monsieur … est connu en Italie sous trois identités différentes et a quitté le centre d’accueil sans laisser de traces au lieu de déposer une demande de protection internationale, de sorte que l'affirmation, selon laquelle il se trouverait à la rue et sans support financier, est dénuée de pertinence, étant donné qu’il s’y trouvait en séjour irrégulier et qu’un Etat membre n’est pas obligé en vertu de l’article 3 de la CEDH de garantir un hébergement à toute personne se trouvant irrégulièrement sur son territoire ni de le supporter financièrement8.

Concernant ensuite le moyen tiré d’un défaut d’une garantie individuelle de prise en charge adaptée à ses besoins par les autorités italiennes basé sur l’arrêt Tarakhel, précité, moyen portant sur les modalités de l’exécution de la décision de transfert déférée non susceptible de porter atteinte à son bien-fondé ou à sa légalité intrinsèque, il échet de souligner que l’arrêt Tarakhel vise les personnes vulnérables, telles les familles, les enfants en bas âge et les personnes se trouvant dans un état de santé précaire, situation dans laquelle le demandeur ne se trouve pas. Ainsi, la CourEDH a eu l’occasion de préciser que: « unlike the applicants in the case of Tarakhel, cited above, who were a family with six minor children, the applicant is an able young man with no dependents and that, as regards transfers to Italy under the Dublin Regulation, the Netherlands authorities decide in consultation with the Italian authorities how and when the transfer of an asylum seeker to the competent Italian authorities will take place and that in principle three working days’ notice is given9», de sorte que Monsieur … ne saurait se prévaloir d’une violation quelconque de l’article 3 de la CEDH, les modalités du transfert ayant été discutées avec les autorités italiennes, dans la mesure où il a été convenu de le transférer vers l’aéroport de Milan Linate et d’avertir les autorités italiennes trois jours ouvrables à l’avance.

En ce qui concerne ensuite l’état de santé avancé par Monsieur …, la CourEDH a précisé: « as set out in its judgment in the case of Tarakhel […] including that, to fall within the scope of Article 3, ill‑treatment must attain a minimum level of severity. The assessment of this minimum is relative; it depends on all the circumstances of the case, such as the duration of the treatment and its physical or mental effects and, in some instances, the sex, age and state of health of the victim10 ». En vertu de ce qui précède, il échet de retenir que Monsieur … ne saurait se prévaloir d’une violation quelconque de l’article 3 de la CEDH étant donné que sa prétendue maladie, à savoir une « péritendinopathie du péroné latéral nécessitant un traitement par antalgique per os et de la kinésithérapie11 » ne présente pas le degré de gravité suffisant permettant de le qualifier de personne vulnérable au sens de l’arrêt Tarakhel précité, étant précisé qu’il ne ressort en effet d'aucun élément du dossier soumis à l’appréciation du tribunal que le demandeur ne pourrait pas obtenir les soins requis en Italie, voire, qu'il ne serait pas apte à voyager dans la mesure où son état de santé serait d'une gravité telle que son transfert puisse en lui seul être considéré comme violant l'article 3 de la CEDH.

Il y a dès lors lieu de retenir que le demandeur reste en défaut d’établir une défaillance systémique de la procédure d’asile en Italie de nature à être qualifié de traitement inhumain et dégradant au sens de la CEDH, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de l’article 3 paragraphe (2) alinéa 2 du règlement Dublin III.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

8 CourEDH, 30 mai 2017, E.T. et N.T. c. Suisse, n° 79480/13 du rôle, § 23.

9 CourEDH, A.M.E. c. Pays-Bas, 13 janvier 2015, n° 51428/10 du rôle, § 34.

10 CourEDH, Jihana ALI et autres. c. Suisse et Italie, 4 octobre 2016, n° 30474/14 du rôle, § 31.

11 Certificat médical du docteur … du 6 juin 2017.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 mai 2017 ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation dirigé contre les décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile de 22 mai 2017 en la forme ;

au fond, le déclare non fondé, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 juillet 2017 par :

Marc Sünnen, président, Françoise Eberhard, vice-président, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 juillet 2017 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 39682
Date de la décision : 19/07/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-07-19;39682 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award